Les Beach Boys : la Californie, le fun, le surf, le soleil, et des chansons irrésistibles aux paroles néanmoins stupides, comme Surfin’ USA et I get around. Voilà l’image qu’offre ce groupe mythique des 60’s, si l’on ne cherche pas à aller plus loin. D’ailleurs, les innombrables compilations existantes jouent quasiment tout le temps sur ces clichés. Aujourd’hui on revient sur ces mythes avec les 50 ans de leur chef d’oeuvre
Mais les Beach Boys furent beaucoup plus que cela. Leur leader et bassiste Brian Wilson, musicien génial mais torturé, avait abandonné les tournées dès 1964, après une première dépression nerveuse. Il se consacra alors totalement à l’enregistrement de ses compositions avec des musiciens de studio, sur lesquelles les Beach Boys n’avaient plus qu’à ajouter leurs voix.
Brian Wilson s’était beaucoup inspiré des techniques d’enregistrement du producteur Phil Spector, l’inventeur du « mur du son » : accumulation de couches successives d’instruments (plusieurs basses, pianos, guitares, percussions…), et forte utilisation de l’écho, afin d’obtenir des sons nouveaux. Mais là où Spector déchaîne des ouragans avec ses arrangements vertigineux, Brian Wilson atteint une sobriété et en même temps une inventivité sans égale à l’époque dans le domaine de la production.
Peu à peu, dans les albums des Beach Boys de 1964-65, apparaissent, à côté des traditionnelles chansons d’amour bébêtes ou des glorifications niaiseuses de l’american way of life, des préoccupations plus matures et universelles. Lorsque Brian Wilson commence à enregistrer Pet sounds fin 1965, les thèmes qui reviennent le plus fréquemment, dans les paroles qu’il a écrites avec Tony Asher, sont le besoin d’amour, d’absolu (Don’t talk (put your head on my shoulder), God only knows), la perte de l’innocence (Caroline no), l’incapacité à s’adapter au monde (I just wasn’t made for these times) et le besoin d’évasion (dans l’instrumental Let’s go away for awhile).
Musicalement, la sortie de Rubber soul des Beatles constitue un challenge pour Wilson : il s’est alors fixé pour but de créer « le plus grand album de rock jamais fait ». Dirigeant ses musiciens en studio comme un chef d’orchestre, il est attentif au moindre petit détail et réenregistre tout jusqu’à la perfection et l’épuisement. Les magnifiques mélodies qu’il a composées se trouvent ainsi présentées dans le plus beau des écrins, des arrangements jamais entendus auparavant, créant une sorte de synthèse entre instruments modernes et classiques, pour aboutir à un son tour à tour puissant, caressant, aérien, jamais agressif.
Une fois l’enregistrement instrumental terminé, les Beach Boys, dirigés par Brian Wilson, ajoutent leurs voix et leurs harmonies complexes. Brian chante bien sûr lui-même certaines chansons, et distribue les rôles pour les autres. C’est son frère Carl Wilson qui chante d’une voix angélique God only knows, considérée par Paul McCartney comme « la plus belle chanson jamais écrite ».
Brian Wilson avait donc réussi à créer le chef d’œuvre qu’il avait à l’esprit. Mais « il n’était pas fait pour son époque », comme il le chantait lui-même. Les Etats-Unis n’étaient pas prêts pour Pet sounds. Pourquoi ces charmants garçons, incarnations de l’Amérique, se mettaient-ils à chanter la mélancolie, la tristesse et l’angoisse ? Le public traditionnel des Beach Boys fut désorienté et l’album ne fut « que » dixième dans les charts américains. En revanche, la Grande-Bretagne s’emballa pour Pet sounds : les Beatles relevèrent à leur tour le challenge pour créer Sgt. Pepper, et on vit même le manager des Rolling Stones, Andrew Loog Oldham (qui n’avait aucun intérêt financier dans les Beach Boys) payer une page de publicité dans un grand journal pour proclamer que Pet sounds était le meilleur album jamais enregistré.
Un an plus tard sortit Sgt. Pepper, et Brian Wilson se perdit dans sa quête éperdue pour dépasser les Beatles, s’enfermant peu à peu dans ses problèmes psychologiques et se coupant du monde. Mais avec Pet sounds, il avait créé ce qui restera, sans contestation possible, un des plus grands albums de musique dite « populaire » du XXe siècle.
Capitol – 1966
Yann Darson