Destroyer
Bon ce sont les archétypes du rock dans sa version grand cirque et grand guignol... On ne prend pas trop ces Américains au sérieux. Pourtant ils sont sacrément doués et ce quatrième album a fait d'eux les gargouilles du hard rock. Pas assez destroy mais réellement efficace.
Qui dit Kiss pense maquillages et effets pyrotechniques. On oublierait presque ces héros du heavy metal était de très bons musiciens. Leurs premières chansons posaient les bases d'un hard classique mais encore fréquentable. Paul Stanley et ses potes grimés passaient des heures à imaginer des mises en scène spectaculaires mais la musique n'était pas (encore) facultative.
Destroyer est leur disque le plus accessible car les sources du blues sont encore visibles et le lyrisme a encore un petit coté grandiose, bigger than life! Les riffs ne sont pas encore lourds. Le groupe a fait venir le producteur d'Alice Cooper pour apporter un petit coté "Maison hanté" à Destroyer. Il y a encore malgré tout une grosse influence glam. il suffit de regarder les très jolies chaussures sur la pochette de l'album.
Le groupe ne fait pas dans la subtilité mais a le grand mérite de faire tout ce qu'il faut faire dans un bon vieux disque de heavy metal. Il y a donc de nombreuses références à la musique classique comme un emprunt à Beethoven sur Great Expectations. Il y a une virtuosité au niveau des guitares qui relève de la leçon d'université.
Il y a des chansons de stade (l'indispensable Shout it out loud) et des ballades (le sirupeux Beth) qui prouvent que derrière le sang, le sexe et la boue, il y a un petit coeur qui bat. Kiss est un groupe romanesque qui se décline sous toutes les formes. On a souvent oublié qu'ils étaient des musiciens: Destroyer est une bonne piqure de rappel...
Casablanca - 1976
Euro 2016 : Dansleculaô !
Bon, ça c’est fait, après un parcours griezmanien, des envolées payetesques, on pouvait pas tomber pogba, on a eu beau picoler des bières comme des crétins, chanter la marseillaise comme des vikings, sortir les drapeaux des greniers, bah non, dansleculaô, on n’a pas gagné, ils ont perdu, on aurait dû brandir la Coupe d’Europe, ils ont tout foiré. Oui, importante utilisation de la personne à laquelle on parle ou l’on écrit, quand on gagne, c’est nous, peuple de France, quand ça paume, c’est eux, les 23 mecs de l’équipe de France, c’est comme ça, c’est mauvaise foi, c’est bien nous !
Pis, on aurait pu/dû féliciter chaudement les portugais, qui rappelons-le, n’ont gagné qu’un seul match dans le temps réglementaire dans cet Euro, mais non, nous on s’en cogne, quand on gagne, on sert pas la main du pauvre allemand qui passe dans la rue dépité rougi par les soleils de début juillet et franchement rincé de l’intérieur au Ricard ; quand on perd, c’est jamais franchement de notre faute, voire même carrément pas, et dans le mode mauvais perdants, on n’est pas champions, juste on excelle.
Après la victoire des portugais ce dimanche 10 juillet 2016, les concerts de klaxons ont rappelé à quel point les lusitaniens (terme, avouons-le qui fait un peu beaucoup habitants voisins de la planète Lusiton, juste après saturne en passant à droite de la Lune, premier feu en sortant à gauche direction rocade ouest de Jupiter) étaient nombreux en France, que, d’habitude, ils bossaient depuis 50 ans dans nos belles provinces sans faire de bruit, et que nous, braves cons, on avait tendance à les snober et pas qu’un peu.
Malgré tout, amers, nous ne pouvions nous empêcher d’être « grave vénéres », éteignant notre télé sans finir nos bières, renvoyant comme des mal propres à la porte nos voisins venus voir la finale pour plus de convivialité, on m’enlèvera pas de l’idée d’ailleurs que c’est la gamine de la voisine avec son maquillage bleu-blanc-rouge qui nous a porté malheur, petite conne, et, au premier son des portugais, heureux, qui passaient dans la rue, nous nous révélions un brin susceptibles à l’écoute d’une quinzaine de phrases, dès aujourd’hui et dans les semaines à venir, sur lesquelles, dans la rue, au bureau, chez soi, en famille, à l’apéro, un "Oh ça va ta gueule" devenait soudainement assez tentant sans autre forme de politesse :
1. La philosophe pro-Mélenchon en fac de socio -> "Ça va ça reste du foot hein »
2. Le cousin de ton pote venu à ton anniversaire car il était en vacances chez ton pote -> "M'en branle j'ai du sang portugais de par mon arrière grand tante, c’est un peu comme si j’avais gagné »
3. La copine de ta femme qui regarde la chaine Voyages l’après-midi parce qu’elle est en congés mat’-> « Il parait que Lisbonne c’est super beau comme ville »
