Antigone, Sophocle, Sébastien Kheroufi, Théâtre du Soleil


 
Autour du puits, dans un décor aride de plaine algérienne, Antigone et Ismène se retrouvent. Entre sœurs, elles prient et s’interrogent sur leur réaction face à l’édit du roi Créon de n’accorder qu’à un de leurs frères une sépulture et laisser l’autre en nourriture aux rapaces.

 
Antigone questionne avec toujours autant de force la soumission à l’ordre établi, les conflits d’intérêts entre le code d’honneur, l’amour de la famille, le respect de Dieu, des vivants et des morts. L’ entrée en scène de Créon nous vaut un fou rire totalement inattendu et si salvateur. François Clavier incarne le personnage avec bien plus de complexité et d’ambivalence que le simple tyran. Cette adaptation internationalise la colère d’Antigone. Elle lui donne une résonance très actuelle avec la présence de femmes aux destinées singulières. “Quatre femmes rencontrées au Foyer Emmaüs de Saint-Maur-des-Fossés. Quatre forces venues d’ailleurs ayant connu l’exil. Des Ismène, des Antigone. Elles forment ici le Choeur du spectacle”, nous explique le metteur en scène Sébastien Kheroufi. Et elles mettent leurs tripes sur scène. Avec gravité et dignité. Remarquablement mises en confiance par Edwina Zajdermann, très prometteuse, dont je salue ici la diction et la prestance.
 
Leur monde s’ouvre à nous, venant de sociétés où la mort est sacrée. On entend dans leurs cris la colère contre l’ordre établi dans leurs pays d’origine, leur indignation contre les lois dictées par les hommes. C’est comme une tribune ouverte de relecture de leur propre histoire que leur offre Antigone avec ses mots, son combat : “Ce n’est pas une honte de ne pas penser comme les autres”, “je ne souffre pas si l’honneur est sauf,” j’ai le droit d’enfreindre une loi si elle atteint en profondeur mes valeurs.
 
On peut regretter certains choix de mise en scène dans l’obscurité, la fin sanguinolente qui s’éternise.
Mais dès la sortie du théâtre, la lecture des textes lus en langue originale renvoie à l’essentiel : l’actualisation audacieuse de cette figure mythique. Cet hommage à des femmes oubliées de l’histoire comme Aline Sitoé Diatta, résistante sénégalaise, pacifique et écologique contre la colonisation française, réveille notre sens citoyen. Et l’on repart avec l’admiration chevillée au corps pour cette figure libre, résistante, insurgée, insoumise, radicale, courageuse, comme ces femmes du foyer Emmaüs.

du 4 juin au 1e juillet 2023
Pièce jouée dans le cadre du Festival départ d’incendies, festival de jeunes troupes que la metteuse en scène Ariane Mnouchkine accueille dans la salle de répétition du Théâtre du Soleil à la Cartoucherie dans le bois de Vincennes www.festival-depart-d-incendies.com  

Misanthrope (To catch a killer), Damián Szifron, Metropolitan FilmExport

Voilà le genre de polar qu’on aime. Pas très poli et âpre. Une fiction qui en dit long sur notre monde et sa folie. Une vraie revanche du thriller au cinéma.

C’est un thriller qui nous met mal à l’aise. Il n’est pas spectaculaire ou sanglant. Non, il nous place dans une situation inconfortable. C’est ce qu’offre le cinéma, à la différence de la télévision : une réflexion ou un reflet de nos ambiguïtés. Pas que du divertissement. C’est exactement le principe de Misanthrope : le tueur du film serait presque sympathique.

Un sniper descend au hasard des personnes qui fêtent le Nouvel An à Baltimore. C’est la panique. Un agent du FBI repère une simple flic un peu plus futée que les autres et décide de lui demander son aide pour capturer l’insaisissable assassin.

On ne peut pas en dire plus, mais le cinéaste argentin Damian Szifron réserve tout un lot de surprises. A commencer par des personnages complexes qui vont vite nous fasciner. Finalement les enquêteurs finissent par admirer le monstre qui hante la ville. Le film observe effectivement cette haine de soi qui entraîne des choses insensées. Y compris chez nos héros.

Szifron retrouve tout le trouble qui faisait le charme des films de serial killers du début des années 90, comme Le Silence des Agneaux. La jeune Shailene Woodley nous rappelle Jodie Foster et on appréciera la partition solide de l’excellent Ben Mendelsohn en mentor jusqu’au-boutiste.

