And in the end… Vous rêviez de savoir à quoi aurait ressemblé un disque des Beatles, de nouveau réunis, après leur séparation ? Eh bien vous le tenez !
L’existence d’Abbey Road est en effet un véritable miracle, compte tenu du contexte du printemps 69, date du début des enregistrements de ce qui sera le dernier album concocté par le plus grand groupe de tous les temps (« Let it Be » sortira après, mais avait été enregistré dès janvier 69). Un bref rappel historique suffit à comprendre la situation de l’époque…
John, obnubilé par Yoko, ne s’intéresse plus au groupe ; George, aigri de ne pas voir accorder à ses compositions l’attention nécessaire, préfère jouer avec d’autres musiciens ; Paul est par contre toujours aussi motivé par le groupe, mais au point d’en agacer les autres par son côté « petit chef » ; quant à Ringo, il est totalement désabusé de voir la belle harmonie des Fab Four voler en éclats. Ajoutons à cela Yoko, qui agace tout le monde sauf Lennon, et le grave différent entre McCartney et les autres sur le choix du manager qui devra remettre de l’ordre dans la gestion de leur compagnie (Apple) et l’on comprendra aisément l’improbabilité d’un nouveau travail en commun des 4 musiciens à ce stade de leur histoire.
Déjà leur projet précédent n’a pas été mené à son terme et les bandes, jugées peu convaincantes par les Beatles eux-mêmes, dorment dans un coin (Phil Spector se verra confier la délicate mission d’en « faire quelque chose » un an plus tard, ce dont il s’acquittera de manière parfois indélicate – cf. The long and winding road -, dans l’album « Let it be », publié en mai 1970).
Comment, dans un tel contexte, Paul a-t-il pu convaincre tout ce joli monde (ainsi que le producteur/arrangeur George Martin, pourtant échaudé par tout ce gachis récent) de se reunir à nouveau pour produire un album « comme au bon vieux temps » ? Ce mystère peut être qualifié de miracle. Restait à savoir si on assisterait également à un miracle musical…
Il ne faut, à dire vrai, pas plus de quelques secondes pour être rassuré. Comment, en effet, mieux commencer un album que par ce Come together scandé par John et magnifié par ses compagnons au sommet de leur art musical ? Et ce n’est pas le second titre, superbe composition de George, intitulé Something, ornée d’un solo de guitare d’une délicatesse inouïe qui peut altérer notre première impression. Deux chansons, deux classiques de la musique du XXe siècle, pas trop mal pour débuter un album…
Après une telle entrée en matière, il faut bien souffler un peu, et les deux morceaux suivants, bien que plaisants, peuvent être considérés comme les plus faibles de l’album ; il s’agit de deux compositions de Paul (qui se rattrapera par la suite), la première s’appelle Maxwell’s silver hammer et il semblerait que le marteau en argent de Maxwell tape sur les nerfs de certains, malgré (ou plutôt à cause d’) une mélodie très (trop ?) efficace. Question de goût.
La seconde, Oh darling, est une composition honnête, sans plus, dans le style rock/slow des années 50, et Paul a beau s’évertuer, de sa plus belle voix éraillée, à en faire une grande chanson, il n’y parvient pas tout à fait… Il n’est toutefois pas impossible de s’y laisser prendre.
On passe ensuite à la chanson de Ringo (Octopus’s Garden), à la différence de Oh darling, cette composition du batteur du groupe, assez banale à la base, est vraiment transcendée en passant au moule magique Beatles, George, Paul et John s’employant avec succès à enjoliver ce morceau de leur vieux copain Ringo (George l’a même un peu aidé à le terminer) : écoutez-moi ces chœurs, ces solos de guitare de George, n’est-ce pas réjouissant ?
Si toutefois certains rechignent encore après ce titre de Ringo, qu’ils en profitent, car ils n’auront plus l’occasion de faire la fine bouche ensuite.
En effet, de I want you (blues puissant de Lennon qui clôturait la face A du vinyle), jusqu’à la dernière seconde du disque, il n’y a rien à redire, chaque note est la bienvenue : une demi-heure de bonheur musical ininterrompu !
Citons pour le plaisir quelques perles extraites de cette rivière de diamants : Here comes the sun composée dans le jardin d’Eric Clapton par un George décidément brillant, ou encore Because de John, inspiré par la sonate au clair de lune de Beethoven et chanté magnifiquement à 3 voix par John, Paul et George. Le résultat est à la hauteur de ce qu’on pourrait espérer d’une composition Lennon-Beethoven dans nos rêves les plus fous !
Il serait injuste de ne pas mentionner également You never give me your moneyentonné par Paul de nouveau en état de grâce. Cette superbe composition de McCartney est le point de départ d’une suite musicale où s’enchaînent sans le moindre arrêt des bouts de chansons inachevées de Paul et de John reliés et arrangés avec une grande intelligence musicale par George Martin et Paul McCartney lui-même : l’art d’accommoder les restes pour en faire un festin, pour reprendre l’expression de l’auteur Mark Heestgard.
L’album se termine par un morceau baptisé assez judicieusement The end dont la dernière phrase, qualifiée de cosmique par John Lennon, mais écrite et chantée par Paul McCartney dit, en substance, qu’au final, l’amour que vous recevez est égal à l’amour que vous donnez (« And in the end the love you take is equal to the love you make »). Cette équation qui résume à elle seule les rapports humains peut s’appliquer aux Beatles eux-mêmes qui ont offert à l’humanité le plus colossal apport musical en huit ans d’enregistrement et en ont retiré le succès le plus colossal de l’histoire de la musique.
Mais c’est par une toute petite chanson rigolote sur la reine que les Beatles décident de tirer leur révérence car, alors que l’on croit le disque terminé, Paul revient après quelques secondes nous en pousser une petite dernière accompagné seulement de sa guitare, comme pour nous dire que tout ça, finalement, ce n’est pas sérieux, c’est juste pour s’amuser… (il inaugure ainsi sans le vouloir, avec 30 ans d’avance la mode des morceaux cachés, ah quand on est un précurseur, on ne peut pas se refaire !).
Ainsi s’achève la carrière des Beatles avec ce disque inspiré, brillant, lumineux, mais qui ne se prend pas au sérieux.
Un disque miraculeux, bien à leur image finalement, qui met fin de la plus belle manière qui soit au miracle Beatles.