John Carter

Le comédien Taylor Kitsch joue le héros, John Carter. Son nom est l'adjectif qui convient le mieux à ce gros budget Disney qui amusera vos amis et vos gosses un samedi soir de farniente!

Disney s'offre son Avatar. Ils ne sont pas bleus. Ils sont tout verts avec des cornes sur les cotés et deux paires de bras. Comme les copains de James Cameron, ce sont de solides guerriers qui se moquent des guerres entre les hommes... de Mars.

Les Martiens de John Carter ressemblent à des héros de tragédie grecque perdu dans l'espace. Ils voyagent sur des avions à panneaux. Les martiennes ont des allures de mannequins. Ils parlent tous comme des comédiens de la Shakespeare company.

Sur la planète rouge, vous avez les humains bleus, assez méchants et belliqueux. En face vous avez les rouges, intellectuels et sages. Manipulés par les Therns, fantômes éternels, les bleus vont mettre une solide branlée aux rouges, jusqu'à l'arrivée de John Carter, le Terrien.

Sur notre planète, il s'agit juste d'un cowboy hargneux, rongé par la mort tragique de sa famille et les souvenirs de la guerre. Par hasard, il déboule sur Mars à cause d'une médaillon et fout un foutoir monumental. Il apprend aussi qu'une cause peut sauver une vie. C'est beau.

Plus beau que le film! Réalisateur du Monde de Narnia, Andrew Stanton doit faire avec un cahier des charges bien strict: il faut que cela ressemble à Avatar, au Seigneur des anneaux, à Star Wars et si possible aux dernières grosses productions de Disney comme Prince of Persia. Difficile de ne pas finir en patchwork d'heroic fantasy et de science fiction. Dommage on pense aussi au Flash Gordon des années 80, grosse référence du tartignolle movie.

L'acteur principal (au nom prédestiné pour ce genre de film, Taylor Kitsch) est donc un clone costaud de Jake Gyllenhaal. Un peu moins expressif avec de larges épaules. Sur lui, pèse la victoire de la liberté sur le mal mais aussi un film maousse en terme d'effets spéciaux. Indulgent, l'effet déjà-vu s'estompe au fil des minutes et on veut bien se laisser embarquer pour cette vision rococo de la planète Mars. Les effets spéciaux jouent mieux que certains acteurs, tous tentés par un concours de grimaces. La plus grosse grimace sera pour Disney: John Carter reste un bide sévère pour la firme!

John Carter s'inspire d'un cycle de Edgar Rice Burroughs, l'auteur de Tarzan. Le livre date de 1917. Tout cela date un peu et fait appel à un peu de naïveté de notre part. Pourquoi pas? En attendant on tique tout de même devant le refrain habituel, très américain sur la liberté ou le couplet grossier sur l'écologie, le rapport à la nature.

Parfois ridicule, de temps en temps attachant, souvent divertissant, John Carter est une belle boite vide à force de vouloir imiter tous les grands succès du genre. Le film est dédié à Steve Jobs: le problème de ce film est peut être qu'il est un peu trop la grande réussite de techniciens incroyables et d'artistes un peu limités...

Avec Taylor Kitsch, Mark Strong, Lynn Collins et Cirian Hinds - Disney - 7 mars 2012 - 2h20

Attends, Attends, Attends… Pour mon Père, Cédric Charron, Jan Fabre, Théâtre de la Bastille,

attends

Les premières secondes de ce solo inaugural dans le triptyque Jan Fabre proposé au Théâtre de la Bastille, nous plongent d'emblée dans une expérience mystique, transparente à un Autre Monde, de l'Au-delà...

Nimbée de fumée blanche qui déborde de la scène pour envelopper doucement le public, la pénombre devient diffuse, propre au visons magiques.

S'en extrait Cédric Charron, vêtu d'un rouge cru.

La scène est là-encore une composition picturale du plasticien Jan Fable, truffée de symboles gothiques.

Cédric Charron danse le passage de vie à trépas de la figure du Père, dans la peau de Charon, le "nocher des enfers", qui guide les mourants moyennant péage dans leur traversée du Styx.

Charon est dans la mythologie grecque un vieillard malcommode, ce que le fantasque danseur mime très bien, dans un travail corporel évoquant la danse Buto, une autre danse des Ombres...

