Machine de cirque, La Scala Paris
En pensant au cirque, j'ai en tête l'image des grandes maisons circassiennes (leur côté parfois un peu démodé) et la sortie du dimanche sous les chapiteaux rouges. Cependant, avec Machine de Cirque, l'approche est bien plus innovante : c'est un conte poétique et moderne qui reprend certains codes de l'art en question sous un angle cabaret, avec beaucoup de finesse et d'humour. Alors, à 34 ans, il faut que je me rende à l'évidence : je suis encore une grande enfant qui s'émerveille des belles choses et des acrobaties spectaculaires.
Au tout début du spectacle, j'ai été un peu décontenancée par la cacophonie autour de l'ingénieux échafaudage fait de bric et de broc qui est la pièce maîtresse du décor (je pense que je ne m'étais pas encore remise de mon trajet bondé et lent de la ligne 8 du métro parisien), puis très vite je me suis laissée porter.
Entre numéros envoûtants en solo et acrobaties à plusieurs, mise à (demi)nu clownesque avec des jeux de serviettes à faire trembler d'angoisse et de rire, jonglages endiablés au rythme des percussions, habiles jeux de lumières, on ressent un bel enthousiasme et le sourire des artistes est particulièrement communicatif.
Je dis un grand bravo à l'équilibriste avec son magnifique numéro à bicyclette (qui m'a aussi fait culpabiliser de ne pas avoir suffisamment d'abdos et de réflexes ce qui m'aurait peut-être permis d'éviter une chute à vélo la semaine d'avant). Et sans trop en dévoiler, chapeau bas pour la prouesse du numéro final : j'étais bouche bée et a priori je n'étais pas la seule si j'en crois les réactions du public.
Les six trublions de cette compagnie québécoise à succès (plus de 300 000 spectateurs depuis 2013) ont su me cueillir, j'ai souri tout le long et souvent ri. Je leur dis donc merci de m'avoir sortie de ma torpeur parisienne.
Du 12 novembre 2024 au 5 janvier 2025
La Scala Paris
Mise en scène Vincent Dubé
Avec William Borges, Olivier Buti, Francis Gadbois, Andras Jagudits et Matthes Speidel
Musicien (en alternance) : Jérémie Carrier, Olivier Forest et Frédéric Lebrasseur
1h30
De 13€ à 52€
A partir de 6 ans
Game Story, Ancienne Poste, Versailles
A l'Ancienne Poste, nouveau lieu d'exposition aux volumes généreux, la Ville de Versailles a la bonne idée de proposer jusqu'au 13 avril 2025 une exposition consacrée à l'Histoire des jeux vidéos, une saga qui démarra en 1958 avec une bande d'ingénieurs qui a eu l'idée saugrenue de s'amuser avec un oscilloscope (mais si, souvenez-vous de vos cours de Physique-Chimie au collège !).
Je vous rassure tout de suite, Game Story n'est pas une rétrospective théorique et barbante, même si le contenu éditorial est assez encyclopédique. Car la bonne nouvelle, c'est qu'on peut jouer pour de vrai ! Il y a en effet une centaine de jeux jouables, de l'antique Pong sur console Atari jusqu'aux derniers jeux criant de vérité, en passant par les consoles Nintendo, SEGA, Playstation et autres hits, sans oublier des machines très confidentielles, voire rares.
Attention, Game Story n'est pas une exposition pour boomers ou quinqua nostalgiques, c'est vraiment un beau moment de partage, entre les visiteurs de tous âges, mais aussi au sein des familles.
Il y a tellement de jeux que les deux heures de visite maximum qui nous allouées à l'entrée ne sont pas de trop pour tout voir. Malgré l'affluence, on parvient à tester beaucoup de consoles, ordinateurs (Ah ! l'Amstrad CPC6128 ou l'Atari de mon adolescence !), mais bon, bien sûr, vous n'aurez pas le temps de terminer Zelda...
Pour résumer, j'ai envie de dire que, dans le public, tout le monde joue le jeu !
Jusqu'au 13 avril 2025
Ancienne Poste, 3 avenue de Paris, Versailles
du mercredi au vendredi 12H - 19H | samedi et dimanche 10H - 19H
tarif 7 € | GRATUIT POUR LES - 26 ANS
avec l'Association MO5 pour la préservation du patrimoine numérique
Come Bach, Gérard Rauber, Lucernaire
Certains week-ends, il fait gris, on est fatigué, alors pourquoi sortir ? Hé bien, pour aller au théâtre, voyons. On ne le sait pas encore, mais on ne le regrettera pas.