4. Dans la rue juste en bas de chez toi -> "Purtugal purtugal purtugal »
5. Ta voisine -> "Mais finalement il a pas joué longtemps Ronaldo non ?!"
6. Ton banquier lourd -> « C’est marrant mais Griezman il avait l’air de faire grise mine »
7. Ton assistante -> « Ah c’est drôle, la nouvelle stagiaire elle est d’origine portugaise ! »
8. Ta mère -> « T’as déjà lu la Valise en Carton, il parait que c’est super triste »
9. Encore ta mère -> "On fera du melon au Porto dimanche ? »
10. A la machine à café -> « Dans The Mentalist, mon personnage préféré c’est l’agent Lisbon ».
11. Ton collègue qui préfère l’ovalie et qui préfère surtout te faire chier oui !!! -> « Sont quand même plus forts au foot qu’au Rugby les portugais, tu me diras c’est pas pour autant qu’on gagne les VI nations au Rugby tu me diras… »
12. Daesh -> « Quand on fait terrorisme, ils chialent, quand on fait pas terrorisme, ils perdent et après ils chialent…sincèrement c’est des tapettes les français. »
13. A la cantine -> « Aujourd’hui après la débandade, c’est brandade ! »
14. Dans la rue juste en bas de ton taf 3 jours plus tard alors que t’y pensais même plus -> "Purtugal purtugal purtugal »
15. La copine lesbienne de la fille philosophe pro-Mélenchon en fac de psycho -> "Ça va ça reste du foot hein »
Oui, pour tout ça, un "Oh ça va ta gueule" devient définitivement assez tentant sans autre forme de politesse.
Allez, pour moi c’est vacances, je vous retrouve à la rentrée pour une 13ème saison de chronique sur etat-critique.com
La Brocante Nakano
Aujourd’hui, au Japon, une jeune fille travaille dans une brocante. Elle y vit une relation difficile avec un jeune homme. Et le lecteur redécouvre combien les romans d’apprentissage peuvent être enchanteurs.
Certains romans ont la grâce. Ils vous rappellent que la délicatesse peut faire bon ménage avec la profondeur. Ils ont le bon goût de ne pas jeter de sel sur des plaies déjà à vif.
Ce qui est formidable dans La brocante Nakano, est l’apparente banalité de l’histoire qui nous est contée. Et la manière dont l’étude d’un microcosme finit par déboucher sur une perception du monde d’une très douce acuité.
Hitomi est une jeune femme qui travaille à la brocante Nakano, dont le nom est celui du propriétaire, Monsieur Nakano, un homme d’une cinquantaine d’années, aux phrases confuses et à l’appétit prononcé pour les femmes. Ses nombreux "rendez-vous à la banque" sont autant de 5 à 7. Pour aider Monsieur Nakano, il y a Takeo, un jeune homme effacé, qui est solitaire et amoureux d’Hitomi. Ajoutons Masayo, la sœur de Nakano qui fait des expositions de poupées et dont la vie sentimantale tourmente son frère. Et réciproquement.
La brocante est une affaire qui marche bien parce qu’elle expose des objets datant d’une vingtaine ou d’une trentaine d’années qui permettent aux Japonais de ressentir une certaine nostalgie pour un passé qui leur échappe. De plus, Nakano s’initie à la vente sur enchères par le biais d’Internet. Tout est donc plutôt florissant.
Mais il faut compter sur les peines de cœur, les désarrois affectifs, tout ce qui sépare les êtres, les grains de sable qui enrayent les machines les plus fiables.
Kawakami Hiromi nous dépeint un Japon où le travail est aussi difficile à trouver et à garder qu’en France, ce qui ira contre nos préjugés gaulois. Elle adopte un style où, pour paraphraser Verlaine, rien ne pèse ni ne pose.
L’auteur de ces lignes a lu ce roman alors que la campagne électorale française bat son plein. Il a trouvé fort agréable de changer de société. Cela ne veut pas dire qu’on change de problèmes, mais on change forcément de point de vue.
