Il y a une vie après la mort, Virginie Lefebvre, Éditions Michel Lafon

Si presque tout le monde sait ce qu’est une voyante, une tireuse de cartes (notamment le tarot de Marseille), on sait moins ce que signifie le terme « médium ».

Certes, une série télévisée américaine des années 2000 avait mis en lumière ce sujet. Pour résumer, un médium, ça communiquait avec les défunts. Ce qui permettait à l’actrice d’aider activement la police pour élucider des crimes.

L’histoire est inspirée d’une femme qui a réellement existé. Ce qui n’a pas empêché nombre de ses contemporains de hausser les épaules et de se montrer incrédules.

Aujourd’hui, les médiums déplacent les foules en mal de communication avec leurs morts. Par téléphone, en visio, en présentiel, tout est possible désormais.

Mais Virginie Lefebvre va plus loin. Ancienne policière, elle a décidé un jour de se consacrer entièrement à son don de médiumnité. Dans Il y a une vie après la mort, elle raconte des échanges, des rencontres avec nos disparus mais aussi avec ceux qui restent. Lors de ses conférences et surtout de ses séances « de médiumnité en salle », elle déplace les foules. Durant ces séances, chaque personne vient déposer une photo d’un proche près du médium avant d’aller s’installer dans la salle. Nombre d’entre elles arrivent sceptiques, juste pour voir, et ressortent bluffées.

Car cette pratique peut paraître déroutante, mais donne des résultats. Elle explique ses techniques pour entrer en contact avec les défunts, qui viennent plutôt à elle. Comment communiquent-ils ? Tout cela demeure un peu flou, presque comme une transe au vu de ce qu’elle décrit dans son livre, mais ça marche. Elle « sait » qui est là et le message qu’il veut faire passer. Un enfant trop tôt disparu souhaite rassurer sa mère, un grand-père fait un signe à son petit-fils, les nouvelles compagnes d’un homme ne peuvent pas rester vivre dans la maison de son épouse décédée.

L’une des histoires les plus troublantes est celle où elle accompagne un prêtre exorciste. Ce qu’elle voit et ce qu’elle sent alors est très précis et permet une conclusion positive pour l’envoûté.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : rencontrer le positif, redonner confiance aussi, avec émotion, bienveillance et amour. Virginie Lefebvre évoque aussi d’autres problématiques : aider les morts qui n’ont pas pu ou voulu aborder encore l’au-delà, ou ceux qui accompagnent leurs proches en fin de vie. Elle utilise également de façon récurrente le mot âme. Les bonnes, celles qui s’envolent dans l’au-delà lors des obsèques.  Et celles avec qui elle échange. Un dialogue « d’âme à âme »…

Paru le 12 octobre 2023
224 pages / 18,95€

Du lourd, du heavy mais du bon aussi

Est-ce que vous êtes en plein régime post fêtes de fin d’année ? Le foie gras fut délicieux. Les huîtres furent propres de toute toxine. La bûche fut débitée avec gourmandise. Le champagne fut un doux gargarisme. Bref, vous avez la peau du ventre bien tendue : merci petit Jésus !

Nous faisons de même ici avec des disques de saison : pas toujours digestes mais pas désagréables non plus. Petit par la taille, Neil Hannon est un grand habitué des morceaux épiques servis par un orchestre furieux ! Grand compositeur, le leader unique de Divine Comedy a parfois mis en transe les cuivres, les violons et les effets les plus grandiloquents pour une pop ultra lyrique.

Il est nettement plus calme aujourd’hui mais il conserve son talent pour la grosse farce mélodique avec la musique du blockbuster sucré, Wonka. On reconnaît de toute évidence son style sur les morceaux chantés où l’amertume de son écriture se cache derrière des petites pièces de comédies musicales plus que charmantes.

C’est un peu tarte mais ça nous change des chansons de Noël qui nous assomme chaque année. Là, il y a un peu de fantaisie et le travail avec Joby Talbot est tout à fait abordable. C’est tout à fait hors du temps et sans nostalgie, le disque est une vraie bonne comédie musicale à l’ancienne. Comme Noël : c’est toujours un peu pareil.

Tout comme la musique copieuse de Mars Red Sky ! Le registre change : finies les ritournelles joyeuses. Place à un plat de résistance bien chargé : le trio vient de Bordeaux et va nous saouler de musique stoner !

