Furie, Leonor Oberson, Théâtre La Flèche
Saviez-vous que seulement deux femmes dans l’histoire, ont participé à un grand prix de Formule 1 ? Saviez-vous seulement qu’une femme pouvait être pilote de Formule 1 ?
Pour ce seul en scène, Leonor Oberson nous embarque dans l’épopée d’une jeune pilote de Formule 1 douze heures avant son Grand Prix.
La jeune pilote Hélène Chatterton vient de se qualifier pour son premier Grand Prix de Formule 1. La pression est de plus en plus palpable, et douze heures avant la course, Hélène n’arrive pas à trouver le sommeil. Au bord de l’explosion, elle se remémore son parcours. Elle retrace des moments clés de son passé dans une odyssée vibrante où la réalité et l’imaginaire s’entremêlent.
Leonor Oberson, auteur et interprète de ce spectacle, découvre ce sport il y a trois ans à travers un documentaire Netflix. Alors qu’elle trouvait cette discipline archaïque, elle se met à regarder les grands prix tous les weekends et s’imagine même devenir pilote !
Mais justement, où se trouvent les femmes dans ce sport ? C’est en regardant un documentaire “Une pilote", avec Margot Laffite, qu’elle décide de questionner le genre de ce milieu. Dans « Furie », la pilote transgresse les règles et se libère du cadre et des exigences de ce milieu.
Mais loin de se cantonner à un questionnement du territoire masculin ou féminin, son récit devient exploration. Elle décide d’utiliser son propre fantasme pour imaginer les douze heures avant le départ. Ce seul en scène est une succession de séquences, rythmées par le compte à rebours qui ne cesse de défiler. Cette tension est palpable à travers le rythme du jeu de Leonor Oberson. On ressent la pression et l’urgence dans une quête qui va mener inexorablement à la machine.
C’est également le rapport au corps et à la machine que Leonor Oberson questionne. Comment s’articule cette attraction ? tour à tour domination, fusionnelle voire érotique.
Les scènes s’enchainent et on reste suspendu à cette histoire, interprétée avec brio, intensité et humour.
Du 06 octobre au 8 décembre 2023
Théâtre La Flèche, Paris XI
1h10 | de 12€ à 21€ TP
Texte & jeu Mise en scène Leonor Oberson & Clémence Coullon Collaboration artistique Alexis Gilot Créateur lumière Pacôme Boisselier Créateur sonore Timothée Sarran Intention chorégraphique Lilou Robert Soutien Bourse Adami Première fois
EUPHORIA – KRISY- (6 et 7-2023)
Krisy, le talentueux rappeur/producteur belge sort en octobre 2023 son premier album studio très attendu, annoncé dès 2018. Travaillé, modifié plusieurs fois, l'opus contient des sons comme “ Hors de ma vue” sorti en 2019 et “Bounce” sorti en 2020.
EUPHORIA joue et vacille entre des prods très envoûtantes et mélancoliques avec du rap technique, des textes touchant, qui nous emmènent rapidement dans une histoire racontée par KRISY lui-même, dans un concept album de 22 titres. Les interludes entre les différents sons nous plongent dans un cocon réconfortant et touchant. L'histoire de Krisy nous raconte les vices des relations amoureuses, des fausses amitiés et de l’industrie musicale qui l'oblige à trahir ce qu’il est pour toucher plus d'auditeurs. Un incroyable mélange de soif de réussite et de solitude prenante, tout en mettant en avant une quête de bonheur constante. Nous rappelant qu’il faut être soi-même pour côtoyer le bonheur et le bien-être.
EUPHORIA est un album mélodieux, suave, profond et complet avec un rap soutenu par des featurings légendaires comme MARC LAVOINE , LOUS AND THE YAKUZA , ALPHA WANN qui embellissent parfaitement le projet et qui laissent un goût constant d’euphorie. Du tout bon. Le son en feat avec Marc Lavoine , Lucy & les chanteurs pour dames , plongent dans un sentiment étrange : dans une envie agréable, sensuelle, d'attirance et en même temps un sentiment de peur du rejet du sentiment amoureux et d’abandon, un doux mélange à double tranchant.
