La création de ce Tartuffe, dans une mise en scène de Luc Bondy avec Micha Lescot dans le rôle-titre, date de mars 2014. Si vous aviez manqué ce succès, vous pouvez retrouver l’excellente troupe d’acteurs réunie dans le très beau décor de Richard Peduzzi, jusqu’au 23 mars aux Ateliers Berthier de l’Odéon.
Encore une occasion de réentendre Molière et son inquiétante lucidité. Dans Tartuffe, Molière s’en prend aux faux dévots, on le sait, ou plutôt aux manipulateurs-usurpateurs d’identité. Aujourd’hui, les dévots s’appellent nouveaux convertis, gourous ou recruteurs pour guerres infâmes.
Le plus surprenant, c’est que, ce qui laisse le champ ouvert à Tartuffe dans cette grande maison bourgeoise, ce n’est pas la lâcheté ou la mollesse du père de famille, au contraire: c’est sa trop grande autorité. Il est, aux yeux de sa fille, « un père absolu ». Au point que la fille Mariane (touchante Victoire Du Bois) n’ose pas s’opposer au mariage que son père lui ordonne. Heureusement pour les jeunes amoureux, la voie de l’insoumission est ouverte par la servante (épatante Chantal Neuwirth). Mais le père reste inébranlable (impeccable Samuel Labarthe)… jusqu’à la fameuse scène où, le mari caché sous la table du salon, l’épouse (admirable Audrey Fleurot) pousse Tartuffe à avouer sa duplicité. Comment? Par la séduction bien sûr, et Audrey Fleurot est parfaite à cet endroit…
Comment décrire Micha Lescot en Tartuffe? Bluffant et glaçant. Il rampe presque. Il se déplace pieds nus, se tortille comme une anguille.
En fait, ce que recherche Tartuffe, c’est tout simplement mettre cette famille dehors et s’accaparer tous ses biens. Et, avec cet objectif en tête (les mettre à l’abri du besoin, son fils et lui) il est prêt à tout supporter (frustration, angoisse d’être démasqué). Donc : tout ça pour ça? Les biens matériels? La sécurité matérielle? L’avidité… La motivation de tous les faux dévots?
Bien que le sujet soit « les faux dévots », on ne parle jamais ici de religion, ni de foi. Parce que la religion, les dogmes, les pratiques religieuses, la foi, ne sont pas un problème. Le problème, c’est l’aveuglement, l’asservissement volontaire.
En fait, cette famille où le père est omnipotent et aveugle, c’est une micro société rigide: la parole ne circule pas, l’atmosphère est sclérosée, voire morbide (la fille pense au suicide tandis que l’épouse supporte avec peine la présence vampirisante de Tartuffe depuis 2 ans).
Dans cette mise en scène, Luc Bondy a su parfaitement rendre compte de ces deux atmosphères : celle de la dictature du père (dominé par Tartuffe) et celle libérée du père (diminué après l’épreuve) lui même libéré de l’influence de Tartuffe. L’histoire d’une famille / une société en crise, où l’autorité nouvelle est à partager et la justice à réinventer.
Jusqu’au 25 mars 2016
aux Ateliers Berthier, Odéon Théâtre de l’Europe (métro et RER C porte de Clichy).
Réservations: 01 44 85 40 40
Avec Christiane Cohendy, Victoire Du Bois, Audrey Fleurot, Laurent Grévill, Nathalie Kousnetzoff, Samuel Labarthe, Yannick Landrein, Micha Lescot, Sylvain Levitte, Yasmine Nadifi, Chantal Neuwirth, Fred Ulysse et Pierre Yvon.
Une mise en scène de Luc Bondy (créée en mars 2014).
TARTUFFE – Molière / Luc Bondy – Odéon-Théâtre… par TheatreOdeon