En introduction de ce documentaire, nous apprenons que 20% des détenus dans le monde purgent leur peine aux États-Unis.
Nous suivrons alors JR dans l’univers carcéral de Tehachapi, l’une des prisons de haute sécurité de Californie, et surtout dans l’aile de sécurité de niveau 4 (sur 4) où règnent la ségrégation, les gangs, la violence avec ses règlements de compte à coups de couteau, et où se trouvent les cages à détenus (extérieures) ayant pour principale vocation de déshumaniser les prisonniers.
JR est un street-artist « star » issu du monde du graffiti, « incognito » avec ses lunettes de soleil Rayban et son chapeau noir, devenu depuis 20 ans maître des monumentaux collages photographiques et participatifs en noir et blanc : « Women are heroes » dans les favelas de Río de Janeiro (2008), le bambin Kikito à la frontière mexicaine avec les États-Unis à Tecate en 2017, le Louvre en 2016 et 2019, et récemment son majestueux projet sur la façade de l’Opera de Paris « Retour à la Caverne – Chiroptera »(2023) en collaboration avec le chorégraphe Damien Jalet et le compositeur Thomas Bangalter (la moitié de Daft Punk). Par le biais de sujets humanistes, politiques, sociaux, voire poétiques, l’artiste met en avant le pouvoir de l’art afin de créer une prise de conscience sur les problématiques du monde actuel. Après le documentaire « Visages, villages » (2017) réalisé avec Agnès Varda, cet habitué des couvertures du Times, passe pour la deuxième fois derrière les caméras – ou son téléphone (adepte des réseaux sociaux oblige).
JR part donc à la rencontre d’une trentaine de détenus et dresse habilement leurs portraits photos. L’idée du documentaire n’est pas de décortiquer leur passif ou de juger le caractère opportun ou non de leur sanction. La plupart sont incarcérés pour des crimes commis alors qu’ils étaient mineurs et certains purgent une peine à perpétuité. JR les invite ensuite à faire part de leur ressenti ou expérience. Les témoignages sont libres, sincères et poignants : sont notamment mis en avant ceux de Cory (père absent surpris par sa propre sensibilité) et Kevin (skinhead repenti qui impressionne avec ses croix gammées tatouées sur la joue et le torse – on ne peut alors s’empêcher de penser à « American History X »).
Pour les détenus et l’équipe de JR, l’objectif est de coller les portraits des détenus repris sur un ensemble de 338 bandes de papier de 12 mètres de long donnant l’impression qu’ils se retrouvent dans un trou au cœur de la cour de la prison. L’œuvre collaborative et temporaire sera alors prise en photo par drone, puis diffusée à travers une application, permettant ainsi de découvrir les témoignages audios en cliquant sur chaque portrait.
Comme souvent lorsque JR annonce un projet monumental, on peut penser ego-trip. Or, c’est mal connaître l’artiste et ses engagements, et c’est donc mal comprendre le message. La visibilité est clé. D’autant que le projet plus global Tehachapi s’étalera sur au moins 3 ans. L’artiste est d’ailleurs resté en contact avec la prison et ses détenus. Malgré quelques maladresses, la voix off de JR ne prend pas le dessus, JR est bienveillant et est à l’écoute des protagonistes que sont les détenus qui le lui rendent bien. Certes, le cadrage et le montage sont parfois un peu décousus (effet prise de vue de smartphone à la verticale pour les réseaux notamment), mais cela illustre bien le sujet et le rend plus immersif.
Au-delà de la beauté subjective et de l’interprétation, l’art est surtout un moyen de rendre ce monde plus humain. Dans cette fresque carcérale, la réalité quotidienne brutale n’est pas effacée, mais les projets Tehachapi sont bien une vraie parenthèse pour ces quelques détenus en quête de rédemption. Voilà donc un message d’espoir, d’empathie et d’unité dans une période où malheureusement le radicalisme tend à prendre le dessus. JR réussit à dépeindre positivement, ce qui sera pour certains, « le premier jour du reste de [leur] vie ».
Au cinéma le 12 juin 2024
De JR produit par JRSA
1h32