Les larmes du Reich, François Médéline, 10/18
En 1951 dans la campagne française, un couple paisible est retrouvé assassiné tandis que leur fille a disparu. Un étrange inspecteur est dépêché de Lyon pour tenter de résoudre ce crime qui a un rapport avec la Seconde Guerre Mondiale.
François Médéline soigne son écriture et l'on sent qu'il aspire à être un écrivain littéraire. Il ne résiste pas au plaisir coupable de se livrer à des descriptions lyriques. C'est poétique, mais un rien ampoulé.
" La façade drague le midi pour cueillir le soleil de l'hiver. Elle est recouverte d'un ampélopsis pour se cacher de l'été. Par delà reprend la prairie, délimitée par des haies, une charmille de mûriers et puis, il le mettrait à quatre lieues, un massif anthracite dessinant, en son extrémité septentrionale, trois becs de calcaire. " (page 16)
Heureusement, on rentre vite dans son style, et dans le vif du sujet. Très rapidement, on pressent qu'avec son vélo et ses obsessions, le personnage principal, "l'inspecteur", est plus que limite. Et c'est ça qui est bien ! C'est cette étrangeté du flic, du héros, qui rend le livre si particulier et intéressant. Il prie avec bien trop de ferveur pour être catholique ! Le suspens monte efficacement et il vous faudra un peu de patience pour comprendre ce qu'il cherche à résoudre exactement dans cette affaire de double meurtre et de disparition, la clé n'étant donnée qu'à la fin du livre.
Ce roman qui se lit d'une traite est bien fichu et instructif, avec un regard légèrement décalé sur l'histoire de la dernière guerre mondiale. Un petit plaisir, même si le sujet est grave.
Paru en poche le 06 avril 2023
chez 10/18 Polar
192 pages / 7,50 €
Jeanne du Barry, Maïwenn, Le Pacte
Maïwenn, enfant terrible du cinéma français, se dresse un autoportrait qui amuse et agace en même temps. Plaisante reconstitution, Jeanne du Barry serait-il un gros ego trip ?
La réponse est simple : oui. Il y a du Maïwenn partout. La comédienne est de tous les plans. Son énergie est tenace et résiste au ripolinage historique. Pourtant les instincts de la cinéaste sont nettement plus atténués. C’est aussi ce que l’on aimait chez elle.
Ici, tout est compensé par des chouettes ornements. Versailles est un lieu magnifique que la réalisatrice exploite sans retenue. L’image est délicieuse et pleine de détails. On apprécie aussi la douce musique et des cadres au soin royal. On est à mille lieues de Polisse, son coup de maître.
Grosse personnalité, la réalisatrice se filme donc ici sous toutes les coutures. Celles d’une roturière qui va gravir doucement mais sûrement l’échelle sociale pour débouler dans le lit du roi Louis XV. Un type finalement mutique qui s’ennuie dans sa fonction et pleure les drames personnels de sa vie.
Elle le divertit et lui tente d’aimer. C’est une jolie comédie qui se prépare entre Jeanne Du Barry et le Roi de France. Maïwenn a de l’aplomb pour faire face à Johnny Depp, lui aussi figure brisée du cinéma. C’est le problème du film. Il n’existe plus par lui-même mais par ce qu’il se passe en dehors de l’écran. Les deux acteurs sont sulfureux et il est impossible de ne pas faire le lien avec la « vraie » vie. Depp semble amorphe et en même temps cela va très bien au personnage. Maïwenn De Barry rend fous la cour et le système. C’est pareil.
Mais que reste t-il du film en lui-même ? Un beau livre d’images ? Un drame romanesque ? Une guerre de chiffons ? C’est très difficile de savoir. Il y a de beaux moments et des ratages évidents.
Plus troublant : l’œuvre n’est pas du tout féministe. Il faut voir le portrait de femmes qui se succèdent à l’écran : ce n’est pas glorieux. Désolé mesdames ! On devine alors l’envie plus individualiste de la comédienne réalisatrice.