Dans le texte qui se déploie, Cédric Charron s'exprime pourtant en homme encore jeune qui réclame au Père, d'Attendre, Attendre... Pour que le temps de danser puisse avoir lieu, le temps de la procrastination et de l'inutile pour le Fils, qui ouvre l'accès au monde la Création, libéré de l'interdit du Père.

Il y a donc deux passages à opérer: du Père oedipien au Père mort, du Fils paralysé au fils artiste; pour que le temps, après l'Attente, se mette à passer de nouveau...

Le texte est superbe, les effets visuels assez hypnotiques; on regrettera néanmoins un ensemble un peu hermétique et "en force". Mais il en va de même dans d'autres solos précédents présentés par Yann Fabre, qui réussissaient peut-être mieux à donner au propos crûment biographique une résonance plus métaphysique, notamment par les références au monde médiéval.

Si l'on retrouve ses codes obligatoires, comme le corps en croix -l'expérience même du "chemin de croix"-, on trouve moins facilement dans Attends le fil esthétique du rêve...

On continuera néanmoins de suivre Jan Fabre, tant au musée qu'au théâtre, dans son traitement des corps, de Nature Morte à Transcendance, pour faire apparaître combien l'Art s'arrache dans l'effort à un temps où la Mort est sans cesse évoquée.

 

du 9 au 13 mars 2016

Solo pour Cédric Charron de Jan Fabre

Théâtre de la Bastille

Nombrer Les Étoiles, Alban Richard, ensemble Alla francesca, Théâtre 71

nombrer les étoiles

Dans un entretien pour le numéro spécial de La Terrasse Shall we dance?, Alban Richard déclare:

 « Les CCN peuvent travailler à la reconnaissance et à la nécessité de la danse dans une société. [...] Le projet pour Caen est essentiellement une utopie."

Dans Nombrer Les Étoiles, l'utopie consiste à projeter sur scène une brèche spatio-temporelle pour plonger des artistes aux corps et habitus ultra-contemporains dans un environnement baignée de musique médiévale, et ce dans la plus grande fluidité, le plus grand naturel.

Pourrait-on imaginer un voyage dans le temps plus doux et serein?

Alban Richard, assisté pour le son par Félix Perdreau, a inséré une continuité minutieuse entre les ballades oniriques interprétées par l'ensemble Alla francesca et le souffle même des danseurs, réverbéré dans tout le public, intensifiant encore l'expérience de transport, intérieur autant que physique.

Chaque geste de main, de pieds, inclinaison de tête... répond subtilement, note pour note, au chant.

Ces arabesques lentes, ce tournoiement suspendu par instants en des poses symboliques, évoquent les sujets gracieux des enluminures médiévales où chaque geste est un langage.

Il émane de l'ensemble un climat de grande détente; tour à tour le chant s'élève, à son diapason les corps s'envolent, puis tout revient à l'état neutre, à l'image d'une boîte à musique dont le mécanisme s'interrompt.

On peut remarquer que les interprètes sont en blue jeans, comme Alban Richard lui-même dans la Suite Dansée présentée l'année dernière à la Philharmonie au son du claveciniste Christophe Rousset.

Alban Richard est un chorégraphe qui recherche un traitement "métrique" de la danse, dans une réponse poignante et rigoureuse à la partition musicale.

On se souvient du morceau de bravoure que fut Pléiades pour le festival Montpellier Danse en 2011 où les six danseurs de son ensemble l'Abrupt scandaient le tempo des Percussions de Strasbourg sur la musique de Iannis Xenakis dans une vitesse d'enfer...

Il poursuit sa recherche amorcée à Chaillot en 2014 dans Et mon coeur a vu à foison, de plongée dans l'univers baroque/ médiévale. Il est question pour lui de travailler une nouvelle contrainte d'écriture chorégraphique, comme un compositeur se frotterait au genre dodécaphonique.

Mais ce qui éclate avec Nombrer les Étoiles, illustre bien "la nécessité de la Danse" dans la cité.

Avec la peinture classique, nous avions accès à la représentation du corps anatomique, à une certaine valorisation du corps dans une dimension presque sacralisée.

Dans le monde contemporain, il ne reste que la danse pour nous rappeler l'importance du corps, du geste, du rythme, de la marche ou du souffle...; pour nous en montrer et faire entendre la beauté.

En blue-jean du quotidien, cette beauté sereine éclate parfaitement grâce aux interprètes d'Alban Richard, en particulier Yannick Hugron dont la précision est aussi légère qu'une plume.

Alban Richard est devenu directeur du CCN de Caen en Septembre 2015.

