Exposition Henri-Cartier Bresson, Landerneau

Depuis plusieurs années, les bretons - et les amateurs d’art en général – se réjouisssent de la qualité des oeuvres présentées en ce lieu. Car le fonds privé pour la culture d’Hélène & Édouard Leclerc (natif de Landerneau, où a démarré la chaîne de magasins) est devenu incontournable. Et ce lieu vaut bien certains de Paris ou des métropoles. Miro, Chagall, Ernest-Pignon Ernest : ces artistes et d’autres aussi talentueux ont été accueillis dans cet endroit magnifique et bien pensé.

Dans cette première rétrospective consacrée à Henri-Cartier-Bresson en Bretagne, on est d’emblée éblouis. Incroyable. Toutes les plus belles et célèbres photos de l’artiste sont à la portée des yeux. Trois cents œuvres exposées là et qui engendrent calme et silence tant le travail sur la géométrie, les hommes et les paysages nous atteignent au plus profond de nous. C’est l’avant, le nôtre et celui de nos ancêtres qui est là face à nous. Des paysages aujourd’hui saccagés par des tours modernes, bien après ces femmes portant leurs pains à la sortie d’une église. Sur un autre cliché, la sortie du métro parisien La Chapelle est presque vide, bien loin de la violence actuelle. Détail amusant : en 1932, il y avait déjà en bas des marches, à gauche, une charrette où l’on vendait des babioles ou des frandises.  

Cartier-Bresson était aussi reporter, témoin de son temps : guerres, funérailles de Gandhi, Chine pas encore communiste, Mur de Berlin en 1962... En bas des tribunes, lors du couronnement de George VI, un homme dort dans la poussière et la saleté. Personne, parmi les spectateurs, ne le remarque, sauf le grand photographe qui capte le vivant avec discrétion et élégance.

A la fin de l’exposition, nous voici face à Irène et Frédéric Joliot-Curie. C’est très rare, un portrait de personnalités scientifiques aussi importantes. Mais Cartier-Bresson capte sur cette photo la fatigue, la douleur physique, de la timidité et une envie de fuir.  

Vous n’avez aucune raison de rater cette exposition, si ce n’est qu’elle se termine, hélas, le 5 janvier 2025

Jusqu'au 05 janvier 2025

Pour la culture
Aux Capucins

Fonds pour la culture Hélène & Edouard Leclerc,
29800 LANDERNEAU (FRANCE)

Il était une fois… (tome 3) – Last action Hero, Aubry Salmon, RockyRama

Les petites publications de Rockyrama sont de grosses sucreries pour les amateurs d'un cinéma populaire et rigolard. Les rédacteurs de cette publication ont le bon goût de rappeler l'importance de la série B et son influence. Mais nous sommes au delà de la culture pop qui fait régner l'ordre. Chez Rockyrama, on étudie le fond et la forme pour en sortir une quintessence de jouissance. Celle d'aimer des films qui se laissent aller ou qui ne se doutaient pas de leur grande intelligence.

Ce qui fut le cas de Last Action Hero, bide mémorable dans la carrière de Arnold Schwarzenegger et bizarrerie dans la carrière du cultissime John McTiernan. Les deux hommes ont connu un grand succès avec Predator. 

L'acteur a enchaîné les succès. Le réalisateur a totalement réinitialisé le cinéma d'action américain avec Piège de Cristal et L'Octobre Rouge. Et Predator reste encore un maître étalon en matière de série B totalement maitrisé et infalsifiable.

Tout est réuni en 1993 pour que le box office soit à la gloire de l'Autrichien qui continue de jouer de son image de gros bras. Hélas, Last Action Hero sortira la même année que Jurassic Park (et Les Visiteurs chez nous). Le plantage sera catastrophique. Le film sera méprisé. Il est jugé vulgaire et idiot.

Le temps fait son œuvre et Aubry Salmon rend enfin un hommage juste à une œuvre bancale mais totalement jouissive. Même les défauts du film deviennent touchants. McTiernan s'imagine réaliser un conte de fée et il est vrai que le film profite d'un concept simple et virtuose qui plaira à tout amoureux du cinéma: rentrer dans un film.