Le bien et le mal s’entremêlent et le réalisateur des Nouveaux Sauvages se permet un jugement sévère sur l’Amérique : le titre est clair sur le discours. Mais le réalisateur a surtout une sécheresse de ton qui finit par devenir une vraie virtuosité narrative. On est littéralement embarqués dans cette course contre la montre.

On pourrait crier au chef-d’œuvre mais hélas tout se casse un peu la figure dans la toute dernière partie, plus convenue et prévisible. Le besoin de tout justifier finit par gâcher un final un peu fade alors que tout le reste relève vraiment d’un possible classique. Misanthrope est un film passionnant qui ne demande qu’à être vu et revu pour y comprendre - bien plus qu’un polar - un point de vue sur l’état de nos sociétés fracturées. Épatant !

Sortie le 26 avril 2023
Avec Shailene Woodley, Ben Mendelsohn, Jovan Adepo et Ralph Ineson
Metropolitan FilmExport – 1h 58min

Spider-Man : across the Spider-verse, Marvel

Venez découvrir Miles Morales, la petit bête qui monte, qui monte, qui monte...

Il nous fait surtout oublier un genre qui tourne en rond et devient le héros d'un film d'animation à l'hystérie graphique qui force le respect. Pas étonnant que les réalisateurs soient au nombre de trois. La surmultiplication des idées explose littéralement à l'écran. Ce n'est pas un film de tout repos. 

On ne s'étonne pas de croiser au scénario et à la production les trublions d'Hollywood : Phil Lord et Christopher Miller. En matière de pop culture ils sont imbattables et on les remercie encore aujourd'hui pour Tempête de boulettes géantes et leur adaptation de 21 Jumpstreet ! Face à un mythe comme l'homme araignée, ils n'ont pas froid aux yeux et poussent le concept de multiverse jusqu'au paroxysme. Sans dénaturer la matière première : les enjeux émotionnels d'un super héros. C'est le grand sujet de Spider-man et tous ses clones.

La réalisation délirante se calque alors sur le tourbillonnant quotidien de Miles Morales, tisseur de Brooklyn et adolescent mal compris. Il vit bien dans son époque mais d'autres mondes vont s'imposer à lui et troubler la vie du jeune homme, de sa famille et quelques doubles maléfiques.

Plus contemporain qu'un sage Peter Parker, Miles Morales inspire une mise en scène absolument dingue. Elle est fatigante mais bien dans son temps : rapide, colorée et déstabilisante.

Mais aussi tellement plus intéressante que le moindre super héros apparu à l'écran depuis ces cinq dernières années. Film d'animation, le film a clairement de l'épaisseur. Il souffre d'une longueur inutile mais rafraîchit tous les codes en leur appliquant un traitement de choc. On en prend plein la tronche !

Un troisième volet est déjà en préparation mais ce dessin animé est à tout point de vue différent et doit être vu. Et revu. Jusqu'à ce qu'ils livrent tous ses secrets très inventifs !

Une bonne surprise.

Au cinéma le 31 mai 2023
Sony Marvel - 2h20

Noel Gallagher’s High Flying Birds, The Foo Fighters, Ben Folds

Cette semaine ce sont de vieilles connaissances qui font l'actualité. On le sait désormais : le rock est aussi un truc de vieux ! On aime bien la décharge post-adolescente des premiers albums. On reste dubitatif sur des albums qui se mettent à se répéter mais, de temps en temps, les rockeurs trouvent le moyen de se refaire et retrouver le mojo !

Quand il ne se moque pas de son frère, Noel Gallagher est capable d'écrire de bonnes chansons. On en trouve un certain nombre sur son quatrième album solo, Council Skies

Le soupçon sur l'artiste : vouloir ressembler à l'un de ses idoles, Paul Weller. Comme lui, l'aîné des Gallagher aime bien triturer son genre de prédilection pour en sortir quelque chose d'original. Ça a donné des trucs parfois psychédéliques ou un peu fumeux. Cette fois-ci il fait dans la douceur. Son disque est tendre, à l'inverse de ses interviews belliqueux.

Avec une pointe de soul music, il fait une fois de plus évoluer son style. Ça fonctionne bien. De Manchester, avec son groupe High Flying Birds, il continue d'étudier et décomposer la musique d'Oasis. Mais il le fait sans mélancolie et avec une vraie amabilité qui s'entend au fil des titres.