Les rythmes sont lourds et on devine la transpiration du trio sur chaque morceau. Comme le montre la couverture de leur nouvel effort, Mars Red Sky fabrique un rock marécageux, reflet d’un état d’esprit et d’une volonté d’enfoncer l’auditeur dans une atmosphère lourde et électrique.

Pourtant cet album se visite avec plaisir. Car le trio développe une idée fascinante autour de leurs instruments poussés à la saturation. Ça cogne. Ça vibre. Ça ne laisse pas indifférent. L’ambiance n’est pas vraiment apaisée mais elle fascine d’un bout à l’autre. En fin de repas, c’est peut-être un peu lourd mais on reste surpris par la consistance de ce pur produit français.

Ceux qui surprennent encore, ce sont les filous de la FFF. Comme cadeau de Noël, Marco Prince et ses copains sortent un album tout beau tout neuf ! En plus, il est excellent. C’est la petite sucrerie pour faire passer le reste de cette période pantagruélique !

Plutôt que de faire dans la surenchère, les retrouvailles, plus de vingt ans après un album quelconque, se font dans une simplicité désarmante. C’est juste du bon son. La French Fonck Federation ne fait plus dans la mélodie boursouflée et on se surprend à apprécier de nouveau leurs ruptures de ton et leur talent polyglotte.

Leurs cocktails musicaux ne sont pas les plus nuancés mais ils ont toujours une saveur extravagante. Avec leurs qualités et leurs défauts, le groupe s’amuse encore à se secouer et nous remuer. C’est parfait pour digérer les copieux festins en s’improvisant roi de la piste et de la soirée.

Après tous ses excès en tout genre, place au January Dry : la prochaine chronique se fera autour d’une guitare sèche, un violon usé et une bonne tisane. Encore une autre vision de la musique et de ses bienfaits !

Neil Hannon Joby Talbot – Original Soundtrack Wonka
Mars Red Sky – Dawn of the Dusk
FFF – I Scream

TOUT-MOUN, Héla Fattoumi, Théâtre National de Chaillot

TOUT-MOUN, qui signifie en créole « chacun et tout le monde », a pour point de départ les écrits d’Édouard Glissant autour de la « créolisation : totalité réalisée du monde-terre ».

Les chorégraphes Héla Fattoumi et Éric Lamoureux réunissent dix interprètes aux cultures chorégraphiques très diverses et un saxophoniste sur scène. Ils imaginent une scénographie vidéo surprenante dans laquelle les interprètes disparaissent et réapparaissent dans un virevoltant ballet.

Dans ce ballet à couper le souffle, les chorégraphes nous invitent à questionner les frontières entre l’individu, le groupe et au sens plus large l’humanité. Nous voyageons à travers plusieurs tableaux explorant le concept du glissant, reflétant la notion que chaque individu occupe une place dans l’ensemble collectif.

Dans le premier tableau, de hautes lianes descendent du plafond et les dix interprètes rentrent en scène affublés de petites ailes accrochées en haut du dos. Nous sommes ainsi plongés dans une nature luxuriante. Nous avons en superposition l’extrait sonore des paroles du spécialiste de la créolisation, le poète et philosophe martiniquais Édouard Glissant : « C’est la parole de la relation entre les cultures. Une idée de l’imaginaire de toutes les différences du monde. »

Au son des notes du saxophone, les danseuses et danseurs déroulent les lianes pour les transformer en larges voiles annonciatrices d’un voyage à travers les frontières et les humanités. Ils chantent, s’entrelacent, se retrouvent, se défilent, s’échappent en formant à la fois un bloc uni aux nombreuses singularités.

On en viendrait presque à avoir l’envie de les rejoindre sur scène pour participer à cette réjouissance collégiale.

Jusqu'au 12 janvier 2024
Théâtre National de Chaillot
Héla Fattoumi / Éric Lamoureux

Geli, Diastème, Manufacture des Abbesses

Retrouvée morte d’une balle dans la poitrine, Geli, la nièce d’Hitler est au cœur de cette pièce écrite et mise en scène par Diastème. Cet évènement semble avoir eu un fort impact sur Hitler car Goering déclara: « À la mort de Geli, Hitler a perdu la dernière goutte d’humanité qui lui restait ».

