Edie est une afro-américaine dans un monde de blancs. Elle vit dans une coloc’ du genre taudis (avec les cafards qui vont avec…). Au boulot, elle multiplie les erreurs : trop noire, trop grosse, elle a fait une fac au rabais (avec les emprunts étudiants qui vont avec…), elle n’est pas assez motivée, et en plus elle a couché avec tous les mecs.
Lorsqu’elle fait la connaissance d’Eric sur une appli de rencontre, on ne peut pas dire que ce soit le grand amour mais bon, même s’il est marié, peu disponible et un peu tordu, Edie a trop la flemme pour entamer une relation avec un autre mec. Il n’empêche que cette histoire va peut-être ranimer quelque chose en Edie.
En attendant, elle est totalement blasée et elle (se) traine un peu (voire beaucoup). Pourtant, on a une envie irrépressible de la suivre dans cette vie d’échecs et de désillusions (même si, à vrai dire, sa lucidité mordante lui ait interdit toute illusion).
J’ai aimé ce livre et apprécié le personnage. Car si le thème est éculé (un adultère un peu foireux), l’écrivaine Raven Leilani parvient à raconter cette histoire d’une façon irrésistible.
« Nous nous retrouvons dans le noir, et toutes ces choses insipides et trop généreuses que les hommes sont sujets à proférer avant de jouir ont l’air troublantes et vraies. Des mots tendres, cucul la praline. un vocabulaire qu’on reçoit, belle joueuse, et qu’on renvoie à la volée les yeux fermés. Parce que lorsque c’est fini, lorsqu’il se penche pour ramasser son pantalon, de l’autre côté de la porte il y a un monde avec des embouteillages, la rougeole et nulle place pour ces mots optimistes et capiteux. » (page 178)
L’autrice réussit à nous embarquer totalement dans la vie de cette drôle d’héroïne qui est plus battante qu’elle ne veut l’admettre. Toujours à la recherche de quelques dollars, la narratrice enchaine des expériences surréalistes, déshumanisées et désastreuses, que ce soit comme livreuse à vélo ou comme sexcameuse.
« Je laisse tomber les petites annonces et me rabats sur un site de cam-girl respectable, même si j’ai du mal à y connecter mon Paypal et malgré la rareté du trafic. Pendant une demi-heure, je reste assise en soutien-gorge devant la caméra et ne décroche qu’un seul client. Le type passe la majeure partie du temps à lire le journal, puis il le plie et m’envoie un message par le chat qui dit, Suicide-toi, sale pute de négresse. Je me déconnecte et pense au nez de clown. » (page 129)
Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce livre n’est pas un manifeste. C’est juste une description de ce à quoi peut ressembler la vie d’un looser magnifique dans le monde d’aujourd’hui.
« Je consulte mes mails: un message des pains Panera qui dit Aucun poste n’est à pourvoir dans la société pour l’instant, mais n’hésitez pas à nous recontacter prochainement, un message du Ministère de l’Éducation nationale, un message de la Bank of America, un message de ma proprio qui a de mauvaises nouvelles au sujet de ma caution,, un autre d’un prince nigérien et puis un dernier de mon assurance santé qui souhaiterait me rappeler par la présente qu’à la suite de mon licenciement, mes droits à une couverture médicale expireront dans onze jours. » (page 159)
Même si ce n’est pas toujours l’éclate, bon sang ce que cela fait du bien de lire un roman de notre époque !
PS: retrouvez un autre regard sur ce livre en cliquant ICI
Cherche Midi Éditions
Paru en poche chez 10/18
le 03 février 2022
237 pages, 7,50€
Traduction Nathalie Bru