 

Mardi et Mercredi 9 Mars

Théâtre 71 Scène Nationale de Malakoff

2.0

Après Suede, c’est au tour des illuminés de Kula Shaker de revenir sur nos ondes avec un tout nouvel album. Les inspirations sont les mêmes que dans les années 90 : un petit air de révolution douce !

Décidement les années 90 sont à la mode en ce moment. Les X files reviennent sur le petit écran. Suede revient avec un nouvel album. Maintenant, c’est la résurrection d’un groupe emblématique de la scène britpop des années 90, Kula Shaker et son chanteur perché, Crispian Mills.

En 1997, le quatuor de Londres tient le haut de l’affiche avec son rock très influencé par le psychédélisme. Puis il glisse sans fin vers le ventre mou de la production anglaise. Le groupe fut plusieurs fois mort avant des retours assez surprenants. En 2007. En 2010.

6 ans plus tards, Mills et ses amis, fans de vaches sacrées et de textes vachards, sont de retour. Espèrons que ce soit un peu plus durables. Il faut dire que les membres du groupe sont des touches à tout. Le chanteur a eu par exemple la bonne idée de réaliser un film avec Simon Pegg. Les autres ont participé à de nombreux projets. Irrémédiablement ils se retrouvent pour défendre leur formule colorée et très british !

Le temps passe mais leur goût pour les parfums indiens subsistent. On navigue dans un rock éthéré, un peu fouilli mais résolument daté et percutant. Les orgues s’accouplent avec les sitars. La voix sait faire dans la pop comme dans le chant plus ouaté. Les guitares viennent de tous les pays du Monde. A l’heure du 2.0, le groupe n’a pas bougé dans sa conviction musicale.

Ce n’est pas un mal. Cela fait longtemps que cette idée de fusion a été abandonné. C’est parfois risible dans le joyeux délire mystique (tout ce qu’il ne faut pas faire est sur le titre Mountain Lifter) mais après 20 ans de vie chaotique, les petits gars de Kula Shaker sont en forme. Leur style reste séduisant par cette vieille façon de jouer les entremetteurs entre les cultures, par un rock jouissif et plutôt pimenté.

Certains diront que ça n’a plus de sens aujourd’hui mais Kula Shaker a toujours été bercé par les douces utopies sixties et continue de les défendre avec une joie que l’on ressent. Une bande de hippy heureusement déconnecté ! Sympa ! Drôlement Sympa !

Strangefolk - 2016

Le singe de Hartlepool

Les esprits chagrins (et il y en a, je le sais...) diront que j'arrive après la bataille...

C'est pas faux si l'on considère que l'album dont je vais parler date de 2014; et c'est pas vrai si l'on considère le fait que l'histoire se déroule en 1814, donc un an avant Waterloo...Je vous accorde que j'ai loupé le coche à l'époque. En effet, j'ai d'abord sauté sur l'album quand j'ai vu qu'il était scénarisé par Wilfrid Lupano!

Puis je l'ai bêtement reposé un peu rebuté par le dessin de Jérémie Moreau. Il est des BD comme ça. Vous savez que vous avez un chef-d'oeuvre entre les mains et en même temps l'effort nécessaire pour y accéder vous rebute. Alors par manque de facilité, vous laissez tomber.

Et aujourd'hui, je remercie 1 000 fois ma libraire préférée de m'avoir remis sur cet album. Je veux parler du "Singe de Hartlepool" car c'est bien de lui dont il s'agit. Cette BD aurait pu être écrite par Jean Teulé. Pour paraphraser ce dernier, l'album de Lupano et Moreau aurait pu s'appeler "Pendez le si vous voulez". On retrouve des similitudes dans ces 2 histoires, issues toutes 2 de faits tristement historiques.

D'un côté (chez Teulé) un jeune homme qui se rend à la foire annuelle du bourg et finit dépecé voire mangé par certains de ces agresseurs; de l'autre (chez Lupano et Moreau), un singe en uniforme français qui suite au naufrage du bateau qui le transporte se retrouve jugé par les habitants du village de Hartlepool en plein conflit napoléonien. Le singe finira par être pendu par les habitants du bourg au motif qu'il est français...

La BD dépeint bien la bêtise ordinaire, le racisme, les préjugés et surtout l'ignorance qui engendrent  haine et violence. A la lecture de cet album, on ne peut s'empêcher de penser à cette phrase dont l'auteur ne me revient pas :"Le nationalisme, c'est la haine des autres, le patriotisme, c'est l'amour des siens".

