L’affaire du Golden State Killer, William Thorp, Society 10/18
En créant la collection True Crime, les éditions 10/18 ont la bonne idée d'éditer au format Poche des enquêtes criminelles écrites par des journalistes du magazine Society, magazine dont la notoriété en matière de serial killer n'est plus à faire depuis la publication à l'été 2020 d'une série d'articles sur Xavier Dupont de Ligonnès.
Dans l'opus intitulé L'affaire du Golden State Killer, William Thorp s'intéresse à un effrayant violeur et tueur en série qui sévit en Californie pendant plus de 10 ans dans les années 1970-80.
Lorsqu'au cinéma, un film se revendique comme étant "basé sur une histoire vraie", on peut craindre le pire tant Hollywood prend de libertés avec les faits. Ici au contraire, William Thorp mène une enquête rigoureuse et précise sur L'affaire du Golden State Killer, l'histoire incroyable d'un violeur et tueur en série qui commence par battre des chiens à mort avant de monter crescendo dans la violence. Et lorsqu'un journal prétend qu'il ne s'en prend qu'à des femmes seules, il se met à attaquer des couples, comme pour montrer qu'il ne craint rien ni personne.
"Les témoignages des victimes ont permis de dresser un portrait-robot du violeur à la cagoule : il a la vingtaine, mesure un mètre quatre-vingts, affiche une corpulence moyenne. Signes distinctifs : des jambes aux mollets très musclés et velus, et un sexe de petite taille. (…) Son mode opératoire est identique depuis le début : il attaque ses victimes lorsqu'elles sont endormies, une cagoule sur le visage, et leur attache les mains. Il saccage la maison et se confectionne, après les viols, quelques plats en vidant les placards de la cuisine. Il descend aussi des bières, parfois" (page 37).
Cette enquête impeccable se lit comme un bon roman et vaut bien les meilleurs polars. Car, c'est bien connu, la réalité dépasse la fiction ! William Thorp nous raconte comment les flics suivent patiemment des dizaines de pistes et épluchent des milliers de documents. Une task force de quarante personnes est mise en place et des policiers endossent même le rôle d'un couple tranquille dans un pavillon de banlieue pour tenter d’appâter le malfaiteur. Oui mais voilà, même lorsqu'il bouclent un quartier complet, le tueur parvient à leur échapper. Il est insaisissable. Un vrai chat de gouttière.
Malgré ses efforts, la police faire chou-blanc pendant plus de quarante ans ! William Thorp manie le suspense avec dextérité et ne nous livre l'identité du tueur qu'après nous avoir fait tourner bourrique pendant cent pages. L'auteur réalise une enquête minutieuse sur le travail des enquêteurs et restitue avec maestria leur acharnement (leur dévotion !) à mettre hors d'état de nuire un fou qui leur échappe de façon injuste et désespérante, jusqu'à l'obsession.
Pour ceux que l'histoire aura passionné, 10/18 propose à la fin du livre un lien vers des podcasts et du contenu numérique, notamment une vidéo impressionnante du tueur après son arrestation.
Parution le 3 mars 2023
10/18 True Crime Society
A la belle étoile, Sébastien Tulard, Bac Films
Est-ce que vous vous souvenez de ce magnifique film produit par M6, Bouge ? Un nanar devenu culte pour sa musique ringarde, une Ophélie Winter dans le rôle d’une muse et un Bernard LeCoq qui cachetonne honteusement. Un vrai délice pour les cinéphiles déviants ! A la Belle Étoile, c’est un peu pareil mais en mieux, il faut l’avouer !
Car la mise en scène n’est pas transparente. Le réalisateur a de la compassion pour ses personnages et propose deux ou trois jolis regards qui nous feraient presque mouiller les yeux. On comprend moins pourquoi il s’oblige à montrer des recettes comme une publicité sirupeuse. A la Belle Étoile est un film très bancal ce qui le rend obligatoirement sympathique.
Il y a de bonnes idées et de très mauvais choix. Les comédiens sont justes et l’idée d’un héros qui passe son temps à s’échapper pour dormir dehors plaît. Ce qui est plus tristounet c’est la success story : un adolescent, qui aime la pâtisserie, passe d’une maison de correction aux grands palaces et en met plein la vue à sa famille, ses amis et ses collègues dès qu’il passe en cuisine.
