Super Mario Bros, le Film, Universal
Les adaptations de jeux vidéo au cinéma, c’est une liste de nanars assez irrécupérables. Cette fois-ci semble la bonne : Super Mario Bros propose un spectacle simple et drôle.
Et ce n’était pas gagné, quand on connait toutes les contraintes de ce genre de projet plus mercantile qu’artistique. Le cahier des charges de Super Mario devait faire son poids. On ne rigole pas avec la franchise la plus lucrative de Nintendo.
Le studio des Minions a donc relevé le défi et réussi, dans un premier temps, à faire venir Mario et son frère dans l’univers de Illumination. Le prologue et la fin se passent dans un monde contemporain et visuellement proche de celui du studio. C’est peut-être maladroit mais l’humour sera du même tonneau que Moi Moche et Méchant. Potache et gentillet.
Ce qui va très bien à notre mignon héros devenu ici un plombier raté de Brooklyn qui se perd dans un tuyau magique et se retrouve dans un monde bien connu des gamers. Pour les novices, ça devrait bien se passer. Le film a ce grand mérite de ne pas laisser les autres sur le côté. C’est donc un film pour les petits qui amusera les grands. Mieux : ça ne dure qu’une heure et demi et c’est finalement la plus grande qualité de ce long métrage d’animation !
Car, effectivement le scénario tient en deux lignes mais cela respecte la nature même du jeu. Les enjeux sont simplifiés à l’extrême et notre héros devient un petit pion qui doit aller d’un point A à un point B en passant des épreuves. Il se prend des gamelles avant d’y arriver.
Peu de psychologie et un maximum d’effets spéciaux pour nous embarquer dans une course poursuite colorée et presque psychédélique (il est beaucoup question de champignons dans le monde de Mario et ses comparses).
On appréciera tout autant la musique de Brian Tyler, faiseur industriel de bande son, qui s’amuse comme un petit fou avec les thèmes célèbres de la franchise. On se laisse embarquer et le résultat est totalement convaincant. On en oublierait presque son intérêt commercial. C’est dire si ce gros produit de consommation se révèle surprenant.
Au cinéma le 5 avril 2023
Universal – 1h32
Et la pop créa la femme ! Miley Cyrus, Caroline Rose, Julien Baker, Lucy Dacus & Phoebe Bridgers
Enfin un week-end prolongé ! Peut être allez-vous en profiter pour mettre sur la table du repas familial de Pâques le dernier Play-boy et soulever l'inénarrable débat sur le féminisme, la communication ou l'érotisme ? Je ne sais pas ce que vous pensez de Marlene Schiappa mais voici quelques scandaleuses qui chantent !
Une femme politique peut s'acharner à faire de la provocation, elle n'arrivera jamais à la cheville de Miley Cyrus, trublion du star system américain qui semble enfin avoir fini sa crise d'adolescence. La chanson se révèle un art qui permet plus de nuances et d'inventivité pour défendre la femmen dans un monde cruel.
Petite fille de Dolly Parton et star d'une série Disney dans les années 2000, la jeune Miley Cyrus a évidemment pété les plombs et choqué la prude Amérique en multipliant les excès en tout genre. On la pensait perdue mais non ! La demoiselle est devenue une poupée qui dit non non non ! Son disque Endless Summer Vacation est un barnum mainstream mais qui se révèle plus baroque que ce qui est proposé par la plupart des mignonnes qui trustent les sommets des charts du Monde entier.
Miley Cyrus jure face un girlband Coréen ou même toute une ribambelle de rappeuses aux mots crus. Dans ces années d'errance, la demoiselle a traîné avec les lunaires mais magnifiques Flaming Lips et cela laisse des traces.
Sa voix sent désormais l'expérience, transcende les conventions et mélange la pop et la country. Le discours féministe est connue mais bien mis en scène avec des chansons assez différentes les unes des autres. Les tics commerciaux ne remplacent pas des idées mélodieuses assez convaincantes. Il y a des morceaux faciles mais jamais désagréables et Cyrus montre que de l'outrance, on peut en sortir quelque chose de plus abordable ou salvateur. Et on découvre une artiste.