Il y a tout cela dans la BD de Lupano et Moreau. Toute cette absurdité qui nous fait dire avec nos yeux d'hommes du XXI ème siècle que nous avons bien évolué depuis lors (ce qui reste à démontrer, vous en conviendrez).

Le livre est d'autant plus intelligent qu'y figure un cahier historique qui explique la perception que l'on pouvait avoir du singe voilà 2 siècles maintenant. C'est édifiant et permet d'éviter trop d'anachronismes.

Alors si vous avez manqué cet album, n'hésitez plus une seconde, d'autant que le rebondissement final est à la hauteur de l'ensemble de l'album. Une fois de plus Lupano frappe fort. Et ce monsieur sait s'entourer de dessinateurs capables de donner du relief à ses histoires. C'est encore le cas avec Moreau qu'il veuille bien excuser ma première réaction...

92 pages  - Delcourt

Jeunes Pouces 2016: Sunflower Bean

La Gueule du Loup

Immersion au cœur d’un monde dans lequel rôde le loup. Entre peur et fascination, les hommes se confient. Rires, émotions et traditions ancestrales.

« Des êtres de Pagnol dans le monde réel avec des répliques d’Audiard » lance à l’avant-première du film le réalisateur. En deux ans de tournage au cœur des coins de France où se divisent les hommes au sujet du loup, Jérôme Ségur a côtoyé des personnages aux caractères bien affirmés.

La gueule du loup rassemble à l’écran des personnes qui ne peuvent pas se voir et encore moins s’écouter. D’une scène à l’autre, la caméra les suit avec finesse. Réunis seulement à l’écran par ce documentaire, on n’est loin du terrain d’entente ou de l’argumentaire préfabriqué. Le réalisateur est parti à leur rencontre en vérité avec une petite équipe pour délier les langues.

Derrière des paysages d’une grande sérénité, les tensions montent. Dans les valons, les flancs de montagne, ces lieux de pâturage des troupeaux de brebis et de chèvres cohabitent difficilement les animaux domestiqués, les animaux sauvages et les hommes.

Sauvage, mystérieux, fascinant, diabolique pour certains, le loup clive les hommes. Il cristallise les peurs, sème la discorde entre éleveurs, paysans, citadins, politiques. Entre celui qui élève ses bêtes toute l’année et assène « je ne nourris pas la faune sauvage», et celui qui veut défendre la place du loup sur terre. Mais bien plus largement les tensions entre le monde de la tradition ancestrale du pastoralisme en proie au danger de prédation du loup et le monde déconnecté du rapport à la terre.

La force du film est d’interroger sans asséner de vérités. Qu’est-ce qui fascine chez cet animal ? Qu’est ce qui provoque son rejet ? Comment être sûrs des dégâts qu’il cause? Peut-on s’en prémunir? Quel rapport entretient l’homme à la nature sauvage en général et à sa propre nature en particulier?

En ne prenant pas parti, le réalisateur évite habilement la polémique en filmant les hommes, leurs émotions, leurs coups de sang. Avec humour et sensibilité, leurs mots font mouche. Vivianne et Jean Loup : un couple à la Pagnol, lui avec son franc parler et son authenticité, elle d’une beauté à la Manon des sources. Manoël, défenseur du loup à en avoir la corde au cou reconnaît : « Le loup, c’est ni Dieu ni maître. Il ne se soumet jamais. Je crois que je lui ressemble un peu. »

Le documentaire laisse le temps de penser. Penser à ce monde en perpétuelle évolution. Penser au lien éleveurs-consommateurs. Penser à ceux qui vivent l’écologie et ceux qui la légifèrent.

En sortant de ce film, vous n’emploierez plus ces expressions au hasard : L’homme est un loup pour l’homme, se jeter dans la gueule du loup, avoir une faim de loup, Quand on parle du loup…

Zed - 09 mars 2016 - 1h20

Nights Thoughts

Septième album de Suede, pionnier de la bulle qui a éclaté il y a bien longtemps, la Britpop! Ces revenants ont encore la foi. Ca fait plaisir à entendre!

L'année dernière, le groupe de Brett Anderson avait sort un live emballant, montrant que ces musiciens désormais cabossés avaient encore de la ressource! Le disque reprenait l'intégralité de leur second album, petite pépite pop qui peut faire référence désormais, à l'heure où Coldplay règne en maître sur la musique anglaise.

