La rentrée du Théâtre de la Ville ne pouvait pas se passer du nouveau spectacle d’Anne Teresa de Keersmaeker, une mise à nu passionnante du processus de création.
Pour 3 Abschied Anne Teresa de Keersmaeker collabore à nouveau avec l’ensemble Ictus, composé de treize musiciens qui occupent le centre de la scène. Au début du spectacle Anne Teresa, habillée d’un pull noir, d’un paire de jeans assez larges et de grosses chaussures de marche, se positionne latéralement, règle elle-même les lumières de la salle et met dans un lecteur le CD Der Abschied, le tout dernier volet de la partition Das Lied von der Erde de Gustav Mahler, qu’elle interrompt ensuite brutalement. Puis, pendant une vingtaine de minutes, elle parle au public et explique la genèse de ce spectacle.
Comment réaliser une chorégraphie actuelle en utilisant une musique du romantisme allemand qui traite de l’acceptation de la mort ? Comment les mouvements contemporains des corps peuvent-ils représenter la transcendance exprimée poétiquement par les trois poèmes chinois dont Mahler se sert pour composer son Lied ?
Avec ironie et précision Anne Teresa de Keersmaeker et Jérôme Bel déconstruisent le processus de création chorégraphique en faisant participer le public à leurs interrogations, en nous soumettant les trois variantes conçues pour confronter la danse contemporaine au thème de la mort et du retour à la terre.
Dans la première variation Anne Teresa de Keersmaeker danse parmi les musiciens, presque de manière maladroite, inachevée, tout d’abord en accueillant et reformulant de manière bouleversante les gestes du mezzo-soprano Sara Fulgoni. Pour la deuxième tentative de mise en mouvement du Lied de Mahler, suite à l’intervention explicative sur scène de Jérôme Bel, ce sont les musiciens eux-mêmes qui représentent deux fois de suite la mort. Finalement, pour la dernière variation sur l’œuvre de Mahler, Anne Teresa de Keersmaeker reste seule avec le pianiste et s’abandonne au chant et à la danse avec intensité et humour. Elle met en scène une fragilité saisissante, un désir de musique captivant, une recherche à vif des possibilités gestuelles, du risque créatif.
Encore une fois Anne Teresa de Keersmaeker conquiert le public, surprend, amuse et envoûte : l’acceptation de la mort devient une forme à la fois dure et légère de mouvements, aux rythmes savamment irréguliers.
Gloria Morano
© Etat-critique.com – 16/10/2010