Le son Cœur Vide est carrément transperçant , d’une part par la prod à la fois incisive, grâce à la rythmique puissante tellement douce, et d'autre part grâce à la loop de la guitare. Le texte et le rap nous replongent dans les déceptions amoureuses qui blessent énormément au point d’en perdre le contrôle total.
"J'garde les cicatrices bébé en moi une fois que tu me laisses
Aujourd'hui je te regarde de haut en espérant que tu te blesses
Désolé, je voulais pas le dire, excuse ma maladresse
Je perds le contrôle et maintenant je tiens plus en laisse
J'garde les cicatrices bébé en moi une fois que tu me laisses
Aujourd'hui je te regarde de haut en espérant que tu te blesses
Désolé, je voulais pas le dire, excuse ma maladresse"
Un morceau sombre mêlant amertume et solitude qui nous rappelle qu'il est difficile de sortir de cette situation où nos seuls refuges sont parfois nos propres tombeaux. Ce concept album est sincèrement touchant et évocateur du monde dans lequel ont vit. Contemporain. Juste. Réussi.
Pour ceux qui veulent prolonger le plaisir, EUPHORIA peut se lire également. Une BD dessinée par HOOBOOH est sortie en même temps pour accompagner l'album.
Quand tu écouteras cette chanson, Lola Lafon, Stock
Dans le cadre de la Collection Ma nuit au musée, l'autrice Lola Lafon a passé une nuit dans la maison d'Anne Franck et a tiré de cette expérience un livre intime, poétique et bouleversant.
Comme beaucoup d'entre nous, j'ai lu au collège le Journal d'Anne Franck, "que tous les écoliers ont lu et dont aucun adulte ne se souvient vraiment" (page10) J'en ai d'ailleurs gardé un souvenir mitigé car, jeune ado mâle, j'étais plutôt agacé par la jeune fille en qui je reconnaissais certaines camarades de classe (je n'étais moi-même pas bien malin...).
Devenu père d'une belle demoiselle qui entrera bientôt dans l'adolescence, je suis désormais bouleversé par Anne Franck, mais aussi par l'histoire de son père, cet homme dont tout ce qu'il reste de sa famille c'est le journal écrit par sa cadette et un rectangle de papier peint sur lequel il marquait chaque mois la taille de ses filles ("en deux ans, Margot a pris un centimètre et Anne, treize") et qu'il "décollera précautionneusement" à son retour des camps de la mort (page 83).
Grâce à Lola Lafon, j'ai découvert chez Anne Franck une véritable autrice, qui retravaillait son texte et prenait très au sérieux le fait d'écrire. Quand on y pense, c'est vrai qu'il y a dû y en avoir quelques uns des journaux intimes de jeunes juives, et si celui-ci a connu la postérité, c'est aussi sans doute dû à ses qualités littéraires.
Mais que je ne vous induise pas en erreur, Quand tu écouteras cette chanson n'est pas une étude stylistique ou historique de Journal d'Anne Franck., même s'il relate des faits marquants et comporte quelques citations qui soulignent la maturité de la jeune fille.
"On ne me fera pas croire pas croire que la guerre n'est provoquée que par les grands hommes, les gouvernants et les capitalistes, oh non, les petites gens aiment la faire au moins autant, sinon les peuples se seraient révoltés contre elle depuis longtemps ! Il y a tout simplement chez les hommes un besoin de ravager, un besoin de frapper à mort, d’assassiner et de s’enivrer de violence" (page 123)
Quand tu écouteras cette chanson est un livre personnel et intime constitué de courts chapitres d'une densité rare et d'une puissance folle, ce qui le rend d'autant plus émouvant. Il suffit à Lola Lafon de quelques mots pour nous faire ressentir ce que signifie être descendant de rescapés de l'indicible, de vivre avec un cortège de morts qui vous suivra jusqu'à la vôtre.
Car l'histoire d'Anne Franck touche de près l'autrice, cette grande blonde au nom de famille bien français qui a refoulé l'histoire d'une partie sa famille. Lola Lafon est issue par sa mère d'une famille de juifs d'Europe de l'est.
