Dans la solitude des champs de coton, Bernard-Marie Koltès, Bouffes du Nord

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© Christophe Raynaud de Lage

Vous connaissez peut-être la célèbre (3ème) mise en scène de Patrice Chéreau ou du moins quelques images de la pièce interprétée par lui-même et Pascal Greggory, émergeant du brouillard dans le décor de Richard Peduzzi. Ici c’est une proposition inédite qui est donnée au Théâtre des Bouffes du Nord, née de la collaboration de Roland Auzet, metteur en scène-compositeur-percussionniste (il se définit comme un « écrivain de plateau »), et de Wilfried Wendling et sa compagnie La Muse en circuit qui développe depuis 2007 les « Concerts sous Casque ».

Les deux personnages traditionnellement interprétés par des hommes (le dealer, le client) sont ici interprétés par deux comédiennes talentueuses et chevronnées, Audrey Bonnet et Anne Alvaro. Au départ, le dealer attend aux pieds des tours d’immeubles, la nuit tombée. Il a quelque chose à vendre, il cherche un contact (une autre solitude?). Quelqu’un (le client), parmi tous les passants qui se font plus rares à cette heure, croise son regard. Il l’aborde. C’est le début d’une joute verbale. D’un combat où l’on esquive les coups.

Et comme dans un long jeu psychologique, à un moment donné, les rôles s’inversent. Dans le triangle dramatique*, on occupe toujours l’un de ces trois rôles: la Victime, le Persécuteur ou le Sauveteur.  Tant que le racket fonctionne, les deux personnes impliquées jouent leur rôle et l’échange peut durer interminablement. C’est ce qu’il se passe au début de la pièce de Koltès, entre le dealer et le client. Le dealer, d’abord Persécuteur (on le dit « retors »), suggère qu’il peut satisfaire tout désir, même inavoué, même inespéré, du client, d’abord Victime supposée (comparé à une poule chassée dans une cour de ferme ou à un gamin craignant un coup de son père). Le client hésite. Et l’on pense vraiment que c’est une question de temps avant qu’il n’exprime son désir, que le dealer s’empressera de satisfaire. Mais tout à coup, patatras: coup de théâtre: le client quitte son rôle. Il ne quémandera rien. Ne devra rien. Ne sera en rien débiteur. Il refuse le contact sur son bras, la familiarité d’un souvenir partagé, la simple camaraderie, et tout plaisir. Il ne veut rien. Alors le dealer exige quand même d’être payé. Pour quoi? Pour le temps passé, à espérer le deal, « à faire l’article ». Le client, devenu Persécuteur, lui assène le coup de grâce. Et propose de sortir du « jeu psychologique », de se défaire des étiquettes, d’être, tous deux « des zéros ». Dans la théorie de Berne, la fin du jeu psychologique correspond au début de l’authenticité. On s’arrache aux rôles prédéfinis (par nos croyances et par le regard des autres) pour entrer dans la communication véritable, une relation d’enrichissement mutuel. Mais c’est ici hors-plateau, hors sujet.

En un sens, ce texte de Koltès ressemble au monologue de Camus « La Chute », où celui qui se confie, désarçonne et finalement anéantit l’autre, l’auditeur. Les derniers mots de « Dans la solitude… » sont: « Quelle arme ». L’arme, c’est l’absence de désir, l’absence de tout objet de transaction. Qui oblige chacun à sortir des rôles assignés et au langage préfabriqué. C’est aussi certainement le langage lui-même, qui retourne l’argument contre celui qui l’énonce. On a souvent fait le lien entre la langue de Koltès et l’habileté de la casuistique, mais il ne faut pas réduire l’art de Koltès à une forme d’argumentation. Le dialogue ici déconstruit l’argument de l’autre, l’accule à reconnaître, sinon la vérité, du moins la relativité de toute énonciation de vérité.

