Il y a longtemps et par hasard, j’ai découvert le monde des « demi-mondaines », des courtisanes ou encore des grandes horizontales. D’abord par des livres, puis des expositions. J’avançais dans le temps, de Marie Duplessis à Valtesse de la Bigne. Cette dernière initiera plus tard Liane de Pougy aux plaisirs tarifés, mais aussi à l’amour entre femmes. Belle, élégante, intelligente, Liane (de son vrai nom Anne-Marie Chassaigne), va devenir l’un des personnages incontournables de la Belle Époque. Des dizaines d’hommes vont en être fous et se ruiner pour elle. A la même époque, l’Amazone de Rémy de Gourmont (Natalie Barney), Émilienne d’Alençon et tant d’autres seront subjuguées par la jeune femme. Voire plus. Particulièrement Natalie Barney, pour laquelle Liane de Pougy a écrit Idylle Saphique, ouvrage évidemment scandaleux, car on est au tout début du XXe siècle. Danseuse, courtisane, femme d’esprit, chanteuse, écrivain, Liane de Pougy aimait profondément la liberté. Sa liberté, fait rare à l’époque. Anti conformiste, elle aura eu mille vies, avant de finir son existence pieusement sous le nom de… sœur Anne-Marie de la Pénitence !
Il est étonnant que ce personnage n’ait jusqu’à présent jamais ou presque intéressé le cinéma et le théâtre. Mais c’est chose faite désormais grâce à Sophie Tellier, remarquable dans le personnage de la divine Liane.
Quel parcours que celui de Sophie ! D’abord danseuse avec Roland Petit, elle se forme ensuite au chant lyrique et à l’art dramatique. La voici chorégraphe associée de Mylène Farmer pendant six ans, et bien d’autres la solliciteront par la suite pour ses multiples talents, dont la liste est longue : coach, chanteuse, auteure, metteur en scène, actrice. Elle a d’ailleurs reçu le prix Alterpublising en 2019 pour Chère insaississable.
Dès le début de ce spectacle musical, les expressions, les tenues, les chansons, les mots, tout nous rapproche de la grande horizontale. C’est ainsi qu’on l’imagine. Il y a peu de traces de Liane de Pougy aujourd’hui, à l’exception de photos et d’un petit film restauré de 1906, Aladin ou la lampe merveilleuse.
Mais fermons plutôt les yeux, écoutons Sophie nous parler en imitant parfois Liane. Écoutons Sophie nous raconter l’histoire de la courtisane. Le silence se fait.
Puis regardons-la se mouvoir, danser, s’asseoir avec une réelle sensualité. S’étendre voluptueusement sur une méridienne. Faire d’une simple robe, d’un boa jeté négligemment, une jolie petite scène. Écoutons-la encore une fois. Elle chante les Sœurs Etienne, André Hornez, puis ose un pas dans le temps avec Boris Vian, avant de choisir notre époque, de Gainsbourg à Jean Ferrat et Juliette. Elle s’empare de ces voix de façon juste et agréable, convaincante. Son comparse, Djahîz Gil, l’accompagne au piano et l’on sent entre eux une réelle complicité.
Sophie a une vraie présence scénique. On se regarde, assis dans nos fauteuils, sans un bruit, l’on écoute ces mots d’avant et l’on rit. Ah, quand elle imite Missy ou plutôt « Max », la maîtresse de Colette, c’est si drôle ! L’humour est très présent dans ce spectacle.
Interrogée sur sa vie, Liane de Pougy avait un jour déclaré :
« Ce n’est pas moi que je vends, c’est du rêve ».
A la question : « Pourquoi Liane de Pougy ? » Sophie Tellier répond : « J’ai choisi Liane parce que j’ai ressenti beaucoup de correspondances entre son parcours de femme et le mien. Il m’a semblé que beaucoup de femmes pouvaient s’y retrouver, et qu’il y avait toujours un écho avec notre société actuelle… Les espoirs, les illusions, les désillusions d’une vie de femme. Et la vie des femmes m’importe. »
Souhaitons-lui de faire vibrer encore de nombreux hommes et… beaucoup de femmes.
Jusqu’au 30 juin 2024
Du mardi au samedi à 21h, dimanche 17h30
Théâtre du Lucernaire – 53, rue Notre-Dame-des-Champs, 75006 Paris
Durée : 1H20
Tarifs : 30€ / 25€ / 15 €/ 10 €