« Come bach » : titre un peu laminaire, jeu de mots, mais qu’ y a -t -il derrière ? Un concert comme on en a tant vu ? Un récital banal ?
Non, pas du tout. Sur scène, il y a quatre filles incroyables. Elles sont là, totalement là. Elles emplissent la scène de légèreté et de lumière et les spectateurs les regardent ébahis. Comme ils le seront jusqu’à la fin du spectacle.
Mais qui sont-elles donc, ces quatre femmes souriantes et si douées ?
D’abord, il y a Anne Baquet, qui a dû faire des envieux. Quelle voix ! Quelles voix ! On ferme les yeux et c’est Fréhel qui chante, on les ferme encore, et cette voix, le travail la rend contemporaine. Légère et souple, elle s’affirme soudain dans un long et bel envol. Concerts baroques, récompenses, créations, Anne Baquet a, excusez du peu, un vrai parcours.
Et ses acolytes ? Claude Collet, la pianiste, lauréate de concours internationaux, pianiste d’orchestre à Radio-France, elle a, comme Anne Baquet, enregistré plusieurs CD. Et elle enseigne au conservatoire Maurice-Ravel. Talentueuse aussi, en somme.
La contrebassiste Annandine Dehant, troisième de ce quatuor, est aussi virtuose que les autres. On sent chez elle (Premier prix de contrebasse au CNSM de Paris) un intérêt pour le travail scénique, la recherche, un travail peu commun avec cet instrument. Lorsqu’on l’observe attentivement, elle semble d’ailleurs faire corps avec sa contrebasse.
Et soudain, éblouis et le cœur battant, on entend le hautbois et cor anglais d’Anne Régnier. Le souffle coupé, on se laisse emporter. Quelle puissance et quelle élégance… Elle aussi est lauréate du CNSM sans oublier soliste à l’orchestre de l’Opéra national de Paris.
Une fois que j’ai déchiffré leurs parcours et commencé à m’émouvoir, hé bien, je fais comme les autres spectateurs : je me laisse envoûter, ponctuant parfois ces délicieuses sensations d’un sonore « Bravo ».
Quel surprenant et réjouissant spectacle autour de ce très grand musicien qu’était Bach. Elles le revisitent avec humour et brio : promenant leurs instruments sur le piano, chantant et dansant ensemble, mais toujours sans chaises ni partitions. Ici, on invente, on imagine, on s’amuse et ces quatre femmes décalées n’hésitent pas à faire appel à certains de ceux que Bach a inspirés, notamment : Maxime Leforestier (La petite fugue), Isabelle Mayereau et Marie-Paule Belle (12345), Bernard Joyet (D’abord ton Bach).
Sans oublier Bach lui-même (Badinerie, Toccata en ré mineur).
Le tout interprété avec un vif plaisir par ces quatre artistes très complices et souriantes. Un long et beau travail qui, bien évidemment, s’est achevé par des applaudissements et des bravos sonores et répétés. Bien mérités.
Reprise du 13 novembre 2024 au 12 janvier 2025
Jusqu'au 24 mai 2024
à 19 H du mardi au samedi et le dimanche à 16H
au Lucernaire (Paris VIème)
Mise en scène Gérard Rauber
Avec Anne Baquet, Claude Collet, Amandine Dehant et Anne Régnier
Durée : 1H10 | de 15 à 30 €
Check-Up, Sébastien Thiéry, Jean-Louis Benoît, Théâtre Antoine
Jean-Marc Lelièvre (Bernard Campan) se rend à l'hôpital où il a été convoqué par le Docteur Lewandowski, un médecin dont il n'a jamais entendu parler. Dès le départ, tout va de travers. Pour preuve, tout est jaune au pavillon bleu ! Et lorsqu'il donne son numéro de sécurité sociale, le voilà rebaptisé Monsieur Lapin...
"C'est bien votre numéro de Sécurité sociale (... donc) il n'y a pas d'erreur possible !"
