Lorsqu’un pêcheur trouve un cadavre sur la plage de DF, personne ne s’en inquiète ; après tout, ce n’est que le corps d’un inconnu rejeté par la mer. Lorsque quatre jours plus tard est retrouvé un deuxième cadavre quasiment identique, l’on commence à se poser des questions. Et le lecteur se dit que le livre est bien parti.
Lorsqu’une vingtaine de cadavres, eux aussi visuellement très ressemblants, font leur apparition et que l’on en apprend un peu plus sur la veulerie et l’hypocrisie de la population de DF, l’on se dit que le livre est décidément très bien parti. On apprécie alors le style très particulier de l’auteur, Giulio Cavalli, qui parvient à rendre la lecture fluide tout en écrivant des phrases d’une page de long.
« Nos mercredis sont une aubaine, dit Stincone en rétrogradant car son véhicule couinait comme s’il frôlait le mur du son, nos mercredis me libèrent le cerveau, en ce moment c’est dur pour moi au travail et je ne sais pas combien de temps je vais pouvoir tenir, je devrais bientôt trouver le courage d’annoncer que le restaurant à calle Fargione ne marche plus, non vraiment? demanda le docteur Quinto, vraiment répondit Stincone, désormais les gens vont soit à celui du bord de la mer soit piazza Vittoria, ils n’ont pas envie de faire une grimpette de quelques mètres même pour changer de menu, on a perdu le goût des bonnes choses dit le docteur, tu as raison Quinto, c’est ça le problème, on a perdu la culture de dîner pour dîner, on va au restaurant pour se donner une raison de sortir mais jamais le contraire, c’est le progrès selon mes frères, le progrès nous envoie tous au restaurant pour gonfler le défilé, pour nous montrer, « eh vous là, vous nous voyez? on dîne dehors, vous nous voyez? nous entrons exactement ici », et un éclat de rire aux relents gastriques, avec son rire de poitrine Stincone est hilarant, le docteur Quinto disait que c’était quand-même un sacré problème de fermer un restaurant comme ça au pied levé et Stincone confirmait, il allait laisser sur le carreau au moins dix personnes et leurs dix familles, je n’en dors plus la nuit, tu n’imagines pas ma tristesse mais je peux rien faire de plus que ce que j’ai déjà essayé de faire, après il me reste la charité, je ne peux plus les payer, et soudain il se tut en songeant combien la vie est difficile quand elle nous retire une chose qu’on croyait acquise. »
*** ATTENTION, DIVULGACHAGE ***
Malheureusement (à mon goût), au lieu d’écrire un livre noir sur le drame des Migrants ou de se lancer dans un polar étouffant et ambitieux, l’auteur croit bon de verser dans le fantastique en faisant se déverser des tsunamis de cadavres sur DF. Giulio Cavalli se lance alors dans une description de la façon surréaliste dont les habitants de la ville se débarrassent de ces montagnes de corps importuns. C’est glauque, éprouvant et je me suis demandé si j’allais réussir à terminer le bouquin. Mais mes efforts ont été récompensés.
Soudain, j’ai réalisé avec effroi que cette horrible histoire n’était qu’à peine une caricature de notre société d’opulence qui accepte sans sourciller que la mer rejette quotidiennement des cadavres sur nos côtes, sans que l’on se préoccupe de savoir qui étaient « ceux-là » ni d’où ils venaient. Les habitants de DF comprendront-ils qu’on ne nie pas impunément l’humanité de ses frères humains?
La portée critique du roman est d’autant plus forte que l’histoire se termine d’une façon assez prémonitoire !
Sortie le 06 janvier 2022 en poche
Editions 10/18
Traduit de l’Italie par Lisa Caillat
216 pages