Alors oui, il y a de l’énergie qui fait plaisir à voir dans ce genre de spectacle poudré mais le parasitage de la fiction par la réalité finit par nous arracher à l’émotion qu’aurait pu être le film. C’est dommage.
Sortie le 17 mai 2023
Avec Maïwenn, Johnny Depp, Benjamin Lavernhe et Pierre Richard
Le Pacte – 1h56
C’est qui qu’a fait quoi ? Julie Estève, Pascal Demolon, l’Oeuvre
C’est une performance d’acteur. Pascal Demolon, second rôle à l’œil pétillant, se livre pendant une heure quarante à un exercice de haute voltige. Il interprète plusieurs personnages. Il parle avec une chaise. Il devient une mobylette. Il fait passer des émotions à travers des esquisses de personnages pathétiques.
C’est un seul en scène qui ne veut pas se laisser aller à la facilité. Pascal Demolon grimace, éructe ou crache mais pourtant, l’histoire qu’il nous conte va se révéler au fil des minutes beaucoup plus nuancée.
Toto est un drôle de gugusse qui s’ennuie dans son petit village. Il a des copains bizarres et craque pour Florence. Cette dernière sera retrouvée morte : il sera le suspect idéal. Mais le simplet va tout de même enquêter sur cette tragique disparition.
On fonce dans un univers rural et pourtant marginal. Pascal Demolon convoque Les Valseuses ou Les Démons de Jésus, deux films sur les décalés, les simplets ou les loubards. La pièce est une adaptation d’un roman de Julie Estève qui observe un petit microcosme bien sombre et toxique.
Alors Pascal Demolon passe de la dérision et l’humour à la sidération et l’émotion tranchée. Pas toujours facile de suivre le fil de son triste héros, mais il parvient à tendre un suspense qui s’éparpille puis se recompose soudainement. Comme son héros, il tente un jeu avec le spectateur.
Ça marche. On est parfois pris au dépourvu. On a tout à fait le droit d’être déconcerté. Mais cette drôle d’enquête remue. Il faut digérer mais la performance du comédien, cette digestion de personnages meurtris et cette énergie sur scène… non, cette pièce est un peu plus qu’une performance d’acteur. Un souvenir qui se médite. C’est pas mal déjà !
Jusqu’au 1er Juillet 2023
Théâtre de l’œuvre
D'après Julie Estève , mis en scène par Pascal Demolon et Bertrand Degremont
Les Gardiens de la Galaxie volume 3, Studios Marvel
Cette saga estampillée Marvel a un grand mérite dans la grande farandole des super héros : elle a du caractère. Elle a du style. Elle a une attitude. Alléluia !
Elle le doit essentiellement à son metteur en scène, James Gunn. Petit artisan de séries B (et Z) dans les années 90, il est désormais le nouveau boss pour remettre en route d’autres franchises en collants ou latex : Batman, Superman etc. vont être sous sa production.
De Marvel, il est donc passé à la concurrence, DC Comics mais cela prouve bien que James Gunn a une grosse personnalité pour performer dans cet univers qui commence à ennuyer tout le monde. Hollywood ne sait plus quoi faire de tous ces super héros devenus si ordinaires. Ce dernier volet des Gardiens de la Galaxie ressemblerait donc à une grosse carte de visite !
Car James Gunn est un sale gosse, à la manière d’un Joe Dante dans les eighties. Il y aura du spectacle. Il va vous ébahir avec des dialogues succulents et des effets spéciaux incroyables. La bande son est, comme les précédents films, un jukebox pour vous hérisser les poils. Et bien entendu, de l’action, il y en a en pagaille !
Et puis derrière le cinéaste va gentiment se moquer de l’Amérique qui encense tant ces irréprochables êtres vertueux et virevoltants. Et c’est bien là que James Gunn, reste ce rigolard un peu anarcho, qui gratte le vernis de l’American way of life comme il le faisait avec Horribilis, film d’horreur qui reste sa matrice artistique.