Woody Allen l'avait déjà fait mais ici, on est sur de la grosse locomotive. Le livre raconte comment le rêve de deux scénaristes un peu tendres va devenir un blockbuster cinglé, capable de fulgurances métaphysiques et de grosses blagounettes scatologiques. C'est à n'y rien comprendre.

Et c'est bien normal quand on découvre comment fut produit le film. Finalement, tous les artisans du film sont contents et un peu désespérés d'être là. Schwarzie adore le concept mais son égo le travaille. McTiernan s'emballe dans sa mise en scène ironique mais se prend pour un mercenaire. Et c'est tout le scénario, malaxé par un nombre incalculable d'auteurs qui se modifie vers un magma de compromis qui n'ont plus aucun sens.

Ce qui rend d'ailleurs le film très intéressant aujourd'hui. Car il est tiraillé par tout ce qui fait le charme et l'imbécilité d'Hollywood. Le film ressemble à une guerre d'égo avec des victoires et des défaites. Cela se lit comme un thriller qui va mal finir pour tout le monde. Bref, une lecture idéale en cette période de fêtes!

Paru le 24 septembre 2024
chez RockyRama
105 pages | 9,90€

Pearl Jam ou l’anti-Trump

Donald Trump est de retour et veut être la voix unique de l’Amérique. Bizarrement, à l’annonce de la victoire du Républicain, sur ma platine s’est installé naturellement le son de Pearl Jam. Et oui, il m'a fallu une musique sincère qui rappelle que l’Amérique, ce ne sont pas que des beaufs ratatinés par le soleil, la bière et les barbecues. Non, ils ne sont pas tous racistes, religieux, et crétins. Oui, à cela, la musique de Springsteen, Dylan ou Petty rappellent par exemple les valeurs plus humanistes de ce pays divisé.

Mais il y a chez Pearl Jam, cette rage qui a fait de leur premier disque, Ten, un sacré disque de rock. A Seattle, au début des années 80, les groupes furieux se défoulent sur toutes les scènes de la ville. Alice In Chains, Soundgarden, Nirvana…

Eddie Vedder et son groupe déboulent avec une musique personnelle où les guitares suivent comme elles peuvent les paroles torturées du chanteur. Il grogne toute la violence et les angoisses de la jeunesse américaine. Moins radical que Nirvana (ils se feront une guéguerre à la Oasis vs Blur), Pearl Jam transcende une énergie qui fonctionne encore. Ten est un disque de teenagers qui se voient grandir et qui refusent la misère, la médiocrité ou la petitesse.

Ecouter Ten en 2024, c’est observer une intelligence en marche (spectacle peu vu aux US ces dernières années). Les morceaux sont d’une habileté remarquable et les chansons se suivent avec une finesse rare pour du rock, influencé par du gros heavy. Pearl Jam dépouille le genre et en trouve l’essence et l'espérance. Avec deux guitaristes de génie et une osmose incroyable.

A la différence des groupes de cette période, Pearl Jam a dû vieillir. L’innocence du début est vite passée et Eddie Vedder a compris qu’il serait une rock star et rien d'autre. Mais le chanteur a des valeurs et ne lâche rien au star system.

Le groupe ira même s’attaquer au géant Ticketmaster. La fidélité de Pearl Jam rappelle celle qu'ont les fans de Bruce Springsteen. Pearl Jam a peut-être raté des disques mais ne se ménage pas pour produire des titres avec du sens et surtout de l’émotion. Leurs concerts sont légendaires et toujours complets : le groupe a toujours été authentique même lorsque cela n’allait pas entre les membres qui ont finalement peu changés. La batterie a connu des cogneurs différents mais ça a été vite réglé avec l’arrivée de Matt Cameron, ancien de Soundgarden.

En attendant, le groupe est devenu un groupe gonflé aux décibels mais tourné vers les autres. Au fil des années, le groupe a compris qu’il ne pourrait pas être un énorme barnum fait d’excès et le groupe a eu l’intelligence de se remettre en question plusieurs fois. Ça ne change rien à son envie de rage électrique. Ce sont les albums live les plus intéressants.

