Take Me Apart
Kelela est une bien jolie chanteuse qui parle d'amour et groove sur des rythmes diaboliques. Heureusement il y a un petit peu plus dans sa musique.
Car on ne compte plus les jolies pépées qui dansent sur des chansons trafiquées pour envahir toutes les grandes surfaces. Elles rêvent toutes d'avoir un titre qui accompagne une campagne de pub pour un gros fournisseur de fringues. Mais ce serait un affront de juger cela à propos de Kelela, étrange et fine jeune chanteuse.
Car la production de son premier opus n'est pas tout à fait comme les autres. Heureusement. Elle a tout d'une tête chercheuse. Elle ne répond pas finalement aux canons de la production actuelle malgré une pochette sensuelle qui pourrait nous faire penser qu'elle cherche à aguicher l'amateur de R&B moite et commercial.
Bien entendu, elle trafique sa voix. Elle la décompose pour la recomposer. Elle se fait des choeurs pour elle seule. Elle est une touche à tout plutôt douée. Et il y a des producteurs qui viennent jouer avec elle: ils se contournent habilement les pièges du genre.
Le style n'est pas défini mais il prouve que c'est un disque d'aventurière. On entend beaucoup de sons dans son album. Il y a des choses classiques mais souvent on est surpris. Il suffit d'une note ou d'un son pour que cela fasse toute la différence.
C'est de l'avant garde en réalité. On croise d'ailleurs Arca, le nouveau chouchou de Bjork. Kelela n'aime pas les facilités et cela s'entend à chaque instant. La densité du disque est trop imposante mais on aime piocher dans son répertoire car il y a de la nouveauté et de l'inspiration. Cela reste néanmoins du R&B très contemporain. Si vous êtes allergiques au genre, ne vous approchez pas de cette fille. Si vous aimez les nouvelles expériences, partez à sa rencontre!
Warp - 2017
Arrête avec tes mensonges, Philippe Besson, éditions 10/18
Ils sont rares, ces écrivains français qui parlent d’eux-mêmes sans prétention. Ils sont rares et c’est d’autant plus appréciable. Besson a l’art de nous faire douter. Est-ce tout à fait lui ? Ou est-ce un autre ? L'emploi de la première personne du singulier brouille les pistes. L’utilisation des descriptions physiques (très) proches de son apparence laisse perplexe.
Cela pourrait être un écueil au plaisir de la lecture. Il n’en est rien. Parce que la sensibilité et la douceur sont omniprésentes dans ses livres. S’y ajoute une infinie délicatesse dans les scènes de sexe esquissées, voire énoncées avec une grande simplicité. L’auteur et ses personnages aiment les garçons. Mais le militantisme est absent. C’est juste une évidence.
Le style de Philippe Besson, s’il semble très accessible, déconcerte pourtant. Ses longues phrases, qui sont une inspiration pleine de points virgule, étonnent. Qui utilise encore aujourd’hui le point virgule ? Et puis soudain, une expiration, une petite phrase. Sujet, verbe, complément. Cette dichotomie devient un ensemble et génère alors une vraie fluidité.
Outre ces considérations techniques, les livres de Besson sont des livres d’amour. En l’absence des hommes et Un garçon d’Italie touchent de plein fouet le lecteur, le bouleversent, parfois jusqu’aux larmes. L’amour, surtout entre deux hommes, serait-il nécessairement douloureux, voire impossible ? Y renoncer pour croire que la vie sera plus facile entraîne-t-il fatalement le désespoir ?
« Arrête avec tes mensonges » pose une fois de plus ces questions. On est au début des années 1980, on peut arrêter ses études après le bac et trouver du travail. On fume beaucoup, les cigarettes ne sont pas chères, on a des walkmans, le sida n’a pas encore anéanti tant de jeunes vies. Quand on est un garçon, on ne peut pas aimer un autre garçon. Ça se fait en cachette, sinon c’est la violence, le bannissement à jamais de la famille, et adieu les amis. Malgré tout, comme dit si joliment Philippe Besson, « l’amour se fait ». En secret, avec avidité et fébrilité. Les premières jalousies, les premiers désirs de cet adolescent qui ne s’aime pas, ébloui par un garçon beau et solaire, Besson nous les fait partager de manière poignante. Autobiographique ? Peut-être. Peut-être pas. Peu importe. Ce sont avant tout des instants pris sur le vif, un témoignage attachant du passage de l’innocence à l’âge adulte. Beaucoup plus tard, le hasard fait que l’homme se retourne vers ces années lointaines qui auraient peut-être été différentes si le garçon solaire n’avait pas eu peur. Probablement son plus beau livre.
Arrête avec tes mensonges,
Philippe Besson,
éditions 10/18,
160 pages
Wonder Wheel
Si on oubliait quelques instants la polémique autour de Woody Allen pour se consacrer à la critique de son dernier film... peut être le vrai dernier à Hollywood.
Puisque l'on balance tous les porcs par la fenêtre en Californie, Woody Allen et sa sulfureuse réputation est devenu une personne peu désirée du coté d'Hollywood. Coupable ou victime, ce n'a pas d'importance. Ce que l'on juge ici c'est son dernier film, Wonder Wheel, qui pourtant porte un regard foudroyant sur une femme humble, passionnée et si fragile.