C'est un monde kafkaïen dans lequel on entre en compagnie de Jean-Marc, ce que souligne d'ailleurs le décor dans ses hésitations entre lumière blafarde et jaune pisseux. (Un beau décor soit dit en passant, avec des éléments gigognes, des murs qui descendent du plafond, des panneaux amovibles...)
Tout au long de la pièce, notre héros est confronté à la folie administrative et médicale. Tout cela pourrait être angoissant si la pièce n'était pas si bien menée. Je me suis demandé combien de temps ils arriveraient à tenir avec cette histoire à dormir debout. Car il faut du talent pour tirer un simple quiproquo sur 1h30 !
La pièce s'étire en longueur, on s'enfonce dans la folie avec des gags qui utilisent toujours les mêmes ressorts et pourtant on ne s'ennuie pas du tout. Au contraire, le public (moi y compris) rit haut et clair toutes les deux minutes.
Le jeu des comédiens est honnête, ils font bien le job. Mention spéciale pour Manuel le Lièvre qui incarne Will, le voisin de chambre de Jean-Marc. A l'instar d'un Régis Laspalès, il a une vraie présence comique et il lui suffit d’être sur scène en arrière plan pour nous faire rire. J'aurais juste aimé que Bernard Campan lâche un peu plus les chevaux pour ce rôle qui recèle toute une palette de sentiments.
Jusqu'au 22 Novembre 2024
Théâtre Antoine, Paris Xème
De : Sébastien Thiéry
Avec : Bernard Campan, Valérie Keruzore, Manuel le Lièvre, Florence Muller, Emil Abossolo Mbo
Mise en scène : Jean-Louis Benoît
Mort d’un commis voyageur, Arthur Miller, Philippe Baronnet, Montansier
Une pièce de 2h30 sans entracte?! J'avoue avoir eu un peu peur de m'ennuyer. Au contraire, j'ai eu la chance d'assister à un spectacle captivant, porté par des comédiens impressionnants.
L’entrée en matière de la pièce est belle, visuellement parlant. Pas de panneaux de décor, une scène vide traversée par des silhouettes style années 50 (feutre et trench-coat) qui marchent à vive allure.
Puis les comédiens apportent un lit, une table, un portemanteau… Et nous voici chez Linda et Willy Loman, un voyageur de commerce sur le retour (il a 63 ans) qui rentre épuisé de sa tournée.
Très vite, on comprend que Willy est en pleine confusion et qu’il est usé par 34 ans passés sur la route à démarcher le client.
Il soliloque, il se réfugie dans la nostalgie d’un temps passé où il y avait encore des arbres dans son quartier et où la communication avec ses enfants était facile. Ses deux fils qui, maintenant, espionnent avec inquiétude leur père qui décaroche tout seul dans sa cusine.
Car il y a quelque chose de pourri au Royaume des Lonan. À bientôt trente ans, Biff (Marc Lamigeon), le fils aimé, se cherche encore. Happy, le cadet compense en faisant tomber les filles comme des quilles de bowling. Quant à Linda, elle feint d’être dupe de la forfanterie de son mari, autoproclamé « Roi de la Nouvelle-Angleterre ».
Tout le monde joue la comédie de la réussite mais étouffe sous la pression sociale.
« Tu ne peux pas tâter le terrain toute ta vie, Biff !»
« Passer toute sa vie à gérer des stocks ?! »
L’interprétation de Vincent Garanger dans le rôle de Willy m’a beaucoup impressionné. Il joue de façon réellement convaincante un homme confus, passant en un souffle de la vitalité débordante au désarroi le plus complet. Pour autant, le spectacle n’est pas centré sur la performance (et quelle performance !) de ce seul comédien. C’est un beau travail de troupe où tout le monde est à l’unisson.
Les autres interprètes ne sont pas en reste. La scène où Linda explique à ses fils qu’ils doivent respect et admiration à leur père est bouleversante. Le public est attentif et fasciné, l’atmosphère dans la salle se densifie.
La mise en scène est fluide, il n’y a pas de temps mort entre les scènes et pas de place pour l’ennui. Au contraire j’étais subjugué par l’intensité du drame et par la force de l’interprétation qui plonge le public dans une concentration et un silence absolus.
La scénographie est dynamique et belle esthétiquement.
Grâce à quelques effets simples en apparence, on voyage à travers les lieux et les époques. On retourne une nappe, on change une chaise et hop, on passe d’un restaurant guindé à une cuisine modeste. Par le jeu des costumes, on traverse les épisodes de la vie des personnages, sur une période de plus de vingt ans. Et le travail sonore est bien maîtrisé.