"L'histoire des juifs d'Europe centrale, je m'en suis écartée à l'adolescence. J'ai tourné le dos à l'abîme. Je ne voulais pas entendre, pas savoir. Leurs cauchemars ne seraient pas les miens. Ce que je souhaitais, c'était faire partie d'une famille normale. Qui ne soit le sujet d'aucun livre d'histoire, qui ne suscite ni pitié, ni haine" (page 45)
Les survivants directs de l'holocauste ont fait comme ils ont pu : "Lexomil et Temesta, compagnons de route de mes grands-parents, comme de tout leur entourage, ces immigrés juifs russes, polonais, roumains" (page 155)
Comment vivre quand on appartient aux générations suivantes ? Celles dont l'arbre généalogique a été taillé à la hache et réduit en cendres.
Comme le démontre Lola Lafon dans une prose délicate et percutante, cacher le traumatisme sous le tapis est illusoire : "Le ravage, dans ma famille, s'est transmis comme ailleurs la couleur des yeux" (page 44), "les fantômes, au contraire du mythe qui voudrait qu'ils nous hantent sans pitié, se tiennent sages" (page 53)
Paru le 17 août 2022
Éditions Stock, Collection Ma nuit au musée (dirigée par Alina Gurdiel)
180 pages | 19,50€
Un certain penchant pour la cruauté, Muriel Gaudin, Pierre Notte, La Reine Blanche
Elsa veut aider son prochain. Elle décide d’accueillir, Malik, mineur isolé venu d’Afrique dans sa famille aux apparences parfaites. Lorsqu’on a un a un mari, une fille, un travail, une maison et un joli jardin, c’est le moins que l’on puisse faire pour aider son prochain. Du moment que celui-ci reste bien à sa place…
Elsa est à l’origine d’accueillir un migrant au sein de son foyer. Christophe, son mari, et Ninon, leur fille ne peuvent qu’être d’accord. Chacun tente de trouver sa place dans cette nouvelle organisation. Mais tout se complique encore un peu plus lorsque des secrets de famille remontent à la surface.
Au fur et à mesure de la pièce, l’image de la famille parfaite vole en éclat. Le migrant devient savant. La mère parfaite retrouve son amant tous les mardis soir. La fille arrête de noyer son angoisse dans la nourriture pour offrir son amour. L’amant fuyant veut intégrer cette famille idéale.
“Un certain penchant pour la cruauté́” joue sur les apparences et questionne nos croyances sur l’autre. Qu’il s’agisse de l’autre appartenant à sa propre famille ou celui qui provient de l’autre côté du monde. La pièce explore avec humour les grands sujets de vie et de notre société moderne. Elle réussit à questionner à la fois notre rapport à l’amour, à l’identité, à l’accueil, à la filiation.
“Un certain penchant pour la cruauté” est une comédie grinçante qui fait réfléchir, rire et réussit le pari à conjuguer grande et petites histoires. On aime, on aime !
Jusqu'au 19 novembre 2023
La Reine Blanche - 2bis, passage Ruelle, 75018 Paris
Auteur Muriel Gaudin
Mise en scène Pierre Notte
Avec Fleur Fitoussi, Chloé Ploton, Muriel Gaudin, Benoit Giros, Antoine Kobi, Clyde Yeguete, Emmanuel Lemire, Clément Walker Viry
L’opéra de quat’sous, Bertold Brecht, Thomas Ostermeier, Comédie Française
Dans “L’opéra de Quat’sous”, nous sommes invités à partir à l’aventure dans les bas-fonds londoniens. Nous suivons les péripéties du bandit surnommé Macheath qui s’apprête à épouser la belle Polly Peachum…
Dans le quartier de Soho, nous retrouvons Jonathan et Celia Peachum qui s’inquiètent au sujet d’une rumeur grandissante sur le mariage supposé de leur unique fille et du célèbre bandit Macheath ! Mais loin d’être une rumeur, les plus fidèles de ses hommes sont conviés à la cérémonie dans une écurie dans ce même quartier de Soho.