Le dispositif scénique mis en œuvre aux Bouffes du Nord, loin de compliquer le rapport scène/salle, nous rapproche, nous spectateurs, de l’intimité des mots, du souffle des actrices. On écoute les voix et les respirations au casque (et la musique électronique créée pour l’occasion) et en même temps, on a sous les yeux tout l’espace du plateau des Bouffes du Nord, ce large cercle vide, qu’Audrey Bonnet n’hésite pas à traverser en courant; elle bondit, accélère et se recroqueville. Son visage s’allonge parfois comme ceux des chanteurs d’opéra, chercheurs de sons profonds et puissants, quand elle exprime une « saine » rébellion. Anne Alvaro est aussi surprenante et convaincante, bien qu’un peu moins « menaçante » que sa complice.

On résume: 3 bonnes raisons d’aller voir ce spectacle, 3 plaisirs:

  • découvrir une scénographie sonore inouïe, une collaboration nouvelle entre l’électronique et la scène;
  • voir jouer ensemble deux figures géantes du théâtre;
  • écouter / découvrir la langue revivifiée du texte de Bernard-Marie Koltès.

 

* le triangle dramatique structure toute relation, dans le cadre du « jeu psychologique »; le jeu psychologique, dans la définition qu’en donne l’Analyse transactionnelle, est une forme de racket, une manière relationnelle qui nous tient loin de l’intimité. Pour plus d’infos: https://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_transactionnelle

 

 

 

Une proposition théâtrale et sonore de Act - Opus - Compagnie Roland Auzet et La Muse en circuit, Centre national de création musicale

avec Audrey Bonnet et Anne Alvaro
Au Théâtre des Bouffes du Nord, Paris la Chapelle.
Du 3 au 20 février, du mardi au samedi à 21h, matinées les samedis 13 et 20 février à 15h.
Durée: environ 1h15.
Réservations:

Être envoyé spécial…sur BFM TV

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Il est des vies que l’on ne peut envier, bien sûr, celle d’habitant de la jungle calaisienne, SDF dans le froid, réfugié syrien en Islande, veilleur de nuit en abattoir dans l’est de la France, morpion accroché à un pubis d’actrice porno amateur, témoin colombien ayant dénoncé des complices de Pablo Escobar…j’en passe.

Mais, malgré les sunlights apparentes, et pas nécessairement des tropiques qui se racontent en musique et qui te demandent de prendre ta main et de venir danser, certaines vies semblent on ne peut plus désarmantes et désarmées, quand on les aperçoit au travers du petit écran.

Celle d’envoyé spécial à BFM TV, appartient sans nul doute à cette catégorie. Évidemment, il y aurait du fun et du wow youhouuu dans sa vie à notre envoyé spécial, si Rocco Siffredi, richissime, prenait des actions de ladite chaine, en créant par exemple Bi-SM TV, première chaine nympho de France, où son travail, micro à la main consisterait à couvrir les gang bang et les tournages de « Vient dans mon slip c’est fête et ramène des amis N°4 »…mais non, loin de là.

Rappelons tout d’abord le rang dans notre envoyé spécial, au visionnage tout con tout simple d’une ½ heure d’info sur BFMTV. Au 1er rang figurent Ken et Barbie, oui, dans les chaines infos, le duo mâle cravatée/jolie blonde yeux bleus est un précepte, un principe, un incontournable. Au 2ème rang, le breaking news, autrement dit le bandeau fixe bas d’écran où clignote « Urgent » en orange/rouge quand une info vient de tomber, où qui défile aux grès des infos et pour chaque thème a sa petite couleur comme au Trivial Poursuit, au cas où tu serais un con et que si on ne mettait pas « Sport » en vert pour annoncer PSG 2 – OM 1, bien tu pourrais confondre avec un bombardement en Syrie, que si on te mettait pas en violet « People/Culture» le fait que Renaud sorte un album intitulé « Résurrection » ou « Renaissance » ou « De retour », enfin bref l’album où il démontre que l’arrêt de l’alcool ne signifie pas forcément « j’ai appris à réécrire correctement des paroles », et bien tu pourrais confondre avec la sortie en 50 000 exemplaires de la nouvelle voiture hybride de la marque automobile au losange…j’en passe, là aussi.