Le groupe s'est reformé en 2013 avec un bon album et confirme son envie de produire encore de la pop à leur manière avec ce septième album qui marque aussi le retour du producteur de leurs débuts houleux, Ed Buller. Suede serait-il à la recherche d'une éternelle jeunesse?

L'androgyne chanteur, Brett Anderson, est devenu un dandy confiant. Le reste du groupe a vieilli mais aime encore les rythmiques carrés et les écarts de guitare, toujours maîtrisé par le torturé Richard Oakes, excellent au fil du temps. Il prend de l'ampleur à chaque album. C'est rare de voir une évolution aussi fascinante à chaque album.

Mais que vaut honnêtement ce nouvel effort? Est il laborieux? Deux trois fois, on se pose sérieusement la question. C'est vous dire l'inquiétude: on pourrait penser à Placebo! Mais Anderson et ses petits copains sont beaucoup plus adroits. Ils portent leur spleen avec une énergie toujours présentable. Ce qu'ils racontent n'est jamais joyeux mais le tout est emballé avec une conscience des forces en présence qui fait plaisir à entendre. Ils ne se la pètent pas... plus!

C'est un vestige qui s'assume (l'épatant No Tomorrow) et qui défend ses valeurs musicales. En plus ils conservent ce charme si anglais... ce sont eux qui ferait mieux de pondre un générique pour James Bond au lieu des têtards à voix qui gâchent tout. Une valeur refuge!

Warner - 216

ETHICA Natura e Origine della Mente, Romeo Castellucci, T2G

ethica

Après Le Metope del Partenone présenté à la Villette pour le Festival d'Automne dans une synchronicité terrifiante post-attentats parisiens, Castellucci a décidé de ne présenter au T2G que le premier tableau de son projet ETHICA inspiré de l'Ethique de Spinoza.

" J'ai senti que trop de spectacles ont été montrés, représentés, et que la quantité en était accablante. Je pense que le public parisien a vu suffisamment de mes spectacles. [...]"

Il est en effet important de réfléchir à inscrire le travail de Castellucci, entamé depuis la fin des années 1980, dans une perspective historique, dans l'évolution d'une société post-moderne accidentée par l'effacement du Sacré.

"Revenir à la Tragédie" était l'objet du Portrait que lui a consacré sur deux années le Festival d'Automne. Revenir au Sacré, à la pensée du Religieux, pourrait être une autre manière de retracer le fil des projets de Castellucci.

Artiste résistant à la catégorisation - plasticien au théâtre, performer, philosophe..- ce qu'il offre de façon unique, exigeante et géniale est la projection sur le dispositif théâtral de tous ces divers champs sémantiques.

Aussi son travail ne peut-il que dérouter, tout comme le Nouveau Roman stupéfia ses premiers lecteurs.

Si Castellucci propose un laboratoire de la Chose Tragique, il reste au plus près de l'esprit des Tragiques antiques: la recherche de la catharsis, la purgation des passions et l'élévation de l'âme.

On sort toujours d'une de ses pièces avec le ressenti des effets d'une tache intellectuelle importante, il ne s'agit pas là d'un théâtre vain.

Natura e Origine della Mente est une variation sur le livre 2 de Spinoza " De la nature et de l'origine de l'âme". Quand le livre 1 traitait De Dieu, il est question dans cette partie de l'Ethique, de l'intrication humaine de l'esprit et du corps; sa conclusion traite de l'intellect et la volonté.

Castellucci projette ce questionnement sur le lieu du Théâtre.

Il y a la Lumière, interprétée par une femme suspendue par un doigt à un câble, qui se distend et se tend à mesure qu'elle s'approche du sol avant de remonter et disparaître à nouveau dans les hauteurs; la Caméra incarnée par un chien qui miaule et parle; et l'Esprit, personnage protéiforme.

Ces trois entités, se substituant peut-être aux catégories Spinozistes de la perception, l'imagination et la connaissance débattent de l'intérêt de chacune, de l’Être et de l'Avoir, de leur interdépendance tragique finalement.

Le spectateur a laissé derrière lui le confort des fauteuils, a traversé la frontière de la scène et est entré dans un espace autre. Sorte de redite du mythe de la Caverne, les spectateurs observent par un orifice ouvert vers un ailleurs qu'on ne peut qu'entrevoir, un étrange défilé de créatures, incarnations de la voix de l'Esprit.