C’est un spectacle impressionnant de maîtrise de justesse et d’émotion, sans jamais tomber dans la démonstration de prétention. C’est sobrement magique.
Jusqu'au 09 novembre 2024
Théâtre Montansier Versailles
2h30
De Arthur Miller, traduction Kelly Rivière, mise en scène Philippe Baronnet, lumières Maxime Rousseau, son Haldan de Vulpillières avec le renfort en régie de Jean-Baptiste Augros, costumes Emilie Baillot, perruques, maquillage Cat Vandamme, collaboration artistique Alain Deroo, Marie-Cécile Ouakil, Michaël Pruneau,
avec Vincent Garanger, Anne Cressent, Marc Lamigeon, Romain Fauroux, René Turquois, Samuel Churin, Nine de Montal, Philippe Baronnet
production Jérôme Broggini, production déléguée Les Échappés vifs
coproduction Théâtre Montansier/Versailles, Théâtre de Rungis, Le Trident Scène nationale/Cherbourg-en-Cotentin, Théâtre municipal/Coutances, DSN Dieppe Scène nationale, CA Mont Saint-Michel Normandie
La Petite Communiste qui ne souriait jamais, Lola Lafon, Babel
Je n’avais jamais entendu parler de Nadia Comaneci (oui, je sais, il paraît que je suis un OVNI !), mais cela ne m’a pas empêché d’être passionné par l' histoire de cette gymnaste, brillamment racontée par Lola Lafon.
Je vais vous parler d’un temps que les moins de 45 ans ne peuvent pas connaître, ce qui ne les empêchera pas d’apprécier un texte résolument actuel.
En 1986, les Jeux Olympiques d’été se déroulent à Montréal, haut lieu d’affrontement symbolique entre l’URSS et les États-Unis. À la frontière des deux blocs, il y a la Roumanie de Ceaucescu.
Le dictateur voudrait profiter de la mondovision pour faire la promotion de son petit pays soviétique et pour montrer ses muscles à son grand frère Russe.
Le vieux chef d’état est trop heureux d’utiliser à son profit l’image d’une géniale gymnaste de 14 ans à peine qui met un sacré coup de vieux à sa concurrente russe d’une vingtaine d’années en obtenant le premier 10 sur 10 de l’Histoire en gymnastique. Même l’écran d’affichage des scores n’en croyait pas ses yeux !
Moi, je n’ai jamais aimé la gymnastique féminine. Ces enfants fardées en reines de beauté m’ont toujours mis mal à l’aise, même si j’admire leurs performances.
C’est bien pratique les petites filles obéissantes et taiseuses, on peut leur faire dire et faire ce qu’on veut.
Et puis on peut fantasmer… Les hommes peuvent se rincer l’oeil. On est, à cette époque, en pleine érotisation du corps des fillettes. En témoigne cette publicité américaine pour un parfum, mettant en scène une « petite fille en robe blanche (… de) huit ans. Au bas de l’affiche, ce slogan : « Parce que l’innocence est plus sexy que vous ne l’imaginez… » » (Page 124) !
Oui mais voilà. Nadia, elle, ne rêve pas de devenir une femme réduite à la séduction. D’ailleurs, les petites filles de tous les pays ne s’y trompent pas et s’identifient à cette étrange et mutique enfant qui défie les lois de la pesanteur et dont la force discrète est source d’espoir.
« On ne devrait pas appeler ça de la gym féminine, c’est sûr, les spectateurs ne viennent pas pour voir des femmes… Vous savez, si les lycras de compétition ont toujours des manches longues, c’est pour cacher les bras des filles. Nos biceps, nos veines. Parce qu’il ne faut surtout pas avoir l’air masculines non plus! ». (Page 127)
Ne pas avoir l’air masculine, mais ne pas non plus être une femme. Parce qu’une femme, avec ses règles, pour les hommes, c’est dégoûtant. Pour le plaisir des spectateurs, il aurait fallu que Nadia reste une elfe aux aptitudes de guerrière.
Petite fille deviendra grande. Et à dire vrai l’on n’aime pas trop les femmes, surtout celles qui s’osent publiquement fortes et talentueuses.