Caroline Rose ne connaît pas le même succès que Miley Cyrus mais la mise à nue est tout aussi voulue sur un disque touchant. Et beaucoup plus subtile que des photos sur papier glacé. Mais la pochette de son disque montre bien que l'artiste ne va pas se planquer derrière une image sensible et lisse !
Ce qu'elle avait ironiquement fait avec son précédent disque nommé Superstar mais sorti quelques jours avant la crise du covid. Il y a bien eu un rendez-vous manqué avec le succès et Caroline Rose, chanteuse originale et culottée.
The art of Forgetting parle justement de ce mauvais timing qui pourrit la vie des hommes et des femmes! Le covid plus une rupture douloureuse cela donne un disque écorché et particulièrement sensible.
Il y a de l'émotion dans chaque chanson. Rose ne répond plus aux canons de la mode et navigue dans son âme sans oublier que nous ne sommes pas loin. Abîmée, Caroline Rose se raconte avec des orchestrations astucieuses. Ça ressemble à une confession... Et à un très bon album pour le printemps naissant !
Mais finalement une belle chanson ne suffit elle pas à rappeler que les femmes sont bien l'égal de l'Homme, voir un peu plus !? Pas forcément besoin de montrer son nombril et sa détresse ! Pour les beaux jours, trois copines (Supergroup Saving Rock) vont célébrer l'amitié et leurs passions sans revanche ou animosité.
Il ne s'agit pas de copines inconnues : Julien Baker, Lucy Dacus & Phoebe Bridgers! Trois pointures du rock indé aux États Unis. Elles ne réalisent pas un disque incroyable. Elles font juste un disque ensemble.
C'est justement cette absence d'ego qui fait le charme de The Record ! Comme Crosby Stills Nash and Young, elles s'apprécient et se soutiennent sur des chansons qui leur ressemblent.
On glisse entre folk tricotée et riffs grunge mais le trio se rebelle en respectant ses qualités, ses envies et son écriture large. Leur complicité est incroyable. Cette simplicité va beaucoup plus loin que les grosses ficelles d'egos en mal de reconnaissance...
La chienne des Baskerville, Gwen Aduh, 13e art
C’est un peu la mode en ce moment à Paris : beaucoup de pièces du personnage mythique de Sherlock Holmes. L’enquêteur anglais a le droit à beaucoup d’aventures et cela semble fonctionner. Si bien qu’aujourd’hui nous avons droit à sa parodie.
Sherlock conserve son flegme et son intelligence mais ne soupçonne pas vraiment l’homosexualité de son colocataire, le docteur Watson. Maître Hudson ne dit pas grand-chose mais ces répliques rares sont efficaces pour nous rappeler que l’on est là pour rigoler.
Tout ce petit monde va quitter Londres pour les landes de Baskerville afin d'y faire toute la lumière sur l’étrange malédiction qui touche les nobles du coin. L’histoire est connue, donc les auteurs décident de la déconstruire et d’enclencher plusieurs degrés d’humour pour se moquer avec révérence de la légende du 221 Baker Street.
Conan Doyle pourrait se retourner dans sa tombe lorsque l’humour potache ou pétomane s’empare de l’intrigue souvent absurde. Mais il apprécierait sûrement la façon dont les auteurs de la pièce font de Holmes comme un mythe éminent de la culture populaire.
L’histoire bien connue des Baskerville bascule dans le burlesque et l’ultra référentiel. On pense même à l’humour vachard de Hamburger (film Sandwich de John Landis) ou aux comédies déjantées des ZAZ (Y a-t-il un Pilote dans l’Avion). Tout ceci avec un amour certain pour le personnage et ses aventures. Même s'il ne faudra pas s’étonner de croiser le tueur de la série Scream !
C’est loufoque et la mise en scène soutient un rythme qui s’accélère vers un final réjouissant. Il faut se laisser porter : c’est un spectacle populaire dans le bon sens du terme. Il ne vous veut que du bien !
Jusqu’au 9 juillet 2023
au 13e Art, place d’Italie, Paris XIIème
avec Dominique Bastien, Henri Costa, Jean-Baptiste Darosey, Hugues Duquesne, Mathilde Mery et Patrick Bosc
Les Vertuoses, Susie Morgenstern, Emma Gauthier, Ecole des loisirs
La star de la littérature jeunesse aide sa petite fille à mettre en scène les angoisses de ados d'aujourd'hui. L'élégance au service des combats contemporains !
