Cinéma

Anatomie d’une chute, Justine Triet, Le Pacte

A voir l’affiche et la bande-annonce, je m’attendais à un Faites entrer l’accusé au pays des bobos. Pas très motivant… Heureusement, mon épouse m’a convaincu de voir ce film qui mérite de figurer sur votre liste de rentrée !

A voir l’affiche et la bande-annonce, je m’attendais à un Faites entrer l’accusé au pays des bobos. Pas très motivant…
Heureusement, mon épouse m’a convaincu de voir ce film qui mérite de figurer sur votre liste de rentrée !

Un couple, Sandra et et leur fils, Daniel, vivent dans un chalet de montagne dans les Alpes. Elle est une écrivaine allemande et tente de mener un entretien avec une étudiante. A l’étage, son mari pousse la musique tellement fort que les deux femmes doivent renoncer à l’interview. L’ambiance est délétère…
La jeune femme préfère s’en aller, tandis que le petit garçon du couple sort faire un tour dehors avec son chien (il est malvoyant). A son retour, l’enfant trouve le corps de son père, mort, sur le perron de la maison. Les secours sont prévenus et, assez rapidement, la mère est soupçonnée d’avoir jeté son mari par la fenêtre et se retrouve face à ses juges.

C’est bien plus qu’un simple film à suspens.

Justine Triet aurait pu faire de l’intrigue l’élément principal de l’histoire. Alors, le film aurait été tout autre mais, à mon avis, nettement moins intéressant !

Savoir si elle a tué son mari ou pas n’est pas vraiment la question. L’enjeu est ailleurs : il s’agit de parler du couple et, plus généralement, des relations interpersonnelles, de la façon dont elles peuvent se détériorer, se déliter avec le temps. Dans la vie, il peut être tentant de faire peser ses propres échecs sur quelqu’un d’autre. Blâmer son partenaire plutôt que soi-même est une solution facile. Mais c’est à ce prix qu’on pourrit une relation.

Je loue Justine Triet de parvenir à déboucler son histoire sans verser dans le travers qui consiste – comme dans beaucoup de films – à délier des situations inextricables par une franche discussion qui sert de point d’orgue émotionnel à l’intrigue. Ici, ce n’est pas en discutant que mère et fils règleront leur problème !

Ce n’est pas qu’un film de procès

C’est toujours difficile de faire un film sur un procès, cela peut vite être barbant et irréaliste. Ici au contraire, Justine Triet et Arthur Harari (son mari et coscénariste) utilisent les audiences à la Cour d’assises de façon très habile pour dévoiler l’intime.

Bien sûr, il y a quelques petites choses qui manquent de crédibilité : le public de la Cour d’assises, la rapidité avec laquelle l’accusée se met à parler français parfaitement… Mais ces détails ne font pas le poids face aux nombreuses qualités du film.

Lors du procès, il y a quelques débats d’experts pour tenter de déterminer techniquement si le défunt s’est jeté par la fenêtre ou s’il a été poussé par sa femme, mais le plus intéressant n’est pas là. L’important, c’est que les différents témoignages nous éclairent sur la relation de couple et sur le drame. Par exemple, le témoignage du psy montre comme le mari et la femme voient leur vie différemment et comme l’amour et la bienveillance du début ont pu laisser place à la jalousie et à la rancœur. Ainsi, un même événement est vu et vécu de façons diamétralement opposées. C’est fascinant.

Une grande maîtrise formelle

J’ai relevé le soin particulier apporté par la réalisatrice au cadrage et au hors champ. Par exemple, Julie Triet ne montre jamais les jurés. Il lui arrive aussi de placer la caméra derrière un spectateur, comme si nous étions dans la salle. Parfois, un truc passe dans le champ, un bras ou autre, renforçant notre sentiment d’être une petite souris assistant au théâtre judiciaire. La façon de filmer est à la fois d’une grande technicité et d’une grande sobriété. La réalisatrice résiste à la tentation de faire de belles images avec les paysages de montages.

