Art-scène, Théâtre

Article 353 du Code Pénal, Tanguy Viel, Emmanuel Noblet, Rond-Point

Vincent Garanger est actuellement à l'affiche du Théâtre du Rond-Point. En novembre dernier, je l'avais remarqué dans Mort d'un commis voyageur au théâtre Montansier de Versailles, et j'étais impatient de le revoir sur scène. Vincent Garanger, retenez bien le nom de ce comédien car il vaut le détour !
(c) Jean-Louis Fernandez


La pièce est une adaptation (par Emmanuel Noblet) d’un roman de Tanguy Viel que j’ai hâte de lire. Le texte est dense, il sonne juste. J’ai été agrippé dès les premières phrases : un homme en abandonne froidement un autre dans la mer glacée et s’en retourne paisiblement au port. La suite dépeint avec intensité le désarroi de ce meurtrier. Les phrases sont courtes, condensées. On est ému, révolté, embarqué. On rit aussi.

« On était assis sur un tas d’or recouvert de choux-fleurs ! »

Trapu, désemparé, habité d’une rage difficilement contenue, un homme tourne sur lui-même comme un ours blessé. Face à son juge (Emmanuel Noblet), il raconte pourquoi il a balancé un homme par-dessus bord. Le meurtrier, c’est Martial Kremeur (Vincent Garanger), un bon gars du Finistère un peu frustre. Sa victime, c’est Antoine Lazenec, un promoteur immobilier véreux qui lui a volé ses économies et ses derniers rêves.

« On l’a pas vu arriver. » « Les gens comme moi, ils ont besoin de logique. Ils ont besoin que les méchants soient méchants tout le temps. Pas seulement un tiers du temps ! »

L’interprétation de Vincent Garanger est magistrale. Sa diction est remarquable, on comprend distinctement chaque parole prononcée alors qu’il n’adopte pas de phrasé théâtral. Le comédien joue juste. Il est totalement habité par un personnage qu’il incarne pleinement : il renifle, s’essuie le nez dans sa manche, se gratte la tête, se frotte les yeux.

Le rôle est exigeant : un quasi-monologue d’une heure quarante et un personnage à vif. L’intensité va crescendo, l’interprétation gagne en profondeur au fur et à mesure de la pièce et on se demande où Vincent Garanger va puiser cette énergie. D’ailleurs, à la fin de la représentation, on sent que le comédien est éprouvé, comme après une course de fond.

Vincent Garanger nous emmène où il veut, mais c’est loin d’être un travail solitaire. La mise en scène est sobre et intense, comme le personnage. L’étrange décor est beau et surréaliste comme une œuvre d’art : un terrain terrassé et boueux borde la scène ; Martial Kremeur est, littéralement, au fond du trou. L’utilisation de la vidéo est à propos : sur un écran en fond de scène sont diffusées des paysages marins, ce qui renforce l’ambiance. (Tout petit bémol : la scène filmée où le maire sort de sa voiture n’est pas à la hauteur du reste.) La bande-son n’est  pas envahissante, elle concourt discrètement à l’ambiance et aux émotions.

C’est très théâtral et c’est pourtant très « convainquant « vrai » : j’ai ressenti, vécu, toutes les émotions du personnage, ses espoirs déçus, son sentiment d’avoir été trahi, sa honte, sa tristesse, sa colère salvatrice. C’est exactement pour ce genre de spectacle que j’aime tant le théâtre !

Jusqu’au 15 février 2025
Théâtre du Rond-Point, 75008
Durée 1h40
de 12€ à 31€


Roman de Tanguy Viel
Adaptation et mise en scène Emmanuel Noblet
Avec Vincent Garanger (Martial Kermeur) et
Emmanuel Noblet (Le juge)
Scénographie Alain Lagarde
Création lumière Vyara Stefanova
Création sonore Sébastien Trouvé
Vidéo Pierre-Martin Oriol
Costumes Noé Quilichini

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