Susie Morgenstern est la référence en matière de livre pour ados. Avec bienveillance et amusement, l'Américaine amoureuse de la France a su trouver un ton pour raconter la jeunesse.
Avec les Vertuoses, elle aide sa petite fille pour son premier roman. Emma Gauthier n'est pas bien vieille et semble très sensible aux problèmes actuels, du réchauffement climatique à la maltraitance.
Avec sa grand-mère, elles nous plongent dans les angoisses et les doutes de trois adolescents du Sud de la France. Nina, Yona et Antonin passent le brevet mais ont bien d'autres soucis...
Premiers émois, fin de l'innocence, désespérance face à la Société... A quatre mains, les deux femmes rédigent un texte enlevé et d'une maturité salutaire. On se prend au jeu et on suit avec passion ce trio qui découvre le militantisme et bien d'autres choses.
Ça peut paraître manichéen mais Les Vertuoses fait un constat mais clairvoyant, jamais amer, sur la jeunesse. Il y a aussi une jolie élégance avec de courts textes qui introduisent les chapitres. Petits et grands devraient s'y retrouver : un gage de qualité pour les livres pour la jeunesse.
Paru le 24 août 2022
École des Loisirs, collection Medium
236 pages / 14€
Les Trois Mousquetaires : D’Artagnan, Martin Bourboulon, Pathé
A quatre ils forment toujours ce trio de légende ! Le cinéma français visite à nouveau le roman de Dumas et fait tout pour plaire au plus grand nombre. Le blockbuster made in France.
C'est donc le style de vie à la française qui est défendu dans cette nouvelle adaptation bien de chez nous. Porthos représente l'art de vivre avec son aspect rabelaisien, Aramis donne des leçons de séduction mais pas de courtoisie, Athos assume sa mauvaise humeur et son spleen latent, tandis que D'Artagnan reste le jeune fougueux qui bondit de sa monture au moindre bruit d'épée ! On s'y retrouve bien dans ces gaillards ripailleurs et tourmentés. C'est peut être cela la grandeur de la France ! Notre âme romanesque...
En tout cas c'est le plaisir coupable que procure cette version qui met les moyens et les talents pour que le public actuel remonte à cheval avec les trois mousquetaires ! On n'échappe donc pas à un second degré omniprésent mais bien amené par des dialogues truculents et facétieux. Ça semble fait sans cynisme et c'est déjà beaucoup. A l'image d'un Louis Garrel parfait en roi drôle malgré lui.
C'est un film carré et bien. Il est quasi inattaquable tellement on baigne dans une mer de stéréotypes qui façonne les récits depuis des siècles ! Pas étonnant que l'on y revienne si souvent à ces valeureux Mousquetaires chargés de réparer les bêtises des têtes couronnées. Hollywood aurait tellement aimé avoir cette idée pourtant si frenchy !
Mais cette fois-ci, ce sont les français qui adaptent le classique et utilisent tous les charmes locaux pour rivaliser avec les mastodontes étrangers. Il n'y a pas à rougir.
Il y a des défauts certes : la musique pourrait être écrite pour un film à la Jason Bourne tandis que l'image s'obstine à rester jaune ou marron, ce qui n est pas toujours joli. Mais il y a encore l'élan ! Martin Bourboulon ne signe pas un chef d'œuvre mais maîtrise plutôt bien les archétypes du genre. Il le doit à sa direction d'acteurs ravis de chausser les bottes de Mousquetaires. Il multiplie les plans séquences pour les scènes de combat. Il tente! Ce n'est pas toujours abouti mais on sent de l'envie d'en découdre avec un monument culturel. Pas l'œuvre punk de l'année, mais un bon divertissement à la française !
Avec François Civil, Vincent Cassel, Eva Green et Louis Garrel - Pathé Films- 2h01
Bonne conduite, Jonathan Barré
Laura Calamy sur les traces de Kurt Russell dans le mal aimé Boulevard de la Mort. Maladroit, Bonne Conduite a le mérite de nous faire respirer le bon air breton.