Geli fut retrouvée morte dans le bureau de son oncle en 1931. S’est-elle suicidée en 1931, ou a-t-elle été tuée ? Par Hitler ? Plusieurs thèses circulent déjà à l’époque. Les partisans de Hitler avancent la thèse d'un suicide « passionnel » attestant que la nièce était amoureuse de son oncle. Elle aurait découvert une lettre de Eva Braun dans la poche de la veste de Hitler et se serait suicidée par jalousie. Mais une autre théorie laisse plutôt à penser que la jeune femme aurait mis fin à ses jours pour échapper à l'emprise incestueuse de son oncle, ou que celui-ci aurait fait assassiner sa nièce pour l'empêcher de dévoiler ces relations ambiguës intolérables au chef du parti nazi en pleine ascension vers le pouvoir.

Encore aujourd’hui, on ne peut pas confirmer l’une de ces théories, ce qui laisse la porte ouverte à l’imagination. Depuis longtemps, l’auteur, compositeur et metteur en scène Diastème a souhaité sonder ce personnage méconnu. Dans cette pièce, il organise une rencontre entre un auteur qui a perdu sa femme et Angela Maria Raubal, surnommée Geli, sur laquelle il souhaite écrire. Fasciné par ce personnage central et pourtant inconnu de l’Histoire, il finit par la rencontrer et tente de résoudre avec elle le mystère de sa mort.

Toute en délicatesse, l’auteur nous invite à questionner de nombreux thèmes tels que l’amour, l’écriture et à repousser les limites de notre imagination.

Jusqu'au 16 janvier 2024
A la Manufacture des Abbesses, Paris XVIIIème
Les lundis, mardis, mercredis à 21h et les dimanches à 20h
Texte et mise en scène : Diastème
Avec : Frédéric Andrau et Aliénor de la Gorce

Lumières : Stéphane Baquet
Musique : Mathieu Morelle
Production : Mine de prod / spectacle créé au Théâtre du Chêne Noir - Avignon

Que sur toi se lamente le Tigre – Emilienne Malfatto – Alexandre Zeff – Théâtre de la Tempête

Une très belle mise en scène au service du texte et des droits des femmes.

Adaptée du Prix Goncourt 2021 du 1er roman Que sur toi se lamente le Tigre d’Emilienne Malfatto, la pièce mise en scène par Alexandre Zeff met en valeur avec intelligence toute la tension existant entre liberté individuelle et poids de la tradition et de la religion.

En héroïne tragique, Lina El Arabi interprète face public une jeune irakienne en quête de liberté, découvrant progressivement tout au long de son éducation le poids de la tradition, du nouveau vêtement qu’elle devra porter, de l’inégalité des droits entre les hommes et les femmes, de la religion. Tombée amoureuse d’un homme, enceinte sans être mariée, la voici désormais condamnée aux yeux de tous, prêts à la tuer, ou à l’inaction pour défendre ses droits, car trop lâches. Tout cela sous le regard terrifié du millénaire fleuve Tigre personnifié en fond de scène par un immense panneau de voile fluide et flottant, en résonnance avec l’Epopée de Gilgamesh.

Vidéoprojection de textes, film d’animation projeté, plateau recouvert d’eau, musiques et chants polyphoniques en arabe, tout concourt à plonger le spectateur dans une douce intimité en contraste avec la dureté des faits au sein d’une société irakienne régentée par l’autorité masculine et le code de l’honneur. Très beau monologue d’Afida Tahri dans le rôle de la mère dénonçant à 50 ans, en colère, les chaines qui l’ont empêchée de vivre, cloisonnée chez elle entre quatre murs, condamnée à la privation de liberté. Emouvante interprétation chorégraphiée de l’amoureux mort sous les bombes.

En magnifiant l’environnement scénique au service du texte, en théâtralisant les témoignages des personnages issus du roman sous forme de tragédie, la cible est atteinte. L’alerte est une fois de plus sonnée concernant les droits des femmes et le poids d’une tradition avec son Fatum devenue dogmatique et religieuse ayant perdu le sens même des valeurs élémentaires et universelles comme l’amour, la liberté, l’égalité, la fraternité, la reconnaissance de l’autre dans toute sa dignité.  Une très belle mise en scène pour aborder un sujet sensible en sortant des clichés radicaux actuels. Politique et poétique.

Le spectacle finit avec une citation de la poétesse guerrière Audre Lorne :

« Je ne suis pas une femme libre tant qu’une femme n’est pas libre même si ses chaines sont très différentes des miennes. »

A voir.