Voilà donc un tableau attachant d’une communauté de fortune où les êtres frêles se frôlent et où fuient les frissons.
Picquier - 291 pages
Dune
Autre moment magique pour toute personne qui a perdu le sommeil : Dune ou une montagne d’ennui signé David Lynch.
Le film est signé David Lynch mais il fut mené d’une main de fer par le producteur italien Dino de Laurentiis. Vous n’imaginez tout de même pas que le futur réalisateur de Blue Velvet est allé chercher le groupe de rock FM, Toto, pour la musique du film (au début, Pink Floyd puis Magma avaient travaillé sur le projet). Le cinéaste a juste eu le droit d’inviter Brian et Roger Eno pour un thème.
Pourtant Lynch a bien signé le scénario. Il a dû compresser au maximum l’ample roman de science fiction de Frank Herbert. Son film devait durer 5 heures. Les producteurs ont rugi de colère. La voix off tentera de guider le spectateur.
Le roman était jugé inadaptable. Le film donnera raison à cette hypothèse. Même si Lynch donne un ton tragique à l’ensemble, il s’écroule devant tous les personnages qui hantent les clans qui s’affrontent.
Pour rappel, les Atréides n’aiment pas les Harkonnen. Ils doivent se partager la planète Arrakis qui produit de l’épice, l’élément essentiel de la galaxie. La famille royale de la maison Atréides tombent dans un piège tendu par les Harkonnen et L’empereur (pas celui de Star Wars, un autre très doué aussi en matière de double jeu).
Le prince Paul se retrouve coincé sur Arrakis avec sa mère et devient l’idole des Fremen, peuple qui aime faire du rodéo sur des verres de terre géants. On vous l’a fait courte : Dune est un nid de crabes et de guépes qui complotent dans toutes les maisons, toutes les armées, toutes les familles.
Le pauvre David Lynch n’accorde alors aucun répit au spectateur. Les personnages déboulent et repartent. Les acteurs sont réduits à des pauses shakespeariennes. Ca tombe bien, beaucoup sont britanniques (comme Patrick Stewart futur capitaine de Star Trek Next Generation). D’autres sont aussi perdus que nous.
Le film enchaine les scènes explicatives et informatives. Si les séquences d’action ne sont pas trop mal, le temps a fait son œuvre sur les effets spéciaux et bien entendu la musique. Au début on s’amuse des décors, des costumes et des looks gothiques… mais rapidement on sombre devant tant de problèmes narratifs et des fautes de gout plus ou moins assumés.
Depuis Lynch s’est rattrapé. Dune reste une efficace anesthésie générale. Si vous avez du mal à trouver le sommeil, achetez le dvd !
Les aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin
C'est un bide à l'époque et pourtant, aujourd'hui, le film d'action de John Carpenter est vraiment un sommet des années 80. : Tu sais ce que le vieux Jack Burton dit toujours dans ces cas-là ? Attention chef d'oeuvre qui fête ses trente ans!
Si vous n'avez jamais vu le film de John Carpenter, alors vous êtes chanceux. Il est impossible de résister au charme destructeur de ce chauffeur de poids lourds, demeuré, inculte mais au bon sens irréprochable et doué pour lancer des couteaux. C'est sa grande qualité qui peut le faire entrer dans la catégorie des "héros au grand coeur".
C'est aussi la seule. C'est un vrai mâle américain comme sait les décrire le cynique John Carpenter: un cow-boy qui ne réfléchit pas beaucoup. Il aime les jolies filles. Il est un peu lâche. C'est une grande gueule. C'est le type idéal pour plonger dans les mystères de Chinatown. Comme un touriste mal dégrossi, il découvre les légendes souterraines de la ville, à la recherche de la fiancée d'un de ses amis chinois.
Big John sort à l'époque de bides injustes (The Thing, Christine et Starman). Il se lâche avec Jack Burton où il retrouve de nouveau son double à l'écran, l'excellent et sous-estimé Kurt Russell. Pour interpréter un beauf sympathique, le choix est plus que judicieux. Il est tout simplement génial. C'est le Indiana Jones du pauvre. Pour Carpenter, le héros des années 80 est un crétin attachant. Il a des biscotos et puis rien d'autre pour lui. Triste constat.
