Generation(s) éperdue(s)
Ha toutes les grosses compilations qui prennent un auteur et le maltraitent avec des jeunes chanteurs de télécrochets vont prendre une grosse claque avec un hommage qui en dit long sur la production actuelle et un auteur discret mais essentiel.
C'est de toute évidence le casting le plus passionnant de l'année. Impossible de faire mieux. Les crétins et les guignols des grandes radios peuvent aller voir ailleurs et continuer de rendre hommage à nos chers disparus.
Christine & the Queens, Flavien Berger, Feu Chatterton, Juliette Armanet, Radio Elvis, Woodkid... ca pourrait être la meilleure programmation de festival en ce moment. Et là ce n'est qu'un echantillon. Car ils sont tous là. On les entend plutôt plutot sur France Inter ou FIP. C'est identifié bobo mais l'exercice est tellement maltraité qu'on est heureux de les trouver là.
l'hommage à un auteur, c'est souvent la catastrophe, la facilité, la médiocrité la plus mercantile! De son vivant, Yves Simon aura donc droit à des reprises créatives, à la hauteur de son amour de la musique, de son exigence louable et de sa discrétion légendaire.
On le savait moderne et doué, mais on le retrouve donc intemporel. Ses mots et ses mélodies vont bien à toute la bande de nouvelle pop française. Les musiciens ne s'arrêtent pas aux sages reprises mais font plonger Yves Simon dans l'univers branché et protéiforme des ambitieux made in France. Quel pied!
Simon est un idéaliste, un romantique. Son aspect kitsch est devenu utopique et fascine de toute façon tous les petits nouveaux qui dépoussièrent les genres avec une fausse candeur désarmante. Ca fonctionne. On redécouvre ses textes fluides et charmants. C'est en réalité un trésor perdu qui semble refaire surface.
Because Music
Headgearalienpoo
Tiens, au titre du nom le plus marrant de l'année, le nouvel album des discrets The Married Monk obtient la palme d'or!
The Married Monk est un groupe étrange. C'est un peu le fantome du rock made in Rennes. Il apparait. Il frappe. Puis disparait. Cela faisait dix années que son leader, Christian Quermalet ne voulait plus faire le coup de l'éternel come back.
Il a même stoppé la musique. La pause fut salutaire. L'envie est revenue et revoilà donc le groupe qui ne manque pas d'humour et de piquant. Car The Married Monk est un groupe qui renifle son époque et retrouve les bonnes harmonies, les bons arrangements, les bons refrains.
Ca les rend heureux de trouver la clef du présent et de ne pas finir dans une direction angoissante comme Edgar Alan Poe. Non, le trio aime l'aventure périlleuse et le prouve avec ses nouveaux titres, qui bidouillent et piochent dans les sons actuels. La qualité de The Married Monk c'est cette absence de mélancolie.
La pochette rose donne bien le ton. C'est de la musique épanouïe. Le groupe peut parler du chaos de l'existence mais il le fait avec style. Les musiciens sont des punks par leur liberté mais ils aiment cette fois ci les vestiges de la cold wave et les rythmiques synthétiques épurés.
Ils ne se trahissent pas. Ils reprennent des chansons qu'ils aiment. Ils imposent des ambiances. C'est un disque qui a une gueule d'atmosphère. Comme dans un livre de Poe mais en plus rose
Ici d'ailleurs - 2018
Aimer Plaire et Courir Vite
Christophe Honoré est un peu le cauchemar de ceux qui veulent défendre le cinéma français dans sa diversité: on ne peut pas faire plus cliché que Christophe Honoré. Héritier de la Nouvelle Vague, il fait un cinéma parisien, avec des références inattaquables et un sens du bon gout qui devenait écoeurant. On se demandait constamment s'il n'y avait pas du cynisme chez ce metteur en scène boulimique et lettré.
Pourtant on est touché par son dernier film, personnel, Aimer Plaire et Courir Vite. La sincérité transperce l'écran assez rapidement lorsqu'il décrit un jeune écrivain, Jacques, atteint du sida face à Arthur, jeune étudiant Rennais, à l'âge de tous les possibles. L'un avance vers la mort et le second n'a pas peur de la vie.
Les deux hommes vont s'aimer. Jacques va redouter ce personnage joyeux et innocent. Il pourrait lui donner de nouveau le gout de la vie. Il se sait condamner. Il doit faire une croix sur sa famille, son art et ses amitiés. Mais Arthur ne lache rien.
Même face à la fin, on vit! C'est ce que semble dire le réalisateur qui nous plonge dans les années sida avec un romantisme étonnant. On est loin du didactisme de 120 battements par minute. Ici, on devine l'amateur de roman, celui qui se passionne pour les livres, les héros sombres et les destins tragiques.