Théâtre de la Tempête : Que sur toi se lamente le Tigre • Théâtre de la Tempête (la-tempete.fr)

du 12 janvier au 11 février 2024 – du mardi au samedi 20h, dimanche 16h
Salle Serreau • Durée : estimée à 1h20

40° sous zéro – Copi – Munstrum Théâtre – Louis Arene – Théâtre du Rond-Point

Cathartique, percutant. D'utilité publique !

40° sous zéro est un des petits bijoux de ce début d’année 2024 à ne pas manquer. Totalement fidèle à l’œuvre de Copi, avec un surréalisme, un humour trash et obscène cherchant à briser tous les codes, la mise en scène de Louis Arene parvient avec le spectaculaire Munstrum Théâtre à embarquer le spectateur dans un univers théâtral unique entre grotesque et œuvre esthétique d’une étrange et poétique beauté.

La création sonore de Jean Thévenin qui structure l’entrée des personnages et rythme certains tableaux avec des nappes sonores lyriques et de la musique techno, la création costume de Christian Lacroix, contribuent à ce voyage onirique en créant pour les deux pièces une continuité plastique à découvrir. Aussi étranges que les monstres de Jérôme Bosh et aussi fantastiques que les Mondes de Jodorowsky, les personnages dans une performance théâtrale défendent un texte qui veut se jouer de toute vraisemblance en toute liberté.

L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer créée en 1971 résonne avec le mouvement Queer, en dehors de toute norme. Le jeu de François Praud dans Irina, objet marionnette sexuelle est particulièrement décisif et marquant. Il faudra toute la dérision et la vacuité du chien interprété par Alexandre Ethève, toute la cruauté de Madre jouée par Louis Arene pour rappeler que tout n’est que fable théâtrale, tragi-comédie. Un éloge de la laideur et du détour.

Dans Les Quatre Jumelles (1973), transportés dans un monde japonisant rappelant graphiquement le théâtre Nô des démons japonais, les quatre personnages déroulent un Feydeau surréaliste dans lequel la drogue est au centre d’une intrigue prétexte à une débauche de dialogues et jeux de scènes burlesques. Une fuite en avant sans fin qui se joue des morts scéniques et des rebondissements. Hors de toute vraisemblance mais avec une réelle nécessité dionysiaque.

Le spectateur rit, se tait, médusé devant la violence du verbe, bouche-bée devant des scènes flash d’une intense beauté dès que musique de Jean Thévenin et la lumière de François Menou s’en mêlent. La fraternelle beauté nait de la violence cruauté et du contraste permanent d’une scène ou tout semble possible. Proche à de nombreux moments d'une performance, la pièce finit sur un splendide tableau visuel après des mots qui rappellent le Indignez-vous ! de Stephan Hessel. Le Munstrum Théâtre proclame dans Les Quatre jumelles : « Nous sommes vivantes ! Nous sommes vivantes ! Réveillez-vous ! ». Un théâtre plus politique qu'il n'y parait. Percutant et d'utilité publique. Une partie des spectateurs ce soir-là applaudit debout.

NB : Après le salut, la Compagnie lira une lettre pour demander un cessez-le-feu inconditionnel pour la vie sur l'ensemble des territoires actuellement en guerre.

40° sous zéro - L’Homosexuel ou la Difficulté de s’exprimer & Les Quatre Jumelles - Théâtre du Rond-Point Paris (theatredurondpoint.fr)

Tournée : 7 — 10 février 2024 Les Célestins, Théâtre de Lyon (69) // 13 et 14 février 2024 La Comédie de Valence, Centre Dramatique National (26)

En attendant les surprises de 2024

Vous avez sûrement fait vos cadeaux. Et puis c’est un peu has been un CD ? Offrir un vinyle c’est même devenu désormais hors de prix. Pourtant on va se remémorer quelques souvenirs musicaux qui ont marqué cette année. Bien entendu tout ceci est très personnel mais bon, le partage à cette période de l’année, c’est important !

On commencera avec le plaisir le plus régressif de l’année : en novembre, les glamrockeurs des Struts sortaient Pretty Vicious et nous renvoyaient dans les années 70 entre T. Rex et Iron Maiden. Du bon gros rock qui ne veut que dérouiller les oreilles et les jambes.

Pour cela, il y a une voix nasillarde et virtuose. Une guitare déjantée. Une basse survoltée et un batteur qui s’essuie le front sans arrêt. Tout cela avec une idée du bon goût tout à fait douteuse. Typically english. Avec tant d’énergie, cela dépasse l’effort révérencieux et Pretty Vicious devient une petite obsession rock’n’roll bien agréable, à écouter 1000 fois.

