La précieuse et touchante “Note de l’auteur” en fin de livre lève clairement toute ambiguïté : le lecteur n’aura pas lu une biographie de Zelda Fitzgerald, mais bien un roman. Un roman triste et brillant dont l’héroïne vieillit trop vite et meurt trop tôt.
Zelda et Francis Scott Fitzgerald étaient tout jeunes lorsqu’ils se rencontrèrent en 1918 dans un trou perdu de l’Alabama où l’armée, sinon la guerre, avait conduit ce jeune officier tiré à quatre épingles. La fille du juge était dévergondée, le Yankee était beau. Ils se plurent. Il n’avait rien écrit. Elle n’avait rien vu.
La suite est un tourbillon médiatique dont la littérature n’offre plus le spectacle de nos jours. Le couple vedette voyage en Europe, change constamment d’hôtel, de maison, de domestiques. Au milieu de ce luxueux chaos naît une fille. Puis très vite la pente s’inverse, et la descente en est rapide : alcoolisme, jalousie, adultère (imaginaire et réel), folie…
A Paris, Zelda veut se remettre à la danse : “Je voudrais un peu plus de tenue, se plaint Lioubov. J’ai l’habitude de gens qui sacrifient tout pour la barre et le miroir. Ils confondent l’exercice et l’art, mais ce qui vous semble sacrilège est la vérité triste et vraie. Car il n’y a pas de don, ma beauté, pas de destinée, il n’y a que cet exercice terrible et exclusif de suer, de gémir, d’implorer qui finit par fonder l’art. À condition qu’on oublie le miroir.” (page 106)
Malheureusement, si Zelda semble bien posséder un don, c’est celui de l’échec. La danse sera un échec. Comme la peinture, comme l’écriture, comme l’amour.
Pendant ce temps-là, le succès abandonne Scott. L’argent vient très vite à manquer, les internements de Zelda en hôpital psychiatrique deviennent de plus en plus fréquents. Scott est foudroyé le premier, il meurt à l’âge de 44 ans. Zelda lui survit quelques années et meurt à 47 ans dans l’incendie du Highland hospital d’Ashville, où elle a échoué.
De fait, la Zelda de Gilles Leroy fait penser à une mèche qui a brûlé trop vite. En quelques années tout est consumé. Et à la fin c’est encore le feu qui finit par emporter ce qu’il en reste. Dans l’intervalle, les échecs répétés de toutes ses entreprises pèsent sur l’humeur de Zelda. Même sans sa maladie, elle serait peut-être devenue invivable pour son entourage : “Scott disait ça à ses amis : “J’ai épousé une tornade.” Vous ne pouvez pas savoir, professeur, la violence des orages en Alabama. Je suis comme le ciel de mon pays. Je change en une minute. L’ironie du sort est de finir clouée dans une chambre d’hôpital, réduite à n’être plus qu’une femme-tronc, une tête qui sort de la camisole.” (page 113)
Zelda était schizophrène. Gilles Leroy rend bien cette impression de décalage avec la réalité, par d’incessants allers-retours chronologiques. Parfois, des dates en marges du texte permettent de se repérer. Il mélange les voix, évite les descriptions de décors qui permettraient à l’esprit du lecteur de se poser un instant. Lecture instable…
Gilles Leroy évite aussi la tentation facile de mettre en scène le personnage de Scott au-delà du strict nécessaire. C’est Zelda qui compte. Le principal trait de son caractère dessiné par l’auteur, c’est son égocentrisme.
Zelda ne pense qu’à elle, Zelda est folle, Zelda raconte n’importe quoi. Ou bien ? Sans cesse, le lecteur se demande où commence la mythomanie, où se niche l’anecdote sous les péripéties. Comme il connaît, un peu l’histoire du couple, il tente de se rappeler ses lectures biographiques pour démêler les fils du romancier.
Au fond cette tentation naturelle présente peu d’intérêt : il vaut mieux prendre pour eux-mêmes ces souvenirs apocryphes de Zelda Fitzgerald pour découvrir une histoire d’échec bien dans la logique de cette génération perdue à laquelle appartenait le couple. Et puis ce retour dans le sud, la mort de sa nounou… Rien ne rend nostalgique comme l’échec.