Bien entendu tout cela est tiré d’une histoire vraie. Elle est assez touchante mais la production est un peu caricaturale. On ne parlera pas de la dernière partie : c’est Karaté Kid en version ganache et crème à brûler. C’est dommage car le film se tient sur une bonne partie avec des vrais moments de tension et de tendresse. C’est du cinéma qui ne vous veut aucun mal, bien au contraire ! Il tente de vous aguicher avec de la sucrerie.
De la guimauve certes mais c’est plutôt digeste !
Sortie le 22 février 2023
Avec Just Riadh, Loubna Abidar, Jean-Yves Berteloot et Christina Citti
Bac Films - 1h50
Radio Songs, Dave Rowntree – The Waeve – Cracker Island, Gorillaz
L'actualité musicale de ce mois doit beaucoup au groupe Blur qui se réunit de temps en temps pour faire des concerts et quelques livres sur le dos de la nostalgie ! Mais depuis leur séparation, leurs disques continuent de diffuser des curiosités pop assez spectaculaires.
Hasard du calendrier, les membres du groupe donnent de leurs nouvelles de différentes manières. Ce que l'on peut mettre en commun c'est le côté tête chercheuse des musiciens du groupe londonien.
Dave Rowntree est le batteur Droopy de Blur. Comme tout bon batteur, il est discret et sacrément efficace. Radio Songs prouve qu'il est aussi un auteur curieux. Comme ses copains, il a une envie de toucher à tout.
Comme ses camarades, nous sommes un peu parasités par l'image que l'on avait de lui dans Blur. Radio Songs prend son temps. Rowntree nous fait lever le pied avec des chansons que l'on peut juger molles mais qui ont le mérite d'être protéiformes.
Le batteur efficace est un type sensible qui utilise tous les styles pour une pop mélancolique qui n'est pas très loin d'une trip hop artisanale ! Cela donne une disque étrange. Quasi mystique !
Beaucoup plus coriace est l'œuvre personnelle de Graham Coxon, le guitariste binoclard au tempérament explosif ! Il a sorti des albums convaincants et reste la face rock de Blur.
Amoureux de Rose Elinor Dougall, il lui fait aujourd'hui un disque et forme avec elle un duo, The Waeve. Et cela ressemble beaucoup à un disque de Coxon.
Les voix se répondent joliment mais comme d'habitude l'écriture quasi adolescente de Graham Coxon casse les clichés de la pop.
Ici tout est un peu sec. Les instruments sont en prise avec le réel et le duo fait force face des orchestrations rocailleuses, montées avec la fantaisie que l'on connaît à Coxon.Hélas comme tout disque de couple, on se sent parfois un peu de trop.
Ce qui n'est pas du tout le cas de Damon Albarn qui ouvre une nouvelle fois les portes de Gorillaz, grand barnum omnicanal et fascinant! Après les albums solo, les opéras et les collaborations, Damon Albarn revient systématiquement vers Gorillaz pour remettre les pendules à l'heure : le groupe virtuel donne le ton de la pop moderne !
Cracker Island est une sorte de paradis pour la radio. Les chansons sont classieuses et continuent d'aspirer tous les styles qui rouillent les ondes : le groupe a sa manière de triturer les sons d'aujourd'hui. Il peut le faire avec une certaine radicalité . Ici Gorillaz transcende les genres avec une gentillesse quasi suspecte. Ils ne veulent plus secouer le cocotier ? Albarn se laisserait il aller ? Pas impossible...
Mais ce huitième album est accessible et encore une fois maîtrisé. Le fourretout (on croise entre autres Bad Bunny, Beck ou Stevie Nicks) est addictif et parfois très beau. La nonchalance apparente cache de nombreux secrets. Gorillaz continue d'être le groupe le plus incarné de la musique moderne. Une douce ironie que l'on peut deviner dans les disques des anciens de Blur. Quelques messieurs trop tranquilles...
Du bonheur de donner – Bertolt Brecht- Ariane Ascaride – David Venitucci – Théâtre du Lucernaire
Brecht tout simplement.
Bertolt Brecht est souvent mis en avant comme un grand théoricien du théâtre épique, le penseur de l’anti-aristotélisme, de la distanciation, ou comme le célèbre auteur d’en ensemble de pièces, la Résistible ascension d’Arturo Ui, L’opéra de Quat’sous, la Vie de Galilée. Sa production littéraire va bien au-delà : textes en prose, écrits politiques, poésie. C’est sur cette mosaïque de textes qu’Ariane Ascaride, accompagnée par l’accordéoniste David Venitucci, a choisi de s’appuyer pour mettre en lumière le Brecht poète résolument humaniste.
Tous deux sont assis sur un tabouret haut face public. Elle devant un pupitre de textes, lui devant un pupitre de partitions musicales aux accents de rêverie. L’écart et les dissonances sont recherchées plus que la simplicité des accords majeurs, phrasés de tango jazzy, musiques analogiques pour illustrer le propos. La musique originale orchestrée par David Venitucci finit d’élever des textes qui emportent la comédienne et le spectateur dans des mondes bien singuliers, touchants, humoristiques et sombres parfois.
Du bonheur de donner, traduit par Guillevic, La légende de la putain Evlyn Roe, La Médée de Looz, L’homme est bon mais le veau est meilleur, mais aussi des textes qui résonnent plus que jamais avec notre actualité comme Sur le sens du mot émigrant. Des textes qui questionnent le droit, la morale, la condition de l’homme, l’exil : A ceux qui s’occupent de morale, A ceux qui naitront après nous. Des textes qui engagent et encouragent.
Les variations de textes, de musiques, d’interprétations passant du texte lu au texte joué et chanté par une Ariane Ascaride aussi tonique qu’émouvante emmènent le spectateur dans une forme théâtrale simple mais d’une redoutable efficacité. Les mots, le jeu et les notes font mouche. Le trio Ascaride-Brecht-Venitucci sonne juste. Et on prend plaisir à découvrir autrement les écrits d’un homme d’une étonnante modernité. Une belle évasion.
DU BONHEUR DE DONNER – Lucernaire
Le spectacle sera joué cet été à la Scala durant le Festival d’Avignon durant cet été 2023.
Accueil - David Venitucci, accordéoniste
Extrait :
A ceux qui naitront après nous
I
Vraiment, je vis en de sombre temps !
Un langage sans malice est signe
De sottise, un front lisse
D’insensibilité. Celui qui rit
N’a pas encore reçu la terrible nouvelle.
Que sont donc ces temps, où
Parler des arbres est presque un crime
Puisque c’est faire silence sur tant de forfaits !
Celui qui là-bas traverse tranquillement la rue
N’est-il donc plus accessible à ses amis
Qui sont dans la détresse ?
C’est vrai : je gagne encore de quoi vivre.
Mais croyez-moi : c’est pur hasard. Manger à ma faim,
Rien de ce que je fais ne m’en donne le droit.
Par hasard je suis épargné. (Que ma chance me quitte et je suis perdu.)
On me dit : mange, toi, et bois ! Sois heureux d’avoir ce que tu as !
Mais comment puis-je manger et boire, alors
Que j’enlève ce que je mange à l’affamé,
Que mon verre d’eau manque à celui qui meurt de soif ?
Et pourtant je mange et je bois.
J’aimerais aussi être un sage.
Dans les livres anciens il est dit ce qu’est la sagesse :
Se tenir à l’écart des querelles du monde
Et sans crainte passer son peu de temps sur terre.
Aller son chemin sans violence
Rendre le bien pour le mal
Ne pas satisfaire ses désirs mais les oublier
Est aussi tenu pour sage.
Tout cela m’est impossible :
Vraiment, je vis en de sombre temps !
II
Je vins dans les villes au temps du désordre
Quand la famine y régnait.
Je vins parmi les hommes au temps de l’émeute
Et je m’insurgeai avec eux.
Ainsi se passa le temps
Qui me fut donné sur terre.
Mon pain, je le mangeais entre les batailles,
Pour dormir je m’étendais parmi les assassins.
L’amour, je m’y adonnais sans plus d’égards
Et devant la nature j’étais sans indulgence.
Ainsi se passa le temps
Qui me fut donné sur terre.
De mon temps, les rues menaient au marécage.
Le langage me dénonçait au bourreau.
Je n’avais que peu de pouvoir. Mais celui des maîtres
Etait sans moi plus assuré, du moins je l’espérais.
Ainsi se passa le temps
Qui me fut donné sur terre.
Les forces étaient limitées. Le but
Restait dans le lointain.
Nettement visible, bien que pour moi
Presque hors d’atteinte.
Ainsi se passa le temps
Qui me fut donné sur terre.
III
Vous, qui émergerez du flot
Où nous avons sombré
Pensez
Quand vous parlez de nos faiblesses
Au sombre temps aussi
Dont vous êtes saufs.
Nous allions, changeant de pays plus souvent que de souliers,
A travers les guerres de classes, désespérés
Là où il n’y avait qu’injustice et pas de révolte.
Nous le savons :
La haine contre la bassesse, elle aussi
Tord les traits.
La colère contre l’injustice
Rend rauque la voix. Hélas, nous
Qui voulions préparer le terrain à l’amitié
Nous ne pouvions être nous-mêmes amicaux.
Mais vous, quand le temps sera venu
Où l’homme aide l’homme,
Pensez à nous
Avec indulgence.
Bertolt Brecht
Ma sœur est morte à Chicago, Naomi Hirahara, 10/18
Sur la couverture il est écrit que de grands journaux américains recommandent ce livre.
Je ne peux qu’aller dans leur sens.
Veuillez m’excuser pour l’anglicisme : ce roman est un véritable « page turner ».
Je l’ai lu d’une traite et ce pour deux raisons :
· le récit détaillé d’une page d’histoire américaine assez peu connue (je n’en avais jamais entendu parler) ;
· une enquête à rebondissements menée par une femme lambda que rien ne prédestinait à une telle action.
L’action se déroule dans la communauté nippo-américaine lors de la Seconde Guerre Mondiale.
Nous apprenons que les membres de cette communauté qui résidaient dans certaines régions des États-Unis, notamment sur la côte Ouest, ont été dépossédés de tous leurs biens et ont été parqués dans des camps de concentration sur le sol américain.
Passé cette période en camps, parfois après plusieurs années, ces citoyens américains étaient « réinstallés » par des services de l’État, le plus souvent dans des villes bien loin de leur ville d’origine… Chicago, par exemple.
Les Ito avaient une vie plus que confortable avant la spoliation de leurs biens.
La « réinstallation » des Nippo-Américains se faisaient dans des quartiers populaires peuplés majoritairement de personnes issues de l’immigration.
C’est dans ce cadre que Rose, l’ainée des filles Ito s’est installée à Chicago après avoir quitté un camp situé dans un désert de la côte Ouest.
Très vite, Rose a organisé le rapatriement de ses parents et de sa sœur Aki à Chicago.
A leur arrivée à Chicago, pas de Rose pour les recevoir ; uniquement un ami de la famille et une mauvaise nouvelle : Rose est morte, elle se serait suicidée.
Aki, qui avait une relation fusionnelle avec Rose ne peut pas se résoudre à ce verdict.
Face à l’absence d’action de la police, Ike décide d’enquêter pour comprendre ce qui est arrivé à sa sœur.
Dès lors, Aki pérégrine dans les bas-fonds de Chicago et sa communauté nippo-américaine.
Au fil de rebondissements successifs, Aki découvrira les secrets qui tourmentaient sa sœur bien-aimée et ira bien au-delà des apparences pour déterminer comment un tel drame a-t-il pu advenir.
Ce livre est plaisant, se lit rapidement et est difficile à reposer.
La postface du livre comprend une bibliographie exhaustive sur le traitement de la communauté nippo-américaine lors de Seconde Guerre Mondiale ; l’autrice donne envie de se plonger plus avant dans les livres d’histoire relatant cette période.
Parution le 06 octobre 2022
Pascale Haas (traduit par)
360 pages / 15,90€ (broché)
Une déchirure dans le ciel, Jeanine Cummins, 10/18
Jeanine Cummins, l'autrice de l'impeccable American Dirt, écrit le récit d'un drame qui a frappé sa famille en 1991. Voilà qui promet un bon moment de lecture !
La famille de Jeanine Cummins a été frappée de plein fouet par l'horreur, à la fin des vacances d'été 1991, quand ses deux cousines, Julie et Robin, furent violés par quatre jeunes inconnus avant d'être balancées du haut d'un pont, avec leur cousin Tom (le frère de Jeanine), dans les eaux tumultueuses du Mississippi.
"Je les ai balancés sans mollir", annonça joyeusement Richardson, quêtant du regard un geste de félicitations de la part de Gray. Celui-ci hocha la tête en souriant, puis lui donna une tape dans le dos comme s'il venait d'accomplir une sorte de rite de passage" (page 94)
J'avais été impressionné par American Dirt qui décrivait avec acuité et sensibilité le sort des migrants mexicains (bien que l'autrice ne soit pas elle-même latino, ce qui valut à l'époque de faire l'objet d'une pathétique polémique sur le thème de l'appropriation culturelle, mais passons...). Peut-être attendais-je donc trop de ce nouveau récit ?
En tout cas je n'ai pas été convaincu. Certes, l'histoire est bouleversante et les faits relatés sont insoutenables. Mais littérairement parlant, le compte n'y est pas. Jeanine Cummins se lance dans des descriptions minutieuses mais laborieuses. Ainsi, page 120 : "Elle tira sur la cordelette pendue au mur pour allumer l'ampoule électrique au dessus du reflet de son visage malheureux dans le miroir propre. Cette pièce était si grande que Tink pensait qu'il devait s'agir d'une ancienne chambre d'amis transformée en salle de bains, et que, dans une vie antérieure, la douche avait été un dressing."
Et page 129: "Ghrist et Tom empruntèrent côte à côte le long couloir en linoléum, et l'un d'entre eux appuya sur le bouton 4 du vieil ascenseur déglingué." Tant qu'elle y est, pourquoi Jeanine Cummins ne nous précise pas qui des deux a appelé l'ascenseur ? Et pourquoi ne pas en préciser la marque ?! Thyssen-Krupp ? Koné ? Otis, peut-être ?
Je m'interroge aussi sur la traduction. Est-il pertinent de traduire "I am drowning" par "Je suis en train de me noyer" (page 87) ? N'aurait-il pas été plus simple, et plus efficace, de dire tout simplement "Je me noie !" ?
A mon goût, Jeanine Cummins donne trop de détails inutiles, sans doute pour apporter de la crédibilité à son récit. Elle prétend se tenir à distance en parlant d'elle-même à la troisième personne et en se désignant par son surnom, Tink. Mais dans le même temps, elle désigne les autres protagonistes par des sobriquets familiers ("Tante Ginna", "Grand-père Art" etc). De la même manière, elle se livre à une description très américaine (c'est-à-dire aussi lyrique que mièvre...) de ses deux cousines, tout en reprochant aux médias de les présenter sous leur meilleur jour. On a en définitive l'impression que l'autrice ne sait pas si elle doit parler d'abord en tant que cousine et sœur des victimes, ou comme une narratrice objective.
On conçoit bien que les sentiments de l'autrice envers les victimes, sa proximité avec elles, puisse perturber le processus d'écriture. C'est dommage car, avec ces quatre jeunes types qui franchisent brutalement la frontière du crime, cette histoire recelait un potentiel narratif explosif !
Paru le 02 février 2023
chez 10/18
Éditions Philippe Rey
Traduit de l'anglais (américain) par Christine Auché
408 pages / 8,90 €
Heï Maï Li et ses ciseaux d’argent, Cie du Chameau, Funambule Montmartre
Un conte chinois tout en ombres et en papier, avec Sophie Piégelin et Béatrice Vincent.
Les spectacles pour enfants jouent souvent sur le côté vitaminé, comme s'il fallait pour intéresser les petits dynamiser l'action jusqu'à l'outrance. Ce n'est pas le cas du spectacle Haï Maï Li ! Ici, pas d'acteurs qui dansent chantent ou font des vannes ; tout est calme et paisible.
Un drap blanc en arc de cercle où sont projetées des ombres chinoises, une narratrice avec un carillon et un petit gong, il n'en faut pas plus pour transporter les enfants dans une lointaine province chinoise. C'est tout simple et assez poétique.
Une narratrice installée en front de scène nous raconte l'histoire de Haï Maï Li. Avec ses ciseaux d'argent et du papier, on raconte que cette jeune chinoise sait tout faire. La rumeur enfle jusqu'à parvenir aux oreilles de l'empereur, "cupide et cruel", qui lui ordonne de lui fabriquer des diamants.
Sur l'écran apparaissent des figures de papier dont certaines sont découpées en direct. Petit-à-petit apparaissent ainsi des formes que les enfants ont plaisir à reconnaître: "un escargot !", "un papillon!", "un nuage !", "un mouton !".
Ce spectacle, court et calme, conviendra aux tout-petits et pourrait même presque les endormir, si les représentations n'avaient pas lieu à 10h30 du matin !
Jusqu'au 19 mars 2023
les mercredis à 16h et les samedis et dimanches à 11h jusqu’au 19 février. A partir du 21 février, du mardi au vendredi à 10h30 et les samedis et dimanches à 11h.
Au Funambule Montmartre, Paris XVIIIème
Jeune public, de 3 à 6 ans (Durée 35 minutes)
Happy fucking Christmas chère Janet, Lucie Britsch, 10/18
Cette chronique aurait été de meilleur aloi si elle avait été publiée avant les fêtes. Il est vrai que ce roman doit être lu durant l’Avent pour en tirer tout le sel, mais… Mea culpa : je ne suis pas parvenu à lire ce livre dans les temps !
En lisant la quatrième de couverture, on salive du caractère subversif du point de départ choisi par l’autrice : Janet est triste ; cela lui convient et elle ne souhaite rien faire pour qu’il en soit autrement.
Janet ne compte surtout pas faire d’effort pour partager la joie ambiante en cette période de fêtes.
Janet est seule, misanthrope et ne se sent bien qu’en compagnie des chiens vivant au refuge (cf. la couverture du livre) où elle travaille en compagnie de deux collègues tout aussi peu socialement adaptées qu’elle.
Janet a une mère ; celle-ci estime que tout peut s’arranger en gobant des pilules et aimerait que sa fille partage cette vision.
Cette mère procède à un lobbying très important pour que sa fille médicalise sa recherche de bonheur.
Problème : Janet ne souhaite pas être heureuse !
En cette période de fêtes, la mère est rejointe par d’ingénieux marketeurs qui promeuvent la nouvelle création d’un laboratoire pharmaceutique : La pilule de Noël.
Janet se laisse convaincre par son médecin de prendre ce traitement et dès lors, passée cette grande introduction, le roman devient très long…
Trois actions par chapitre :
1- Janet va au travail ;
2- Janet rentre chez elle après le travail et glande ;
3- Janet va à la réunion de groupe de consommateurs de la pilule de Noël.
L’action du livre est très redondante et assez peu passionnante… L’auteur a-t-il souhaité que nous traversions son œuvre comme Janet traverse sa vie ?
Le livre est une critique du recours systématisé aux traitements psychotropes dans la société britannique.
La charge n’a pas eu sur moi le résultat escompté.
Si vous souhaitez être renversés par les ravages causés par les recherches de profit de l’industrie pharmaceutique, privilégiez la série DopSick sur Disney+.
Enfin, le contre-pied « anti-Noël » annoncé n’est pas vraiment développé dans le livre et était, à mon sens, traité de manière plus drôle et cynique par Micheal Crichton dans « Pas de Noël cette année".
Parution le 22 octobre 2022
chez 10/18 Littérature étrangère
Traduction (anglais britannique) : Karine Lalechère
312 pages / 8,90€
The Fabelmans, Steven Spielberg, Amblin Entertainment
Il y a peu, le vénérable Steven Spielberg s’inquiétait du sort d’Hollywood. Comme tous les vieux briscards du Nouvel Hollywood, il en avait marre des super héros en collants et surtout se méfiait de la consommation de films sur les plateformes.
Pour convaincre le public, Spielberg se met donc en tête de raconter le choc que fut le cinéma dans sa vie. Le cinéaste, que l’on devine dans chacune de ses œuvres, livre ici un film très intime, une biographie à peine voilée et d’un dévouement que l’on voit désormais qu’au cinéma et surtout pas dans un poste de télévision.
Le pouvoir du 7e art ! Les mystères de la fiction qui éclaire nos réalités. La vie dans l’art ou l’inverse. Avec The Fabelmans, il se donne totalement au spectateur et réalise sûrement l’un de ses plus beaux films. En tout cas, il s’adresse directement au cœur.
Au début se devine un classicisme peut-être gênant. Le petit garçon qui s’émeut devant Sous le plus grand chapiteau du Monde de Cecil B de Mille, a les yeux un peu trop mouillés et bleus pour nous convaincre. La description des années 50 est proprette. La famille semble parfaite avec le père ingénieur et la mère artiste. Les petits sœurs sont des pestouilles comme on en voit tant…
Puis le vernis craque au fil des ans. La passion pour le cinéma du jeune Sam va le dévorer. L’apprentissage de l’art se confond soudain avec l’existence du jeune homme. Le miroir qu’offre le cinéma n’est pas des plus glorieux. Mais tous les clichés sur l’importance de l’art dans la vie retrouvent une clarté incroyable dans ce drame familial qui ne peut pas s’empêcher de sourire.
Comme d’habitude, le réalisateur des Dents de la Mer est aidé par une partition subtile de John Williams et la lumière délicate de Janusz Kaminski. Les comédiens forment une petite troupe qui n’a pas peur d’une mise en scène qui prend son temps.
Steven Spielberg, le wonder boy d’Hollywood, défie les valeurs actuelles avec un éloge de la lenteur et de la bienveillance. Ce film résume toute sa carrière mais ne cherche pas à l’expliquer. Il continue de développer ce sentiment entre innocence et résilience sur une histoire limpide, touchante, universelle. Et pourtant c’est la sienne.
Délice rétro, introspection délicate, spectacle de cinéma (grande idée : David Lynch dans le rôle de John Ford), The Fabelmans est à voir dans une salle obscure, loin de tout, pour profiter de ces confidences cinématographiques !
Sortie le 17 février 2023
De Steven Spielberg
Avec Gabriel LaBelle, Michelle Williams, Paul Dano
Biopic/Drame / 2h31
Bienvenue à Jurassic Park, la science du cinéma, Nicolas Deneschau, Third Éditions
Nicolas Deneschau aime bien les grosses bêtes. Il sortait il y a peu un très beau livre sur Godzilla, symbole du Japon et de toutes nos peurs. Le revoici avec des animaux plus petits mais qui en imposent tout autant.
L’auteur va nous raconter tout ce qu’il faut savoir sur Jurassic Park. Le film bien entendu, mais pas que. Son livre est un essai passionnant sur cette passion qu’est le dinosaure.
Il va remonter loin dans les origines du mythe. Puis il va petit-à-petit imposer la trace indélébile que laisse le dinosaure, dans notre imaginaire. Puis au cinéma. Puis Steven Spielberg. Puis la saga inégale mais fascinante.
Le style est passionné et son récit sur la fabrication du film est festif et enlevé. C’est une lecture rythmée avec de très nombreuses informations. On voit s’opérer progressivement la révolution imaginaire et technologique qu’allait imposer Spielberg, grand faiseur de mythes au cinéma.
Le papa d’Indiana Jones a du panache. Mais il n'est pas le seul. Tous les participants à l'aventure seront amené à faire de Jurassic Park, une vraie date de cinéma dans son ensemble. Et c'est ce que l'on découvre avec minutie. De l'invention du concept dans l’esprit de l’écrivain scénariste Michael Crichton jusqu’à la consommation à outrance de la franchise, en passant par la révolution des effets spéciaux.
La production est périlleuse et les anecdotes deviennent de vrais rebondissements. C’est la grande force de cet ouvrage : il se lit comme un page turner. On appréciera aussi les détails fouillés découverts par Nicolas Deneschau. C’est d’un enthousiasme assez étourdissant. Même si vous n’avez pas aimé les derniers films, retournez avec ce livre sur Isla Nublar et découvrez tous ses véritables secrets !
Parution le 31 mai 2022
258 pages / 24,90 €
Thirds editions