Rappelons également que le schéma directeur d’une chaine info c’est : 1. Prise d’antenne plateau, Ken et Barbie te disent à haute voix ce qui est écrit sur le bandeau rouge-vert-violet-orange, au cas où tu n’auras pas la vue (nooonnnnn, pas sous les sunlights des tropiques, c’est bon merci j’l’ai dans la tête maintenant). 2. Ils appellent forcément juste après le « correspond sur place », autrement dit notre fameux envoyé spécial, nous y reviendrons, en lien avec l’info annoncée, comme ça, ça fait actu à chaud, même quand on n’a rien à dire, ou même pour la plus mince des infos dont tout le monde se tape. 3. Retour plateau avec « l’expert », le gars qui connait le sujet, que l’on interview pendant 10 minutes, voire, si on est un peu fou fou, on convoque un 2ème expert mais qui pense pas pareil pour une confrontation fight club mais avec gant de boxe en guimauve.

Et dans tout ça, oui, notre envoyé spécial passe souvent inaperçu alors que le mec a été envoyé à l’autre bout de la France, un dimanche, pour se prendre des rafales de vent dans la tronche, quand il s’agit, par exemple de couvrir l’arrivée d’une tempête sur les bords de mer bretons…c’est d’actualité.

Car, pour être un bon envoyé spécial sur BFM TV, il faut sans nul doute signer la charte et jurer sur l’honneur des « 10 commandements de l’envoyé spécial », que voici :

  1. J’accepterai sans broncher de partir avec une voiture de location dans un endroit qu’aucun GPS ne connait, tout ça parce qu’un arbre est tombé sur une maison de retraite et qu’il fallait que j’y aille.
  2. Je n’aurai plus de vie sociale et me lèverai à 3h du mat pour être en direct dans le 6/9 week-end perché en haut d’une montagne juste pour intervenir 40 secondes à 6h04 afin de faire savoir si un 24 décembre y’a de la neige ou pas…alors que le mec que ça intéresse est déjà bloqué dans les bouchons sous le tunnel du Mont Blanc et donc ne peut pas te voir, et que le mec qui te regarde, part pas au ski donc s’en tape grave…
  3. Je galérerai comme un dingue pour trouver un témoin dans un village perdu d’Alsace afin de savoir s’il a voté ou non FN un dimanche d’élection régionale.
  4. J’aurai toujours avec moi une valise avec 15 fringues différentes afin de pouvoir intervenir sur une autoroute au mois d’août en cas de canicule, sur un front de mer vidé de tout habitant un soir de tempête avec un vent de 130 km/h dans la tronche ou encore en chemise sale à l’autre bout de la planète pour faire genre j’suis un aventurier.
  5. J’apprendrai à rebondir sur des lancements plateau inintéressants croire creux vides du type « Preuve de cette vague de froid, ce -22°C constaté dans les Vosges, où nous rejoignons d’ailleurs sur place… »
  6. Et que là c’est à toi et tu vas devoir broder 40 secondes autour de ce -22°C, dans les Vosges, où tu es, à base de « en fait, ici on les sent bien les -22°C, de mémoire d’habitant, on n’avait jamais vu ça depuis 1954, comme en témoigne Mme Gérard, habitante de 89 ans… » et là tu lanceras ton sujet avec l’amère sensation de travailler pour Groland.
  7. Tu accepteras d’être entouré de supporters de foot bien tartinés à la bière de table après un match PSG-Lyon un samedi soir de juin, pour une finale de Coupe de France, alors que tous tes potes font barbecue dans ton jardin et on regardait le match à la cool, pendant que toi, tu attendais comme un con le lancement du JT Nuit pour intervenir et que des supporters beuglent derrière ton dos téléphone portable dans la main gauche pour dire à leur pote « ouaisss gros regarde j’suis sur BFM derrière le mec à lunettes » et corne de brume dans la main droite qu’il ne manquera pas d’actionner au moment où tu es en direct, pour, un, te faire chier, deux, te rendre sourd, à tel point que le mec en plateau ne comprendra rien de ce que tu racontes et reprendra l’antenne…
  8. Tu rêveras de devenir animateur plateau mais manque de bol tu ne feras que ça les jours où personne ne veut bosser, genre 1er janvier, week-end d’été…bref, tu te fais toujours avoir…
  9. Tu en auras ras-le-bol de répéter 10 fois la même non-info devant l’Élysée un soir de remaniement ministériel pendant 3h, dans le froid, avec tous tes potes envoyés spéciaux, et que cette phrase « non ici à l’Élysée, toujours pas d’informations à part quelques rumeurs à mettre au conditionnel, donc toujours pas d’infos non… »
  10. Tu finiras par coucher avec ton preneur de son car mine de rien, les départs dans les Vosges à -22°C, ça crée des liens…

Un bien beau métier, allez, j’vous embrasse à dans 15 jours, j’ai vacances, et pas dans les Vosges.