C’est bien là leur cœur de métier et surtout la générosité qui doit faire horreur à un type aigri comme Donald Trump. Eddie Vedder a de quoi faire peur aux Républicains car il connaît la nuance.

Sur scène, les efforts sont monstrueux (ce que démontre le mieux Live on two Legs en 1998) mais il y a de constantes respirations et une liberté qui s’affiche de façon sauvage. Cela s’enchaîne sans temps mort mais il y a toujours de belles virées vers quelque chose de plus transcendantale. Pas étonnant que Neil Young voulait réaliser un disque avec eux. Le mur de son chez eux n’est pas une prison, bien au contraire.

Ainsi Eddie Vedder est devenu une icône libre surveillant les injustices et récitant les vertus cachés d’un rock engagé. Il a le don d’agacer par son aspect parfois sentencieux mais il a réussi à se faire passer pour un héritier intrigant de Kerouac, Dylan et tous les autres artistes qui rêvent au bord des routes.

D’ailleurs il est bon de réévaluer sa bande son pour le film de son ami Sean Penn, Into the Wild. L’adaptation du livre de Jon Krakauer a connu un vrai succès grâce à sa musique et les titres du leader de Pearl Jam.

Là encore, on entend l’Amérique qui ne plait pas vraiment à Donald Trump. Celle des désaxés, des marginaux, des véritables amoureux de la liberté. Le disque est un dialogue avec le film. Vedder admire Neil Young au plus haut point mais il n’a jamais sa radicalité (la bo de Dead Man de Jim Jarmusch). Au contraire, on (re)découvre un type apaisé et trouvant les joies d’une certaine douceur lyrique.

Donc dans les quatre prochaines années, la bêtise aura le pouvoir mais mes oreilles (et peut être les vôtres) trouveront du réconfort du coté de Seattle et ses héros survivants à tout…

Surprises surprises (Kim Deal, Mustang, Tucker Zimmerman)

Ex Pixies, championne des Breeders, Kim Deal reste la marraine de toutes les filles qui s’énervent autour du rock insalubre et capricieux. Elle porte en elle (avec sa sœur), cette image d'indépendance farouche qui n'hésite pas à choquer le bourgeois avec un style dissonant ou rageux.

Rien de tout cela dans son tout premier album, Nobody loves you more, livré sous son nom. Incroyable transformation. Elle a désormais 63 ans et prend du plaisir à renverser les clichés sur son parcours pétaradant. Désormais elle chante de mieux en mieux avec des cordes et des cuivres. On la soupçonne presque d’avoir trop écouté Joni Mitchell.

Pour résister au temps, elle a réduit la cadence mais jamais les idées. Les chansons possèdent des arrangements étonnants. L’électricité est toujours présente mais Kim Deal a su passer sous courant alternatif. Le disque est un équilibre parfait. La belle du grunge est devenue sage mais pas grelottante. Elle continue de fouiner, s’aventurer et finit par nous trouver !

On ne pensait d’ailleurs pas au groupe français Mustang pour nous surprendre. Il faisait dans le rock ripoliné assez agréable à écouter. Et les voilà que le groupe se veut de nouveau flamboyant, tourné vers un nouveau genre, la pop à grande écoute.

Avec un titre comme Megaphenix, le fiévreux Jean Felzine et ses copains montrent que l’on peut échapper à tout ce que l’on était. Sans se renier non plus. On devinait chez eux une vraie fantaisie mais les voici en compositeurs habiles et saignants.

Les titres se succèdent autour du plaisir de jouer des conventions d’un genre. Ça part un peu dans tous les sens et pourtant les chansons semblent cadrées. Avec un certain talent, les musiciens s’éclatent à se promener sur de nouvelles terres. Ils se sont fait à l’idée que le succès serait toujours d’estime. Ils ne croquent plus à l’envie du succès mais restent inspirés par les sonorités multiples et des textes toujours en français. Apparaît de cette renaissance une poésie lyrique que peu d’artistes hexagonaux maîtrisent. Populaire et exigeant. 

On trouve aussi beaucoup de réconfort dans le chant usé mais charmant de Tucker Zimmerman. Légende oublié du folk américain, il revient sous l’impulsion des musiciens de Big Thief, à 83 ans, avec Dance of Love. Il vit désormais en Belgique mais son style est aussi universel. Un vieux blues encrassé qui fait tout de même chaud au cœur.