Dans ce troisième volume, nos Gardiens de la Galaxie ont plutôt le spleen lorsqu’ils se retrouvent face à un nouveau méchant horripilant et grimaçant qui rêve de perfection et de monde idéal. Ils ne sont plus les pirates de l’espace flamboyants de leurs débuts. Et c’est justement cette mélancolie qui fera la différence dans ce film malgré tout épique.
Car Gunn développe des personnages moins lisses qu’avant et les emporte dans des aventures rythmées, colorées et ironiques. On appréciera d’ailleurs une lecture biblique assez rock’n’roll mais assumée de ce nouvel épisode. Ça ne faiblit pas malgré quelques longueurs autour du personnage velu de la bande, Rocket.
Dans toute cette débauche, les héros parviennent à exister et en ce moment, à Hollywood, cela relève un peu du miracle. La messe est dite pour ces héros galactiques. Ainsi soit-il. Et on suivra d’un œil amusé les prochaines créations d’un auteur qui n’a pas vendu totalement son âme au diable !
Avec Chris Pratt, Zoe Saldana, Karen Gillan et Dave Bautista
Marvel studios - 2h30
Hanna Bervoets, Les choses que nous avons vues, 10/18
Le spleen contemporain poussé à l’extrême par une star de la littérature hollandaise. Heureusement que ce roman est court !
Le grand frisson qu’offre Hanna Bervoets réside dans ce sens de l’épure. Heureusement d’ailleurs. Sur un autre média, son livre serait un film d’horreur ou de terreur. Ou les deux!
L’idée est d’une simplicité redoutable: Kayleigh est embauchée pour être modérateur de contenus. Pour faire simple, la jeune femme découvre qu’elle classifie en réalité la tristesse du Monde, les actes désespérés et des monstruosités affolantes.
Face à cela, elle doit rester le plus neutre possible et juger si telle ou telle vidéo peut rester sur un réseau social ou disparaitre. Mais il y a des règles. Des centaines. Et certaines soulignent bien l’ignominie et le cynisme du système.
Vous l’aurez compris: Les Choses que Nous Avons Vues n’est pas une franche comédie. L’auteure condense toute la violence d’un tel métier et toute l’inhumanité qu’il est demandé désormais aux contemporains des réseaux plus si sociaux que ça.
Bervoets ne va pas aller vers la grande démonstration ou virer vers le thriller (on le pense à certains instants). Au contraire, elle observe son héroïne qui va se dépatouiller comme elle peut avec son quotidien professionnel.
Petit à petit, l’absurdité pénètre la vie de Kayleigh. En tombant amoureuse d’une de ses collègues, elle verra ses sentiments mis à mal par un boulot que l’on peut qualifier d’affreux et montrera comment l’amitié de certains va se transformer en animosité bien compréhensible face à l’horreur numérique.
Le discours sur le monde moderne n’est pas nouveau mais Hanna Bervoets frappe fort avec une rapidité salvatrice. Elle ne traîne pas. Elle va à l’essentiel. Pas le temps de s’apitoyer: dénoncer semble une obligation. Percutant !
Paru le 16 mars 2023
chez 10/18 collection Littérature étrangère
133 pages / 6,90€
Noëlle Michel (traduction)
A l’extrême, John Krakauer, 10/18
Auteur de Into the Wild et Tragédie à l’Everest, l’écrivain Jon Krakauer est obsédé par la nature, sa force, sa férocité et son rappel constant de la prétention de l’Homme.
A l’extrême continue de nous plonger dans cette solide obsession. Alpiniste et écrivain, Jon Karkauer a tout connu et n’a pas envie de rendre la tâche facile aux sportifs : ses papiers sont souvent des piqûres de rappel.
