Aujourd’hui est un grand jour: celui de l’entrée de Clémentine dans le Grand monde. Pour l’occasion, sa mère a convié tout le gratin de la ville. Malheureusement, son oncle Elwood s’invite aussi à la fête, accompagné d’Harvey, son encombrant – bien qu’invisible! – meilleur ami. Humiliée, Clémentine convaincra sa mère de faire interner Elwood. Mais rien ne se passera comme prévu car Harvey va les rendre tous fous.
Le texte est drôle, d’un humour très légèrement mais délicieusement désuet : » Voici ma carte. Si vous la perdez ce n’est pas grave, j’en ai plein ».
Avec son doux air ahuri, Jacques Gamblin incarne parfaitement Elwood, ce tendre rêveur qui pense qu’on « n’a jamais trop de copains » et qui s’enthousiasme de tout: « Est-ce que ce n’est pas un endroit charmant? » demande-t-il ainsi en découvrant l’asile de fous où l’on voudrait le jeter.
Mais, si le nom Jacques Gamblin s’affiche en gros, il ne faudrait pas pour autant oublier la dizaine de comédiens dont les rôles sont essentiels: Clémentine (rose bonbon), le jeune psy et son assistante (qui n’osent s’avouer leurs sentiments), l’avocat (troublé par Elwood), l’infirmier (presque imperturbable), le psychiatre (échevelé) etc.
Compte tenu de la qualité de l’écriture et du talent manifeste des comédiens, j’ai eu du mal à comprendre pourquoi la pièce manquait de rythme au point que quelques spectateurs partent avant la fin. Les blancs qui émaillent la pièce ne sont pas en cause ; au contraire, ces silences volontaires apportent un vrai plus à la pièce. Non, ce qui m’a dérangé, c’est plutôt le manque de fluidité dans le jeu collectif ; chaque comédien joue très bien sa partition, mais isolément. Par exemple, lorsqu’ils sont censés se couper la parole, ils se laissent gentiment terminer leur réplique avant d’embrayer. Tout cela crée des micro-décalages qui étirent la pièce en longueur et lui font, parfois cruellement, manquer de naturel. J’ai fini par apprendre qu’un rôle venait tout juste d’être réattribué. Nul doute donc qu’après une nécessaire petite période de rodage, la pièce devrait retrouver rapidement tout son peps.
Par contre, la scénographie signée Chantal Thomas est incroyable et magnifique ; elle vaut à elle seule le détour. Les éléments de décor mobiles permettent de jouer savamment avec l’espace. Je pense et espère me souvenir longtemps de ces ensembles porte-tableaux-radiateur-bibliothèque, véritables bouts de salon portatifs qui habillent la scène d’une manière élégante et faussement simple. Le placement des comédiens sur l’espace scénique est lui aussi très convaincant et esthétique.
Tout cela fait une pièce bien agréable à regarder. Le public applaudit d’ailleurs avec enthousiasme, et se laisse bien volontiers séduire par Harvey.
18 et 19 janvier 2022
Théâtre Montansier, Versailles
Durée 1h45
Harvey, de Mary Chase, mise en scène et costumes Laurent Pelly, traduction nouvelle Agathe Mélinand, scénographie Chantal Thomas, lumières Joël Adam, musique Aline Loustalot
assistant à la mise en scène Grégory Faive
avec Jacques Gamblin, Charlotte Clamens, Pierre Aussedat, Agathe L’Huillier, Thomas Condemine, Emmanuel Daumas, Lydie Pruvot, Katell Jan, Grégory Faive, Kevin Sinesi