Tout comme la potion magique qu’ont découvert Joey Valence & Brae. Ces deux-là ne sont là que pour le fun et un rap qui s’approche du punk. Les deux lascars ont décidé donc d’être les dignes descendants des Beastie Boys.

Le duo sait y faire. Ça pulse, ça gigote, ça crache et ça dégage un rythme incroyable. Le rap se conjugue au rock et leur premier album, Punk Tactics, est l’objet effectivement le plus punk de l’année. Une fois encore pas de mélancolie : juste du plaisir assumé et jouissif !

On appréciera aussi toute la classe des Géorgiens de Mgzavrebi et leur rock qui se mélange aux traditions locales. C’est joli comme tout. On voyage mais pas que. La voix est très caressante et les arrangements sont plus subtiles qu’ils n’y paraissent.

Malgré le folklore, on est très vite proches de ses musiciens. Le disque dispose de nuances que l’on n’attendait pas. C’est un disque très touchant et l’attendue rencontre entre l’ancien et le moderne sort réellement de l’ordinaire.

Celui qui parvient à nous faire oublier le quotidien, c’est bel et bien Voyou qui a ouvert cette année ses Royaumes Minuscules. Chacune de ses chansons est un petit monde attendrissant et complexe. Le musicien devient une sorte de Thomas Fersen pour les plus jeunes. Les idées sont souples et savoureuses. Les textes torpillent la morne plaine et le musicien enchante avec une déroutante facilité.

Il est aussi facile d’encenser l’effort des trois artistes indépendantes, Phoebe Bridgers, Julien Baker et Lucy Dacus. A trois, elles forment Boygenuis et ose appeler leur premier album : The Record. Au final, il y a tellement de sentiments et d’émotions dans leur disque, qu’on respecte ce choix impétueux. C’est un grand disque à l’américaine où les harmonies se conjuguent avec les egos des artistes. C’est populaire dans le bon sens du terme. Les trois femmes sont complices avec nous comme elles le sont sur leurs chansons.

On voyage aussi en Amérique sur le dernier disque de Geese, groupe de Brooklyn qui se met à errer dans le désert californien. Cela donne 3D Country, un ovni qui mélange effectivement de la country avec des éléments post punk ou très indépendant. On a l’impression d’entendre le groupe culte Télévision faire du rodéo !

Mais l’humour est ambitieux et le groupe en profite pour faire un chouette disque qui se colle rapidement dans la mémoire. On a l’impression de redécouvrir le Grand Ouest et ses vastes plaines. Et ils sont très nombreux les chouettes disques qui nous font oublier les mauvaises nouvelles, les vilaines guerres et les cyniques en tout genre… Mais là ce ne sont quelques exemples qui vous mettront de bonne humeur pour commencer 2024

Vermines, Sébastien Vanicek, Netflix

Pour Noël, voici un vrai bon film d’horreur à la française. Si vous arrivez à lire les prochaines lignes, vous pourrez vous laisser tenter par ce premier film qui fait monter le trouillomètre au plafond.

Donc commençons par ce petit test :
Mygales !
Venin !
Tarentules !
Morsures !
Veuve Noire !
Faucheux !

Vous êtes encore avec moi ? Très bien car nous allons disserter sur le cauchemar à mille pattes imaginé par Sebastien Vanicek dans nos jolies banlieues bien pourries. Le héros, Kaleb a dû souvent se faire traiter de vermine mais surtout il est passionné par tous les insectes gluants ou exotiques.

Il vit avec sa sœur dans une cité grise sans âme et vit de petits trafics sans gravité. Un beau jour, il découvre une araignée du désert qui se révèle très énervée. A peine libérée de sa boite, la bestiole se multiplie et se met à bouffer tous les résidents de l’immeuble.

On ne va rien vous cacher : on est venu pour cela. Du gros arachnide sous stéroïde. Le réalisateur et principal artisan du projet va tout faire pour que l’on ait désormais peur du moindre insecte. Et il y arrive plutôt bien. Votre humble serviteur n’a pas peur des araignées mais Vanicek réussit à créer une belle ambiance de cinéma dans une banlieue sordide. Et on regardera peut-être différemment une toile d'araignée dans un parking !