Avec élégance, Lola Lafon offre toujours un contrepoint à son propos. En s’imaginant dialoguer avec Nadia, l’autrice relativise ses propres certitudes. Non! l’utilisation brutale et cynique des sportifs à des fins de propagande n’était pas l’apanage des soviétiques, et oui! la Roumanie des 80’s fait office de miroir à peine déformant du monde occidental des 2020’s. (Songez donc aux Jeux Olympiques de Paris acclamés sans réserve…)
Pour le show, on accepte que des fillettes risquent la paraplégie. Pour le show, on tolère des méthodes plus que contestables.
Et question domination masculine, pas sûr qu’on soit bien meilleurs non plus. Les femmes sont réduites à être de dociles machines à donner du rêve ou à procréer. Pas d’autre alternative.
Comme dans l’excellent Quand tu écouteras cette chanson (consacré à Anne Franck), Lola Lafon nous rappelle que les petites filles sont bien plus fortes que l’image qu’on en a.
"On ne devrait pas appeler ça de la gym féminine, c'est sûr, les spectateurs ne viennent pas pour voir des femmes... Vous savez, si les lycras de compétition ont toujours des manches longues, c'est pour cacher les bras des filles. Nos biceps, nos veines. Parce qu'il ne faut surtout pas avoir l'air masculines non plus!". (Page 127)
Ne pas avoir l'air masculine, mais ne pas non plus être une femme. Parce qu'une femme, avec ses règles, pour les hommes, c'est dégoûtant. Il aurait donc fallu que Nadia reste une elfe aux aptitudes de guerrière, pour le plaisir des spectateurs.
Petite fille deviendra grande. Et à dire vrai l'on n'aime pas trop les femmes, surtout celles qui sont fortes et talentueuses.
Avec élégance, Lola Lafon offre toujours un contrepoint à son propos. En s'imaginant dialoguer avec Nadia, l'autrice relativise ses certitudes. Non l'utilisation brutale et cynique des sportifs à des fins de propagande n'était pas l'apanage des soviétiques, et oui la Roumanie des 80's fait office de miroir à peine déformant du monde occidental des 2020's. Songez donc aux Jeux Olympiques de Paris acclamés sans réserve...
Pour le show, on accepte que des fillettes risquent la paraplégie. Pour le show, on tolère des méthodes plus que contestables.
Et question domination masculine, pas sûr qu'on soit bien meilleurs non plus. Les femmes réduites à être de dociles machines à donner du rêve ou à procréer, pas d'autre alternative.
Comme dans l'excellent Elle est à toi cette chanson (consacré à Anne Franck), Lola Lafon nous rappelle que les petites filles sont bien plus fortes que l'image qu'on en a.
L’histoire de Souleymane, Boris Lojkine
Un homme pressé. Par le temps. Par les autres. Par l’histoire. Un portrait bouleversant des nombreuses ombres que l’on devine mais que l’on ne regarde jamais vraiment.
Il y a une seule scène où l’on souffle dans ce film discret et puissant: Souleymane, le livreur exploité aide René, un vieux monsieur en difficulté pour préparer sa pizza. Un petit moment tendre où Souleymane devient autre chose que le type qui dépose vos repas chez vous.
Un moment simple et tellement important pour ce héros qui ne fait que subir constamment. Dans deux jours, il doit passer un entretien pour valider ou non son asile en France. Il dort dans un dortoir social, prend l’identité d’un ami pour ses livraisons, doit gérer les doutes de sa fiancée et se demande ce qu’il fait ici…
Car le Paris nocturne devient une sorte de labyrinthe coloré où la violence est beaucoup moins sourde qu’en journée. Souleymane est une victime et ne profite aucunement du système. Il est un petit rouage de l’exploitation acceptée et une authentique victime d’une administration absurde.
Le film devient alors un thriller social qui nous amène à prendre conscience, sans angélisme, de la honteuse condition des sans papiers en France. La réalisation colle à son personnage principal et nous rappelle presque les règles dépouillées de Lars Von Trier: être au plus près du sujet et faire sentir ses angoisses et ses joies. Le Dogme 95 cherchait une forme de vérité dans le 7e art: c’est ce que fait le cinéaste Boris Lojkine.