Il n’a pas de problème à raconter des drames sportifs qui relèvent presque du fait divers. Jon Krakauer aime décrire les fascinations des hommes pour la nature. Il dépeint le monde du surf et l’alpinisme avec une minutie et une clairvoyance rares.
Cette compilation de papiers écrits pour des magazines spécialisés souligne une solide ténacité : Jon Krakauer ne va pas vers le romantisme. Il ne fantasme pas le monde sportif. Bien au contraire. Il n’y a cependant pas d’aigreur ou de dénonciation. Il rappelle juste que c’est toujours dangereux de s’approcher d’une vague monstrueuse, de se promener dans l'Arctique ou de monter sur tous les toits du Monde.
L’aventure a un coût. La mort rôde dans les paysages fantastiques et les odyssées physiques. Krakauer, par son expérience, est un spectateur idéal qui raconte merveilleusement bien les grandeurs et les décadences de héros qui n’en sont pas.
Ce n’est pas une lecture triste : c’est juste un type qui détricote les mythologies autour des exploits et ne peut s’empêcher de rappeler que l’Homme a ses limites et la nature, beaucoup moins.
Paru le 16 février 2023
10/18 Non fiction
166 pages / 7,50€
Traduit de l'américain par Nathalie Serval
Julie Gasnier, Clair, Voyou
Il faut cultiver notre jardin! Les dernières paroles de Candide, héros du conte philosophique de Voltaire nous évoquent une possibilité de calme, de quiétude et de bien être. Tout en travaillant. En cultivant, peut-être, un art de vivre.
En face de tous les troubles qui nous titillent depuis des mois, rien de tel qu’un jardin pour s’y ressourcer et s’y épanouir. Pour ne pas s’user à des débats ou mésaventures vaines, un petit bout de terre peut nous faire retrouver le goût des bonnes choses.
Il y a des artistes chez nous qui fonctionnent un peu comme cela. Ils s’accrochent à l’hédonisme ou à une forme épicurienne de la musique. Ils ne veulent pas forcément répondre aux conventions et se cherchent un petit lieu bien à eux où ils expérimentent leur musique, atypique et bien souvent accueillante. Voici donc trois endroits bucoliques, vivants et rieurs qui s’écoutent.
Julie Gasnier possède un joli terrain fertile et d’une originalité folle. Il ne faut pas compter sur elle pour faire comme les autres. Ses orchestrations sont farfelues et servent des textes qui trouvent une densité étonnante.
Pourtant le style serait presque minimaliste. Et au bout des treize chansons de son album on est stupéfait par l’ampleur des sons. L’habileté de la jeune femme impressionne dès la première écoute, qui nous ferait croire à une folkeuse évaporée.
Feux de Nuit nous éclaire sur une artiste qui ne semble avoir peur de rien. Elle ne choisit pas la facilité mais se régale à nous surprendre. Les musiques frôlent des mots pour les rendre plus forts. On se fait bercer par sa poésie délicate et en même temps, très terre a terre. Du Sommet, De son bec, Ma Plaine ou Qu’il pleuve, voilà des titres qui en disent long sur son rapport à la nature et toute l’inspiration que ça provoque chez cette chanteuse surprenante.
Encore plus abordable semble être la sautillante Clair qui vous invite pour son premier effort dans sa Maison Magique. Là encore, c’est une bouffée d’air frais mais on reconnaîtra la patte du jardinier : Philippe Katerine.
Avec Clair, on retrouve un potager de pop rétro et rigolote. Le producteur continue à creuser dans son style entre humour vintage et efficacité redoutable et ne gomme pas cependant la personnalité de son ancienne choriste, Clair et sa voix séduisante.
On tombe facilement amoureux de la propriétaire de cette Maison Magique qui se trouverait vers Saint Gilles Croix de Vie selon les sérieux indices laissés sur le disque. Elle profite des petits riens, d’une fausse désinvolture pour nous faire apprécier de petites chansons subtiles, qui lorgnent sur une pop quasi californienne et captent une candeur bienvenue et bienveillante.