Et cela sent fort le gazoline et le chouchen dans le film de Jonathan Barré. Le paysage rocailleux et sauvage sert de décor inédit pour un film de genre français donc une catastrophe annoncée. Et on ne se trompe pas à plusieurs moments clés du film. En France, quand on a un bon concept, généralement on oublie d’avoir des idées.
Le complice discret du Palmashow (il a réalisé leurs films) fait cette fois la route seul pour nous raconter une vengeance motorisée d’une serial killeuse. La journée, elle anime des réunions pour chauffards et le soir, elle les dégomme à bord de son engin pour venger la mort de son mari, écrasé cinq ans auparavant.
Cela donne des courses endiablées sur les routes sinueuses et photogéniques de Bretagne. Cela offre un boulevard (pardon) à Laure Calamy, heureuse d’être en roue libre (c’est facile je sais). Elle se donne à fond pour piloter son engin et tenter de fuir quelques voyous pas très recommandables.
Elle en fait des tonnes mais cela fonctionne plutôt bien car Barré a convoqué ses deux acolytes du Palmashow qui contrecarrent l’attitude Louisdefunesque de l’actrice principale. David Marsais et Grégoire Ludig le font avec une économie de moyens assez hilarante. Le casting d’une manière générale sauve le film de la sortie de route (c’est encore facile je sais) !
Effectivement, Jonathan Barré à une bonne idée mais après il accumule les clichés et les clins d’œil sur une autoroute de bonnes intentions (toujours aussi facile je sais). Il veut à la fois défendre sa comédie facile mais marrante et son hommage au film de genre.
Ça ne s’imbrique pas très bien et cela donne des moments inutiles puis des passages originaux. Comme souvent avec les auteurs français, le style est trop mal habile pour assumer une adhésion totale à un projet de film de genre. Voilà une phrase trop longue pour dire : on ne sait pas faire. Néanmoins, ici le savoir-faire comique reste et c’est déjà pas mal.
Finalement à l’ouest rien de nouveau, mais rien de grave non plus !
avec Laure Calamy, Tcheky Karyo, Thomas VDB et Olivier Marchal - Pan distribution - 1h35
L’affaire Alice Crimmins, Anaïs Renevier, <strong>10/18 True Crime Society</strong>
Toujours associées au magazine Society, les éditions 10/18 nous offrent des affaires criminelles traitées avec virtuosité. Un plaisir coupable sous haute tension !
Comme une bonne émission de radio, on se prend au jeu de l’enquête : une mère de famille dans les années 60 est accusée de la disparition de ses deux enfants. La police, machiste et prétentieuse, est sûre d’elle : la mère n’est pas une épouse parfaite donc, dans une Amérique puritaine, elle ne mérite que la prison.
Reporter indépendante, Anaïs Renevier nous plonge dans l'ambiance brumeuse d'une banlieue sans âme dans une Amérique où seules les apparences comptent. Et il ne faut pas sortir des conventions : Alice Crimmins cache trop de secrets personnels pour être innocente.
Le système finit par écraser cette femme seule qui lutte avec ses armes et ne se comporte jamais comme une victime. On se croirait dans un vieux film de Sidney Lumet. On devine toute la violence sourde de cette American way of life qui ne pardonne aucun impair.
Le livre est un authentique polar : le fait divers devient un miroir affreux d’une société de consommation et d’injustice. C’est désespérant mais au milieu il y a le portrait d’une femme indépendante qui refuse l’étiquette qu’on veut lui faire porter. Une histoire venue des années 60 mais tellement actuelle.
Trouvez-vous une chaise longue et du soleil et laissez-vous porter cette enquête haletante et pas si anecdotique que cela !
Paru le 02 mars 2023
10/18 True Crime Society
199 pages / 7,50€
Les cowboys sont encore en vie, et en live !
Où est le cowboy buriné et sage qui va nous sauver du terrible tyran avide d’asservir le peuple et qui n’en fait qu’à sa tête ? Où est passé le shérif qui pourrait remettre un peu d’ordre dans la ville ? Qui est le loup solitaire qui sait être juste et rendre la justice ?
Il est sûrement dans les disques venus du sud des États-Unis. Le cowboy est un symbole fort américain, mais il symbolise le déclassement et la marginalité. Ils sont nombreux à porter le Stetson sur scène pour défendre cette Amérique où les différences sont sublimées et où la norme capitaliste n’est pas aussi vertueuse.