Il y a aussi de beaux sentiments dans le onzième album des Foo Fighters. On se demandait comment le groupe allait réagir après la disparition de leur batteur, Taylor Hawkins. But Here We Are est donc la réponse à cette épreuve.

Après la disparition de Kurt Cobain, Dave Grohl s'est fabriqué une âme de guerrier du rock avec les Foo Fighters. Il devient ici une sorte de sage qui affronte la mort une fois de plus avec une énergie brute et lyrique.

On ne change rien mais ça change tout. Avec la tragédie les chansons sautillantes ont évidemment une autre saveur. Le groupe continue de dérouler son savoir faire. Riffs ravageurs, batterie malmené, chant protéiforme... Grohl semble lutter contre les mauvais esprits et résiste de la plus belle des manières ! Le rock des Foo Fighters est mainstream mais particulièrement touchant au fil de ces nouvelles chansons. 

Ben Folds ne fait plus depuis longtemps dans le rock (faussement) sauvage. Dans les années 90 avec le Ben Folds Five, il avait fait le lien assez fou entre le grunge et Elton John! 

Et le résultat était original. En solo, le chanteur pianiste est devenu l'un des plus convaincants disciples de Brian Wilson, héros torturé des Beach Boys. Il a donc beaucoup freiné le rythme et s'est pris de passion pour les arrangements.

Ses disques sont tous atypiques et souvent passionnants. Son petit dernier (après six de silence) ne renouvèle pas la formule. Une fois de plus elle est peaufinée par Ben Folds.

Tout est donc d'une finesse réfléchie. On adore aussi sa façon de croquer les petites choses de la vie avec ce goût pour la nuance et la mélodie. Il y a peut être un peu trop de nostalgie dans What Matters Most mais sa vision de la musique est quelque chose de rare donc précieux.  Comme les autres briscards, leur expérience commence à faire la différence et dans ces trois cas cela réussit bien à leurs nouvelles aventures musicales qui pour une fois ne font pas dans la redite ronflant. 

Noel Gallagher's High Flying Birds - Council Skies
The Foo Fighters - But Here We Are
Ben Folds - What Matters Mos
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Le beau mois de Mai… tal ! Lankum, Rodrigo y Gabriela, Metallica

Le beau mois de mai. La saison triste est derrière nous! Le jour s'impose sur la nuit. Le festival de Cannes va démarrer ! Les péteux vont s'installer sur les gradins de Roland Garros ! Et le Hellfest va rugir de nouveau ! 

Le métal n'est peut être pas le style de la maison mais il est de bon ton de s'y intéresser. Depuis un an, FIP diffuse une Web radio sur le sujet. Et que l'on n'aime pas les hurlements et matraquage de batteries n'empêchent d'étranges subtilités qui trouvent de l'écho dans nos petites têtes et nos petits cœurs. D'ailleurs les hardos sont réputés pour être de douces personnes en festival ou concert. Un pogo et de la courtoisie : un savant mélange !

Car cette musique de barbares qui va être célébrée au controversé Hellfest (trop gros trop cher trop tout) peut se trouver au delà de ses convention ultra identifiables !

Par exemple, False Lankum le dernier album des Irlandais de Lankum ! Ce que l'on entend : du folk et de la tradition. Ce que l'on ressent : du bizarre et du sombre !

Le quatuor serait un rejeton du Moyen-Age de tous les groupes de métal qui crachent leur malaise et la folie du Monde. Virtuoses avec de vieux instruments sortis d'un bois ancestral, les musiciens de Lankum proposent un style obscur et fascinant.

Les chansons s'articulent sur un côté lugubre que l'on porte peu au folk. On connaît les ballades tristes mais les Irlandais poussent leur musique vers une vraie angoisse qui s'expriment sur des styles plus extrêmes. Pour ceux qui ont peur des décibels. Lankum est une solution.

Si vous vous voulez approcher le style sans trop vous abîmer les tympans ou craindre la foudre, il y a aussi les acoustiques Rodrigo y Gabriela

In Between Thoughts...A New World, leur sixième album est de nature calme et posée. Ce qui est étonnant pour ce duo qui vient de la scène trash mexicaine. Connus pour leurs reprises acrobatiques de hits du hard rock, ils reviennent avec de nouveaux bidouillages autour de leurs six cordes.

