Les Stones sont en concert ce mois-ci. Ils roulent depuis 50 ans. Pour quelques dollars de plus, Mick, Keith et Ron sillonnent l’Europe pour un grand karaoké géant où les foules reprennent leurs tubes. On a le droit de rester dubitatifs mais la longévité du groupe force le respect.
D’autant que le groupe a connu tellement de crises, de folies et de drames. Il y a eu la gloire et la satisfaction. Ils ont connu aussi des tristes moments avec de mauvais disques qui aujourd’hui mériteraient une oreille attentive. Voici trois disques des Stones qui sont bien meilleurs que leur vilaine réputation.
Dans l’ordre chronologique, on commence avec la tentative psychédélique du groupe, le très allumé Their Satanic Majesties Request. Cette fois-ci, on est sûr: les Stones prennent de la drogue. Beaucoup de drogues. Sous toutes ses formes. Sur la pochette, pour la première fois, le groupe se déguise en bardes colorés. Les regards sont lourds, presque assommés. On dirait des santons défoncés. Immobiles et fatigués. On devine un Brian Jones sur le déclin.
Musicalement, les Stones semblent être dans l’ombre des Beatles. Les effets spéciaux se multiplient. Des instruments nouveaux apparaissent. Le contour blues du groupe se fissure et laisse fuir des vapeurs de mélodies. Ainsi les solides et teigneux Stones font leur cosmic trip. Jusqu’à la caricature. Même le discret Bill Wyman profite de l’occasion pour placer une chanson rien qu’à lui. Pas mal d’ailleurs. Le reste est éthéré mais jamais désagréable. Il y a des fulgurances mais là, en plus de nombreux problèmes avec la police, on ne reconnaît pas trop le groupe, pas très à l’aise avec une musique ouatée et délurée. Cela reste un moment à part dans leur carrière!
En 1976, les Stones sont désormais un vieux groupe de briscards. Mick Taylor s’en va. Il n’en peut plus de la vie dissolue des Rolling Stones. Ron Wood arrive par la petite porte. Black & Blue ne comprend que huit titres et a tout pour être un album de feignasses.
Keith Richards aime la musique exotique: le funk et le reggae. Il fait tomber le groupe dedans. Des morceaux inhabituels mais joués avec une gourmandise troublante. En huit titres dont une reprise, les Stones testent de nouveaux guitaristes et on aperçoit enfin la silhouette de corbeau de l’intrépide Ron Wood, compagnon idéal pour un groupe qui vit désormais sur une autre planète. Son style s’allie parfaitement à celui de Keith Richards et Black & Blue ressemble encore à disque de groupe et pas de superstars azimutés.
Il y a quelque chose de crasseux dans ce blues bariolé. C’est ce qu’on aime chez les Stones: détraquer les règles du blues. Ce disque ressemble beaucoup à son guitariste et compositeur. C’est de la piraterie électrique. Richards réalise un cocktail irrévérencieux avec du rhum, du whisky et un nouvel ami de soulographie. Black & Blue est mal aimé, pourtant il résonne aujourd’hui comme un jour de fête pour un guitar hero vraiment à part!
Richards impose aussi les meilleures chansons sur l’album Voodoo Lounge, en 1994. C’est le premier album sans Bill Wyman, le Buster Keaton de la basse. Le groupe ne le remplace pas mais confie l’instrument à un fidèle complice de Richards, Daryl Jones. La voix de Keith entrecoupe un album qui se veut résolument rock mais c’est toujours lui qui impressionne le plus. The Worst et Thru & thru sont des chansons incroyables.
Les Stones sont désormais des papys revenus d’outre tombe. Après une séparation douloureuse dans les années 80, le groupe s’est reformé avec succès et devient l’archétype du groupe à stade avec barnum gonflable, pyrotechnie imposante et hymnes irréprochables.
Le côté créatif est clairement mis de coté et les musiciens gèrent leurs comptes bancaires avec une sagesse étonnante. Pourtant Voodoo Lounge confirmait à cette époque l’amitié retrouvée entre Jagger et Richards, surnommé désormais les Glimmer Twins. Tout n’est pas bon. L’album est trop long parce que très généreux et certains riffs sont laborieux. Poussif, certains morceaux vieillissent mal, mais il y a clairement quelque chose d’unique dans ce disque: un petit éclair d’espièglerie qui apparaît dans chaque titre. Les corps se raidissent. Le temps a rongé leur inventivité. Mais le disque revisite leur longue carrière et les Stones semblent s’en amuser, conscient que le meilleur est derrière eux et que désormais, ils sont des gestionnaires d’une industrie qui sait très bien rentabiliser la nostalgie. Sorte de disque somme, jamais parfait, Voodoo Lounge fait partager la lucidité d’un groupe sur son statut de stars pas encore momifiés mais pas loin.
En ce mois de juillet 2022, l’état d’esprit semble être le même. Les Stones n’osent même plus sortir de disque. Mais ils roulent encore et encore et encore…