Art-scène, Théâtre

La plus précieuse des marchandises, J.-C. Grumberg, C. Tordjman, Théâtre du Rond-Point

Une très belle mise en scène pour un texte d’une magnifique beauté.

La plus précieuse des marchandises est un texte magnifique de Jean-Claude Grumberg. Magnifique parce que l’auteur réussit dans une forme classique, courte et simple, le conte, à magnifier petite histoire et grande Histoire avec un grand H, à croiser les points de vue, celui du lecteur, celui d’une mère qui poussée par l’amour et le désespoir en vient à abandonner son enfant, celui d’une autre mère qui recueille cette enfant. Tout cela dans le contexte d’une guerre mondiale et sans jamais la nommer, de la déportation. Un conte humaniste marquant.

Le texte n’avait pas une vocation théâtrale, il n’est pas écrit pour cela. Le conte fondé sur une tradition orale et une lecture à haute voix le suggère sans qu’il le nécessite. Les passerelles sont cependant possibles : le théâtre joue sur la représentation du réel pour créer une fiction comme Grumberg écrit à partir de l’existence de faits historiques pour jouer de la fiction du conte et de ses codes. Un décalage fictionnel perturbant comme le sont les plus grandes tragédies.

Dans la mise en scène de Tordjman, ils sont deux, seuls en scène, à interpréter Un pauvre bucheron et Une pauvre bucheronne vivant isolés dans une forêt. Au loin, vidéoprojeté par des représentations graphiques en fond de scène, passe un train de marchandises dont la destination est inconnue et dont la pauvre bucheronne affamée espère tout : victuailles et vêtements. Sur cet écran apparaissent de manière fantomatique, des arbres floutés, le visage de la mère déportée, interprétée par Julie Pilod.  Tout contribue à l’illusion, au détournement du réel comme pour mieux s’en protéger et nous rappeler que nous sommes dans une fiction. Un paradoxe qui assaille le spectateur.

La forêt représentée au sol par un réseau quadrillé blanc, surélevé, impose aux personnages en équilibre une tension dramatique dans leurs déplacements. Comme si le moindre faux pas entrainait la chute du récit. Côté cour, passant du rôle d’acteur à celui de narrateur-coryphée et de musicien, Eugénie Anselin et Philippe Fretun jouent quelques fois de la musique. Pour sonoriser le temps et l’indicible. Quand ce n’est pas une machine à coudre électrique qui cadence avec froideur la narration.  Le spectateur suit ainsi sous tension le déroulement du conte.

Capté par le texte , par cet évènement tragique qu’est le recueil de cette enfant jetée par la lucarne d’un train de marchandises, par le comportement héroïque d’un père soumis au deuil, le spectateur ne peut que vibrer devant cette effroyable fiction aux prises avec un récit historique connu de tous. « Les chasseurs de sans-cœur », les « sans-cœur » « les têtes de mort », sont des mots qui usent des codes naïfs du conte pour mieux désigner l’indicible, s’en détacher, traduire une peur, réinterroger le sens, l’humanité ou l’inhumanité qui les compose.

L’interprétation, le rythme, la mise en scène, la musique sont à la hauteur d’un texte qui a la valeur littéraire d’une grande œuvre classique. En mettant en scène ce texte, Charles Tordjman fait entendre une célébration de la vie et de l’amour dans un contexte tragique. « L’amour qui fait que la vie continue » comme l’écrit Grumberg.

Les spectateurs connaissant le texte auront plaisir à le voir et l’entendre. Ceux qui le découvrent resteront sans doute marqués par l’intelligence du fond et de la forme. Le texte, prix spécial des librairies, grand prix de la société des gens de lettres, prix des lecteurs BFMTV/L’Express est édité en poche aux éditions Points. Un conte à voir, à lire, relire et offrir.

Jusqu’au 17 octobre au : https://www.theatredurondpoint.fr/

Dates de tournée :

27 — 30 OCTOBRE 2021 THÉÂTRE DE LIÈGE / LIÈGE (BELGIQUE)
17 — 20 NOVEMBRE 2021 THÉÂTRE NATIONAL DE NICE / NICE (06)
2 — 3 DÉCEMBRE 2021 THÉÂTRE DE LA COLONNE / MIRAMAS (13)
15 — 16 DÉCEMBRE 2021 LA CRIÉE, THÉÂTRE NATIONAL DE MARSEILLE / MARSEILLE (13)

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