Les effets spéciaux sont évidemment très convaincants, et le son et l’image fabriquent de jolies émotions bien effrayantes. Le cinéaste nous fait goûter aux petits détails gluants ou adipeux.

Les héros pourraient être insupportables mais finalement le récit les rend assez touchants et l’interprétation, pour une fois dans un film de genre, semble fonctionner. On devine les nombreuses références mais le film parvient à créer son propre style et son petit effet qui fait froid dans le dos. Confinement et araignées : rien de plus pour un spectacle tendu et divertissant.

Si le discours social est un poil téléphoné, le film fourmille de bonnes idées et de rebondissements efficaces. Vermines devient alors une excellente série B française. Ce qui est assez rare. On tremble devant ces petites bêtes qui en se limitant à faire peur, propose peut être l’un des meilleurs films de terreur de l’année !

Au cinéma le 27 décembre 2023
avec Théo Christine, Lisa Nyarko, Finnegan Oldfied et Sofia Lesaffre
Netflix My box – 1h40

Perfect Days, Wim Wenders, Haut et court

La vie ordinaire d’un type mutique qui nettoie les toilettes publiques ? Une émouvante réflexion sur le beau du quotidien.

A sa place, on se sentirait terriblement seul. Hirayama se contente d’une vie très simple. Il a un métier particulier : il entretient les toilettes publiques de la ville de Tokyo. Discret et peu bavard, il est un exemple d’obstination et semble apprécier son travail. A la différence de ses jeunes collègues.

Le vieil homme a cette particularité d’apprécier une existence épurée. Les livres l’accompagnent. Et ses vieilles cassettes de rock qui attisent la curiosité des jeunes. Il déjeune tous les jours dans le même jardin et observe les arbres. Avec son appareil photo d’un autre temps, il prend des clichés du lieu. Et c’est à peu près tout…

Comme Wim Wenders est derrière la caméra, ce type austère sera la porte d’une invitation au temps qui passe et à la contemplation. L’acteur, Koji Yakusho, mérite largement son prix d’interprétation à Cannes. On remonte à l'expressionnisme des comiques du muet pour comprendre les joies et les peines de son personnage si anonyme.

C’est un incroyable personnage qui lutte contre le spleen et trouve ses joies dans les petits riens de l’existence. Après une si longue carrière, Wim Wenders continue de surprendre en réduisant sa technicité mais réussit à augmenter l’émotion dans le dépouillement.

Car il nous touche ce vieux monsieur qui ne demande rien à personne. Il y a de la nostalgie mais elle ne sclérose jamais l’effort du cinéaste à nous montrer la beauté du monde de cet homme si humble. Au contraire, une fois de plus, Wim Wenders prouve qu’il est un cinéaste obsédé par l’espace qui finit par contenir et structurer ses récits.

Ici, il nous plonge dans un Tokyo qui finit par bercer et soigner les blessures du héros mais aussi des rencontres qu’il fait. Ode à la douceur, Perfect Days n’est jamais niais. Il nous propose une promenade étonnante et intérieure dans un monde fait d’espoir, de prudence et de plaisir simple. Un film qu’il ne faut pas bouder du tout.

Sortie le 29 novembre 2023
Avec Koji Yakusho, Tokio Emoto, Arisa Nakano et Yumi Asou
Dire – 2h04    

CAR/MEN – Compagnie Chicos Mambo – Philippe Lafeuille – Théâtre Libre

Que ça danse !

Un je-ne-sais-quoi de folie travers le plateau dès l’ouverture du spectacle. Huit danseurs et un chanteur troquant la robe à pois blanche du flamenco pour une combinaison moulante blanche à pois rouges structurent l’espace : corps à corps, mouvements outranciers et provocateurs. Les visages cagoulés annihilent toute expression. Seuls les corps, les costumes, l’espace, la musique, et les Car/Men sont là. Comme pour mettre les compteurs à zéro et annoncer la couleur : vous ne retrouverez pas la Carmen de l’opéra-comique de Bizet, mais vous retrouverez l’intention première de Bizet : aller à l’encontre des carcans moraux, incarner la liberté en célébrant le parcours de la gitane qu’est Carmen au travers du corps et sa provocante sensualité.