Hélas, rien de nouveau. Ca sent fort la redite. On pense à Blue Jasmine. On imagine très bien une pièce de théâtre classique américaine. Woody Allen regarde plutôt derrière lui. Cela fonctionnait très bien dans le très classe Café Society et son romantisme désuet. Ici, ca sonne un peu faux.
Cela dit, comme son précédent effort, Wonder Wheel rappelle l'immense talent du directeur de la photographie, Vittorio Storaro. Le bonhomme compose des couleurs criardes sur le parc d'attraction de Coney Island des années 50 qui vont un peu plus loin que la simple nostlagie. Elle baigne les tristes héros du film dans une ambiance rétro mais chaleureuse.
Pourtant, Allen est une fois de plus défaitiste: comme dans Blue Jasmine, le sort réservé à son héroïne ne sera pas glorieux. Ses rêves et ses désirs vont se cogner à la triste réalité. Ou aux rêves et désirs des autres. En tout cas, l'enfer c'est clairement les autres pour Ginny, serveuse de quarante ans, prise au piège dans un parc d'attraction bruyant et photogénique.
Elle a un mari, Humpty, réparateur de manège, qui rêve de boire un verre d'alcool. Elle a un fiston d'une dizaine d'années qui prend son pied à mettre le feu à tout ce qui passe devant lui. Arrive dans cette famille, Carolina, la première fille de Humpty, qui fuit un mari gangster et qui aimerait lui faire la peau. La demoiselle veut se faire discrète. Elle veut changer de vie.
Toutes les envies des autres passent devant Ginny, ancienne actrice déchue. Mais elle retrouve le goût des choses en tombant sous le charme d'un maître nageur de Coney Island, qui a l'ambition de devenir un écrivain. Elle ne veut plus être corvéable: elle veut vivre!
Mais comme souvent chez Woody Allen, tout se termine sur de lourdes désillusions. Le destin n'est pas tendre et l'amour serait une chimère. Le constat est rude mais le ton est doux amer. Sans surprise, Woody Allen offre un magnifique portrait de femme à la lumineuse Kate Winslet. Tous les autres acteurs sont épatants. La partition est parfaitement jouée.
Bizarrement, elle est moins jubilatoire. Moins virtuose. Sans coup d'éclat. La déprime du personnage central semble un peu envahir le spleen pourtant créatif du clown triste qu'est Woody Allen. Il se remet à la beauté de l'image pour tromper son monde et jouer avec le désenchantement de l'existence. Wonder Wheel est un film recommandable, plus que son auteur en ce moment, mais il semble un peu arrivé après la bataille. comme la roue ou un manège, cela tourne un peu en rond.
Avec Kate Winslet, Justin Timberlake, Juno Temple et Jim Belushi - Mars films - 31 janvier 2018 - 1h40
Golem le tueur de Londres
Ha les mystères de la distribution! Pour des comédies françaises réalisées comme des téléfilms, de grands films étrangers n'ont le droit qu'à la VOD. La preuve avec ce polar incroyable qui vous met la tête à l'envers.
C'est bel et bien l'ambition de Juan Carlos Medina, auteur d'un petit film de genre espagnol, Insensibles, remarqué et remarquable. Là bas, le film de genre a été compris et digéré par toute une génération qui s'amuse bien, ce qui n'est pas vraiment le cas chez nous! Mais bon arrêtons de nous morfondre, puisque nous sommes en face d'un très bon polar.
Medina se fait son "From Hell" rien qu'à lui. Il s'émancipe de la légende de Jack L'Eventreur pour simplement réinventer le style gothique, la violence craspec et la narration éclatée. Le héros de ce film est balancé dans une intrigue floue et inquiétante.
L'inspecteur Kildare reprend une enquête qui inquiète la ville de Londres. En 1880, la capitale gadoueuse et industrielle est le théâtre d'un odieux meurtrier. Une véritable légende urbaine nait autrour des assassinats ignobles et notre pauvre inspecteur doit vite éteindre l'incendie qui met le feu à la population.
Il rencontre de nombreux témoins et le film se construit autour de différents points de vue. Petit à petit, le thriller se met en place et la méthode de Medina devient une puissante arme pour nous passionner sur un théme ultra rabaché: la découverte et la neutralisation d'un serial killer.
Les images sont belles. La musique nous captive. L'atmosphère de la ville est bouillonante. Avec peu de moyens, Medina réussit un tour de force épatant. On est ravi d'être dans les bas fonds de Londres. Les acteurs sont impressionnants. Bill Nighy, remplace Alan Rickman, trop vite parti, pour jouer un policier perdu dans des enjeux politiques et des mensonges incroyables. Olivia Cooke joue une femme qui rêve d'émancipation dans un monde de brutes. Tout le monde est à sa place pour un thriller historique mais surtout labyrinthique.
Constamment le réalisateur remet en cause ce qu'il a montré juste avant. Il joue avec le temps. Il jongle avec nos émotions et on se fait avoir. Le seul regret c'est de ne pas voir ca sur grand écran!
Avec Olivia Cooke, Bill Nighy, Douglas Booth et Daniel Mays - 2017