Russell semble né pour distribuer les punchlines de Burton à la mitraillette. Les dialogues sont savoureux. A chaque fois que Jack Burton ouvre la bouche c'est pour une phrase tout simplement culte. C'est un régal. Tout comme les scènes d'action. Visiblement Carpenter avait déjà vu des films de John Woo avant sa reconnaissance mondiale. Il rend un vibrant hommage au cinéma de Hong Kong et met en scène une course poursuite haletante, au rythme qui effectivement détone à Hollywood.
Carpenter, rigoureux, réussit lui un film à l'esthétisme intéressant, arrivant à mélanger les styles, inventant quasiment sous nos yeux la mondialisation à outrance. Il ne dénigre jamais ses personnages. Les protagonistes sont des stéréotypes sur pattes mais on sent qu'ils sont aimés et défendus par le réalisateur qui offre un spectacle complètement fou, ressemblant à un choc des cultures.
Phrase culte: I was born Ready.
A trick of the tail
Votre serviteur fête ses quarante ans. 1976 fut un grand cru pour le vin... et pour la musique? Genesis perdait la tête et pourtant réussit à survivre de façon surprenante!
Difficile d'exister quand la voix de votre groupe tire sa révérence. Genesis était bon pour fermer boutique au milieu des années 70. Le charismatique et ingénieux Peter Gabriel en a assez de raconter des histoires et fabriquer des ambiances. Il dit bye bye à ses copains pour vivre des aventures solitaires beaucoup plus électroniques et sombres.
Les autres membres du groupe ont donc continué d'écrire. Ils enregistrent les chansons sans chanteur et écoutant de possibles candidats (400 environ). Phil Collins, le batteur, assure l'interim pour les maquettes et la chanson Squonk. Il impressionne ses amis qui lui demandent d'enregistrer tout le reste du nouvel album. La voix ressemble beaucoup à celle de Gabriel. Un petit tour de magie qui fera le succès de A trick of the tail.
C'est ainsi que le groupe va conserver ses titres de gloires et ses salles combles. Le batteur devient chanteur mais la formule ne change pas vraiment. Genesis pose les bases du rock progressif avec un entrain spectaculaire et une volonté franchement farouche. On se sent bien chez eux. Ce sont des bardes qui racontent des histoires. On baigne dans les douces utopies du rock'n'roll.
Nous sommes à la fin de la période rock progr. On doit donc se régaler des galipettes de Steve Hackett, qui avait de son coté sorti un album solo. Il y a encore de longues plages riches en musiques et en expérimentations. La transition se passe donc très bien à tel point que Genesis sortira un second disque la même année, Wind & Wuthering.
La suite fut moins inspirée. Genesis est devenu le phare d'une pop un peu proprette et Phil Collins, un horripilant chanteur. Mais le prisme musical de Genesis est tellement incroyable que c'est un vrai bonheur de redécouvrir ce disque important pour Genesis et tout ce qui en a découlé...
Atco - 1976
Jacques et Mylène, Gabor Rassov, Maison des Métallos
Un couple bourgeois parodié Barbie et Ken avec l’humour Monty Python. Un peu trop corrosif !
Devant deux portes d’entrée et de placard, sur un canapé, pièce maîtresse du salon se joue un vaudeville riche en rebondissements par la Compagnie des 26000 couverts.
A la croisée des Feux de l’amour, du film d’horreur, des séries médicales, un homme et une femme parodient le couple - et le couple bourgeois en particulier. Les scènes de la vie conjugale mielleuse alternent avec les doubles vies, comptes d’apothicaire, règlements de compte.
Dans une mise en scène inventive et très drôle, on assiste à la caricature du mode de vie étriqué vantant les mérites de l’électroménager moderne. C’est la partie humour caustique bien réussie.
Malheureusement le trait est tellement tiré qu’il en devient grotesque. La pièce tourne au délire, à l’exagération sans borne. Situations invraisemblables, dialogues trash, on regarde son verre d’apéro à la maison des Métallos.
Car oui, en mode été, la salle en sous-sol prend des airs de terrasse de troquet et c’est une super idée ensoleillée ! Écrite en 1999 par le dramaturge français Gabor Rassov pour sept comédiens, Jacques et Mylène est ici interprétée par seulement deux comédiens. Et ils s’en sortent brillamment ! Chapeau à Ingrid Sttrelkoff et Philippe Nicolle d’endosser tous les personnages homme-femme sur scène avec l’aide de leur Barbie et Ken…
Quelle inventivité, nuances de ton, mimiques, le souvenir de leur jeu rattrape le carnage de fin.