Car/Men dès lors mettra en avant l’improbable mais convaincante et féminine masculinité des huit danseurs entrainés par un Antionio Macipe en meneuse de revue jouant les diva avec humour, classe et détachement. Dès lors tout semble possible. Le chorégraphe Philippe Lafeuille, en s’appuyant sur les costumes remarquables de Corinne PetitPierre - tout oscille entre noir, blanc et rouges - et une bande son éclectique d’Antisten, se jouera des tableaux mythiques de la Carmen de Bizet pour créer durant tout le spectacle des Car/Men aux figures multiples, féminines et masculines.

Avec une très belle énergie, les danseurs s’emparent de tous les codes espagnols de l’opéra-comique de Bizet et de l’image de la gitane, jupes à volant, robes, accessoires tels que castagnettes, éventails, mantillas, chaussure de flamenco pour se réapproprier une Car/Men du XXIe siècle s’amusant du mélange des sexes et des genres musicaux. Les airs de Bizet basculent sur ceux de Goran Gregovic et du Temps des gitans. Les danses font parfois référence au hip hop, Antonin «Tonbee» Cattaruzza est de la partie. Le flamenco flirte avec les claquettes irlandaises. Les danseurs apportent une nouvelle dimension imaginaire entre revue, danse contemporaine, et comédie-musicale.

Le spectateur se laisse rapidement emporté par cette belle folie. L’ambiance est festive et joyeuse. La danse de Stéphane Vitrano apporte une grande légèreté à l’ensemble des tableaux.  Magique solo de danse de Phanuel Erdmann avec des éventails. Puissante danse animale de Samir M’Kirech face à la projection d’une tête de taureau sur le cyclo de fond de scène pour une corrida toute en sensualité. Très réussi chœur des soldats. Très parodique toréador aux drôles de castagnettes. Les tableaux s’enchainent avec énergie et rigueur. Rien de plus difficile que de faire simple.

En ramenant l’opéra en 4 actes de Bizet à 1h15 de danse, Philippe Lafeuille propose une version tonique de Car/Men dans un style qui tient en haleine le spectateur. Les danseurs démontrent avec talent que la sensualité, la liberté sont universelles et dépassent le seul carcan du genre. Les spectateurs sortent avec le sourire et des images plein la tête. Lafeuille réaffirme que la danse est enfant de bohème et n’a jamais connu de loi. Convaincant. Réjouissant. A voir.

Le Théâtre Libre Paris et La Scène Libre (anciennement le Comedia) (le-theatrelibre.fr)

Tournée : Du 14/12/23 au 04/02/424 Théâtre Libre - Paris (75)
28/02 - 01/03 et 02/03/24 International Music Arts - Carpi (IT)
08 et 09/03/24 Maison des Arts du Léman - Thonon-les-Bains (74)
16/03/24 Scène conventionnée - Laval (53)
25 et 26/05/24 Opéra - Reims (51)
31/05/24 C’est Central - La Louvière (71)

Durée : 1h15
Conception / Chorégraphie : Philippe Lafeuille
Assistante : Corinne Barbara
DISTRIBUTION
Danseurs : Antoine Audras, François Auger, Antonin «Tonbee» Cattaruzza, Phanuel Erdmann,
Jordan Kindell, Samir M’Kirech, Jean-Baptiste Plumeau, Stéphane Vitrano
Chanteur : Antonio Macipe
Conception Vidéo : Do Brunet
Conception lumières : Dominique Mabileau assistée d’Armand Coutant
Création Costumes : Corinne Petitpierre assistée d’Anne Tesson
Bande son : Antisten
Régisseur Général : Vincent Butori
Régisseur Lumière : Armand Coutant / Maureen Sizun Vom Dorp
Régisseur Vidéo : Christian Archambeau
Régisseur Plateau : Jessica Williams / Clarice Flocon-Cholet
Habilleuse : Cécile Flamand
Chauffeur : Arnaud Baranger
Diffusion : Quartier Libre
Compagnie La Feuille d’Automne : Xavier Morelle, Matthieu Salas
CRÉATION : Compagnie La Feuille d’Automne
Co production : Victor Bosch-Lling music / Quartier Libre Productions / Le Théâtre de la Coupole de Saint Louis /
Alsace - Le Quai des Arts - Relais Culturel Régional à Argentan, KLAP Maison pour la danse à Marseille (résidence
de finalisation 2019)
Avec le soutien de : L’Orange Bleue - espace culturel d’Eaubonne - L’Espace Michel Simon de Noisy-le-Grand -
Micadanses / résidence d’accompagnement spécifique - Remerciements à Marc Piera

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