Il nous fait respirer l’enfer d’un homme perdu et surtout pressé. Seuls la vitesse et le déplacement sont autorisés à un migrant qui n’aspire qu’à la paix et à la certitude d’exister quelque part. C’est une perpétuelle course contre la montre et c’est épuisant. En une heure trente, le réalisateur nous amène à un constat amer et désespérant où l’individu est broyé malgré tous ses efforts.
C’est bien entendu utile de voir ce film car le cinéma nous amène à regarder autrement le quotidien et casse une fois de plus les clichés et les conventions. C ‘est une oeuvre crue, qui vient vous cueillir sur vos certitudes et surtout vos émotions. C’est une histoire. Toute petite mais tout à fait importante.
Avec Abou Sangare, NIna Meurisse, Alpha Oumar Saw - Dire - 1h32
The Apprentice, Ali Abbasi, Metropolitan Filmexport
Donald Trump est un grand malade. Un film se charge d’expliquer ce qu’il s’est passé..
Et attention les mirettes! Sebastian Shaw, acteur assez discret, vu dans les films Marvel, va véritablement vous faire flipper. On débute le film en devinant l’acteur qui imite le Président américain puis il devient le sinistre personnage que l’on connaît.
C’est franchement effrayant. La performance fait froid dans le dos car le réalisateur nous montre comment le mal finit par habiter le personnage mais aussi l’acteur, qui rend les minutes du métrage de plus en plus malaisantes. Le cinéaste Ali Abbasi nous plonge dans l'âme sombre de l’Amérique sans retenue et un angoisse purement cinématographique naît.
Il utilise habilement une image vintage pour raconter les jeunes années de Donald Trump, arriviste dans l’immobilier, en attente des pires crasses pour arriver à être mis en avant et célébrer une Amérique capitaliste et dangereuse.
Épris de reconnaissance, il va s’allier au terrible Roy Cohn, avocat véreux et conservateur qui sera son mentor pour oublier toute éthique et affirmer une soif de puissance sans complexe. Le réalisateur nous met dans le cerveau malade d’un homme aigri et délirant.
Grandeur et décadence. C’est une sujet assez classique dans le cinéma américain quand il s’intéresse à ses présidents mais Ali Abbasi, par ses moyens restreints, n’utilise jamais la grandiloquence de la mise en scène mais plutôt un coté intimiste qui finit par surprendre. Il fait du Scorsese avec ses possibilités, et ça fonctionne plutôt bien.
Esthétiquement on devine un réalisateur qui se dépatouille pour trouver un style rétro et coller à la réalité des années 80, mais il n’oublie jamais son sujet : la fabrique d’un monstre. Et c’est une vraie séance de cinéma qui s’annonce : les personnages sont ambigus, délirants et cela colle à l’écran.
La volonté d’expliquer le présent par le passé est un peu poussive mais le réalisateur aspire à montrer frontalement comment un cynisme total peut provoquer la jouissance et en même temps la désespérance.
Avec Donald Trump, on voit le réel s’échapper, on reconnaît l’homme politique qui fera tant de mal à la démocratie, on relève un vrai sujet de cinéma où l’apparence cache bien des choses. C’est troublant et on est loin des conventions habituelles des biopics. Ce n’est pas un chef d'œuvre, mais un long métrage qui nous interroge. C’est déjà beaucoup.
Avec Sebastian Shaw, Jeremy Strong et Martin Donovan - Metropolitan Filmexport - 2h
Point de vue image du monde, Coldplay, Godspeed you Black Emperor, Avishai Cohen
La musique est un divertissement. Un art. Un plaisir. Un acte politique. Une industrie. Les petits gars de Coldplay ont bien compris cela : ils sont devenus planétaires. Ils errent sur les réseaux sociaux et sur la bien pensance avec des idées braves et courageuses. Ils n'aiment pas la guerre, la violence et les injustices. Ils invitent tout le monde à s'inscrire à Amnesty International. Ils ne veulent plus tourner parce que cela pollue...
Après de très bons albums, les membres de Coldplay sont devenus les Bisounours du rock, avec des ambitions louables mais des idées de musique de plus en plus fades. Tout le monde les adore et c'est bien cela le problème. Leur musique s'est édulcorée au fil du temps. Le groupe annonce qu'il va bientôt s'arrêter. Ça ressemble à un aveu de manque d'inspiration. Ce dixième effort, Moon Music, veut nous envoyer dans l'espace mais on se trouve plutôt dans un tunnel d'ennui poli. Ils n'agacent même plus car il y a un savoir-faire et ce sont des indécrottables optimistes. On ne peut pas leur enlever cela !