S’il n’a plus la côte au cinéma, l'outlaw reste présent dans la musique. Bien sûr on va tout de suite penser à la country et les chemises à franges. Mais nous allons vous aiguiller sur des prairies moins lisses et qui expriment toute cette attitude entre traditions et provocations sur scène, ou plutôt trois albums live qui sentent bon le rock, la sueur et la paille.
Pour ouvrir le bal, les Black Crowes renaissent un énième fois de leurs cendres. Les deux frères Robinson, archétypes grandioses des rockstars qui ont connu la grandeur et la décadence, se sont rabibochés. Le passé glorieux leur sert de terrain de chasse.
Pendant trois ans (pause covid comprise), ils ont sillonné le monde pour fêter les trente ans de leur premier disque, Shake Your Money Maker. Et cela a été plutôt bien fêté quand on entend le live qui découle de ce tour du monde. Les deux frères ont retrouvé l’osmose qui faisait leur légende.
Leur rock blues retrouve une émotion, et leur concert rappelle l’importance singulière de leurs premiers albums. Un rock un peu crasse, qui lorgne sur les années défonce des Stones et ce qu’il faut de soul pour pimenter le genre. Accompagné d’un groupe solide, Rich et Chris Robinson s’offrent un bain de jouvence.
Car les voilà rattrapés par d’autres copains d’Atlanta. Sur scène les Blackberry Smoke ont une profonde connaissance des icônes du blues, du rock et de la country. Tout le decorum y est : on dirait des enfants illégitimes de Lynyrd Skynyrd et Willie Nelson. Les chapeaux, les pattes d’ef, les barbes, le jean, et une passion pour la légalisation de substances prohibées !
Mais ils chevauchent leurs instruments avec style ! C’est du bon vieux rock sudiste mais avec des idées très progressistes (ils chantent en hommage à leur cowboy préféré, Kevin Costner). Si ce live, date de 2018, il montre surtout le talent d’un groupe hyper attachant car d’une sincérité inouïe : Charlie Starr n’est pas un vaporeux chanteur et les chansons ont un vrai goût de grands espaces et d’humanité croquignolesque.
Homecoming live at Atlanta vous donne l’impression de visiter un saloon poisseux mais à l’intérieur. Divine surprise, les gars que l’on y rencontre sont charmants et dévoués à faire le bien autour d’eux : il ne faut pas se fier aux apparences. Les cowboys peuvent être d’une sagesse surprenantes et sacrés bons musiciens.
Mais la virtuosité fait partie du cliché du musicien sudiste. Les plus beaux solos viennent souvent de chez eux (réécoutez Freebird de Lynyrd Skynyrd ou Highway song de Blackfoot : vous vous engagerez dans les tuniques bleues) et on va vite apprécier le talent de Robert Jon & the Wreck, petits nouveaux qui baroudent dans les petites salles et fabrique un rock qui sent bon la gnôle et la poussière.
Enregistré en Belgique, l'album Wreckage volume 2 de ce jeune groupe californien à chapeaux et à barbes a une joyeuse énergie. Les guitares galopent et les indiens tapent du tambour sans s’arrêter. C’est classique mais comme un bon vieux western, on attend finalement que les stéréotypes soient présents. Ce qui est le cas avec ces mercenaires qui suent à grosses gouttes pour faire hurler un riff épique et un refrain crâneur.
C’est peut-être de la musique populaire, donc indigne pour certains, mais ces lives sont extrêmement chaleureux, vivants et beaucoup moins vindicatifs qu’une manif ! Ils ont des tronches patibulaires et des airs (musicaux) de vieux voyous : mais derrière tout cela, y a juste un cœur qui bat… Et en ce moment on a bien envie d'un peu de tendresse. Étonnement les cowboys chantants sont là pour cela...
Mon crime, François Ozon, Mandarin Cinéma
Je ne sais pas comment j’ai fait, mais j’ai confondu Dominik Moll et François Ozon, ce qui m’a conduit à voir Mon crime, le nanar de la semaine ! Heureusement qu’avec le Printemps du cinéma, la séance ne m’a couté que cinq euros…
L’argument en quelques mots : pour gagner en notoriété, une jeune avocate désœuvrée convainc sa comédienne ratée de copine de s’accuser du meurtre d’un producteur à la Harvey Wenstein. La stratégie est bonne : le procès aux Assises permet au deux comparses d’accéder à l’argent et à la célébrité.