Cela fonctionne car ce n'est pas ampoulé. C'est vif. Chaque instant est filmé avec un empressement réjouissant. Vincent Lacoste, drôle, s'intégre parfaitement dans l'univers de Honoré, un poil poseur mais honnête dans cette histoire d'amour triste et enlevé en même temps.
Le comdédien principal, Pierre Deladonchamps, est bluffant. Il joue parfaitement de la mélancolie. Tout comme Denis Podalydes, en confident désoeuvré. Le film pourrait être d'une tristesse absolue. Et pourtant, il ruisselle de joie, de plaisirs simples, de crudités évidentes, d'humour réparateur. Il y a des redites ici ou là mais cela va aussi avec les élans du coeur de l'écrivain, toujours tenté par une expérience amoureuse.
Honoré s'offre sa playlist préféré et se passionne pour ce héros en fin de parcours. Ce n'est plus le style qui occupe le cinéaste mais bel et bien la franchise romanesque d'un récit amoureux, évidemment cruel, mais superbement vivant. Christophe Honoré n'est plus le pédant du cinéma français: juste un auteur épanoui et passionné!
Avec Vincent Lacoste, Pierre Deladonchamps, Denis Podalydes et Clément Metayer - Ad Vitam - 9 mai 2018 - 2h10
Both Ways
Il a un air bourru. Il fait plutôt bucheron massif que artiste sensible. Mais derrière les apparences, il y a un petit coeur qui veut dire "je t'aime" et qui inspire de jolies chansons.
Bon alors, comme ça, en plaisantant, Donovan Woods pourrait gagner le concours du sosie de Bud Spencer, grand et gros comique italien à l'humour plein de baffes et de "beans" avalés dans des westerns spaghetti. Mais Donovan est à l'opposé philosophique et artistique du comédien transalpin.
Donovan Woods est un gros nounours d'amour. Il fait des papouilles à la musique. Il aime les livres et son Ontario natal. Il connait plein de chanteurs de country. Il aime la nature et les hommes. Il est sensible face aux illusions du Monde qui l'entoure.
Tim McGraw, gros vendeur de disques à stetson, l'aide donc pour ce cinquième album très "américana". On baigne dans les rases campagnes et les belles prairies. Ca sent bon l'air frais. Les guitares sont soyeuses et les orchestrations sont riches.
Il y a de l'espoir dans la voix et il raconte les petites gens, les petites vies et les petites histoires qui font un lieu, une ville, un pays. Le Canadien connait, tel Bryan Adams avec la pop, tous les artifices du genre. Pas les plus faciles.
Il y a des moments touchants mais Donovan Woods ne fait pas dans la demi mesure. C'est du folk intello et de la musique fm en même temps. C'est très travaillé mais jamais cela semble spontané. C'est dommage car il caresse nos oreilles de jolies mélodies.
Meant well - 2018
Rampage Hors de Controle
Avant les dinosaures de Jurassic Park Fallen Kingdom et le requin préhistorique de The Meg, voici donc de gros animaux doppés à l'ADN malveillant qui cassent tout sur leur passage et qui consacrent Brad Peyton comme le digne successeur de Roland Emmerich.
Car ce petit réalisateur sans grande envergure profite des épaules larges de la star Dwayne The Rock Johnson pour détruire à grande échelle des villes américaines innocentes. On avait remarqué son gout prononcé pour le gigantisme dans Voyage au Centre de la Terre 2 puis tout est devenu plus clair avec San Andreas et sa destruction naturelle et écologique de la Californie.
A chaque fois, on y trouve le massif ancien catcheur qui utilise tous ses atouts pour faire triompher l'Amérique et ses valeurs. Le réalisateur allemand, Roland Emmerich, de ID4 ou The Patriot se fait doubler par un jeune quadra qui sait tout faire à l'écran pour que le Monde tombe en miettes. Tout s'écroule sauf de bonnes vieilles valeurs comme la famille, l'amitié ou le drapeau!
Il est lui aussi capable de tenir un scénario débile et le mettre en scène comme s'il s'agissait des 10 commandements! Donc Rampage est une variation d'un jeu vidéo ancestral où trois bestioles devaient casser des immeubles. Voilà un très bon récit pour le Hollywood d'aujourd'hui, qui a du mal à faire autre chose que des super héros qui se posent des questions.
Donc pour justifier un crocodile mutant, un loup qui vole et un gorille géant albinos, arrive par erreur sur Terre de l'ADN malveillant mis au point dans l'espace par une vilaine entreprise qui ne pense qu'aux profits. A sa tête, on trouve une bombasse hystérique (Malin Akerman souvent excellente mais pas là, sorry) et un frère débile. Okay, ne vous inquiétez, ils finiront très mal.
A cause d'eux, on a donc droit à trois monstres qui font la course pour arriver les premiers à Chicago et tout détruire. Face à eux, il y a aura donc Dwayne Johnson qui fait du Dwayne Johnson, tout en muscles et en punchlines rigolardes.