Silencieux durant des années, il concentre sur dix titres, un rock délicat fait d'un vieux bois séché. On roule sur les traces poussiéreuses d’un Tom Waits rural ou d’un Neil Young en mode retraité du rock. Mais la conviction persiste. Héros méconnu du folk, Tucker Zimmerman a tout de l’artisan apaisé et reposant.

Mais rien de tout cela est passéiste ou réservé à quelques aficionados. Là encore, les confessions douces du bonhomme touchent à avec profondeur. On se ferait bien avec lui une fricadelle et une bonne bière puis parler de choses simples tout en célébrant sa musicalité douce heureuse. Loin des vieux qui radotent leur gloire, Tucker Zimmerman continue de danser son amour, ses envies et sa tendresse. Un discours quasi juvénile qui a son importance par les temps qui courent.

Machine de cirque, La Scala Paris

En pensant au cirque, j'ai en tête l'image des grandes maisons circassiennes (leur côté parfois un peu démodé) et la sortie du dimanche sous les chapiteaux rouges. Cependant, avec Machine de Cirque, l'approche est bien plus innovante : c'est un conte poétique et moderne qui reprend certains codes de l'art en question sous un angle cabaret, avec beaucoup de finesse et d'humour. Alors, à 34 ans, il faut que je me rende à l'évidence : je suis encore une grande enfant qui s'émerveille des belles choses et des acrobaties spectaculaires. 

Au tout début du spectacle, j'ai été un peu décontenancée par la cacophonie autour de l'ingénieux échafaudage fait de bric et de broc qui est la pièce maîtresse du décor (je pense que je ne m'étais pas encore remise de mon trajet bondé et lent de la ligne 8 du métro parisien), puis très vite je me suis laissée porter.

Entre numéros envoûtants en solo et acrobaties à plusieurs, mise à (demi)nu clownesque avec des jeux de serviettes à faire trembler d'angoisse et de rire, jonglages endiablés au rythme des percussions, habiles jeux de lumières, on ressent un bel enthousiasme et le sourire des artistes est particulièrement communicatif.

Je dis un grand bravo à l'équilibriste avec son magnifique numéro à bicyclette (qui m'a aussi fait culpabiliser de ne pas avoir suffisamment d'abdos et de réflexes ce qui m'aurait peut-être permis d'éviter une chute à vélo la semaine d'avant). Et sans trop en dévoiler, chapeau bas pour la prouesse du numéro final : j'étais bouche bée et a priori je n'étais pas la seule si j'en crois les réactions du public. 

Les six trublions de cette compagnie québécoise à succès (plus de 300 000 spectateurs depuis 2013) ont su me cueillir, j'ai souri tout le long et souvent ri. Je leur dis donc merci de m'avoir sortie de ma torpeur parisienne.

Du 12 novembre 2024 au 5 janvier 2025

La Scala Paris

Mise en scène Vincent Dubé

Avec William Borges, Olivier Buti, Francis Gadbois, Andras Jagudits et Matthes Speidel

Musicien (en alternance) : Jérémie Carrier, Olivier Forest et Frédéric Lebrasseur

1h30

De 13€ à 52€

A partir de 6 ans

Game Story, Ancienne Poste, Versailles

A l'Ancienne Poste, nouveau lieu d'exposition aux volumes généreux, la Ville de Versailles a la bonne idée de proposer jusqu'au 13 avril 2025 une exposition consacrée à l'Histoire des jeux vidéos, une saga qui démarra en 1958 avec une bande d'ingénieurs qui a eu l'idée saugrenue de s'amuser avec un oscilloscope (mais si, souvenez-vous de vos cours de Physique-Chimie au collège !).

Je vous rassure tout de suite, Game Story n'est pas une rétrospective théorique et barbante, même si le contenu éditorial est assez encyclopédique. Car la bonne nouvelle, c'est qu'on peut jouer pour de vrai ! Il y a en effet une centaine de jeux jouables, de l'antique Pong sur console Atari jusqu'aux derniers jeux criant de vérité, en passant par les consoles Nintendo, SEGA, Playstation et autres hits, sans oublier des machines très confidentielles, voire rares.