Ça peut être très élégant sur certains morceaux avec des textures de chansons assez expérimentales! De temps à autre on est plutôt dans une bande son d'un film de Robert Rodriguez, entre Desperados ou Machete.

C'est kitsch mais ce n'est pas forcément un mal. Et on sent toujours et encore ce goût pour le spectaculaire venu des années électriques du duo.

 

Après ces deux étapes exotiques, revenons vers des choses plus électriques et le retour des vieux pistons du métal. Metallica revient et c'est totalement accessible à tous ! Les puristes vont râler une fois de plus mais bon après 40 ans de service, le groupe californien n'arrive plus à sortir la perle noire, concise et agressive... 

A la place, on a le droit à un enchaînement de morceaux de bravoure ! Le bassiste nous fait hérisser les poils avec quelques lignes bien écrasantes tandis que le batteur brutalise son instrument avec une impressionnante dextérité.

Les guitaristes se découpent les doigts sur des riffs héroïques et on assiste à un cours sur le tricot métallique !

Comment l'ensemble finit par être un truc harmonieux et abordable ? Lars Ulrich et ses potes ne veulent plus faire peur. Ils défendent leur métal bien sous tout rapport et si ça énerve les anciens, on remercie Metallica de ne pas essayer de choquer le bourgeois. Ça ne serait pas trop crédible. 

A la place, des chansons simples et généreuses pour faire des grand huit sonores avec tout le barnum du genre : thématiques glauques, pas de slow et pirouettes électriques assez efficaces! Metallica ronronne un peu trop longtemps mais en ce début de mois de mai, on va commencer mollo, profiter des ponts et si ça vous intéresse jetez une oreille sur la copieuse programmation du Hellfest ... en espérant que cette petite préparation vous aura aidée ! 

Lankum - false lankum
Rodrigo y Gabriela - in between thoughts a New world
Metallica - 72 seasons

Les larmes du Reich, François Médéline, 10/18

En 1951 dans la campagne française, un couple paisible est retrouvé assassiné tandis que leur fille a disparu. Un étrange inspecteur est dépêché de Lyon pour tenter de résoudre ce crime qui a un rapport avec la Seconde Guerre Mondiale.

François Médéline soigne son écriture et l'on sent qu'il aspire à être un écrivain littéraire. Il ne résiste pas au plaisir coupable de se livrer à des descriptions lyriques. C'est poétique, mais un rien ampoulé.

" La façade drague le midi pour cueillir le soleil de l'hiver. Elle est recouverte d'un ampélopsis pour se cacher de l'été. Par delà reprend la prairie, délimitée par des haies, une charmille de mûriers et puis, il le mettrait à quatre lieues, un massif anthracite dessinant, en son extrémité septentrionale, trois becs de calcaire. " (page 16)

Heureusement, on rentre vite dans son style, et dans le vif du sujet. Très rapidement, on pressent qu'avec son vélo et ses obsessions, le personnage principal, "l'inspecteur", est plus que limite. Et c'est ça qui est bien ! C'est cette étrangeté du flic, du héros, qui rend le livre si particulier et intéressant. Il prie avec bien trop de ferveur pour être catholique ! Le suspens monte efficacement et il vous faudra un peu de patience pour comprendre ce qu'il cherche à résoudre exactement dans cette affaire de double meurtre et de disparition, la clé n'étant donnée qu'à la fin du livre.

Ce roman qui se lit d'une traite est bien fichu et instructif, avec un regard légèrement décalé sur l'histoire de la dernière guerre mondiale. Un petit plaisir, même si le sujet est grave.

Paru en poche le 06 avril 2023
chez 10/18 Polar
192 pages / 7,50 €

Jeanne du Barry, Maïwenn, Le Pacte

Maïwenn, enfant terrible du cinéma français, se dresse un autoportrait qui amuse et agace en même temps. Plaisante reconstitution, Jeanne du Barry serait-il un gros ego trip ?

La réponse est simple : oui. Il y a du Maïwenn partout. La comédienne est de tous les plans. Son énergie est tenace et résiste au ripolinage historique. Pourtant les instincts de la cinéaste sont nettement plus atténués. C’est aussi ce que l’on aimait chez elle.