Le couple ne peut pas rester les bras croisés et décide de contre-attaquer en le livrant à la police. Ce n’est pas une tâche aisée car Macheath et le chef de la police Brown sont des amis de longue date. Il cache d’ailleurs ses forfaits contre quelque compensation.
Prostitués, bandits et petits bourgeois vont alors se liguer tour à tour contre Macheath pour sauver leur peau ou le livrer à la police. Les histoires d’amour finissent mal en général mais à l’opéra, son sort est loin d’être scellé…
Cette production présentée tout d’abord au Festival d’Aix-en-Provence, est celle des premières fois. Il s’agit de la première mise en scène de Thomas Ostermeier pour l’opéra avec cette pièce musicale. La nouvelle version de cette traduction, française, apportent une grande touche de modernité dans le texte. Et pour finir, nous découvrons une chanson inédite sous la baguette de Maxime Pascal.
La nouveauté côtoie la tradition avec plusieurs choix qui peuvent s’avérer périlleux. On confie la responsabilité des parties chantées aux acteurs, ce qui s’avère plus ou moins réussi en fonction des chansons et des interprétations. On notera également le choix de la langue française et d’un orchestre composé de multi-instrumentistes.
S’agissant de la scénographie, Magda Willi imagine un décor minimaliste composé de tréteaux métalliques, quelques néons prompteurs et un ensemble de formes géométriques suspendues. Graphiquement, les vidéos sont esthétiques mais on a parfois du mal à saisir l’interaction avec la dramaturgie.
Le rendu est divertissant et nous passons un bon moment. Mais on notera un décalage entre les propos du texte engagé et le jeu des acteurs apparaissent parfois trop conventionnel ou au contraire, basculant dans une familiarité tendant vers la farce. Un mélange qui peut laisser perplexe.
Jusqu'au 05 novembre 2023
Comédie Française Salle Richelieu
2h30 sans entracte
Texte de Bertolt Brecht et musique de Kurt Weill,
avec la collaboration d’Elisabeth Hauptmann
Adaptation et mise en scène Thomas Ostermeier
Direction musicale Maxime Pascal
Récitatif, Toni Morrison, 10/18
Récitatif, la seule et unique nouvelle jamais écrite par la prix Nobel de littérature Toni Morrison, nous est vantée par le bandeau presse comme "un joyau" "brillant, drôle et cruel".
L'histoire est assez simple : deux fillettes de "races différentes" partagent pendant quatre mois une chambre dans un orphelinat. Elles sont alors inséparables et complices. Devenues adultes, elles se recroisent de loin en loin et constatent avec nostalgie et amertume que leur complicité enfantine a laissé place au malaise causé par la question raciale.
Ce court texte (59 pages) est conçu comme "l'expérience d'ôter tous les codes raciaux d'un récit concernant deux personnes de races différentes pour qui l'identité raciale est cruciale" (page 64). En gros, le truc du livre, c'est qu'il est impossible de savoir en le lisant qui est noire et qui ne l'est pas, alors que cette question est prédominante dans les relations entre les deux (ex) copines.
Dommage pour moi, j'ai postulé dès le départ que la narratrice était noire, tout simplement parce que Toni Morrison l'est et parce que je pensais qu'il s'agissait d'un texte autobiographique. Ce n'est donc qu'en parcourant la postface que j'ai compris de quoi il retournait.
Moi qui n'aime ni les préfaces, ni les nouvelles ni les postfaces (surtout quand elles sont plus longues que le texte lui-même !) j'ai bien peur d'être totalement passé à côté du livre...
Il m'en restera malgré tout le souvenir d'une nouvelle très bien ficelé, émouvante et percutante, dont la première phrase est assez géniale : "Ma mère dansait toute la nuit et celle de Roberta était malade".
Paru le 07 septembre 2023
chez 10/18
Zadie Smith (postface de),
Christine Laferrière (traduit par)
De vieux pot(e)s anglais : Blur, Slowdive, Teenage FanClub
Ce fut l’événement de cet été : les concerts de Blur ! Damon Albarn retrouve ses copains pour nous faire remuer dans tous les sens et rappeler le sens aigu du show à la sauce brit pop. Le retour du groupe était inattendu tellement les membres semblaient bien occupés chacun dans leur coin. Mais voilà, ils étaient de retour et ont mis le feu dans de nombreux festivals.
