Une femme (blanche) et un homme (noir) partagent un petit appartement sous les combles. Manifestement, l’hôte trouve son invité bien encombrant et a du mal à supporter sa présence. » Ça fait deux mois que vous êtes là, et vous avez fini le dentifrice ? »
Mais pourquoi tient-elle absolument à ce qu’il reste chez elle, lui qui y est manifestement indésirable ? Très vite, on comprend que la femme perçoit une allocation de l’État pour héberger ce réfugié, ce migrant, cet invité en qui elle ne veut pas voir un homme.
Puisqu’il contribue à assurer sa subsistance (en plus de lui servir d’homme à tout faire), pourquoi lui sape-t-elle méthodiquement le moral et à le pousser au suicide?
« Les lames de rasoir sont sous l’évier, à droite. Les lames de rasoir sont sous l’évier, à droite. Les lames de rasoir sont sous l’évier, à droite. »
Intervient une médiatrice censée veiller sur cette drôle de cohabitation. Mais souhaite-t-elle réellement que la situation s’améliore ? A quel jeu trouble joue-t-elle?
« On ne pousse pas les gens par la fenêtre, on les incite – nuance »
C’est par l’humour (noir profond) que Pierre Notte aborde la question de notre indifférence collective au sort dramatique des migrants, des réfugiés, des invités (comment faut-il les appeler? se demande l’auteur), eux dont on préférerait se débarrasser.
On pourrait s’offusquer que l’auteur nous fasse rire de tant de souffrance. Sauf que Pierre Notte est lucide et qu’il ironise sur le théâtre engagé et sur lui-même. Ainsi, il a confié dans une interview « C’est ma honte, quand je vais demander au Roumain qui fait la manche, en loques, tous les jours, au pied de mon immeuble, de baisser un peu sa musique parce que j’écris ma pièces sur les migrants… Mais j’écris, tant pis ».
Écrire une pièce sur un tel sujet (le rejet des migrants, la honte de notre époque à mon avis) peut paraitre dérisoire. Car on est bien ici au théâtre ; aucun doute là-dessus : le phrasé et la scénographie en attestent. Sauf que Pierre Notte a le talent de faire sortir ses personnages du cadre, de mettre le rôle du comédien en abyme par d’habiles références à la réalité.
Le texte est mordant, dérangeant et, surtout, très drôle..
Il est servi par une interprétation ciselée. Muriel Gaudin, « l’accueillante », est tout en colère et tension. Lui, Clyde Yeguete, est si mal à l’aise que cela se voit dans son corps. Silvie Laguna, la médiatrice, est irrésistiblement drôle.
Avec son décor minimaliste – des marques au sol figurant le plan d’un petit appartement, et un tabouret pour tout accessoire – la pièce de Pierre Notte pourrait être jouée partout, ce qui ferait le plus grand bien à nos consciences anesthésiées.
Jusqu’au 30 janvier 2022
Théâtre du Rond-Point, Paris.
de 12€ à 38€