N’hésitez pas à vous installer dans son jardin face à la maison, dans un transat avec la ferme intention de ne rien faire. Ce disque est une invitation au farniente !
Mais s’il faut se perdre quelque part en ce moment, c'est dans Les Royaumes Minuscules de l’inévitable Voyou. Là encore on devine une proposition pour s’échapper de tout ce qui vient nous agresser.
Le Nordiste se prend désormais pour Thomas Fersen. Les animaux, leur observation lui donnent des idées et elles sont souvent charmantes. Il nous faisait penser à un Souchon hype ou un Dick Annergan français ; désormais il est un entomologiste qui se révèle être un ethnologue.
Sa musique continue de fanfaronner mais le regard du musicien est d’une poésie raffinée qui emberlificote le sort des hommes à son environnement. La légèreté ne veut pas dire la vacuité : son attention au monde qui l’entoure fait de Voyou, un vrai troubadour habile, rusé et amusant. Son royaume est joyeux, luxuriant et gentiment rétro. Les arrangements sont cultivés avec méthode et finesse.
Il nous faut cultiver notre jardin. C’est ce que font avec passion ces artistes, véritables pépiniéristes de la chanson française.
Julie Gasnier - Feux de Nuit
Clair - La maison Magique
Voyou - Les Royaumes Minuscules
La ville nous appartient, Justin Fenton, 10/18
Voilà le prix à payer pour la politique du chiffre : des flics hors de contrôle dévissent et - fort de leur sentiment d'impunité - se comportent comme des malfrats.
Depuis son déclin industriel dans les années 1970, Baltimore n'en finit pas de sombrer et détient le titre de ville la plus violente des États-Unis d'Amérique. C'est dire le niveau de criminalité qui y règne ! Pendant des décennies, on y compte annuellement des centaines de mort par arme à feu.
Bien décidés à mettre fin à cette hécatombe, les politiques locaux décident de s'inspirer de New-York City et de sa tolérance zéro pour les criminels. Une équipe spécialisée dans la traque des armes à feu non déclarées est constituée : la Gun Trace Task Force. Peu importent les méthodes de ces enquêteurs en civil, tant qu'ils font du chiffre. Voilà le crédo. Ils bénéficient d'une confiance absolue de la part des politiques et des magistrats locaux, même si la majeure partie des interpellations ne tiennent pas devant un tribunal et ne débouchent pas sur des condamnations...
Parmi ces flics d'élite, on compte Wayne Jenkins, un ancien Marine qui - bien qu'ayant obtenu un maigre C aux tests psychologiques, est recruté au motif qu'il est poli, ordonné et pugnace ! Et plus il a la main lourde, plus il est apprécié et promu, jusqu'à ce qu'il soit autorisé à recruter lui-mêmes ses hommes.
Pendant des années, Jenkins et sa bande, "un supergang de ripoux" (page 236) vont semer la terreur parmi les dealers de drogue, les arrêtant sous de faux prétextes pour mieux leur voler leur drogue et leur argent. Or comment un délinquant pourrait-il se plaindre du comportement de la police ? Qui le prendrait au sérieux?
L'impunité des flics est telle qu'ils ne sont pas sanctionnés après que la police de Baltimore a été condamnée par leur faute à verser 700 000$ à un plaignant à qui ils avaient littéralement cassé la gueule au cours de son interpellation ! Quand 46 personnes reprochent à un flic d'être violent, c'est vu comme de la calomnie pure et simple (page 149). Quand un type tombe dans le coma après avoir été interpelé, et qu'il finit par mourir, les flics écrivent dans leur rapport son arrestation s'est "effectuée sans incident" (page 106).
Ce ne sont là que quelques exemples des comportements inadaptés et des bavures décrits par l'auteur sur 480 pages !
