Reflet dans le miroir de l’Algérie
La rencontre entre un fils qui cherche son père et des pères qui n’ont jamais pu l’être.
Plongée dans le quotidien de retraités solitaires et solidaires, au cœur d’une page méconnue de l’histoire de France.
Martin débarque dans un foyer de travailleurs immigrés d’Algérie pour remettre à un certain El Hadj un coffret. Sa mère l’a exigé de lui, avant de mourir. Muet et paralysé dans son fauteuil depuis plusieurs mois, El Hadj reçoit les soins de ses camarades Hamid, Driss, Majid et Shériff. Tous les cinq sont originaires d’Algérie. Martin, en quête de son père, va faire leur connaissance.
Dans un décor rudimentaire, meubles Formica, lit et table de jeux, les langues vont se délier, le passé se révéler. Non sans éclats de voix et explosions d’agressivité tant les vérités pèsent, les hommes sortent de l’ombre. Cette ombre dans laquelle l’histoire, la France les a placé.
« Ils pensaient pas qu’on pouvait avoir froid », lâche Azize Kabouche sous les traits de Hamid. « Ils pensaient pas qu’on pouvait avoir faim. Qu’on pouvait avoir besoin d’une femme dans nos bras. Et ils pensaient pas qu’un jour on pourrait vieillir comme tout le monde, parce qu’ils pensaient pas qu’on était des hommes ».
Vibrante de sincérité, la pièce doit beaucoup au jeu des acteurs. Ils semblent s’oublier pour devenir leurs personnages. On les prendrait pour de vrais Chibanis (cheveux blancs en arabe) ! Ces travailleurs migrants devenus âgés. Le plus attachant : Lounès Tazaïrt. Le plus impressionnant : Azzedine Bouayad, immobile, muet. Il dit avoir beaucoup appris de ce personnage qui ne parle pas mais est à l’écoute de tout.
L’origine de la pièce, l’auteur Nasser Djemaï la situe dans ses années étudiantes. Il observait ces « vieux célibataires sans famille, sans patrie, bien souvent isolés, malades et aussi pauvres que lorsqu’ils sont arrivés en France pour travailler ». Percevant ce que leur vie a de plus profondément théâtral, il décide d’écrire la première pièce sur le sujet des Chibanis.
Pour bien comprendre, restait à rencontrer ces hommes si pudiques. Pendant plus d’un an, Nasser Djemaï les a approchés dans leurs lieux de vie : foyers, cafés sociaux, mosquée. Il les a écoutés, a gagné leur confiance. L’injustice qui a traversé leur vie, il l’a écrite. « T’as pas de confiance, toute la vie ils t’ont menti. Toute la vie ils nous ont menti sur le travail, la paye, le logement, la retraite, l’histoire. » Et encore aujourd’hui, assignés à résidence en France six mois par an pour toucher leur complément de retraite, ils se trouvent piégés par le destin.
Le théâtre, lumière de vérités.
Théâtre 13 / Jardin
10 septembre – 20 octobre 2013 • théâtre
Texte et mise en scène Nasser Djemaï
Une quête vertigineuse entre le songe et la réalité.
1h40 sans entracte