La production disposait d’un budget conséquent (7,8M€ !) qu’elle a dépensé en bonne partie dans le cachet des comédiens (sans parler des 400 000€ gagnés par le réalisateur dans l’histoire…). Ils sont venus, ils sont tous là pour ce que les journalistes présentent comme la comédie française de l’année, qu’il estiment bien plus fine et drôle que l’Astérix de Guillaume Canet.
Il y a Dany Boon, André Dussolier, Daniel Prévost, Régis Laspalès, Fabrice Lucchini, Michel Fau… et ils ont même ressorti Franck de la Personne de son placard (situé à l’extrême droite du dressing). Inutile de dire qu’il y a aussi Isabelle Huppert car elle est de toutes les productions françaises et ne peut s’empêcher de mettre son immense (sic) talent au service de gros nanars (en témoigne sa pathétique prestation dans la Syndicaliste, pourtant là aussi saluée par la critique, allez comprendre).
Daniel Prévost donne l’impression de s’ennuyer ferme, tout comme moi d’ailleurs. Pour le reste, on dirait le concours de celui qui cabotinera le plus, concours remporté sur le fil par un Dany Boon à l'improbable accent de Marseille. C’est pire qu’une pièce de boulevard. (Le film est d’ailleurs tiré d’une pièce de théâtre des années 1930.)
Outre les comédiens, les moyens mis en œuvre sont impressionnants. Il y a de très beaux décors, des appartements Art Déco somptueux, des dizaines et des dizaines de figurants (en costume !) et des voitures d’époques en veux-tu en voilà.
Oui mais voilà, cette débauche de moyens ne suffit pas à faire un bon film, loin s’en faut. Il n’y a pas de rythme, aucun intérêt dans la manière dont est racontée l’histoire et les gags tombent à plat (même le running gag de la mort du producteur, dont on a une demi-douzaine de versions différentes). Certes, quelques spectateurs rient, mais tous semblent interloqués par cette fin qui reste en plan. Le film s’achève quand on pense qu’il va enfin commencer.
Et je ne vous parle pas du fond de l’histoire qui est assez écœurant en cette période de libération de la parole des femmes, ces femmes qui – à en croire Ozon – sont d’horribles manipulatrices utilisant à leur profit les travers des hommes.
Sortie le 08 mars 2023
Mandarin Cinéma
1h43
Rodez-Mexico, Julien Villa, Éditions Rue de l’Échiquier
RODEZ-MEXICO est le premier roman du comédien et metteur en scène Julien Villa, qu’il portera à la scène au Théâtre de la Tempête à partir du 31 mars 2023, par un processus collectif d’écriture de plateau.
Avec sa pièce Philip K. ou la fille aux cheveux noirs, Julien Villa avait inauguré en 2019 une trilogie autour de la figure de Don Quichotte, qu’il poursuit ici. Ces Don Quichotte sont, selon ses mots, des « chevaliers du réel (…) arpentant chacun une époque, dans l’histoire de la société capitaliste ».
Dans RODEZ-MEXICO, on assiste à la transformation radicale d’un jardinier municipal, Marco Jublovski, au départ jeune type nonchalant et désabusé, en meneur d’une fronde populaire et résistant anti-capitaliste qui se fait appeler « le sous-commandant insurgé Marco de Rodez »…
Tout commence sur les Causses du Larzac, où Marco, au sortir d’une rave party, tombe sur la projection d’un documentaire qui lui présente le sous-commandant Marcos, insurgé et meneur de l’armée de libération du Chiapas ; ce dernier lui semble immédiatement son frère jumeau, son double.