Jenkins est vu par ses collègues et supérieurs hiérarchiques comme un superflic. Pourtant, les chiffres auraient dû parler d'eux-mêmes : "le BPD effectuait près de 44% de ses arrestations dans deux petits districts, à prédominance afro-américaine, lesquels n'abritaient que 11% de la population de la ville. (...) Un noir d'une cinquantaine d'années avait ainsi été arrêté 33 fois en moins de quatre ans - sans qu'aucune de ces arrestations débouche sur un PV ou une inculpation." (page 267)
Les faits décrits par Justin Fenton - reporter chargé des affaires criminelles au Baltimore Sun - sont ahurissants. L'enquête est presque trop fouillée pour se lire comme un roman. D'ailleurs, on aurait préféré que cela soit de la fiction !
Paru le 16 mars 2023
chez 10/18
parution originelle chez Sonatine Éditions
480 pages / 9,20€
Donjons et Dragons: l’honneur des voleurs – Jonathan Goldstein, John Francis Daley Paramount
Quand on a des enfants cela nous arrive de traîner les pieds pour aller au cinéma du coin. Pourtant, on peut en repartir avec le sourire !
C'est le cas donc de Donjons et Dragons : l'honneur des Dragons, grand nanar qui ne se prend pas au sérieux et qui fait franchement plaisir à voir.
On se marre. Voilà ce qu'il se passe dans ce film d'heroic fantasy qui regarde du côté de Princess Bride et qui a l'envie pure de divertir.
Les deux réalisateurs connaissent les codes du genre et le passif assez lourd de la franchise. Un jeu de plateau qui n'a jamais supporté les adaptations au ciné ou sur tout autre support.
Alors autant s'amuser des contraintes sans les ridiculiser ou s'en moquer. L'histoire est inutilement compliquée mais respecte le règlement.
Le second degré n'est pas du cynisme et tout mène à de l'action, certes idiote mais totalement assumée.
Les acteurs se régalent à jouer des clichés sur pattes et à les transcender pas un humour constant, qui fait de temps en temps dans la nuance. On pense même aux Monty Pythons: c'est dire la qualité du produit après des super héros de plus en plus décevants.
Ce n'est pas non plus un chef d'œuvre. C'est trop long. Les effets spéciaux sont parfois kitsch mais les auteurs (ils produisent, écrivent et réalisent) embrassent l'ambiance du jeu de plateau pour en faire une vaste plaisanterie parfois irrévérencieuse et souvent délirante (une scène de cimetière est appelée à être culte).
Pour une fois, le cahier des charges ne semble pas lourdingue. On peut le dire : c'est crétin mais ce n'est pas idiot. Dans le genre, c'est réellement surprenant. Le temps passe vite et il est bon.
Tout est dans le titre : honorable !
Avec Chris Pine, Michelle Rodriguez, Justice Smith et Hugh Grant-
Paramount Pictures- 2h17
Grand Hotel Europa, Ilja Leonard Pfeijffer, 10/18
Quand j'étais petit, ma maman m'a appris à lire la première page d'un livre pour voir si cela valait la peine d'en continuer la lecture. Heureusement que je n'ai pas suivi ce conseil à la lettre !
Il m'a fallu aller un peu plus loin que la première page pour apprécier Grand Hotel Europa, le premier livre traduit en français de l'écrivain Ilja Leonard Pfeijffer - apparemment une célébrité aux Pays-Bas, son pays d'origine. Au départ, j'étais consterné par cette histoire d'écrivain d'âge mûr qui bande comme un adolescent pour sa nouvelle copine.
A coup de grandes phrases pompeuses, il nous raconte comment il tombe amoureux d'une intello italienne au "cul parfait". C'est tellement pathétique que ç'en devient drôle, au point que je ne résistais pas au plaisir d'en lire des passages à mes amis :
" - Je te trouve belle.