L'injustifiable s'explique tout en courant à travers les Etats Unis pour stopper les monstrueuses créatures (le gorille est sympa quand même: il fait des blagues de cul) et on doit reconnaitre que le réalisateur tient le rythme. On baisse la garde face à l'imbécilité caractérisée du projet. Plus c'est con, plus c'est bon.
Rien ne tient la route. Tous les acteurs sont en roue libre. On adore le cabotinage de Jeffrey Dean Morgan en agent secret qui se prend pour John Wayne. Chacun fait ce qu'il veut. De toute façon l'équipe des effets spéciaux assure le boulot: c'est spectaculaire. Autant que le biceps de la star, toujours à l'aise dans les nanars hollywoodiens.
Le scénario assume un manichéisme que l'on ne connaissait plus. Il faut évidemment un solide second degré pour supporter cela mais cela laisse augure le meilleur (du pire) pour un San Andreas numéro 2, annoncé par notre nouveau duo préféré de la destruction massive que l'on espère aussi volontaire qu'Emmerich dans les années 90. Je vous jure: le film catastrophe, catastrophique, vaut le coup d'oeil!
Avec Dwayne Johnson, Naomie Harris, Jeffrey Dean Morgan et Malin Akerman - Warner Bros - 2 mai 2018 - 1h45
Mon Lou, Guillaume Apollinaire, Christian Pageault, Lucernaire
En 1914, le grand poète Guillaume Apollinaire fait la connaissance à Nice d’une jeune aristocrate dont il tombe éperdument amoureux. Louise de Coligny-Châtillon le fait immédiatement rêver, suscite en lui des sentiments forts, des émois érotiques aussi, au fur et à mesure qu’il lui écrit et surtout après qu’il ait passé avec elle leurs seuls moments charnels. N’oublions pas que le poète est aussi l’auteur du sulfureux Les onze mille verges.
Louise est belle, jeune, tout à la fois frivole et mutine. Féministe avant l’heure, elle ose porter des pantalons (interdits pour les femmes à l’époque), fume, a les cheveux courts et multiplie les amants. Ce sont en grande partie leurs échanges, les lettres charmeuses, tendres puis inquiètes qui vont l’amener le poète à s’engager dans la « grande boucherie ». Louise, pour son amant, devient Lou. Devient tout. (« Mon unique amour et ma grande folie »). Les moments profondément sensuels qu’ils ont passé exacerbent l’imagination d’Apollinaire, qui oublie ensuite les rebuffades de sa maîtresse en rêvant d’elle dans les tranchées. Puis ils rompent, chacun entamant une nouvelle vie amoureuse tout en continuant à entretenir une correspondance. Ils ne se reverront qu’une fois, bien plus tard, à Paris. Retrouvailles froides et distantes.
La comédienne qui lit les superbes lettres du grand poète à son aimée le fait avec un talent époustouflant. Quelle justesse dans l’interprétation ! Elle les aime, ces textes, elle les aime, ces amoureux. C’est une véritable prouesse que de dire ces mots si beaux et qui n’ont pas vieilli. A l’heure des textos, ces lettres, l’une après l’autre, nous touchent et nous émeuvent. Qui n’a pas rêvé de recevoir de si beaux témoignages d’amour ?
La voix, la gestuelle, les regards et les silences de Moana Ferré nous entrainent avec délicatesse dans un univers où l’amour dépasse tout, transcende la douleur, la peur, où la guerre « est si jolie / Avec ses chants, ses longs loisirs ».
Les attentes entre deux batailles sont propices aux mots tendres que l’aviatrice, l’infirmière sur le front, Louise en un nom, reçoit et auxquels elle répond parfois. On a retrouvé six lettres d’elle envoyées à Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky. Aristocrate comme elle. Comte russe d’origine polonaise.
Moana Ferré nous fait pénétrer dans leur intimité sans impudeur. La mise en scène de Christian Pageault y contribue. Papiers disposés, jetés, lus, devenus cocottes ou figures, lettres froissées ou envolées, le premier tableau entraine d’emblée le spectateur dans cette histoire d’amour fou. Sur un écran défilent des paysages, on entend des airs de l’époque fredonnés, tels « Ma Tonkinoise ». Elle prend les phrases - tour à tour sensuelles et suppliantes- à bras-le-cœur. Elle passe un temps le relais à une voix d’homme. Puis, les yeux fermés, elle lit une lettre de l’amoureuse, de la tant aimée. La fin de la correspondance entre ces deux êtres si libres est proche. Moana rouvre les yeux et nous aussi. Magnifique moment de poésie.
Textes : Guillaume Apollinaire,
Mise en scène : Christian Pageault
Comédienne : Moana Ferré
Coréalisation : Le Lucernaire
Le Lucernaire, 38, rue Notre-Dame-Des-Champs, 75006 Paris.
Jusqu’au 23 juin, du mardi au samedi à 19H
Tél. : 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr