Bonne conduite, Jonathan Barré

Laura Calamy sur les traces de Kurt Russell dans le mal aimé Boulevard de la Mort. Maladroit, Bonne Conduite a le mérite de nous faire respirer le bon air breton.

Et cela sent fort le gazoline et le chouchen dans le film de Jonathan Barré. Le paysage rocailleux et sauvage sert de décor inédit pour un film de genre français donc une catastrophe annoncée. Et on ne se trompe pas à plusieurs moments clés du film. En France, quand on a un bon concept, généralement on oublie d’avoir des idées.

Le complice discret du Palmashow (il a réalisé leurs films) fait cette fois la route seul pour nous raconter une vengeance motorisée d’une serial killeuse. La journée, elle anime des réunions pour chauffards et le soir, elle les dégomme à bord de son engin pour venger la mort de son mari, écrasé cinq ans auparavant.

Cela donne des courses endiablées sur les routes sinueuses et photogéniques de Bretagne. Cela offre un boulevard (pardon) à Laure Calamy, heureuse d’être en roue libre (c’est facile je sais). Elle se donne à fond pour piloter son engin et tenter de fuir quelques voyous pas très recommandables.

Elle en fait des tonnes mais cela fonctionne plutôt bien car Barré a convoqué ses deux acolytes du Palmashow qui contrecarrent l’attitude Louisdefunesque de l’actrice principale. David Marsais et Grégoire Ludig le font avec une économie de moyens assez hilarante. Le casting d’une manière générale sauve le film de la sortie de route (c’est encore facile je sais) !

Effectivement, Jonathan Barré à une bonne idée mais après il accumule les clichés et les clins d’œil sur une autoroute de bonnes intentions (toujours aussi facile je sais). Il veut à la fois défendre sa comédie facile mais marrante et son hommage au film de genre.

Ça ne s’imbrique pas très bien et cela donne des moments inutiles puis des passages originaux. Comme souvent avec les auteurs français, le style est trop mal habile pour assumer une adhésion totale à un projet de film de genre. Voilà une phrase trop longue pour dire : on ne sait pas faire. Néanmoins, ici le savoir-faire comique reste et c’est déjà pas mal.

Finalement à l’ouest rien de nouveau, mais rien de grave non plus !

avec Laure Calamy, Tcheky Karyo, Thomas VDB et Olivier Marchal - Pan distribution - 1h35

L’affaire Alice Crimmins, Anaïs Renevier, <strong>10/18 True Crime Society</strong>

Toujours associées au magazine Society, les éditions 10/18 nous offrent des affaires criminelles traitées avec virtuosité. Un plaisir coupable sous haute tension !

Comme une bonne émission de radio, on se prend au jeu de l’enquête : une mère de famille dans les années 60 est accusée de la disparition de ses deux enfants. La police, machiste et prétentieuse, est sûre d’elle : la mère n’est pas une épouse parfaite donc, dans une Amérique puritaine, elle ne mérite que la prison.

Reporter indépendante, Anaïs Renevier nous plonge dans l'ambiance brumeuse d'une banlieue sans âme dans une Amérique où seules les apparences comptent. Et il ne faut pas sortir des conventions : Alice Crimmins cache trop de secrets personnels pour être innocente.

Le système finit par écraser cette femme seule qui lutte avec ses armes et ne se comporte jamais comme une victime. On se croirait dans un vieux film de Sidney Lumet. On devine toute la violence sourde de cette American way of life qui ne pardonne aucun impair.

Le livre est un authentique polar : le fait divers devient un miroir affreux d’une société de consommation et d’injustice. C’est désespérant mais au milieu il y a le portrait d’une femme indépendante qui refuse l’étiquette qu’on veut lui faire porter. Une histoire venue des années 60 mais tellement actuelle.

Trouvez-vous une chaise longue et du soleil et laissez-vous porter cette enquête haletante et pas si anecdotique que cela !

Paru le 02 mars 2023
10/18 True Crime Society
199 pages / 7,50€

Les cowboys sont encore en vie, et en live !

Où est le cowboy buriné et sage qui va nous sauver du terrible tyran avide d’asservir le peuple et qui n’en fait qu’à sa tête ? Où est passé le shérif qui pourrait remettre un peu d’ordre dans la ville ? Qui est le loup solitaire qui sait être juste et rendre la justice ?

Il est sûrement dans les disques venus du sud des États-Unis. Le cowboy est un symbole fort américain, mais il symbolise le déclassement et la marginalité. Ils sont nombreux à porter le Stetson sur scène pour défendre cette Amérique où les différences sont sublimées et où la norme capitaliste n’est pas aussi vertueuse.

S’il n’a plus la côte au cinéma, l'outlaw reste présent dans la musique. Bien sûr on va tout de suite penser à la country et les chemises à franges. Mais nous allons vous aiguiller sur des prairies moins lisses et qui expriment toute cette attitude entre traditions et provocations sur scène, ou plutôt trois albums live qui sentent bon le rock, la sueur et la paille.

Pour ouvrir le bal, les Black Crowes renaissent un énième fois de leurs cendres. Les deux frères Robinson, archétypes grandioses des rockstars qui ont connu la grandeur et la décadence, se sont rabibochés. Le passé glorieux leur sert de terrain de chasse.

Pendant trois ans (pause covid comprise), ils ont sillonné le monde pour fêter les trente ans de leur premier disque, Shake Your Money Maker. Et cela a été plutôt bien fêté quand on entend le live qui découle de ce tour du monde. Les deux frères ont retrouvé l’osmose qui faisait leur légende.

Leur rock blues retrouve une émotion, et leur concert rappelle l’importance singulière de leurs premiers albums. Un rock un peu crasse, qui lorgne sur les années défonce des Stones et ce qu’il faut de soul pour pimenter le genre. Accompagné d’un groupe solide, Rich et Chris Robinson s’offrent un bain de jouvence.

Car les voilà rattrapés par d’autres copains d’Atlanta. Sur scène les Blackberry Smoke ont une profonde connaissance des icônes du blues, du rock et de la country. Tout le decorum y est : on dirait des enfants illégitimes de Lynyrd Skynyrd et Willie Nelson. Les chapeaux, les pattes d’ef, les barbes, le jean, et une passion pour la légalisation de substances prohibées !

Mais ils chevauchent leurs instruments avec style ! C’est du bon vieux rock sudiste mais avec des idées très progressistes (ils chantent en hommage à leur cowboy préféré, Kevin Costner). Si ce live, date de 2018, il montre surtout le talent d’un groupe hyper attachant car d’une sincérité inouïe : Charlie Starr n’est pas un vaporeux chanteur et les chansons ont un vrai goût de grands espaces et d’humanité croquignolesque.

Homecoming live at Atlanta vous donne l’impression de visiter un saloon poisseux mais à l’intérieur. Divine surprise, les gars que l’on y rencontre sont charmants et dévoués à faire le bien autour d’eux : il ne faut pas se fier aux apparences. Les cowboys peuvent être d’une sagesse surprenantes et sacrés bons musiciens.

Mais la virtuosité fait partie du cliché du musicien sudiste. Les plus beaux solos viennent souvent de chez eux (réécoutez Freebird de Lynyrd Skynyrd ou Highway song de Blackfoot : vous vous engagerez dans les tuniques bleues) et on va vite apprécier le talent de Robert Jon & the Wreck, petits nouveaux qui baroudent dans les petites salles et fabrique un rock qui sent bon la gnôle et la poussière.

Enregistré en Belgique, l'album Wreckage volume 2 de ce jeune groupe californien à chapeaux et à barbes a une joyeuse énergie. Les guitares galopent et les indiens tapent du tambour sans s’arrêter. C’est classique mais comme un bon vieux western, on attend finalement que les stéréotypes soient présents. Ce qui est le cas avec ces mercenaires qui suent à grosses gouttes pour faire hurler un riff épique et un refrain crâneur.

C’est peut-être de la musique populaire, donc indigne pour certains, mais ces lives sont extrêmement chaleureux, vivants et beaucoup moins vindicatifs qu’une manif ! Ils ont des tronches patibulaires et des airs (musicaux) de vieux voyous : mais derrière tout cela, y a juste un cœur qui bat…  Et en ce moment on a bien envie d'un peu de tendresse. Étonnement les cowboys chantants sont là pour cela...

Mon crime, François Ozon, Mandarin Cinéma

Je ne sais pas comment j’ai fait, mais j’ai confondu Dominik Moll et François Ozon, ce qui m’a conduit à voir Mon crime, le nanar de la semaine ! Heureusement qu’avec le Printemps du cinéma, la séance ne m’a couté que cinq euros…

L’argument en quelques mots : pour gagner en notoriété, une jeune avocate désœuvrée convainc sa comédienne ratée de copine de s’accuser du meurtre d’un producteur à la Harvey Wenstein. La stratégie est bonne : le procès aux Assises permet au deux comparses d’accéder à l’argent et à la célébrité.

La production disposait d’un budget conséquent (7,8M€ !) qu’elle a dépensé en bonne partie dans le cachet des comédiens (sans parler des 400 000€ gagnés par le réalisateur dans l’histoire…). Ils sont venus, ils sont tous là pour ce que les journalistes présentent comme la comédie française de l’année, qu’il estiment bien plus fine et drôle que l’Astérix de Guillaume Canet.

Il y a Dany Boon, André Dussolier, Daniel Prévost, Régis Laspalès, Fabrice Lucchini, Michel Fau… et ils ont même ressorti Franck de la Personne de son placard (situé à l’extrême droite du dressing). Inutile de dire qu’il y a aussi Isabelle Huppert car elle est de toutes les productions françaises et ne peut s’empêcher de mettre son immense (sic) talent au service de gros nanars (en témoigne sa pathétique prestation dans la Syndicaliste, pourtant là aussi saluée par la critique, allez comprendre).
Daniel Prévost donne l’impression de s’ennuyer ferme, tout comme moi d’ailleurs. Pour le reste, on dirait le concours de celui qui cabotinera le plus, concours remporté sur le fil par un Dany Boon à l'improbable accent de Marseille. C’est pire qu’une pièce de boulevard. (Le film est d’ailleurs tiré d’une pièce de théâtre des années 1930.)

Outre les comédiens, les moyens mis en œuvre sont impressionnants. Il y a de très beaux décors, des appartements Art Déco somptueux, des dizaines et des dizaines de figurants (en costume !) et des voitures d’époques en veux-tu en voilà.

Oui mais voilà, cette débauche de moyens ne suffit pas à faire un bon film, loin s’en faut. Il n’y a pas de rythme, aucun intérêt dans la manière dont est racontée l’histoire et les gags tombent à plat (même le running gag de la mort du producteur, dont on a une demi-douzaine de versions différentes). Certes, quelques spectateurs rient, mais tous semblent interloqués par cette fin qui reste en plan. Le film s’achève quand on pense qu’il va enfin commencer.

Et je ne vous parle pas du fond de l’histoire qui est assez écœurant en cette période de libération de la parole des femmes, ces femmes qui – à en croire Ozon – sont d’horribles manipulatrices utilisant à leur profit les travers des hommes.

Sortie le 08 mars 2023
Mandarin Cinéma
1h43

Rodez-Mexico, Julien Villa, Éditions Rue de l’Échiquier

RODEZ-MEXICO est le premier roman du comédien et metteur en scène Julien Villa, qu’il portera à la scène au Théâtre de la Tempête à partir du 31 mars 2023, par un processus collectif d’écriture de plateau.

Avec sa pièce Philip K. ou la fille aux cheveux noirs, Julien Villa avait inauguré en 2019 une trilogie autour de la figure de Don Quichotte, qu’il poursuit ici. Ces Don Quichotte sont, selon ses mots, des « chevaliers du réel (…) arpentant chacun une époque, dans l’histoire de la société capitaliste ».

Dans RODEZ-MEXICO, on assiste à la transformation radicale d’un jardinier municipal, Marco Jublovski, au départ jeune type nonchalant et désabusé, en meneur d’une fronde populaire et résistant anti-capitaliste qui se fait appeler « le sous-commandant insurgé Marco de Rodez »…

Tout commence sur les Causses du Larzac, où Marco, au sortir d’une rave party, tombe sur la projection d’un documentaire qui lui présente le sous-commandant Marcos, insurgé et meneur de l’armée de libération du Chiapas ; ce dernier lui semble immédiatement son frère jumeau, son double.

Le sous-commandant Marcos, charismatique combattant masqué, éloquent philosophe, poète épris de l’idéal de justice et entré en clandestinité pour servir cet idéal, est une révélation pour Marco Jublovski. Marcos met Marco sur la piste des luttes zapatistes du Mexique mais l’entraîne aussi dans la lecture de Karl Marx, jusqu’à venir à bout du Capital. Jusqu’alors piètre lecteur, Marco s’enflamme et brûle tout son temps libre en diverses lectures politiques et critiques. Peu à peu, un changement intérieur s’opère. Marco, qui, à 30 ans, vit encore chez sa mère, s’interroge sur sa vie, son avenir, sur ses amis, leurs parcours, quand tombe une décision administrative, un ordre d’expulsion : Marco et sa mère ont un mois pour quitter leur pavillon rose saumon, le dernier de la zone industrielle et commerciale du Grand-Rodez, pour laisser place à une coulée verte bordée d’une piste cyclable, selon une célèbre formule prétendant qu’il n’y a pas d’alternative.

Mûri de ses lectures, de ses rencontres et de ses rêves, Marco opère alors sa mue et entre en résistance. Il occupe bientôt le pavillon menacé comme une ZAD et organise avec son collectif des événements sur le rond-point devant chez lui, pour faire connaître sa cause. Il est bientôt rallié par un journaliste déboussolé, des punks à chiens, des bibliothécaires, des hippies et de nombreux laissés pour compte. Et tandis que Marco devient véritablement Marcos, Rodez devient véritablement la jungle du Mexique.

D’après mon expérience, les heures passées à lire RODEZ-MEXICO sont un régal ! On sourit, on rit franchement : la scène de l’interview du journaliste de France-Bleue par la bande de Marco, sur un parking de supermarché en plein soleil, qui met les nerfs du journaliste à vif, est hilarante, comme la scène de la rencontre entre Marco et sa reine punkette Maria, avec ses dialogues décalés et poétiques... De plus, on y découvre ou redécouvre, selon sa culture politique, la lutte du sous-commandant Marcos, les écrits et convictions de Karl Marx, et d’autres analyses critiques du capitalisme ; la théorie de la valeur selon Marx est par exemple expliquée en détails par Marco à sa bande d’amis. Dans ce temps de lecture, on est aussi happé par la force d’un destin qui se réalise. Le suspense fonctionne totalement car le personnage de Marco est très attachant. Ses amis sont les nôtres ; sa nonchalance est la nôtre ; il suffirait d’un rien pour que sa révélation soit la nôtre, c’est-à-dire non pas pour qu’on le rejoigne sur son rond-point de Rodez, mais pour qu’on incarne la lutte que l’on doit incarner ici, que l’on devienne (nous lecteurs) une version plus lucide et plus courageuse de nous-mêmes.

Il s’agit donc d’un récit initiatique captivant, plein d’humour, où le collectif joue un rôle primordial.

Le récit est par ailleurs d’un genre nouveau qui emprunte au fantastique. L’auteur décrit son récit comme un « conte ». Or dans ce conte est à l’œuvre une sorte de magie très spéciale, celle du chamanisme, que Castaneda par exemple, décrit comme un pouvoir transformateur plutôt que comme un sage don de vision. Il y a deux réalités qui se chevauchent. Une réalité visible et une autre invisible. Dans cette réalité invisible se battent des esprits et ces esprits parfois cherchent à nous dire quelque chose et ont le pouvoir d’agir dans le monde visible. Comme si la révélation de Marco n’était pas qu’intérieure, intellectuelle et morale mais comme s’il avait été choisi, avait communié avec des défunts, chevaliers inspirants, dont l’esprit aurait survécu. C’est peut-être le sens de cette ligue des chevaliers que Julien Villa nous propose pour incarner nos rêves en ces temps troublés ?

J’ajoute que l’actualité du temps de ma lecture (oppositions en France au projet de réforme des retraites et exceptionnelle sècheresse hivernale) fait étrangement écho aux circonstances des aventures des héros de RODEZ-MEXICO : oppositions à l’étalement d’une zone péri-urbaine dans une campagne qui subit une exceptionnelle canicule hivernale…

En bref : un roman actuel, politique, au rythme enlevé et au ton plein d’auto – dérision : un bonheur de lecture !

RODEZ-MEXICO est à retrouver à partir du 31 mars 2023 au Théâtre de la Tempête, sous une forme nouvelle, une forme qui devrait nous surprendre, selon la promesse de l’auteur.

Paru en septembre 2022
aux Éditions Rue de l’Échiquier – Domaine Fiction

288 pages / 22€

Toute la Beauté et le Sang Versé, Laura Poitras

Un simple objet peut vous ramener dans le passé et des souvenirs enfouis. Voir une diapositive dans le documentaire Toute la Beauté et le Sang Versé nous renvoie automatiquement dans les années 70 et 80, périodes où la marginalité était cachée dans les bas fonds des grandes villes.

C'est là que la jeune Nan Goldin a pris son appareil photo et observait sans fioriture ses contemporains. Des hommes et des femmes qui survivent avec leurs différences et leurs folies. Goldin n'était pas une photographe impartiale : elle n'hésitait pas à se mettre en scène dans une crudité évidemment scandaleuse pour une Amérique puritaine qui n'allait rien faire lorsque l'épidémie du Sida apparaîtrait.

La jeune femme a vue ses amis mourir et cela a nourrit son travail que l'on voit se transformer en activisme. Après Citizen Four, la réalisatrice Laura Poitras s'intéresse à ce nouveau concept mal défini : lanceur d'alerte.

Le talent de Nan Goldin est féroce car il capte frontalement le réel et trouve les zones d'ombre d'une société obsédée par la norme et le triomphe. Mais Goldin va s'investir de plus en plus. Elle n'a pas peur de parler de ses addictions et de lutter contre elles sans pudibonderie ou jugement. Ce qui va l'obliger à s'attaquer à une puissante famille américaine qui n'apprécie pas trop que l'on s'intéresse à ses secrets peu avouables.

Cette partie là est peut être un peu téléphonée avec des effets paranoïaques un peu trop appuyés. On préfère l'épatant portrait de femme en colère! Goldin commente son œuvre sans ego mais avec une nostalgie qui se mêle à l'engagement. Goldin a peur du silence qui se révèle mortel selon elle. Elle commente, elle s'implique. Elle vit ! Elle nous passionné et prouve bien que l'art est une arme redoutable. Bien plus que la politique ! Bouillonnant, ce documentaire est un acte fort et beau. 

Sortie le 15 mars 2023
Pyramide - 1h57

Apocalipsync, Luciano Rosso, Rond-Point

Apocalipsync nous fait passer de l’autre côté du miroir. Littéralement. Au début du spectacle, nous observons Luciano Rosso à travers son miroir (grossissant). Une journée commence. Une longue journée. Un jour sans fin. Un jour de confinement COVID.

Luciano Rosso (qui n’est pas, comme pourrait le faire croire son nom, italien mais argentin, vivant en France) a dû s’ennuyer pas mal pendant le confinement. Pour ne pas devenir fou, il a choisi de transformer en spectacle fou ce quotidien qui ne l’était pas moins. Sur une durée d’une heure, il nous fait revivre ses semaines de confinement, mais avec jubilation cette fois ! Tout y passe, des cours de gym qu’on n’arrive pas à suivre jusqu’à la communication officielle, sans oublier la glande devant la télé.

Le performer est un spécialiste du lipsync (la synchronisation labiale, ça ressemble à du playback, mais pas que sur du Mariah Carey !). Sur scène, c’est comme si tous les bruits prenaient possession de son corps (au sens diabolique du terme). Luciano Rosso incarne tous les sons parasites qu’il entend : le chien des voisins, les voisins eux-mêmes, les médias, tout un bestiaire désopilant etc. Coincé dans son appartement carcéral, Luciano Rosso est comme à un hyper-acousique qui deviendrait prisonnier de tous les sons parvenant à ses oreilles.

Ce spectacle atteint un niveau jamais vu au plan de l’expressivité presque brute et de la synchronisation avec la bande son. Mais Luciano Rosso n’est pas seulement un athlète des zygomatiques, il ajoute aux grimaces un engagement corporel complet. C’est l’ensemble de ses muscles qui sont mobilisés dans ce show qui fait parfois penser au Ministry of Silly Walk des Monthy Pythons. Il est d’ailleurs présenté comme acrobate et danseur, quand lui se définit tout simplement comme quelqu'un de curieux.

Tout repose sur le talent de l’artiste. Avec un rideau de douche géant et un siège gonflable pour tout décor, ce spectacle tient dans une valise ! D’ailleurs, il traversera bientôt les frontières car il est en cours d’adaptation en italien et en anglais.

J’imagine que la vocation de Luciano Rosso, qui est autodidacte, a démarré un peu comme un blague quand, alors qu’il n’était encore qu’un gamin espiègle, il faisait des grimaces devant sa glace ou jouait à faire du doublage décalé et sauvage sur les feuilletons. Sauf que chez lui, la grimace et l’expression du visage prennent une dimension dingue et sont élevées au rang d’art.

L’ambition de Luciano Rosso est de nous remonter le moral, ce qui n’est pas une mince ambition en ce moment. Il y parvient parfaitement. Il nous rend heureux pendant une heure. Jim Carrey peut bien aller se rhabiller !

Jusqu'au 02 avril 2023 à 18h30
Théâtre du Rond-Point, Paris 9ème
durée 1h00

Merci Messieurs les Anglais ! (Steve Mason, Inhaler, The Lathums)

J'avoue que l'on parle beaucoup ici de la pop de nos voisins anglais. Mais si je continue aujourd'hui c'est à cause de la défaite historique des Anglais face aux Français au rugby. C'est simplement l'actualitė qui inspire ce papier !

Car ami Anglais, pour te consoler de cette raclée monumentale, tu as la grande chance d'avoir quasiment chaque semaine des disques spectaculaires et passionnants. Nous ici, on pogote comme des fous sur une chanson de Gala dès que l'on veut se réjouir... Vous êtes chanceux, n'est ce pas ? Vous, sans arrêt, vous produisez une musique diverse et proches des gens.

Ancien membre de Beta Band, Steve Mason connaît la musique sur le bout des doigts. Quand on entend l'ouverture d'esprit du bonhomme, avec ou sans le Beta Band, on comprend que musicien est un affreux communiste dans un pays ultra capitaliste.

Il aime les gens ! Il aime les peuples ! Il aime la diversité ! Il serait dans nos manifestations en ce moment mais heureusement il préfère faire des chansons : humaniste et combatif, Steve Mason réalise un disque qui mixe les cultures et défend ce mélodieux mélange !

Brothers and Sisters nous laisse imaginer ce qu'il se serait passé si Paul Simon avait avalé des petites pilules du côté de Manchester dans les années 90 ! Pourtant ce n'est pas un disque nostalgique : Steve Mason tisse des liens dans un Royaume désuni et montre bien que tout le monde peut cohabiter. En tout cas, cela donne le disque le plus chaleureux du moment ! 

Pour se consoler, on conseille au rugby anglais de revenir aux fondamentaux de ce sport. Ils devraient suivre l'exemple du groupe Inhaler, nouveau petit quatuor pop qui intrigue.

Dans leur second album, Cuts & Bruises, on trouvera des refrains entêtants, des riffs élégants et des paroles qui finissent avec des Lalala  et des WouhWouh. Et cela fonctionne. Un truc de dingue!

La formule pop est appliquée pour vous coller de la bonne humeur dans la tête. La rythmique de ce groupe est lourde mais c'est pour mieux nous piéger avec des titres aérés, qui racontent avec énergie nos désillusions et nos doutes. Qui nous fait respirer l'esprit libre de ces Irlandais. Oups, ils ont battu les Anglais récemment au rugby !

Pour le coup on ne remarque pas que le chanteur est le fiston de Bono. Cette humilité est un point positif supplémentaire quand on connaît l'ego du papa ! Sans sortir du rang, Inhaler a une honnête passion pour son art et ça fait un bien fou.

Tout comme la musique de The Lathums, groupe indé de la banlieue de Manchester. Eux, comme souvent avec les artistes anglais, on se demande ce qu'ils ont eus dans les oreilles. On n'a peut-être pas beaucoup de chance en ce moment en Grande-Bretagne mais visiblement on console les enfants avec des disques qui vont des Beatles à Morrissey en passant du rock au punk ! Les gars de The Lathums ont absorbé une culture musicale hallucinante qu'ils recrachent avec une virtuosité qui n'existe qu'outre Manche !

Rapidement, ce second album donne envie de chanter avec Alex Moore qui rêve visiblement d'entraîner avec lui un maximum de personnes dans ses ritournelles totalement imparables! 

From Nothing to A Little Bit More donne l'impression de changer de région, de pays ou d'état d'âme ! On se ferait bien un fish and chips avec ce trio sur le bord de mer légendaire de Brighton. Ou plus simple : les voir en concert tellement ce disque concentre tout ce que l'on aime chez nos voisins anglais !

Après ce qu'il s'est passé ce week-end au rugby, amis Anglais, soyez fiers en écoutant ses trois disques ! Pensez que nous, on nous demande de nous réjouir de la sortie du nouvel album de Trois Cafés Gourmands ! Merci de nous laisser le rugby ! 

Steven avant Spielberg, Gilles Penso, <strong>Michel Lafon</strong>

En parallèle de son magnifique film biographique, le livre d’un fan sur son idole complète idéalement la découverte de la jeunesse d’un génie passionné. Jouissif !

Le dernier Spielberg est peut-être l’ultime chef-d’œuvre. Se devinant au crépuscule de sa vie, l’auteur des Dents de la Mer, aime se raconter et le fait avec un classicisme qui déborde finalement de lyrisme.

Grand admirateur de Spielberg, Gilles Penso, spécialiste de la série B et du super 8, s’intéresse à son tour à la jeunesse du wonder boy d’Hollywood. Comment un jeune homme secoué par le divorce de ses parents a pu aussi bien comprendre le mythe, le cinéma et le monde qui l’entoure finalement ?

L’auteur propose donc une biographie romanesque. On y retrouve des choses que l’on voit dans les Fabelmans mais ça peut être un complément. C’est ce que souhaite Gilles Penso quand il apprend que Spielberg va réaliser un film sur sa jeunesse.

Mais la biographie va plus loin que cela. Il y a une analyse poussée sur l’œuvre de Spielberg : ses thématiques qui ont fait de lui, un type capable de porter l’universalité dans tant de films à succès et quelques bides assumés.

Il est certain que le petit Steven Spielberg avait la tête dans les étoiles pour imaginer l’invasion d’extraterrestres d’abord gentils puis belliqueux. Pas étonnant d’apprendre que les récits de guerre avaient impressionné l’enfant. Et son obsession pour la famille vient de son vécu si difficile pour le grand sensible chétif qui l’était.

On devine constamment le cinéaste dans ses films. On se régale des chroniques de Gilles Penso, lui aussi doué par les récits de l’existence. Si on est hermétique au cinéaste, fuyez ce livre. Autre pour les curieux ou les amoureux, cette bio est une douceur !

Michel Lafon
320 pages

La syndicaliste, Jean-Paul Salomé, Le Pacte

Seule contre tous, le refrain est connu. Mais avec Isabelle Huppert, les habitudes ont du bon !

Jean Paul Salomé est un réalisateur français qui a un grand mérite : l'ambition! Qu'il est loin le temps des Braqueuses et de Restons Groupés, petites comédies sans prétention. Depuis ses débuts, l'ancien acteur a développé une filmographie maladroite mais humaine. Désormais, il sait se lancer dans un projet avec un élan particulier.

Après la Daronne, Jean-Paul Salomé semble avoir trouvé une muse en la personne d'Isabelle Huppert. Son cinéma s'incarne plus qu'avant et laisse à l'actrice des rôles lumineux. Elle n'a pas peur des rôles complexes et cela s'accorde parfaitement avec le côté populaire du cinéaste.

Inutile de dire qu'elle est éclatante dans La Syndicaliste. Son personnage, Maureen Kearney est un miroir de l'héroïne de Elle de Paul Verhoeven. Au delà de toute dramatisation et de la reconstitution, on devine une femme qui remet en cause un monde d'hommes et d'apparence.

Inspiré de faits réels, le film montre la sourde toxicité de la masculinité. Au delà du scandale et du pouvoir, le film parvient à décrire la solitude d'une lanceuse d'alerte et le combat d'une femme différente mais courageuse. On reprochera à Maureen Kearney de ne pas réagir comme une victime et ce sera son crime !

Édifiant le film reste un thriller passionnant et vraiment bien mené par la mise en scène de Jean-Paul Salomé. Portrait de femme et film policier ou politique, La Syndicaliste réveille nos instincts combatifs, nos révoltes éteintes et nos plaisirs cinéphiliques.

Avec Isabelle Huppert, Grégory Gadebois, Ivan Attal et Marina Fois
1h59 Le Pacte

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