Conversation en mouvements entre une étoile de la danse de masque thaïlandaise traditionnelle, le khon, et le trublion Jérôme Bel, inventeur de la non-danse…
Au début, c’est l’esthétique du premier qui paraît assez impénétrable; répondant à l’interview béotienne de Jérôme Bel, il explicite dans un anglais approximatif les codes de cette pantomime où chaque geste est le fragment d’un long récit mythique.
Danse-théâtre de doigts et de regards, pour quatre types de personnages (femme, homme, démon et singe), elle se déploie dans une fluidité extraordinaire selon un principe organisateur, le tracé d’un cercle puis le retour à des jonctions corporelles qui rassemblent et ramène l’énergie vers l’interprète. Ces spectacles, offrandes aux statues des temples, durent jusqu’à plusieurs semaines; la mort évoquée fréquemment au cours de ces longs récits ne peut être représentée directement sur scène…
Au fil de cette causerie, hypnotisés par la beauté et la fluidité de Pichet Klunchun, nous voyons de plus en plus claires les formes tracées par son corps, nettement imprégné de ce vocabulaire. Nous entendons que Pichet a été destiné à cet art dès la naissance, et que son nom même est intimement connecté à cette pratique…
Aujourd’hui le khon est en plein déclin en Thaïlande et se pastiche autour des piscines pour des touristes mis à l’écart de la société thaïlandaise… Pichet Klunchun explique son œuvre de reconnexion à la tradition, dans la nouvelle donne contemporaine..
Jusque-là Jérôme Bel, presque condescendant, semblait traiter cette Autre danse comme étrangère… Puis c’est au tour de Pichet de l’interroger, et le rapport de force bascule.
Jérôme Bel n’est plus un danseur; il n’arrive plus à l’être reconnaît-il, il n’est pas un chorégraphe non plus… Jérôme Bel est un chercheur qui a posé son doute sur scène: « qu’est-ce que c’est être face public; pour y présenter quoi? »
Alors il sidère Pichet, lui aussi dans un anglais approximatif, lorsqu’il tache d’expliquer que la non-danse est une rupture avec le spectacle classique, qu’elle vise à niveler la frontière entre le performeur et le spectateur… Qu’il y est question de la mort du corps, de comment s’arracher au rien pour devenir dansant… Que ce qui est bon à montrer c’est ce qui va amener le spectateur à penser; et que c’est un pari.
Et Pichet Klunchun dit qu’il y a des choses qu’on ne veut pas voir dans son pays et que ces choses-là on les montre aux touristes dans des lieux où les thaïlandais ne vont pas…
Cette confrontation questionne finalement les modes d’accès à la culture: quel sont les spectacles qui élèvent, ceux qui aliènent…
Qui est ici le touriste sur la scène?
Quel touriste de la danse sommes-nous dans l’audience?
du 1er au 5 Avril 2015
Théâtre de la Commune, Aubervilliers
Durée 1h 45
pièce en anglais, traduction simultanée