C’est pour moi un exercice bien compliqué que de parler de cette pièce que toutes les critiques encensent, parlant avec une admiration difficilement contenue du jeu de David Legras, de la puissance maîtrisée avec laquelle il nous transporte dans les plus belles lignes du monument Proust, admirablement agencées par le metteur en scène Virgile Tanase.
Tous s’accordent à dire que le culot de s’attaquer à une telle œuvre – seul sur scène, dans un décor simple et épuré – fonctionne à merveille. J’ai dû passer complètement à côté.
Commençons par dire que le costume, l’habit du comédien tout de blanc vêtu avec son chapeau est une réussite complète, le gramophone portable également. Un fort bel objet d’où provient néanmoins un son légèrement agaçant, dissonant à force de vrombissement…
Les lignes, le style, la prose de Marcel Proust valent ce qu’ils valent et chacun est libre de les considérer comme chefs-d’œuvre de la littérature et de l’écriture.
Mais avoir à écouter pendant une heure les mêmes passages entendus, réentendus à en souffrir de migraines depuis l’école, les passages les plus célèbres, de l’ouverture par « les chambres » – qui auront marqué le devenir de Proust et où l’on découvre son arborescente qualité narrative quand il s’agit de broder sur des rideaux – jusqu’au célèbre passage sur les madeleines (dont le souvenir aura hanté ses frugales soirées).
On ne découvre rien. On ne voyage pas. On est désespérément seul, assommé.
Je devrais peut-être dire, je n’ai rien découvert, je n’ai pas voyagé, je suis resté désespérément seul. Assommé.
Ce qui est d’ailleurs fort à propos quand je songe à Proust.
Si j’avais été réellement seul dans la salle, j’aurais sans doute fini par demander au comédien s’il s’adressait à moi ou s’essayait, pour voir, à différents types de voix ; s’il souhaitait me charmer ou me transmettre quelque chose.
Opinant, satisfait de lui-même, se souriant intérieurement à lui-même, extérieurement à nous. Modulant sa voix pour tel ou tel morceaux choisis (à mon sens pas toujours à propos d’ailleurs). A certains moments, j’en perdais le fil (que j’avais déjà du mal à garder…). La répétition des silences prolongés à souhait devient rapidement pesante. On se demande s’il a oublié son texte ou s’il s’apprête à nous dire quelque chose de fabuleux. Ni l’un ni l’autre. S’écoutant parler plus que cherchant à transmettre une quelconque émotion, la compréhension de ce qu’il déclame sans autre satisfaction apparente que l’évident jeu de séduction qui occupe une grosse partie son jeu de comédien.
J’en suis sorti ne me souvenant plus de ce que je venais de faire, avec l’impression de reprendre enfin haleine. Un peu hébété, pris du besoin de respirer, j’ai marché pour réfléchir… Rejoignant la Seine. Ça m’aide de marcher au bord de l’eau pour libérer dans les moments sombres des idées parfois lumineuses, les laissant me traverser sans les filtrer, sans m’arrêter sur aucune avant d’en voir une qui passe, un tant soit peu positive, même très lointaine, même de faible résonance. J’ai marché longtemps et rien n’est venu. J’ai attendu quelques jours. Prendre un peu de recul. Voir si, après coup, le vent d’une révélation ne viendrait pas attiser les braises – ne devant d’ailleurs pas exister – d’un feu qui n’a jamais pris. Aucune brise n’a soufflé.
Je revivais exactement ce que je décris plus haut – sans trop m’étendre, pour me préserver – et que je ne nommerai pas, mais qui peut bien facilement se deviner.
La bonne nouvelle (l’événement majeur de cette sortie au théâtre !) fut d’y avoir retrouvé mon stylo malheureusement égaré la semaine précédente et que je cherchais tristement depuis. J’avais alors vu une pièce dont je sortais réjoui, l’esprit travaillant au point d’en oublier un objet qui est aussi un symbole auquel je tiens. L’inversion des événements d’une semaine sur l’autre est intéressante à retenir.
Je n’ai donc pas tout perdu en allant voir » à la recherche du temps perdu «
J’y ai trouvé quelque ce que je cherchais, mon stylo et une coïncidence
humeur/conséquence des plus amusantes.
Je retourne à la Contrescarpe ce dimanche soir y voir une autre pièce et qui sait…
Une chose est certaine: si vous avez égaré quelque chose ou vous êtes perdu en chemin, foncez voir la pièce et peut-être y trouverez vous les mêmes coïncidences heureuses que moi.
Mais si vous souhaitez revivre les plus belles lignes d’un auteur que vous admirez, ou simplement le découvrir ou lui donner une quatrième chance, passez votre chemin en attendant la cinquième!
Tout ce qui précède n’engage bien évidemment que moi et reste le ressenti profond de ce que mon corps et mon esprit me transmettaient par vibrations, moments d’absence durant cette très longue heure.
Je ne remets pas en cause l’investissement de ceux, metteur en scène, ingénieur lumière et sons et acteur qui s’investissent et travaillent sur cette pièce. Je n’en ai pas compris le sens, n’en ai pas percé le message.
Jusqu’au 28 mars 2022
À la recherche du temps perdu
De : Marcel Proust
Avec : David Legras
Mise en scène : Virgil Tanase
Durée du spectacle : 1h15
de 11€ à 28€
Théâtre de la Contrescarpe