Hidden City

Coucou les revoilou! Indestructible, The Cult se fout des modes et défend son rock solide et héroïque. De leur ville perdu, les deux membres fondateurs se rappellent à notre bon souvenir!

La vie du groupe britannique The Cult mériterait un film. Ca serait un bon biopic bien classique avec grandeur et décadence de deux artistes qui ont voulu tout casser et sur qui on a cassé pas mal de sucre. Il y a le blond et le brun. Le guitariste Billy Duffy et le chanteur Ian Asturby. Ils ont commencé dans la new wave un poil gothique avant de se prendre pour des gros rockeurs californiens à la sauce Guns'n'Roses.

Cela a donné donc des disques très variés avec quelques sommets comme l'album Electric en 1987 et l'imparable Wild Flower, hit rock pur et dur! Des diamants, il y en a dans les disques de The Cult mais la vie dissolue des deux leaders a provoqué aussi pas mal de catastrophes. Ils ont bien joué le jeu du Sex Drugs & Rock'n'roll avant d'être totalement carbonisé par les excès.

Le groupe a volé en éclat dans les années 90. Asturby et Duffy ont mis longtemps à se réconcilier. Ils sont devenus de vieux sages désormais ce qui leur permet d'aborder sereinement leur art, ensemble et sans complexe après la création du groupe en 1983. Tout de même, ils ont des airs de survivants ces deux là!

Quatre ans après leur précédent effort, ils retrouvent leur vieux producteur Bob Rock (Metallica, Aerosmith, Michael Buble cherchez l'erreur) qui pour leur cinquième fois va leur brancher les guitares vers un heavy metal sobre et plutôt sympathique à l'oreille.

Rien de nouveau chez The Cult mais depuis l'album Sonic Temple en 1989, on sait de quoi ils sont capables et que le succès leur a joué un mauvais tour: ils auraient tout simplement pu être les meilleurs, le fer de lance d'un rock débridé, un peu aventureux et spectaculaire. D'autres ont pris la place!

Ils ne sont pas rancuniers: le groupe offre une heure de rock brutal mais pas du tout idiot avec la voix si atypique d'Asturby et les guitares virtuoses de Duffy. C'est bien. Pas innovant pour un sou. Mais sacrément efficace. On est content de les savoir en forme. Perdu mais pas paumé, The Cult va bien. Ceux qui ont la quarantaine, devraient être contents de l'apprendre!

Cooking Vynil - 2016

Empire State

Depuis Scarface, c'est trop cool d'avoir des cols "pelle à tarte" et des grosses lunettes fumées avec un accent étranger pour dire des mots comme "fooock" ou "shiiiit". Depuis L'impasse, il n'y a rien de mieux que de replonger dans les années 80, à une époque où New York n'était pas un parc pour touristes mais une poudrière de gangsters plus ou moins charismatiques. Mais tout le monde n'a pas le talent de Brian de Palma.

Dito Montiel - rien à voir avec ce voyou de Bernard qui hante le sud de la France et les plateaux de télévision - est fasciné par les voyous et les légendes du Queens. Ses films se situent dans ce quartier bouillant de New York, où les communautés se côtoient avec plus ou moins de bonheur. Il aime filmer le bitume et ses lascars. Il a une vraie fascination pour ça depuis son premier vrai succès, Fighting avec son ami bovinesque, Channing Tatum.

Il doit bien aimer les acteurs inexpressifs car il engage pour Empire State le costaud catcheur sympathique Dwayne Johnson pour jouer un flic qui se pose des questions sur deux amis qui pourraient être responsables d'un braquage incroyable de fourgons blindés.