Ici, tout est compensé par des chouettes ornements. Versailles est un lieu magnifique que la réalisatrice exploite sans retenue. L’image est délicieuse et pleine de détails. On apprécie aussi la douce musique et des cadres au soin royal. On est à mille lieues de Polisse, son coup de maître.

Grosse personnalité, la réalisatrice se filme donc ici sous toutes les coutures. Celles d’une roturière qui va gravir doucement mais sûrement l’échelle sociale pour débouler dans le lit du roi Louis XV. Un type finalement mutique qui s’ennuie dans sa fonction et pleure les drames personnels de sa vie.

Elle le divertit et lui tente d’aimer. C’est une jolie comédie qui se prépare entre Jeanne Du Barry et le Roi de France. Maïwenn a de l’aplomb pour faire face à Johnny Depp, lui aussi figure brisée du cinéma. C’est le problème du film. Il n’existe plus par lui-même mais par ce qu’il se passe en dehors de l’écran. Les deux acteurs sont sulfureux et il est impossible de ne pas faire le lien avec la « vraie » vie. Depp semble amorphe et en même temps cela va très bien au personnage. Maïwenn De Barry rend fous la cour et le système. C’est pareil.

Mais que reste t-il du film en lui-même ? Un beau livre d’images ? Un drame romanesque ? Une guerre de chiffons ?  C’est très difficile de savoir. Il y a de beaux moments et des ratages évidents.

Plus troublant : l’œuvre n’est pas du tout féministe. Il faut voir le portrait de femmes qui se succèdent à l’écran : ce n’est pas glorieux. Désolé mesdames ! On devine alors l’envie plus individualiste de la comédienne réalisatrice.

Alors oui, il y a de l’énergie qui fait plaisir à voir dans ce genre de spectacle poudré mais le parasitage de la fiction par la réalité finit par nous arracher à l’émotion qu’aurait pu être le film. C’est dommage. 

Sortie le 17 mai 2023
Avec Maïwenn, Johnny Depp, Benjamin Lavernhe et Pierre Richard
Le Pacte – 1h56

C’est qui qu’a fait quoi ? Julie Estève, Pascal Demolon, l’Oeuvre

C’est une performance d’acteur. Pascal Demolon, second rôle à l’œil pétillant, se livre pendant une heure quarante à un exercice de haute voltige. Il interprète plusieurs personnages. Il parle avec une chaise. Il devient une mobylette. Il fait passer des émotions à travers des esquisses de personnages pathétiques.

C’est un seul en scène qui ne veut pas se laisser aller à la facilité. Pascal Demolon grimace, éructe ou crache mais pourtant, l’histoire qu’il nous conte va se révéler au fil des minutes beaucoup plus nuancée.

Toto est un drôle de gugusse qui s’ennuie dans son petit village. Il a des copains bizarres et craque pour Florence. Cette dernière sera retrouvée morte : il sera le suspect idéal. Mais le simplet va tout de même enquêter sur cette tragique disparition.

On fonce dans un univers rural et pourtant marginal. Pascal Demolon convoque Les Valseuses ou Les Démons de Jésus, deux films sur les décalés, les simplets ou les loubards. La pièce est une adaptation d’un roman de Julie Estève qui observe un petit microcosme bien sombre et toxique.

Alors Pascal Demolon passe de la dérision et l’humour à la sidération et l’émotion tranchée. Pas toujours facile de suivre le fil de son triste héros, mais il parvient à tendre un suspense qui s’éparpille puis se recompose soudainement. Comme son héros, il tente un jeu avec le spectateur.

Ça marche. On est parfois pris au dépourvu. On a tout à fait le droit d’être déconcerté. Mais cette drôle d’enquête remue. Il faut digérer mais la performance du comédien, cette digestion de personnages meurtris et cette énergie sur scène… non, cette pièce est un peu plus qu’une performance d’acteur. Un souvenir qui se médite. C’est pas mal déjà !    

Jusqu’au 1er Juillet 2023
Théâtre de l’œuvre
D'après Julie Estève , mis en scène par Pascal Demolon et Bertrand Degremont

Les Gardiens de la Galaxie volume 3, Studios Marvel


Cette saga estampillée Marvel a un grand mérite dans la grande farandole des super héros : elle a du caractère. Elle a du style. Elle a une attitude. Alléluia !

Elle le doit essentiellement à son metteur en scène, James Gunn. Petit artisan de séries B (et Z) dans les années 90, il est désormais le nouveau boss pour remettre en route d’autres franchises en collants ou latex : Batman, Superman etc. vont être sous sa production.