Au-delà de l’image, les bruits et les sons jouent un rôle crucial dans ce film. Un comble au cinéma ! Il est d’ailleurs frappant qu’un des personnages principaux (le fils) soit malvoyant. Les choses ne sont claires pour personne !

Il n’y a, pour ainsi dire, pas de musique (on n’est pas chez Clint Eastwood avec ses musiques qui soulignent lourdement les émotions !), mais Julie Triet peaufine la place des sons. Ainsi, la musique assourdissante qui passe en boucle au début du film crée une ambiance qui nous met mal à l’aise alors que Sandra, elle, ne semble pas gênée plus que ça par ce déchaînement de décibels. C’est aussi par le son que l’on découvre au cours du procès des facettes du couple, de son intimité.

Des comédiens exceptionnels

Scénario, son, image, le film recèle de grandes qualités, on l’a dit. Mais la grande qualité du film réside dans la direction d’acteurs et dans la qualité exceptionnelle des interprètes. Même les personnages secondaires sont soignés. Les petits rôles ne sont pas négligés. Et que dire des rôles principaux ?

Sandra Hüller est, pour moi, une révélation. Cette allemande qui joue dans une autre langue que la sienne est épatante. Son personnage ambivalent lui permet de déployer subtilement une palette d’émotions.

Swann Arlaud joue un avocat aussi réservé que séduisant. Le duo qu’il forme avec Sandra Hüller fonctionne très bien. J’ai beaucoup aimé cette scène où ils sont dans un restaurant, il s’en dégage un trouble indicible.

Même le chien est phénoménal ! D’ailleurs, il a reçu pour sa prestation la Palm Dog (ce n’est pas une blague !)

J’ai entendu un critique (sur France Culture) dire que le personnage de Daniel n’était pas crédible car bien trop mûr pour son âge. C’est avec ce genre de raisonnement (les enfants ne volent pas bien haut), que le cinéma nous sert régulièrement des personnages d’enfants au ras des pâquerettes. Ici, au contraire, l’enfant n’est pas infantilisé mais bien traité comme un personnage, une personne, à part entière. Et c’est tant mieux car ce rôle complexe est servi par un acteur incroyable. Milo Machado Graner a une qualité de jeu folle et il dégage une émotion qui vous tirera des larmes. Je ne crois pas avoir vu d’acteur garçon (il a 15 ans) aussi bon depuis les débuts de Benoît Magimel, et encore Milo est-il un cran au-dessus de Benoît. (Je le mets au même niveau que Céleste Brunnquell, vue dans En thérapie, qui dégage la même force mais qui est un peu plus âgée, 23 ans.). Il est bouleversant.

Seul Antoine Reinartz ne m’a pas convaincu. Du moins au départ. Ce comédien incarne l’Avocat général, c’est-à-dire le magistrat qui, dans un procès pénal, représente la Société. Il ne juge pas l’accusé.e mais, en notre nom à tou.te.s, réclame aux juges une peine au titre du mal que l’accusé.e nous a fait, à nous tous. En principe, cette fonction suppose mesure et impartialité. Il est arrivé même qu’un Avocat général requière un acquittement.

C’est pourquoi, à première vue, je n’ai pas trouvé ce personnage très crédible. Mais, à bien y réfléchir, c’est justement parce qu’il se livre à un réquisitoire totalement à charge, parce qu’il ne parvient à cacher ni son agacement ni son impatience, qu’il permet aux autres personnages de se révéler. C’est vraiment lui l’intégrateur négatif de l’histoire (en management, l’intégrateur négatif, c’est la tête de con qui soude le reste de l’équipe.) Et c’est la preuve que ce film transforme même ses apparentes faiblesses en qualités.

Car l’on sent que ce magistrat – et à travers lui la Société – est horripilé par cette femme forte dont il cherche à tout prix à démontrer la culpabilité. Une femme libre n’est-elle pas, en effet, forcément coupable ?

Au cinéma le 21 mai 2023
150 minutes
Les films Pelléas | Les films de Pierre

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