Pour interpréter les apprentis voleurs, le réalisateur a débauché Liam Hemsworth, le frère du balèze Chris "Thor" Hemsworth et nettement moins charismatique, et Michael Angarano, gamin qu'on a vu grandir dans plein de films et qui a conservé l'aspect tête à claques du gamin star qui cabotine en permanence.

Pour le coté "incroyable" de cette histoire vraie, il faut aussi s'interroger: la reconstitution est pleine de couleurs avec des fringues improbables, des voitures clinquantes et quelques titres funky. Mais c'est mou, mou, mou. C'est évidemment dû à l'interprétation des deux héros! Montiel a beau travailler une solide reconstitution à la manière de... il n'est qu'un petit délinquant face à des monstres sacrés comme Scorsese ou de Palma. Ce petit polar est une petite faute de goût dans un genre qui révèle les grands noms du cinéma américain. Quand on s'appelle Montiel...

Avec Liam Hemsworth, Dwayne Johnson, Emma Roberts et Michael Angarano - 2013

The Waiting Room

Première claque de l'année, le nouveau disque des Tindersticks est une vraie surprise au lyrisme inattendu. Un déluge d'instruments et une voix de plus en plus fascinante au fil du temps. Ca a du bon de vieillir!

Car on ne voyait pas les Tindersticks allaient aussi loin avec leur rock un poil déprimé, enclin aux cordes et à quelques instruments classiques. Le chanteur Stuart Staples traîne sa mélancolie depuis bien longtemps et l'exporte même sur les bandes originales de films de Claire Denis. Avec l'étiquette "groupe farouchement indé", on pouvait s'imaginer un style figé, cinéphilique et un peu prétentieux.

Le onzième album surprend. La voix est morne toujours et encore mais quelle générositié après plus de vingt ans d'existence, pas mal de passages chaotiques (des départs en pagaille avec le temps), un ou deux chefs d'oeuvre... et désormais ce Waiting Room éclatant!

Car les membres du groupe, nouveaux et anciens, amènent un swing noir, un jazz feutré et un son vraiment hypnotique. On pense même à une version acoustique du Blackstar de feu David Bowie: le groupe a l'art de mettre la musique en retrait, de l'éloigner de nos existences, de créer quelque chose de transcendant dans un art en apparence classique. Help Yourself est l'exemple parfait: des cuivres en liberté, une guitare tendue l'Afrique et un chanteur en pleine possession de ses moyens.

Le travail pour le cinéma est digéré et inspire les nouvelles chansons, toutes uniques et spectaculaires sans pourtant sortir l'artillerie lourde, l'orchestre symphonique ou un spleen explosif. Stuart Staples paufine une fois de plus son rôle de crooner réaliste, de Nick Cave anglais, de monsieur Loyal faussement usé par la vie et véritable poète.

Les arrangements sont d'une singularité que l'on attendait plus. Là où l'âge aurait du mener la bande à la sécurité, l'envie de se transcender subsiste malgré les galères et les réussites. Le disque est accompagné d'un film. Les Tindersticks travaillent avec sérieux leurs ambiances différentes, minimalistes mais fourmillant de détails croustillants,de petites idées musicales charmantes et de parties instrumentales reposantes.

The Waiting Room propose de prendre le temps. Il le remonte même avec un duo Hey Lucinda avec la chanteuse disparue Lhasa. C'est un disque étrange, fait d'espoir, d'images et de mélodies qui se détendent au fil des écoutes. Perce alors une infinie douceur, celle que l'on connaît auprès de ses vieux amis. Après vingt ans, on se disait qu'on avait un peu perdu de vue ce drôle de gus de Staples. Les retrouvailles sont incroyables. Un vrai bonheur!