De cette ouverture en forme de silhouette féminine, au centre du périmètre blanc (métaphore de la Tabula Rasa ou lieu en négatif) où déambulent les spectateurs encombrés de leur corps, sortira la sombre résolution au morcèlement des trois personnages.

Il est toujours question dans les mises en scène de Castellucci de redéfinition lucide de la topographie du théâtre: voiles, vitres, rideaux, fumées, circonscrivent cette limite dedans-dehors, scène/hors-scène que Castellucci franchit toujours...

A la fin du livre 2, Spinoza confronte Vérité et Erreur; on découvre en miroir le questionnement de Romeo Castellucci au sujet du Vrai et du Faux du Théâtre.

Qu'en est-il lorsqu'on distille cette question dans un espace performatif minimal, où ne reste qu'un cadre physique, de la lumière et du son; que reste-t-il de la représentation quand la lumière déserte l'image et que les mots ne rencontrent nulle surface d'inscription..?

Car en effet la matière même du texte est si inaccessible, proche de la langue du rêve, qu'elle s'efface de la mémoire aussi tôt dite.

On percevait cette même désertification du langage dans le Metope del Partenone, accentuée par le temps de traduction nécessaire de l'italien au français, qui fait que l'on sort de ces pièces un peu vide de mots, imprégné plutôt de ressentis ambigus.

Si l'on peut regretter que ce tableau d'ETHICA soit un peu elliptique, abscons, allégorique, il poursuit la recherche passionnante que Castellucci nous invite à partager: pourquoi le Théâtre dans la Réalité, qu'allons-nous y voir que la plupart du temps on ne veut pas voir ailleurs..?

Ses œuvres lèvent peu à peu notre aveuglement, tout comme, doucement, on réveillerait un somnambule.

Du 7 au 13 Mars 2016

T2G, Théâtre de Gennevilliers

Durée : 1h environ

spectacle en italien surtitré en français

Pierre et Mohamed

Affiche Pierre et Mohamed

 

 

Une poignante histoire d’amitié interreligieuse en Algérie. Pleine d’intériorité, de sensibilité et de franc-parler, la pièce connait le succès depuis ses débuts sur les planches en 2010 au Festival d’Avignon.
C'est l'histoire d’une rencontre entre Monseigneur Pierre Claverie, père dominicain, évêque d'Oran et son chauffeur, le jeune Mohamed Bouchikhi dans l’Algérie des années 90. De leurs allers et venues ensemble à travers le pays et la ville d’Oran nait une amitié. Vraie, fraternelle et profonde. Un dialogue se noue sur le pays où ils vivent : l’Algérie. Ils échangent sur leurs aspirations et leurs religions : l’Islam et la chrétienté. Le 1er août 1996, cinq mois après les moines de Tibhirine, ils sont tous deux assassinés devant le presbytère d’Oran.

Comment mettre en scène cette amitié pour honorer leur mémoire? Le texte a pris le parti de faire résonner les textes, lettres et sermons de Pierre Claverie avec le journal de Mohamed. Pour interpréter leurs paroles, Jean Baptiste Germain, jeune acteur prometteur, incarne à tour de rôle les deux hommes. Cernant leur accent, leur voix, leur charisme, il ravive avec brio la force de leur message.

Dans un décor d’une simplicité désarmante : un tapis de prière, un vieux Coran, du pain et de l’eau, le son mélodieux du Hang accompagne la diction du texte. Instrument crée en Suisse en forme de sphère métallique, il a trouvé son maître en la personne de Francesco Agnello.

Pierre et Mohamed, deux hommes épris de dialogue tués par l’arme de la haine. Cette arme brandie au nom d’un combat politique, faussement religieux. Comme bien d’autres dans notre monde actuel divisé, ils ont cherché à nouer un lien qui dérangeait. En ces temps où le terrorisme fait rage, le besoin d’ouvrir des chemins de dialogue se fait pourtant si pressant.

La pièce est porteuse de sens pour notre monde où les murs se dressent. Au-delà de leurs différences, les deux hommes ont appris à se connaître, à s'apprécier et à se comprendre. Pierre Claverie disait « Pour qu’entre croyants on puisse se parler il faut que l’on s’écoute. Pas pour se convaincre, pour se comprendre.» Une pièce à écouter, voir et vivre. De quoi être interpellé et touché. La paix commence parfois par une amitié.

13 mars 2016 – Boulogne-Billancourt

Retrouvez les dates de représentations sur www.pierre-et-mohamed.com/actualites/

 

 

 

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