Attention, Game Story n'est pas une exposition pour boomers ou quinqua nostalgiques, c'est vraiment un beau moment de partage, entre les visiteurs de tous âges, mais aussi au sein des familles.

Il y a tellement de jeux que les deux heures de visite maximum qui nous allouées à l'entrée ne sont pas de trop pour tout voir. Malgré l'affluence, on parvient à tester beaucoup de consoles, ordinateurs (Ah ! l'Amstrad CPC6128 ou l'Atari de mon adolescence !), mais bon, bien sûr, vous n'aurez pas le temps de terminer Zelda...

Pour résumer, j'ai envie de dire que, dans le public, tout le monde joue le jeu !

Jusqu'au 13 avril 2025
Ancienne Poste, 3 avenue de Paris, Versailles
du mercredi au vendredi 12H - 19H | samedi et dimanche 10H - 19H
tarif 7 € | GRATUIT POUR LES - 26 ANS
avec l'Association MO5 pour la préservation du patrimoine numérique

Come Bach, Gérard Rauber, Lucernaire

Certains week-ends, il fait gris, on est fatigué, alors pourquoi sortir ? Hé bien, pour aller au théâtre, voyons. On ne le sait pas encore, mais on ne le regrettera pas. 

« Come bach » : titre un peu laminaire, jeu de mots, mais qu’ y a -t -il derrière ? Un concert comme on en a tant vu ? Un récital banal ?

Non, pas du tout. Sur scène, il y a quatre filles incroyables. Elles sont là, totalement là. Elles emplissent la scène de légèreté et de lumière et les spectateurs les regardent ébahis. Comme ils le seront jusqu’à la fin du spectacle.

Mais qui sont-elles donc, ces quatre femmes souriantes et si douées ?

D’abord, il y a Anne Baquet, qui a dû faire des envieux. Quelle voix ! Quelles voix ! On ferme les yeux et c’est Fréhel qui chante, on les ferme encore, et cette voix, le travail la rend contemporaine. Légère et souple, elle s’affirme soudain dans un long et bel envol. Concerts baroques, récompenses, créations, Anne Baquet a, excusez du peu, un vrai parcours.

Et ses acolytes ? Claude Collet, la pianiste, lauréate de concours internationaux, pianiste d’orchestre à Radio-France, elle a, comme Anne Baquet, enregistré plusieurs CD. Et elle enseigne au conservatoire Maurice-Ravel. Talentueuse aussi, en somme.

La contrebassiste Annandine Dehant, troisième de ce quatuor, est aussi virtuose que les autres. On sent chez elle (Premier prix de contrebasse au CNSM de Paris) un intérêt pour le travail scénique, la recherche, un travail peu commun avec cet instrument. Lorsqu’on l’observe attentivement, elle semble d’ailleurs faire corps avec sa contrebasse.

Et soudain, éblouis et le cœur battant, on entend le hautbois et cor anglais d’Anne Régnier. Le souffle coupé, on se laisse emporter. Quelle puissance et quelle élégance… Elle aussi est lauréate du CNSM sans oublier soliste à l’orchestre de l’Opéra national de Paris.

Une fois que j’ai déchiffré leurs parcours et commencé à m’émouvoir, hé bien, je fais comme les autres spectateurs : je me laisse envoûter, ponctuant parfois ces délicieuses sensations d’un sonore « Bravo ».

Quel surprenant et réjouissant spectacle autour de ce très grand musicien qu’était Bach. Elles le revisitent avec humour et brio : promenant leurs instruments sur le piano, chantant et dansant ensemble, mais toujours sans chaises ni partitions. Ici, on invente, on imagine, on s’amuse et ces quatre femmes décalées n’hésitent pas à faire appel à certains de ceux que Bach a inspirés, notamment : Maxime Leforestier (La petite fugue), Isabelle Mayereau et Marie-Paule Belle (12345), Bernard Joyet (D’abord ton Bach).

Sans oublier Bach lui-même (Badinerie, Toccata en ré mineur).