Et en plus, ils sortent un album, The ballad of Darren. Et là, un problème se pose: peut-on apprécier le temps qui passe et use les stars de notre enfance ? Au début des années 90, la brit pop donnait un coup de fouet au monde de la musique, après les effets morbides du grunge. Les dandys prenaient le pouvoir. L’humour anglais s'immisçait dans des mélodies juteuses. Les lads de Manchester voulaient se battre avec les bourges de Londres. Les quatuors qui devaient bousculer l’Angleterre étaient si nombreux…
On adorait cela et maintenant qu’est ce qui nous reste de ses gloires passées? Les vestiges de cette époque sont-ils encore solides? Les meilleures recettes sont-elles dans les vieux pots du Royaume-Uni. Il vaut quoi finalement le dernier Blur ? Honnêtement, ce n’est pas un album qui fait sautiller. Les quinquas ont peut être des problèmes de hanches aujourd’hui et Blur ne veut pas se laisser aller à une fausse jeunesse retrouvée.
Au contraire, les paroles sont mélancoliques et le rythme est nettement moins rigolard. A l’image de la pochette signée Martin Parr, tout se fait dans les contrastes. On retrouve les guitares très capricieuses de Graham Coxon, toujours ravi de vriller sur des morceaux discrètement maîtrisés par Alex James et Dave Rowntree. Mais une certaine tristesse résiste.
Le disque est en demi teinte. On entend Blur mais ce n’est vraiment plus le groupe de Parklife. Les retrouvailles sont empreintes de nostalgie. C’est beau mais pas totalement convaincant.
On est plus heureux finalement de suivre le parcours du Teenage FanClub qui continue un parcours chaotique mais vraiment généreux. En tout discrétion, ce qui est un peu une honte. Nirvana adorait le groupe et pourtant Norman Blake et ses amis ne sont pas arrêtés à une pop énervée. Au contraire, le groupe est devenu un disciple d’un son scintillant, doux amer et aux harmonies irréprochables. En 1997, le groupe signe peut être un sommet du genre : Songs from Northern Britain.
On a souvent enterré le groupe mais avec les années, Teenage FanClub est devenu un groupe sage, qui ne se laisse pas aller. On les devine toujours à la recherche de la mélodie ultime ou de la chanson pop dégraissée.
Rien n’est éternel mais les Écossais rêvent d’un disque apaisé qui offre un havre de paix à tout auditeur qui passe. Nothing Last Forever n’est pas un chef d'œuvre mais on a l’impression de retrouver de vieilles connaissances que l’on trouve plutôt en forme et prolixes.
Ce qui n’est vraiment pas le cas de Slowdive, groupe disparu en 1995 et qui a fait sensation en 2017 en signant un puissant quatrième album sorti de nulle part. Phénomène du shoegazing, on peut voir leur retour car le genre est revenu à la mode. Le groupe de Rachel Goswell n’a rien perdu de sa superbe. Il impressionne après un si long silence et cela se confirme avec leur nouvel album : Everything is Alive. Ils sont donc plus bavards que My Bloody Valentine mais leur son est rare…
Ils sont bien vivants et connaissent leurs classiques: guitares virevoltantes, synthés roublards et voix éthérées. Ça plane dans un bouillon électrique du plus bel effet. On retrouve le style et c’est vrai que l’on trouve le groupe très contemporain, à l’aise dans son époque.
Leur musique est un possible ailleurs ténébreux mais jamais effrayant. C’est le spleen ordinaire du groupe mais il nous fait du bien car il emprunte un labyrinthe sonore toujours aussi captivant.
Avec les années, certaines vieilleries possèdent un éclat toujours aussi intrigant. Il faut profiter des vestiges du passé, pour apprécier les petits plaisirs sonores du présent !