De Marvel, il est donc passé à la concurrence, DC Comics mais cela prouve bien que James Gunn a une grosse personnalité pour performer dans cet univers qui commence à ennuyer tout le monde. Hollywood ne sait plus quoi faire de tous ces super héros devenus si ordinaires. Ce dernier volet des Gardiens de la Galaxie ressemblerait donc à une grosse carte de visite !

Car James Gunn est un sale gosse, à la manière d’un Joe Dante dans les eighties. Il y aura du spectacle. Il va vous ébahir avec des dialogues succulents et des effets spéciaux incroyables. La bande son est, comme les précédents films, un jukebox pour vous hérisser les poils. Et bien entendu, de l’action, il y en a en pagaille !

Et puis derrière le cinéaste va gentiment se moquer de l’Amérique qui encense tant ces irréprochables êtres vertueux et virevoltants. Et c’est bien là que James Gunn, reste ce rigolard un peu anarcho, qui gratte le vernis de l’American way of life comme il le faisait avec Horribilis, film d’horreur qui reste sa matrice artistique.

Dans ce troisième volume, nos Gardiens de la Galaxie ont plutôt le spleen lorsqu’ils se retrouvent face à un nouveau méchant horripilant et grimaçant qui rêve de perfection et de monde idéal. Ils ne sont plus les pirates de l’espace flamboyants de leurs débuts. Et c’est justement cette mélancolie qui fera la différence dans ce film malgré tout épique.

Car Gunn développe des personnages moins lisses qu’avant et les emporte dans des aventures rythmées, colorées et ironiques. On appréciera d’ailleurs une lecture biblique assez rock’n’roll mais assumée de ce nouvel épisode. Ça ne faiblit pas malgré quelques longueurs autour du personnage velu de la bande, Rocket.

Dans toute cette débauche, les héros parviennent à exister et en ce moment, à Hollywood, cela relève un peu du miracle. La messe est dite pour ces héros galactiques. Ainsi soit-il. Et on suivra d’un œil amusé les prochaines créations d’un auteur qui n’a pas vendu totalement son âme au diable !

Avec Chris Pratt, Zoe Saldana, Karen Gillan et Dave Bautista
Marvel studios - 2h30

Hanna Bervoets, Les choses que nous avons vues, 10/18

Le spleen contemporain poussé à l’extrême par une star de la littérature hollandaise. Heureusement que ce roman est court !

Le grand frisson qu’offre Hanna Bervoets réside dans ce sens de l’épure. Heureusement d’ailleurs. Sur un autre média, son livre serait un film d’horreur ou de terreur. Ou les deux!

L’idée est d’une simplicité redoutable: Kayleigh est embauchée pour être modérateur de contenus. Pour faire simple, la jeune femme découvre qu’elle classifie en réalité la tristesse du Monde, les actes désespérés et des monstruosités affolantes.

Face à cela, elle doit rester le plus neutre possible et juger si telle ou telle vidéo peut rester sur un réseau social ou disparaitre. Mais il y a des règles. Des centaines. Et certaines soulignent bien l’ignominie et le cynisme du système.

Vous l’aurez compris: Les Choses que Nous Avons Vues n’est pas une franche comédie. L’auteure condense toute la violence d’un tel métier et toute l’inhumanité qu’il est demandé désormais aux contemporains des réseaux plus si sociaux que ça.

Bervoets ne va pas aller vers la grande démonstration ou virer vers le thriller (on le pense à certains instants). Au contraire, elle observe son héroïne qui va se dépatouiller comme elle peut avec son quotidien professionnel.

Petit à petit, l’absurdité pénètre la vie de Kayleigh. En tombant amoureuse d’une de ses collègues, elle verra ses sentiments mis à mal par un boulot que l’on peut qualifier d’affreux et montrera comment l’amitié de certains va se transformer en animosité bien compréhensible face à l’horreur numérique.

Le discours sur le monde moderne n’est pas nouveau mais Hanna Bervoets frappe fort avec une rapidité salvatrice. Elle ne traîne pas. Elle va à l’essentiel. Pas le temps de s’apitoyer: dénoncer semble une obligation. Percutant !

Paru le 16 mars 2023
chez 10/18 collection Littérature étrangère
133 pages / 6,90€

Noëlle Michel (traduction)

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