Mais on sera plus curieux de l'effort fait par Godspeed you Black Emperor en faveur de la Palestine. Voilà un groupe psychédélique qui redescend sur Terre et fait sa misère à la violence des hommes et aux infamies des tyrans.
Parce que leur son est virevoltant. Il imite une guerre mais il en sort une espèce de lumière spectrale qui nous fait voir le Monde autrement. Sans titre, le disque s'annonce comme un coup de pied au réel, avec des guitares incroyables qui se font l'écho respectable d'une ignominie dénoncée par une énergie que l'on ne connaissait plus à ce groupe canadien toujours en train de chercher...
A la différence de Coldplay, ce groupe affronte la réalité et lui renvoie une image contemplative et pourtant directe. La sauvagerie s'illustre sur les longues plages mais l'ambiance reste à la réflexion. L'exercice n'est pas facile d'approche mais on doit reconnaître que cette façon de foncer vers la monstruosité et en sortir quelque chose de beau, est une vraie forme d'héroïsme et de rapporter ce qu'il se passe en Palestine.
La guerre hante aussi le nouveau récit du trompettiste Avishai Cohen (pas le bassiste). L'approche est morale et très mélodique. Une flûte ouvre le bal d'une histoire qui va se remplir de plusieurs émotions. Dans Ashes to Gold, la guerre est là et le souffle de Cohen nous fait entendre les atermoiements des gens touchés par la violence la plus effroyable.
Le quartet est en symbiose. On devine le travail collectif pour résister. On croit en ces plages d'émotions, magnifiquement illustrées par les musiciens. C'est très compact. Mais la sincérité transpire sur les notes étirées et les filouteries du quartet.
La solution du trompettiste, c'est jouer coûte que coûte. Face au désarroi, il convoque Ravel et il est certain que le classique a toujours lorgné avec le jazz de Avishai Cohen. Cela semble vital après ces morceaux désappointés mais tellement virtuoses. Il retrouve même un peu d'espoir avec un dernier morceau écrit avec sa fille.
Dans ces trois disques, très différents, il y a bien l'idée d'une transcendance par la musique. D'où son extrême importance lorsque rien ne va...
Lettres d’excuses, Patrick Chesnais, Lucernaire
Même s'il rechigne à y croire, Patrick Chesnais vieillit. Il est des signes qui ne trompent pas : il triche sur son année de naissance, un jeune homme lui cède sa place dans le bus et puis la prostate... "La prostate qui grossit, c'est un marqueur absolu d'une grande maturité" !
À l'heure de faire le bilan, il fallait toute l'élégance de Patrick Chesnais pour dresser un inventaire fait de ratages flamboyants ou pathétiques. Depuis mon enfance ("ma grand-mère vous adore depuis qu'elle est toute petite !"), j'ai de l'affection pour ce comédien à l'air triste mais joyeux et je me souviens de ma compassion quand j'ai appris en 2006 la mort de son fils, victime d'un chauffard.
C'est d'ailleurs à ce fils décédé, Ferdinand, que Patrick Chesnais consacre sa première lettre d'excuses. "Mon petit Ferdinand, je te demande pardon de n'avoir pas pu profiter un peu plus longtemps de tes beaux yeux bleus." C'est une déclaration sobre et belle, vraiment poignante. (En l'écoutant, j'ai senti une grosse larme couler sur ma joue.)
Pendant un peu plus d'une heure, Patrick Chesnais nous lit ses lettres d'excuses écrites à celles et ceux qu'il a blessés au cours de sa vie. Il le fait sans se donner le beau rôle. Il écrit à sa mère qui a terminé sa vie en EHPAD ("Je t'ai laissée tombée, ma mère"), à sa Mémé de la Garenne, à sa jeunesse, à sa vieillesse, à Naomi Watts ou encore à Jack Nicholson.
C'est doux amer, c'est tragique et joyeux comme la vie, c'est un beau moment passé en compagnie d'un homme attachant.
Jusqu'au 18 novembre 2024
Théâtre du Lucernaire - Paris VIème
Texte et interprétation Patrick Chesnais
Assisté d'Emilie Chesnais
1h10 | de 10€ à 32€