Pour tous les curieux et ceux qui n’ont pu se déplacer, voici un résumé de la conférence de Matthieu RICARD au Grand Rex, mardi 14 octobre, autour de son nouveau livre. Après « PLAIDOYER POUR L’ALTRUISME » sort « PLAIDOYER POUR LES ANIMAUX » chez ALLARY Editions.
Introduction – L’anthropocène
Notre époque est peut-être celle où l’on doit lutter contre une sorte d’épidémie du narcissisme.
Pour agir dans cette vie, nous avons toutes sortes d’outils; mais avant d’agir, nous devrions toujours nous posons cette question: quelle est notre intention? Souhaite-t-on faire le bien, nuire, ou s’agit-il d’une intention « neutre »? Nous devrions toujours vérifier d’où vient notre motivation.
Notre époque, les scientifiques l’ont nommée l’anthropocène; depuis la révolution industrielle, c’est bien l’action de l’homme qui constitue le facteur prédominant dans la modification du système terrestre et du climat. La période historique dans laquelle nous vivons, c’est celle où l’homme a le pouvoir d’influencer la biosphère et la vie des générations futures.
Aujourd’hui on ne peut plus croire au mythe d’une « croissance illimitée ». D’ailleurs, on a fait la preuve que le modèle de croissance qui prévaut depuis l’ère industrielle (fondé sur le mythe d’une croissance illimitée) a fait sortir l’humanité d’une zone de sécurité, et l’a fait entrer dans une zone de risque. Sur 10 critères de vie / survie de l’humanité (comme la disponibilité d’eau douce, la biodiversité, la qualité de l’air…), nous avons déjà largement dépassé la zone de sécurité concernant 3 critères vitaux. Sans dramatiser, si l’on étudie strictement les mesures des scientifiques, l’on peut dire aujourd’hui que l’humanité court un risque réel s’agissant de sa propre survie. Nos dirigeants, acteurs de l’économie globale ou hommes politiques, ont généralement des préoccupations à court ou moyen terme et, pour l’instant, ne répondent pas à cette exigence de responsabilité à long terme.
Qu’est-ce-qui peut réconcilier les discours à court, à moyen et à long terme? L’altruisme le peut.
L’élevage industriel
On sait qu’aujourd’hui, d’après les derniers rapports du GIEC, l’élevage industriel représente la 2ème source de réchauffement climatique, avant les transports et tout le reste. Il faut savoir qu’à notre époque, chaque année l’on tue 60 milliards d’animaux terrestres et 1000 milliards d’animaux marins, pour notre usage.
Bien sûr, en terme de civilisation, l’humanité a fait des progrès (l’interdiction de l’esclavage, la reconnaissance des minorités, etc.). Pourtant, aujourd’hui il n’existe toujours pas de statut juridique pour les animaux sauvages.
Si l’on prend quelques exemples tirés de l’éthologie, on se rend compte que le chimpanzé est meilleur (beaucoup plus rapide) que l’homme en calcul mental; que le chouka et la corneille de Calédonie (entre autres) utilisent un outil (un crochet ou un bâton) pour attraper leur nourriture, comme l’homme. A ce propos, voir l’excellent livre photo d’Emmanuelle Grundmann et Cyril Ruoso: « L’Homme est un singe comme les autres ».
Devant toutes les horreurs commises par l’homme sur les animaux (l’élevage industriel, les conditions d’abattage, la ponction de la bile d’ours en Chine, entre autres exemples), on se sent coupable, et l’on est, pour la plupart, justement horrifié. Quel est le remède à cette « détresse empathique »? C’est le courage de la compassion.
Étendre notre pouvoir de compassion
Pourquoi traiter les animaux comme ça ? Alors que la coopération est une des plus grandes joies de l’existence ? Nous sommes pourtant des super-coopérateurs!
On sait qu’un lien social fort a son importance pour la longévité, comme en témoignent les centenaires de l’île d’Okinawa.
A l’opposé, lorsque l’on souffre durablement et intensément pour les autres, on risque le burn-out, comme c’est fréquemment le cas au sein des équipes de soignants.
La solution, c’est l’amour altruiste qui permet d’embrasser la souffrance. L’empathie est utile, elle donne l’alerte, tandis que la compassion est une transformation de l’empathie.
« On peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités. » C’est une citation de Gandhi qu’on peut interpréter ainsi: si nous élargissons le cercle de notre compassion à l’ensemble des êtres sensibles, à l’échelle d’un peuple, c’est le signe d’un raffinement supplémentaire de civilisation.
On parle ici de transformation individuelle et culturelle.
D’une transformation personnelle…
C’est là qu’intervient l’entraînement de l’esprit par la méditation.
On a montré que quatre semaines de méditation pleine conscience (bienveillante), à raison de 20 minutes par jour, entraînent dans le cerveau du sujet méditant des changements structurels et fonctionnels. En 2 semaines seulement, le comportement prosocial est modifié (la tendance vers l’altruisme est accentuée). Chez les enfants, en 10 semaines, le comportement social est amélioré; d’où l’intérêt de recourir au yoga et à la méditation dans les écoles.
Sur le plan individuel, la transformation est possible. C’est ce que confirment aujourd’hui les connaissances scientifiques sur la plasticité du cerveau ou l’épigénétique. A ce propos, voir l’excellent livre: « Not by Genes Alone: How Culture Transformed Human Evolution » de Peter Richerson et Robert Boyd.