Le sous-commandant Marcos, charismatique combattant masqué, éloquent philosophe, poète épris de l’idéal de justice et entré en clandestinité pour servir cet idéal, est une révélation pour Marco Jublovski. Marcos met Marco sur la piste des luttes zapatistes du Mexique mais l’entraîne aussi dans la lecture de Karl Marx, jusqu’à venir à bout du Capital. Jusqu’alors piètre lecteur, Marco s’enflamme et brûle tout son temps libre en diverses lectures politiques et critiques. Peu à peu, un changement intérieur s’opère. Marco, qui, à 30 ans, vit encore chez sa mère, s’interroge sur sa vie, son avenir, sur ses amis, leurs parcours, quand tombe une décision administrative, un ordre d’expulsion : Marco et sa mère ont un mois pour quitter leur pavillon rose saumon, le dernier de la zone industrielle et commerciale du Grand-Rodez, pour laisser place à une coulée verte bordée d’une piste cyclable, selon une célèbre formule prétendant qu’il n’y a pas d’alternative.
Mûri de ses lectures, de ses rencontres et de ses rêves, Marco opère alors sa mue et entre en résistance. Il occupe bientôt le pavillon menacé comme une ZAD et organise avec son collectif des événements sur le rond-point devant chez lui, pour faire connaître sa cause. Il est bientôt rallié par un journaliste déboussolé, des punks à chiens, des bibliothécaires, des hippies et de nombreux laissés pour compte. Et tandis que Marco devient véritablement Marcos, Rodez devient véritablement la jungle du Mexique.
D’après mon expérience, les heures passées à lire RODEZ-MEXICO sont un régal ! On sourit, on rit franchement : la scène de l’interview du journaliste de France-Bleue par la bande de Marco, sur un parking de supermarché en plein soleil, qui met les nerfs du journaliste à vif, est hilarante, comme la scène de la rencontre entre Marco et sa reine punkette Maria, avec ses dialogues décalés et poétiques... De plus, on y découvre ou redécouvre, selon sa culture politique, la lutte du sous-commandant Marcos, les écrits et convictions de Karl Marx, et d’autres analyses critiques du capitalisme ; la théorie de la valeur selon Marx est par exemple expliquée en détails par Marco à sa bande d’amis. Dans ce temps de lecture, on est aussi happé par la force d’un destin qui se réalise. Le suspense fonctionne totalement car le personnage de Marco est très attachant. Ses amis sont les nôtres ; sa nonchalance est la nôtre ; il suffirait d’un rien pour que sa révélation soit la nôtre, c’est-à-dire non pas pour qu’on le rejoigne sur son rond-point de Rodez, mais pour qu’on incarne la lutte que l’on doit incarner ici, que l’on devienne (nous lecteurs) une version plus lucide et plus courageuse de nous-mêmes.
Il s’agit donc d’un récit initiatique captivant, plein d’humour, où le collectif joue un rôle primordial.
Le récit est par ailleurs d’un genre nouveau qui emprunte au fantastique. L’auteur décrit son récit comme un « conte ». Or dans ce conte est à l’œuvre une sorte de magie très spéciale, celle du chamanisme, que Castaneda par exemple, décrit comme un pouvoir transformateur plutôt que comme un sage don de vision. Il y a deux réalités qui se chevauchent. Une réalité visible et une autre invisible. Dans cette réalité invisible se battent des esprits et ces esprits parfois cherchent à nous dire quelque chose et ont le pouvoir d’agir dans le monde visible. Comme si la révélation de Marco n’était pas qu’intérieure, intellectuelle et morale mais comme s’il avait été choisi, avait communié avec des défunts, chevaliers inspirants, dont l’esprit aurait survécu. C’est peut-être le sens de cette ligue des chevaliers que Julien Villa nous propose pour incarner nos rêves en ces temps troublés ?
J’ajoute que l’actualité du temps de ma lecture (oppositions en France au projet de réforme des retraites et exceptionnelle sècheresse hivernale) fait étrangement écho aux circonstances des aventures des héros de RODEZ-MEXICO : oppositions à l’étalement d’une zone péri-urbaine dans une campagne qui subit une exceptionnelle canicule hivernale…
En bref : un roman actuel, politique, au rythme enlevé et au ton plein d’auto – dérision : un bonheur de lecture !
RODEZ-MEXICO est à retrouver à partir du 31 mars 2023 au Théâtre de la Tempête, sous une forme nouvelle, une forme qui devrait nous surprendre, selon la promesse de l’auteur.
Paru en septembre 2022
aux Éditions Rue de l’Échiquier – Domaine Fiction
288 pages / 22€