C’est bel et bien le premier principe de la musique : vous emmener ailleurs. Hors des sentiers battus. Vous apporter de nouvelles pistes. Regarder d’une nouvelle façon l’existence, le quotidien ou autre. Échappatoire avec ou sans direction, il existera toujours des disques pour changer les perspectives, observer différemment. Il y a des musiques qui font planer, d’autres qui vous arrachent littéralement à tout ce que vous connaissez.
Comme le vénérable Jean-Claude Vannier, arrangeur d’exception, complice de Gainsbourg, qui sort un disque de mandolines, sur le label de Mike Patton, le hurleur génial du groupe de metal, Faith No More. On est clairement dans une atmosphère baroque.
Mais dans ce disque instrumental, on entend l’enfance, les doutes, la vie qui inspirent des mélodies incroyables. On apprécie une bande originale idéale de nos petits problèmes. Ça nous rappelle les glissades musicales que l’on entendait dans les musiques de Jacques Tati. Il y a de la fausse candeur et évidemment des arrangements d’une subtilité vibrante: les poils s’hérissent si facilement.
Jean-Claude Vannier et son orchestre de Mandolines est une surprise qui n’a pas d’équivalent. C’est drôle, touchant et sans parole. On baigne dans une étrange nostalgie qui pourtant colle très bien à nos réalités.
La réalité s’étiole aussi au son de la capricieuse et contemplative Laurie Torres. D’origine haïtienne, cette Canadienne, n’a pas de mal à mélanger les ambiances pour nous transporter vers un ailleurs douillet et mélodique.
Elle avait bien l’envie de nous mettre la tête à l’envers en composant la musique du génial film Drive My Car. Elle récidive avec le très cool Après Coup. On ne vous tapera pas sur la tête mais on va coulisser vers un monde à part, cristallisé par un piano et des synthés ouatés. Et personne ne va s’endormir.
Les notes se répètent mais tournent autour d’idées subjectives mais délicieuses. C’est un disque qui dérive. Vous pouvez vous contraindre à vous cogner au réel, le talent de Laurie Torres est de vous faire décrocher rapidement. C’est une œuvre séquentielle, qui part d’un piano et qui ensuite déplace votre attention vers des nuances qui deviennent riches et les sons font semblant de s’éparpiller pour vous rapprocher d’un état second, tellement agréable et fondamental. On reconnecte avec un temps et une délicatesse qui n’existent plus nulle part.
Ce qui nous touche aussi la rencontre entre Piers Faccini & Ballake Sissoko, c’est cette absence de barrière et de vulgarité dans leur nouvelle collaboration, Our Calling. Le droit à la déconnexion est totalement envisageable avec un tel projet, entre deux hommes sensibles, qui profitent de leurs origines pour repousser toutes les frontières.
La kora et la voix conjuguent les talents et nous aspirent encore une fois vers un havre de paix, que les deux artistes ont toujours cherché. Il y a un barde francophile et un musicien malien qui se mettent en marche pour idéaliser leur passion et montrer l’universalisme de la musique.
Our Calling est une œuvre qui marche. On se met d’abord en tête l’osmose entre les deux artistes et ensuite, au fil des titres, tout est dépassé. Rapidement. Les clichés. Les préjugés. Les envies des artistes. Les attentes de l’auditeur. Le disque a écrasé nos anxiétés. Les talents deviennent chaleur ou ciment. On a l’impression de monter quelque chose avec ces deux énormes artistes pourtant si discrets. Une montagne de douceur et de compréhension. Les deux hommes règlent leur pas et on aimerait faire la même chose.
Un monde de dialogue. Un monde d’apaisement. Un monde d’espièglerie. Franchement éteignez les autres médias et revenez à la raison: cherchez et trouvez de la musique!