Le tout interprété avec un vif plaisir par ces quatre artistes très complices et souriantes. Un long et beau travail qui, bien évidemment, s’est achevé par des applaudissements et des bravos sonores et répétés. Bien mérités.

Reprise du 13 novembre 2024 au 12 janvier 2025
Jusqu'au 24 mai 2024
à 19 H du mardi au samedi et le dimanche à 16H
au Lucernaire (Paris VIème)
Mise en scène Gérard Rauber
Avec Anne Baquet, Claude Collet, Amandine Dehant et Anne Régnier
Durée : 1H10 | de 15 à 30 €

Check-Up, Sébastien Thiéry, Jean-Louis Benoît, Théâtre Antoine

Jean-Marc Lelièvre (Bernard Campan) se rend à l'hôpital où il a été convoqué par le Docteur Lewandowski, un médecin dont il n'a jamais entendu parler. Dès le départ, tout va de travers. Pour preuve, tout est jaune au pavillon bleu ! Et lorsqu'il donne son numéro de sécurité sociale, le voilà rebaptisé Monsieur Lapin...

"C'est bien votre numéro de Sécurité sociale (... donc) il n'y a pas d'erreur possible !"

C'est un monde kafkaïen dans lequel on entre en compagnie de Jean-Marc, ce que souligne d'ailleurs le décor dans ses hésitations entre lumière blafarde et jaune pisseux. (Un beau décor soit dit en passant, avec des éléments gigognes, des murs qui descendent du plafond, des panneaux amovibles...)

Tout au long de la pièce, notre héros est confronté à la folie administrative et médicale. Tout cela pourrait être angoissant si la pièce n'était pas si bien menée. Je me suis demandé combien de temps ils arriveraient à tenir avec cette histoire à dormir debout. Car il faut du talent pour tirer un simple quiproquo sur 1h30 !

La pièce s'étire en longueur, on s'enfonce dans la folie avec des gags qui utilisent toujours les mêmes ressorts et pourtant on ne s'ennuie pas du tout. Au contraire, le public (moi y compris) rit haut et clair toutes les deux minutes.

Le jeu des comédiens est honnête, ils font bien le job. Mention spéciale pour Manuel le Lièvre qui incarne Will, le voisin de chambre de Jean-Marc. A l'instar d'un Régis Laspalès, il a une vraie présence comique et il lui suffit d’être sur scène en arrière plan pour nous faire rire. J'aurais juste aimé que Bernard Campan lâche un peu plus les chevaux pour ce rôle qui recèle toute une palette de sentiments.

Jusqu'au 22 Novembre 2024
Théâtre Antoine, Paris Xème
De : Sébastien Thiéry
Avec : Bernard Campan, Valérie Keruzore, Manuel le Lièvre, Florence Muller, Emil Abossolo Mbo
Mise en scène : Jean-Louis Benoît

Mort d’un commis voyageur, Arthur Miller, Philippe Baronnet, Montansier

Une pièce de 2h30 sans entracte?! J'avoue avoir eu un peu peur de m'ennuyer. Au contraire, j'ai eu la chance d'assister à un spectacle captivant, porté par des comédiens impressionnants.

L’entrée en matière de la pièce est belle, visuellement parlant. Pas de panneaux de décor, une scène vide traversée par des silhouettes style années 50 (feutre et trench-coat) qui marchent à vive allure.

Puis les comédiens apportent un lit, une table, un portemanteau… Et nous voici chez Linda et Willy Loman, un voyageur de commerce sur le retour (il a 63 ans) qui rentre épuisé de sa tournée.

Très vite, on comprend que Willy est en pleine confusion et qu’il est usé par 34 ans passés sur la route à démarcher le client.

Il soliloque, il se réfugie dans la nostalgie d’un temps passé où il y avait encore des arbres dans son quartier et où la communication avec ses enfants était facile. Ses deux fils qui, maintenant, espionnent avec inquiétude leur père qui décaroche tout seul dans sa cusine.

Car il y a quelque chose de pourri au Royaume des Lonan. À bientôt trente ans, Biff (Marc Lamigeon), le fils aimé, se cherche encore. Happy, le cadet compense en faisant tomber les filles comme des quilles de bowling. Quant à Linda, elle feint d’être dupe de la forfanterie de son mari, autoproclamé « Roi de la Nouvelle-Angleterre ».