Je me rappelle très bien avoir dit ça. C'était la vérité, même si cela s'apparentait de plus en plus à une litote. Alors que j'avais d'abord été frappé par la petitesse de ses vêtements, la longueur des bas sous sa jupette, la hauteur de ses talons et son regard, juste celui qu'il fallait pour donner à l'élégance étudiée de son apparence un air de nonchalance, j'étais, en écoutant son argumentation, tombé sous le charme de ses yeux sombres qui étincelaient dans la nuit d'été, et de son enthousiasme, qui faisait danser son visage et ses gestes comme si un tango à l'attrait lancinant et irrépressiblement pulsant s'était embrasé dans le night-club de son âme, où rien d'autre n'était toléré qu'un total abandon." (page 55)
A ce stade de ma lecture, le livre me paraissait grandiloquent et barbant, à tel point que je me suis promis d'en arrêter la lecture à la page cent si la situation ne s'améliorait pas. Et puis assez soudainement, ma patience a été récompensée et je n'ai plus pu quitter ce bouquin jusqu'à la 696ème et dernière page. A croire que, lorsqu'il évoque la fougueuse Clio, l'écrivain en rajoute pour mieux montrer à quel point lui-même se trouve ridicule.
Ilja Leonard Pfeijffer est le protagoniste de son propre livre, il mêle son histoire personnelle (et même intime) avec une réflexion fine sur le tourisme de masse. Comme il habite à Venise, cela lui donne une vue imprenable sur ce phénomène.
L'auteur peaufine son personnage et c'est bien volontiers qu'il tient le rôle de l'écrivain intello, toujours impeccable dans ses costume-cravate-chemise à poignet mousquetaire. Mais Ilja Leonard Pfeijffer a aussi le sens du ridicule et n'hésite pas à se moquer de lui-même. Et lorsqu'il critique les touristes, il ne le fait pas en surplomb, il s'inscrit lui-même dans la description de cette plaie. Car si "le tourisme détruit ce par quoi il est attiré" (page 561), il n'y a pas de pire touriste que celui qui - comme lui et comme beaucoup d'entre-nous - n'assume pas d'en être un. Les touristes, ce sont toujours les autres !
La réflexion pertinente sur le tourisme conduit à une interrogation plus large sur le mode de vie européen et sur son devenir. J'ai pris tellement de notes en lisant ce livre que je ne pourrais pas tout restituer ici, tant les sujets abordés sont nombreux.
"Les touristes ne sont que des symptômes de quelque chose de plus grand et de plus grave, tout comme les gens à un enterrement ne sont qu'un symptôme de la mort. C'est cela que je veux explorer dans mon livre. Il doit traiter de l'Europe, de l'identité européenne empêtrée dans le passé, et du bradage de ce passé sur un marché globalisé faute d'autres options crédibles. Ce livre doit devenir une déclaration d'amour à l'Europe pour ce qu'elle fut jadis, et qui, pour ce qu'elle fut jadis, se fait en ce moment piétiner par l'ultime et irrémédiable invasion barbare. Ce sera un livre triste sur la fin d'une culture." (page 378)
Mais les barbares ne sont pas toujours ceux que l'on croit ! L'invasion touristique "vue comme une source de revenus et activement stimulée alors qu'elle représente en fait une menace constitue un parallèle intéressant avec la prétendue invasion africaine de l'Europe, présentée comme une menace alors quelle pourrait offrir des perspectives d'avenir" (page 288)
Nous sommes à ce point nos propres barbares que nous "en sommes venus à croire que notre passé est le noyau de notre identité" (page 316)
Roi de la mise en abyme et de l'ironie, Ilja Leonard Pfeijffer camoufle habillement un essai documenté en roman et s'amuse à jouer au parfait (gros) con. Le livre est tellement intéressant, tellement dense, que je pourrais multiplier les citations par dizaines.
C'est un livre érudit et tragi-comique qui se mérite un peu mais qu'on finit par dévorer avec avidité. Dire que j'ai failli passer complètement à côté de ce livre passionnant !
Paru le 16 mars 2023
chez 10/18 Littérature étrangère
696 pages / 10,70€
Traduit du néerlandais par Françoise Antoine