Blur - The ballad of Darren
Teenage FanClub - Nothing Last Forever
Slowdive - Everything is Alive
EXIT ABOVE, d’après la tempête, Anne Teresa de Keersmaeker, Biennale de Lyon
Au sol, des marquages colorés évoquant ceux d’une piste de course. A gauche de la scène, quatre guitares et un ampli. Au centre, un grand tissu blanc d’étrange matière. Le décor de Exit Above est très dénudé. Les danseurs se changent et boivent non pas en coulisse mais contre des murs noirs apparents.
Dès lors, toute l’attention du public ne peut se faire que sur les danseurs ainsi que sur les deux musiciens présents sur scène. Très vite nous apparaît une première tempête, par une agitation du tissu blanc.
Mais nous comprenons que, lorsque le tissu retombe, la tempête n’est pas finie ; elle est perpétuée par les danseurs et la musique. Il s’instaure alors une variation entre moments calmes et véritables tempêtes émotionnelles éveillées par les danses présentées sur scène. Cette variation est d’ailleurs autant perceptible dans la danse que dans la chorégraphie, mais aussi au travers de la musique accompagnant la pièce.
En effet, plusieurs répertoires musicaux sont invoqués. De la guitare sèche seule à l’électro, en passant par des chants accompagnés de guitare. La tempête semble s’élargir bien au-delà du titre.
La tempête est aussi celle des arts présents sur scène. Il n’est en effet pas de style de danse prédominant dans Exit Above. Certains mouvements sont classiques, d’autres contemporains, certains relèvent plus des acrobaties.
Tout cet ensemble amène à une véritable formation organique. Les identités des danseurs sont perceptibles à chaque moment de la pièce. Nos sens sont d’ailleurs fortement stimulés durant toute la représentation, car il n’est pas rare que l’on ne sache pas où donner des yeux tellement la scène est occupée. Si un duo de danseurs se trouve éclairé par un projecteur, il est toujours bon de scruter ce qui reste dans l'ombre, car d’autres danseurs y sont aussi à l’œuvre.
Cet ensemble organique crée ainsi une proximité avec le public. Celui-ci peut d’ailleurs être perdu face à cette tempête multiple ! C’est aussi pour cette raison que, lorsque la pièce est finie, nous nous demandons si nous avons pu saisir l'intégralité de ce que nous avons vu, et nous souhaiterions alors retourner voir la pièce.
La sortie du dessus (Exit Above) serait alors celle à laquelle nous amène la tempête, qui nous a porté émotionnellement dans les airs. Seulement, voudrons-nous prendre cette sortie ? Ou bien au contraire redescendre, une fois la tempête calmée, afin d’assister à sa résurrection ?
du 20 au 22 septembre 2023
Opéra de Lyon
Biennale de Lyon 2023
durée 1h30
Les Méritants – Julien Guyomard -Théâtre de la Tempête
Dystopie, zombie et méritocratie.
Le plateau est un espace de travail aux apparences d’atelier. Une serre adossée à un mur, côté cour. Des paravents entassés côté jardin, des sacs à gravats en fond de scène, un tas de terre végétale, comme les restes entassés d’un espace de vie en transformation. Ils sont tout d’abord six personnages à entreprendre le public pour lui expliquer que l’apocalypse a eu lieu et que le monde est désormais divisé en deux espèces, les survivants et les zombies. Puis huit. Les retardataires montaient la garde pour protéger la zone des survivants. Il faut tout reconstruire.
Puis arrive le zombie. Celui qui fera vaciller le rapport à la norme et à cette nouvelle société post-apocalyptique qui cherche à se réinventer. Le zombie ne mange finalement pas systématiquement les hommes. Mieux, il a envie de travailler et d’aider à reconstruire ce nouveau monde. Faut-il l’accueillir, lui donner sa place ? Faut-il lui donner la chance de se réaliser malgré sa différence profonde au sein du Comité central ? Lui confier des responsabilités ? Cet exemple peut-il servir la cause de cette nouvelle société en construction qui manque de volontaires et de main d’œuvre ?