City Slang - 2016

Baba Yaga, Héloïse Martin, compagnie Carabistouilles, Comédie Bastille

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LA BABA YAGA, c'est un conte traditionnel russe, cité notamment par Clarissa Pinkola Estés dans son excellent essai "Femmes qui courent avec les loups". C'est un modèle de résilience. Et c'est surtout un bon moment de théâtre à partager en famille, le week-end à la Comédie Bastille.*

Vassilissa, une petite fille gracile et attachante, aux couettes blondes bientôt chiffonnées, vit dans la taïga. Son père s'absente souvent. Sa mère meurt quand elle a seulement six ans, non sans lui remettre un objet magique, une poupée fétiche qu'elle pourra appeler à l'aide au besoin. Ses ennuis commencent quand son père se remarie avec une femme dure et sèche ; la marâtre l'exploite et, cherchant à se débarrasser d'elle, envoie Vassilissa chercher du feu chez le seul être qui en possède dans cette sombre forêt: la vieille et cruelle (supposée ogresse ou sorcière) BABA YAGA. Grâce à l'amour de sa mère qui vit toujours en elle, grâce à sa poupée magique, et surtout grâce à ses propres qualités, Vassilissa échappera à son sort. Et plus: elle réhabilite la grand-mère BABA YAGA, retrouve son père, envoie la marâtre brûler en Enfer et, brillante de sa toute nouvelle énergie, séduit le Tsar qui passait par là...

Vous l'aurez compris, Vassilissa l'emporte malgré ses doutes, peurs et fragilités, grâce à ses qualités et à sa force intérieure.

Une leçon de sagesse et de "vraie vie", pour nos enfants gavés d'aventures de super-héros plutôt invraisemblables...

Le costume de la BABA YAGA ne manquera pas de vous étonner. Le spectacle de la compagnie Carabistouilles réserve aussi des chansons russes et pas mal d'interactivité. Les petits spectateurs en sortent excités et ravis.

Comédie Bastille, 5 rue Nicolas Appert, 75011 Paris
Tel:
* Samedi à 14h30, dimanche à 10h30 ; pendant les vacances scolaires, du lundi au samedi à 14h30.

Les Petites Chéries

Le film du samedi soir : petit rendez vous pour les amoureux du cinéma qui détend et qui pourrait même rendre un peu bête. Amis du plaisir coupable, soyez les bienvenus dans cette nouvelle chronique.

Et pour bien commencer, je vous invite à retourner dans votre douce adolescence, ce moment crucial où les hommes ont la voix qui mue et les filles s’affolent devant le moindre mâle qui a plus de deux poils sur le torse.

Gros succès aux Etats Unis, Les Petites Chéries rappellent que les adolescents à une époque ne faisaient pas peur aux plus grands. Ils ne voulaient pas partir en Syrie. Ils ne préparent pas un massacre dans leur lycée ! Non, les adolescents des années 70 veulent juste s’amuser dans de jolies colonies de vacances.

Maintenant ce genre d’endroit n’est connu que lorsqu’il s’y passe un drame : ici le grand malheur, c’est d’être encore vierge ! Bah oui , c’est inconcevable. Que vous soyez une petite fille de prolo ou une bécasse de la bourgeoisie wasp. A 15 ans, il faut dire adieu à ses petites habitudes de filles modèles et devenir une femme, une vraie, qui  s’émancipe et qui n’a pas peur du loup !

Le film de Ron Maxwell raconte donc la rivalité entre Ferris et Angel pour appâter les beaux mecs durant leur séjour au bord de l’eau dans de jolis cabanons peuplés de donzelles excitées et d’animateurs forcément dépassés.

C’est American Pie avant l’heure, avec une pointe de féminité, un peu de psychologie et pas mal de liberté. C’est hilarant de voir la description du monde adolescent qui bien entendu ne veut pas faire dans le trash à la Larry Clark ou dans l’élégiaque à la façon de Gus Van Sant. Le film brille par sa petite cruauté autour du thème obligatoire du passage à l’âge adulte. Les niaiseries des niaiseuses ne sont pas anodines que ça.

Mais pas de moralisme ici. Ce qui compte ce sont les looks et les blagues. Vous ne vous remettrez pas de ces canons de beauté que sont à cette époque,  le gringalet Matt Dillon et le viril Armand Assante. Leurs coupes de cheveux peuvent rentrer dans la légende capillaire du cinéma.

