Art-scène, Théâtre

Les Méritants – Julien Guyomard -Théâtre de la Tempête

Dystopie, zombie et méritocratie.

Le plateau est un espace de travail aux apparences d’atelier. Une serre adossée à un mur, côté cour. Des paravents entassés côté jardin, des sacs à gravats en fond de scène, un tas de terre végétale, comme les restes entassés d’un espace de vie en transformation. Ils sont tout d’abord six personnages à entreprendre le public pour lui expliquer que l’apocalypse a eu lieu et que le monde est désormais divisé en deux espèces, les survivants et les zombies. Puis huit. Les retardataires montaient la garde pour protéger la zone des survivants. Il faut tout reconstruire.

Puis arrive le zombie. Celui qui fera vaciller le rapport à la norme et à cette nouvelle société post-apocalyptique qui cherche à se réinventer. Le zombie ne mange finalement pas systématiquement les hommes. Mieux, il a envie de travailler et d’aider à reconstruire ce nouveau monde.  Faut-il l’accueillir, lui donner sa place ? Faut-il lui donner la chance de se réaliser malgré sa différence profonde au sein du Comité central ? Lui confier des responsabilités ? Cet exemple peut-il servir la cause de cette nouvelle société en construction qui manque de volontaires et de main d’œuvre ?

Les survivants trouveront rapidement la réponse en basculant progressivement vers une société libérale qui s’appuiera sur l’exemplaire Zombie pour prouver qu’avec de la volonté, on se sort de tout, que le travail est une source de bonheur et d’épanouissement personnel. Une méritocratie fondée sur le succès du transfuge qui nourrit à son tour la notion de mérite jusqu’aux limites d’un théâtre de l’absurde où il devient bon de « Travailler plus pour mourir moins ». La règle est simple : les zombies peuvent aider et s’associer au projet à condition d’être un méritant.

Avec humour, les tableaux vont s’enchainer et décortiquer le concept de mérite en questionnant en miroir ce qu’est devenu notre ascenseur social, en démontrant que la notion de mérite vient finalement servir et cautionner le fonctionnement d’ une seule partie de la population, les dominants, minoritaires, qui ne représentent qu’une toute partie de la population. Le mérite est devenu un mode de justification des inégalités.

Le tour de force de cette dystopie parodique et politique marquée par les travaux en sociologie de François Dubet et d’Annabelle Allouch (Le Mérite, ed. Anamosa) , est d’avoir réussi à se saisir du thème populaire du Zombie pour permettre à tous les spectateurs de penser avec humour les déséquilibres et déterminismes sociaux. Le Zombie s’appelle l’Autre, le différent en apparence, l’étranger, celui qui vit dans la grande pauvreté.

Sans être moralisante ni démonstrative, la pièce de Julien Guyomard vise juste et remet en lumière un sujet sensible avec ses problématiques dont nombreuses sont en suspens. La mécanique est bien huilée. On sort de ces deux heures de théâtre le sourire en coin avec de nombreuses questions soulevées. L’objectif est atteint. Un succès mérité ? A voir.  

Les Méritants • Théâtre de la Tempête (la-tempete.fr)

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