Les survivants trouveront rapidement la réponse en basculant progressivement vers une société libérale qui s’appuiera sur l’exemplaire Zombie pour prouver qu’avec de la volonté, on se sort de tout, que le travail est une source de bonheur et d’épanouissement personnel. Une méritocratie fondée sur le succès du transfuge qui nourrit à son tour la notion de mérite jusqu’aux limites d'un théâtre de l’absurde où il devient bon de « Travailler plus pour mourir moins ». La règle est simple : les zombies peuvent aider et s'associer au projet à condition d'être un méritant.
Avec humour, les tableaux vont s’enchainer et décortiquer le concept de mérite en questionnant en miroir ce qu’est devenu notre ascenseur social, en démontrant que la notion de mérite vient finalement servir et cautionner le fonctionnement d’ une seule partie de la population, les dominants, minoritaires, qui ne représentent qu’une toute partie de la population. Le mérite est devenu un mode de justification des inégalités.
Le tour de force de cette dystopie parodique et politique marquée par les travaux en sociologie de François Dubet et d’Annabelle Allouch (Le Mérite, ed. Anamosa) , est d’avoir réussi à se saisir du thème populaire du Zombie pour permettre à tous les spectateurs de penser avec humour les déséquilibres et déterminismes sociaux. Le Zombie s’appelle l’Autre, le différent en apparence, l’étranger, celui qui vit dans la grande pauvreté.
Sans être moralisante ni démonstrative, la pièce de Julien Guyomard vise juste et remet en lumière un sujet sensible avec ses problématiques dont nombreuses sont en suspens. La mécanique est bien huilée. On sort de ces deux heures de théâtre le sourire en coin avec de nombreuses questions soulevées. L’objectif est atteint. Un succès mérité ? A voir.
Les poupées persanes, Aïda Asgharzadeh, Théâtre de la Pépinière, Paris
Du rire aux larmes, destinées mêlées entre l'Iran des années 70 et la France à l'aube du passage à l'an 2000. Pièce humaniste à voir !
Aïda Asgharzadeh nous raconte une partie de son histoire personnelle à la manière d’un conte persan. Comédienne et auteure d’origine iranienne, elle nous plonge en simultané dans le quotidien pétri d’idéaux de quatre étudiants à Téhéran et d'une mère avec ses deux filles invitées dans un chalet en altitude.
Son écriture fine et militante met en scène des personnages forts. Les femmes sont loin d’être des poupées. Dans l’Iran des années 70, elles sont étudiantes, professeurs, libres et amoureuses. Insidieusement, la répression s’installe avec l’arrivée de l’imam Khomeini et l'installation des mollahs au pouvoir. La violence fait rage dans les rues. Le pouvoir des femmes se réduit à vue d'œil. Les yeux finissant par être tout ce qu’elles peuvent laisser entrevoir d’elles. Défilent sous nos yeux des vidéos d’archives dont la résonance avec l’actualité fait froid dans le dos.
Dans une mise en scène rythmée de Régis Vallée, les six comédiens n’arrêtent pas. Tantôt acteurs, tantôt techniciens pour changer les décors ; ils virevoltent sur les planches d’une prison iranienne à un télésiège, d’une boite de nuit à une salle de classe à Téhéran. Avec prestance et émotions, ils nous font passer du rire aux yeux embués.
Les comédiens portent aussi bien les actions poignantes en Iran que les scènes coquasses à la neige qui font bien rire la salle. Juliette Delacroix a rejoint la troupe formée pour le festival d’Avignon en 2021 et le théâtre des Béliers. Elle y joue le rôle d’une des filles, adolescente impertinente, écorchée vive. On s’identifie à ses difficultés d’assumer le décalage culturel d'enfant d'émigrés, de comprendre son histoire familiale avec ses secrets et ses zones d’ombre.
Nul doute que la pièce va continuer de rencontrer un grand succès à Paris et en tournée tant elle nous rejoint sur des thèmes profonds et universels, tels que la douleur de l'exil, la résistance, la construction identitaire à partir d’une histoire familiale biculturelle.
A partir du 14 septembre 2023
La Pépinière Théâtre, Paris 2ème