Le style est délicieusement marqué. Les blagues sont bien régressives et on finit le film en sifflotant du Pierre Perret. Puisque l’on vous dit qu’ici on célèbre le cinéma qui rend un peu bêbête…

Avec Tatum O'Neal, Christy McNichol, Matt Dillon et Armand Assante - 1980 - 1h35

FLA-CO-MEN, Israel Galván, Théâtre de la Ville

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Présenter du Flamenco sur une scène de l'envergure du théâtre de la Ville est une gageure.

Cette musique, cette danse sont d'ordinaire réservés aux bastringues tout comme le Rebetiko grec, ce qui permet dans ce confinement infiltré d'ivresse d'observer une montée en puissance du spectacle et son public, jusqu'à la transe.

Israel Galván est pourtant un expert en la matière. Justement, ce coup-de-Maître-là dérange...

Ouvrant la pièce en tablier, c'est bien un cuisinier du style flamenco qui ironise devant nous.

Mélangeant tout dans son chaudron, mots, pied en plâtre, coups de talons, de hanches et autres claquements de doigts, Israel Galván sidère son public qui, décontenancé, réagit en public de cirque et multiplie les applaudissements inopportuns.

A force de morceaux de bravoure face à ses complices musiciens merveilleux mais semblant suivre sans bien comprendre, la monstration continue: danse dans le noir, bruits de l'intérieur du corps, variation des sols et effets de résonances, jeux de percussions... Et toujours, la vitesse harassante des pieds du génie qui inventa le solo flamenco masculin.

On retient quelques fulgurances: un tableau de silence en clair-obscur (interrompu par le public), une séquence très gitane de pas sur un tapis de piécettes, le poème chanté hommage aux toreros, une de ses belles obsessions...
Mais, celui que Georges Didi Huberman a nommé Danseur des solitudes a été plus poétique, plus narratif aussi.
Peut-être est-ce comparable à l'évolution d'un mathématicien de haut vol; de plus en plus abstrait, il en perd un peu le sens, les liens et aussi la douceur des métaphores.

Ces exercices de style trop littéraux le révèlent en tant qu'il est d'avantage dans FLA-CO-MEN musicien expérimental; alors que la nostalgie pour le danseur tout en retenue laisse une ombre sur scène.

Ce qui existe de plus remarquable chez Galván se traduit dans les manifestations les plus simples: la façon dont il casse son poignet à angle droit sur des doigts fermés, corps de profil; les postures que lui seul a inventé et qui ont ouvert des ponts imaginaires infinis.
Exégète de l'histoire des danses, sa silhouette raconte tout ce qu'il a intégré: torero aux profils d'égyptien, guerrier ninja toujours en noir, surréaliste qui met les objets sans queue ni tête...

Il est si puissant de constater combien sa danse a creusé l'enveloppe de son corps; ayant perdu beaucoup de poids il y a quelques années, il ne lui reste plus que son instrument de travail, au plus nu. On distingue, lors de la pantomime du salut final, les bandes de contention sur ses mollets et cuisses; Galvan au corps rendu machine...

On pourra penser à Joseph Nadj face à cette tentative de dialogue ultra contemporain entre corporéité dans la danse, musique et espace scénique. Nadj y réussit beaucoup mieux, mais Joseph Nadj a depuis longtemps renoncé à être un danseur.

Souhaitons qu'Israel Galvan ne perde jamais sa danse, et qu'il nous emmène encore longtemps à travers solitudes, sonorités et silences.


Du 3 au 11 Février 2016
Théâtre de la Ville

Les Gens Honnêtes T.4

Voilà 8 ans maintenant que Jean-Pierre Gibrat et Christian Durieux nous racontent façon Pennac les aventures de Philippe et de sa bande. Et malheureusement ils terminent cette tendre histoire avec le tome 4 qui vient de paraitre dans la collection Aire Libre des editions Dupuis.

Les gens honnêtes, c'est vous, c'est moi. On est entre Ana Gavalda et Barbara Constantine. Des histoires qui pourraient nous arriver à chacun d'entre nous mais toujours avec un côté improbable, inexplicable qui apporte une dimension kitsch à ces récits. Le gros avantage, c'est que ces histoires vous laissent plein d'optimisme, d'espoir envers l'humanité qui n'est pas désagréable. Quelle vision du monde!

