Anouk est une très vieille dame qui vit seule dans sa maison. Plutôt mourir que quitter son intimité pour le collectif d’une maison de retraite. Elle assume plutôt bien sa décision, jusqu’à ce jour pas comme les autres où, voulant épousseter le buste de son défunt mari, elle fait une chute, qui la laisse d’abord sonnée puis délirante.
Asja Nadjar incarne donc sous ses airs juvéniles (elle a 28 ans) une dame très âgée et cela ne choque personne. Au contraire, la proposition est très intéressante, car, sans être réaliste, l’incarnation est forte, crédible et réussie. Le parler fort avec un accent suisse-allemand, quelques expressions verbales caractéristiques, la lenteur du geste, les membres apparemment gourds, la posture, tout y est. Asja campe un personnage, mais dessine aussi son environnement, ses habitudes, ce qui la met en joie, ce qui l’agace, tout un monde intime et une vraie personnalité : « un phénomène ! » comme dit Monsieur le Maire au sujet d’Anouk.
Asja Nadjar est jeune diplômée du CNSAD et trace sa route ici seule en scène, interprétant son propre texte. Inspirée par sa grand-mère et concernée par ce sujet d’actualité sociale (son collectif « Grosses Fleurs » intervient régulièrement en EHPAD), Asja Nadjar campe une vieille dame coquette et gaie, qui parle à l’âme de son mari disparu, fait signe à son voisin et engueule quiconque empiète sur sa propriété privée. De ses années passées au Conservatoire, Asja cite volontiers l’enseignement d’Ivo Mentes et continue avec plaisir à explorer l’art du clown (voir le bel article de Jean-Pierre Thibaudat (1) sur le spectacle de sortie du Conservatoire d’Asja mis en scène par Ivo Mentes, intitulé « Surtout, ne vous inquiétez pas »). L’influence du clown se fait subtilement sentir dans Anouk ; dans la construction physique du personnage, dans le regard et son accroche franche au public et dans la fantaisie à l’œuvre bien sûr, chez la vieille femme énergique et peut-être aussi dans ses délires. Si Asja Nadjar admire l’œuvre de Zouc et de François Cervantès, ce sont surtout Beckett et Ionesco qui l’ont inspirée dans l’écriture d’« Anouk » : « O les beaux jours », et « Les Chaises » notamment. Au Théâtre de la Flèche (77 rue de Charonne, Paris 11, https://theatrelafleche.fr/), c’est une belle version aboutie de 50 minutes que l’on pouvait entendre jusqu’au 27 avril. Mais Asja ne compte pas en rester là ; le projet vit et se fera entendre à nouveau, à n’en pas douter et à surveiller…
En compagnie de ses anciens camarades, Asja Nadjar sera en résidence au Val de Reuil pour 3 semaines de création et 2 jours de présentation publique les 31 août et 1er septembre prochain pour le Festival « LES EFFUSIONS ». Un événement né en 2016, fruit du travail et de l’imaginaire de jeunes talents, à vivre chaque année non loin de Paris juste avant la rentrée (2).
Avant de nous quitter, la talentueuse Asja nous recommande le spectacle de ses camarades de la compagnie Le Pari des Bestioles: « C’est la Phèdre », mis en scène par Jean Joudé, créé aux Effusions en 2017 et à voir du 21 au 25 mai au Théâtre Montfort (3), Paris, 15ème. Une fête des morts tonitruante à ne pas manquer. Par ailleurs, Asja jouera dans « C’est la Phèdre » aux Arènes de Lutèce le 14 juin prochain.
« ANOUK », un spectacle avec et d’Asja Adjar, vu le 26 avril 2019 au Théâtre La Flèche à Paris; prochaines dates à surveiller.
2) Sur l’édition 2018 du festival LES EFFUSIONS, lire le bel article de Jean-Pierre Thibaudat (encore !) https://blogs.mediapart.fr/jean-pierre-thibaudat/blog/030918/theatre-le-vivier-de-val-de-reuil