Tout le monde joue la comédie de la réussite mais étouffe sous la pression sociale.

« Tu ne peux pas tâter le terrain toute ta vie, Biff !»
« Passer toute sa vie à gérer des stocks ?! »

L’interprétation de Vincent Garanger dans le rôle de Willy m’a beaucoup impressionné. Il joue de façon réellement convaincante un homme confus, passant en un souffle de la vitalité débordante au désarroi le plus complet. Pour autant, le spectacle n’est pas centré sur la performance (et quelle performance !) de ce seul comédien. C’est un beau travail de troupe où tout le monde est à l’unisson.

Les autres interprètes ne sont pas en reste. La scène où Linda explique à ses fils qu’ils doivent respect et admiration à leur père est bouleversante. Le public est attentif et fasciné, l’atmosphère dans la salle se densifie.

La mise en scène est fluide, il n’y a pas de temps mort entre les scènes et pas de place pour l’ennui. Au contraire j’étais subjugué par l’intensité du drame et par la force de l’interprétation qui plonge le public dans une concentration et un silence absolus.

La scénographie est dynamique et belle esthétiquement.

Grâce à quelques effets simples en apparence, on voyage à travers les lieux et les époques. On retourne une nappe, on change une chaise et hop, on passe d’un restaurant guindé à une cuisine modeste. Par le jeu des costumes, on traverse les épisodes de la vie des personnages, sur une période de plus de vingt ans. Et le travail sonore est bien maîtrisé.

C’est un spectacle impressionnant de maîtrise de justesse et d’émotion, sans jamais tomber dans la démonstration de prétention. C’est sobrement magique.

Jusqu'au 09 novembre 2024
Théâtre Montansier Versailles
2h30

De Arthur Miller, traduction Kelly Rivière, mise en scène Philippe Baronnet, lumières Maxime Rousseau, son Haldan de Vulpillières avec le renfort en régie de Jean-Baptiste Augros, costumes Emilie Baillot, perruques, maquillage Cat Vandamme, collaboration artistique Alain Deroo, Marie-Cécile Ouakil, Michaël Pruneau,
avec Vincent Garanger, Anne Cressent, Marc Lamigeon, Romain Fauroux, René Turquois, Samuel Churin, Nine de Montal, Philippe Baronnet
production Jérôme Broggini, production déléguée Les Échappés vifs

coproduction Théâtre Montansier/Versailles, Théâtre de Rungis, Le Trident Scène nationale/Cherbourg-en-Cotentin, Théâtre municipal/Coutances, DSN Dieppe Scène nationale, CA Mont Saint-Michel Normandie

La Petite Communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon, Babel

Je n’avais jamais entendu parler de Nadia Comaneci (oui, je sais, il paraît que je suis un OVNI !), mais cela ne m’a pas empêché d’être passionné par l' histoire de cette gymnaste, brillamment racontée par Lola Lafon.

Je vais vous parler d’un temps que les moins de 45 ans ne peuvent pas connaître, ce qui ne les empêchera pas d’apprécier un texte résolument actuel.

En 1986, les Jeux Olympiques d’été se déroulent à Montréal, haut lieu d’affrontement symbolique entre l’URSS et les États-Unis. À la frontière des deux blocs, il y a la Roumanie de Ceaucescu.

Le dictateur voudrait profiter de la mondovision pour faire la promotion de son petit pays soviétique et pour montrer ses muscles à son grand frère Russe.

Le vieux chef d’état est trop heureux d’utiliser à son profit l’image d’une géniale gymnaste de 14 ans à peine qui met un sacré coup de vieux à sa concurrente russe d’une vingtaine d’années en obtenant le premier 10 sur 10 de l’Histoire en gymnastique. Même l’écran d’affichage des scores n’en croyait pas ses yeux !

Moi, je n’ai jamais aimé la gymnastique féminine. Ces enfants fardées en reines de beauté m’ont toujours mis mal à l’aise, même si j’admire leurs performances.

C’est bien pratique les petites filles obéissantes et taiseuses, on peut leur faire dire et faire ce qu’on veut.