Le premier tome nous plongeait dans cette famille où Philippe, le héros (sorte de Malaussène avec moins de frères et soeurs et sans maman excentrique...) apprend le jour de son anniversaire qu'il est viré de son boulot. Bien sûr tous les membres de sa famille entourent ce quinquagénaire de leur aide, de leur affection. Mais le chemin sera long et difficile pour s'adapter à cette nouvelle vie; à trouver de nouveaux repères.

Le tome deux, c'était la réinsertion, un nouveau travail, les lien de Philippe avec son ami médecin, la découverte 'un bouquiniste aussi fantaisiste qu'amateur de bons vins. Et surtout, c'est la découverte de l'amour avec une jeune femme de 20 ans sa cadette.

Le tome 3 évoquait la vie dans un village du sud-ouest. Philippe y tient le seul commerce du village. Loin de Bordeaux, la vie est plus douce, les rapports humains sont à la fois plus silmples et plus chaleureux.

Le dernier album se conclut tout en laissant de nombreux personnages partir sur de nouveaux chemins, dans de nouvelles voies.

Les auteurs, s'ils regardent le monde d'une façon indulgente et optimiste, n'en sont pas moins lucides sur son état et ses faiblesses. Leur démarche est aussi politique, même si elle n'est pas militante. Le chômage, la mondialisation, l'engagement politique sont quelques uns des thèmes abordés. Mais tous se fait avec légèreté, laissant au lecteur la possibilité de se faire sa propre opinion. Les personnages sont des héos ordinaires avec leur force et surtout leur faiblesse.

Le dessin et surtout les couleurs pastel du tome 4 rendent cette atmosphère apaisée. Quelque chose qui ressemblerait à une chanson de Brassens. Le fond y est, la forme reste tranquille. C'est un peu la marque de fabrique de Gibrat que ce soit dans les aventures de Goudard où il décrivait le passage de l'adolescence à l'âge adulte ou dans ses récits sur l'Occupation que ce soit "Le corbeau" ou dans "Le sursis".
Les gens honnêtes, c'est un peu comme si Philippe était une sorte de Goudard approchant de la retraite.

Réjouissez vous des choses simples, d'un récit plein d'humanité, de sensibilité et d'émotion au travers de cette dizaine de personnages que vous n'oublierez pas.

Repeupler

Gontard! est un petit nouveau (il a de l'expérience mais c'est son premier disque) dans le monde du rock. Il nous charme sans aucun problème avec son rock torturé et ses paroles désenchantées. Quand on est sans concession, le rock est le meilleur étendard!

Le musicien qui se cache derrière le nom de Gontard! est un enfant du rock. Celui qu'aime Virginie Despentes ou les écorchés vif, les corbeaux noirs de cette musique bouillonnante! Celle de l'absolu. La musique où tout peut se dire. Ou la confession peut se mélanger à la révolte. Où la colère se transforme en mélodies plus ou moins percutantes.

Gontard! rappelle un peu Fauve et ses paroles psalmodiées. On devine les mêmes angoisses, les mêmes doutes et les mêmes espoirs. Les textes nous font frôler les rêves et les désillusions. La tristesse devient une force, souvent électrique mais très ouverte sur le monde ou le passé.

Il y a des influences arabisantes. Il y a des ambiances pas loin d'un jazz chaloupé. Il y a de la poésie profondément rock'n'roll. Le regard est celui d'un chirurgien mais il y a une petite lumière qui lui permet d'espérer malgré le constat pas très glorieux du Monde. Son rock est un collage étrange, baroque où un vieux synthé peut s'allier à une guitare lancinante. Où le coeur du chanteur bat en symbiose avec des instruments libres et un peu fous.

Gontard! sait créer des ambiances. Elles ne sont pas confortables mais elles passionnent par leur complexité et les petits secrets mélodiques sonores. C'est un disque mal aimable donc nécessaire. Il nous secoue dans le bon sens du terme. Il est l'expression d'une conscience, entre clairvoyance et désabusement. Gontard! reflète son époque avec une rassurante poésie et l'envie de ne pas faire les choses comme tout le monde! Un véritable artiste à découvrir.

Une autre distribution - 2016

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