Et puis on peut fantasmer… Les hommes peuvent se rincer l’oeil. On est, à cette époque, en pleine érotisation du corps des fillettes. En témoigne cette publicité américaine pour un parfum, mettant en scène une « petite fille en robe blanche (… de) huit ans. Au bas de l’affiche, ce slogan : « Parce que l’innocence est plus sexy que vous ne l’imaginez… » » (Page 124) !

Oui mais voilà. Nadia, elle, ne rêve pas de devenir une femme réduite à la séduction. D’ailleurs, les petites filles de tous les pays ne s’y trompent pas et s’identifient à cette étrange et mutique enfant qui défie les lois de la pesanteur et dont la force discrète est source d’espoir.

« On ne devrait pas appeler ça de la gym féminine, c’est sûr, les spectateurs ne viennent pas pour voir des femmes… Vous savez, si les lycras de compétition ont toujours des manches longues, c’est pour cacher les bras des filles. Nos biceps, nos veines. Parce qu’il ne faut surtout pas avoir l’air masculines non plus! ». (Page 127)

Ne pas avoir l’air masculine, mais ne pas non plus être une femme. Parce qu’une femme, avec ses règles, pour les hommes, c’est dégoûtant. Pour le plaisir des spectateurs, il aurait fallu que Nadia reste une elfe aux aptitudes de guerrière.

Petite fille deviendra grande. Et à dire vrai l’on n’aime pas trop les femmes, surtout celles qui s’osent publiquement fortes et talentueuses.

Avec élégance, Lola Lafon offre toujours un contrepoint à son propos. En s’imaginant dialoguer avec Nadia, l’autrice relativise ses propres certitudes. Non! l’utilisation brutale et cynique des sportifs à des fins de propagande n’était pas l’apanage des soviétiques, et oui! la Roumanie des 80’s fait office de miroir à peine déformant du monde occidental des 2020’s. (Songez donc aux Jeux Olympiques de Paris acclamés sans réserve…)

Pour le show, on accepte que des fillettes risquent la paraplégie. Pour le show, on tolère des méthodes plus que contestables.

Et question domination masculine, pas sûr qu’on soit bien meilleurs non plus. Les femmes sont réduites à être de dociles machines à donner du rêve ou à procréer. Pas d’autre alternative.

Comme dans l’excellent Quand tu écouteras cette chanson (consacré à Anne Franck), Lola Lafon nous rappelle que les petites filles sont bien plus fortes que l’image qu’on en a.

"On ne devrait pas appeler ça de la gym féminine, c'est sûr, les spectateurs ne viennent pas pour voir des femmes... Vous savez, si les lycras de compétition ont toujours des manches longues, c'est pour cacher les bras des filles. Nos biceps, nos veines. Parce qu'il ne faut surtout pas avoir l'air masculines non plus!". (Page 127)

Ne pas avoir l'air masculine, mais ne pas non plus être une femme. Parce qu'une femme, avec ses règles, pour les hommes, c'est dégoûtant. Il aurait donc fallu que Nadia reste une elfe aux aptitudes de guerrière, pour le plaisir des spectateurs.

Petite fille deviendra grande. Et à dire vrai l'on n'aime pas trop les femmes, surtout celles qui sont fortes et talentueuses.

Avec élégance, Lola Lafon offre toujours un contrepoint à son propos. En s'imaginant dialoguer avec Nadia, l'autrice relativise ses certitudes. Non l'utilisation brutale et cynique des sportifs à des fins de propagande n'était pas l'apanage des soviétiques, et oui la Roumanie des 80's fait office de miroir à peine déformant du monde occidental des 2020's. Songez donc aux Jeux Olympiques de Paris acclamés sans réserve...

Pour le show, on accepte que des fillettes risquent la paraplégie. Pour le show, on tolère des méthodes plus que contestables.

Et question domination masculine, pas sûr qu'on soit bien meilleurs non plus. Les femmes réduites à être de dociles machines à donner du rêve ou à procréer, pas d'autre alternative.

Comme dans l'excellent Elle est à toi cette chanson (consacré à Anne Franck), Lola Lafon nous rappelle que les petites filles sont bien plus fortes que l'image qu'on en a.

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