Knock at the cabin, M. Night Shyamalan, Universal
Mon dieu qu'il est loin le temps des 6ème Sens, Incassable et autres Signes !
Depuis, M. Night Shyamalan a fait de jolis nanars et des séries pas toujours convaincantes. Pourtant il reste un cinéaste intéressant à suivre car d'une cohérence exemplaire.
Son cinéma tourne irrémédiablement autour de quelques thèmes comme la croyance, la famille et la fo(l)i(e)! Ce sont ses obsessions qui font son art : sa mise en scène si spéciale reste une idée de cinéma. Il peut louper des films dans les grandes largeurs mais son élégance résiste à tout !
C est déjà ça. Malgré des hauts et des bas, la réalisation de Shyamalan vaut le coup d'aller au cinéma.
Et cela se justifie avec Knock at the Cabin, adaptation d'un livre et huis clos qui ne dit pas son nom. En gros, un couple homoparental et leur fille profitent d'une confortable cabane isolée. Soudain le trio se retrouve devant quatre personnes qui se présentent comme les cavaliers de l'apocalypse. Ils doivent convaincre la famille de sacrifier un membre pour empêcher la fin du Monde.
Bienvenue chez les fous se dit-on mais le monde qui nous entoure est peut-être encore plus azimutė ? Et si les zozos annonçaient la réalité ? Brrr que de sueurs froides pour nos pauvres touristes!
L'intrigue déconcerte mais heureusement l'auteur de Old réussit encore à éplucher ses personnages avec un suspense bien maîtrisé autour des objectifs de chacun. Sa meilleure idée reste cependant de confier le rôle du chef des allumés à Dave Bautista, ancien catcheur et excellent dans la peau d'un monstre gentil. Masse de muscles, il mène l'ambiguïté de son personnage très loin. A voir, il pourrait être un sujet de cinéma à part entière.
Après, tout cela est franchement tiré par les cheveux et défend une drôle de morale mais c'est toujours aussi joliment fait. Sans être un grand film, Knock at the Cabin est bel et bien un honnête divertissement.
Sortie le 1er février 2023
Avec Jonathan Groff, Ben Aldrige, Dave Bautista et Rupert Grint
1h45 - Universal
Il n’y a pas de Ajar, Delphine Horvilleur, Johanna Nizard
Je suis allé au théâtre des centaines de fois mais j'ai rarement vu ça, pour ne pas dire jamais. Une performance d'actrice époustouflante au service d'un texte (exigeant mais aussi très drôle !) sur l'identité et la religion.
Romain Gary, que "personne n'est foutu de mettre dans une case", était un homme complexe aux multiples vies. Lituanien compagnon de la Libération, juif goyophile, écrivain diplomate, réalisateur de cinéma au physique d'acteur hollywoodien…. Ce type inclassable - qui n'aimait rien tant que brouiller les pistes - avait inventé de toutes pièces l'écrivain Émile Ajar. Une mystification qui lui permit de gagner en liberté, de semer les critiques littéraires et de remporter un deuxième Prix Goncourt.
En se donnant la mort en 1980, Romain Gary "s'est fait un suicide collectif à lui tout seul !" puisqu'en mourant, il a aussi tué son double. Oui, mais voici que Delphine Horvilleur lui invente un fils, Abraham Ajar. C'est lui que nous retrouvons dans "une cave toute noire qui sent le livre moisi", son "trou juif" depuis lequel il nous explique à quel point son père était réel.
Dans Il n'y a pas de Ajar (texte ici mis en scène et interprété par Johanna Nizard), Delphine Horvilleur réfléchit sur la religion et sur ce que c'est qu'être soi. Il faut dire que Gary/Ajar, l'homme aux mille vies, est idéal pour questionner la notion d'identité, au point que Delphine Horvilleur en ferait presque un dieu !
"L'identité (...) qui vous empêche définitivement d'être autre chose que vous-même!" | "L'identité qui te rend con, muet, antisémite, et parfois les trois à la fois !" | "L'identité aujourd'hui restreinte, quand "chacun n'est plus qu'un seul truc : catho, gay, végan !"
Seule en scène pendant une heure et demie, Johanna Nizard change à plusieurs reprises de personnage, extirpant maquillage et accessoires de la grande bâche noire (genre sac poubelle industriel) qui recouvre le sol de la scène. Ces changements à vue assez fascinants à regarder renforcent le propos du texte sur la multiplicité des identités, sur la difficulté à savoir qui l'on est et qui l'on a en face de soi. Ce texte diablement érudit, hilarant, irrévérencieux et provocateur questionne avec humour l'absence de Dieu pendant la Shoah, ce qui est d'autant plus culotté qu'il a été écrit par une rabbine.
En regardant la comédienne Johanna Nizard, je me disais que cela doit être génial pour un auteur de voir son texte interprété avec une force aussi peu commune. Ce n'est même pas que Johanna Nizard joue bien, c'est autre chose encore. Par son engagement total, elle incarne le texte, elle lui donne vie. Par sa mise en scène et son interprétation exceptionnelle, la comédienne transforme la réflexion philosophique et théologique en une véritable folie théâtrale. Or cela résonne parfaitement avec l'histoire de ce personnage aussi vivant que fictif. C'est de la réalité littéraire augmentée !
Les 3 & 4 février 2023
Théâtre Montansier Versailles (coproduction)
texte de Delphine Horvilleur, mise en scène Johanna Nizard et Arnaud Aldigé
avec Johanna Nizard
son Xavier Jacquot, lumières et scénographie François Menou, maquillage Cécile Kretschmar, costumes Marie-Frédérique Fillion, conseiller dramaturgique Stéphane Habib, collaborateur artistique Frédéric Arp, regard extérieur Audrey Bonnet
texte édité chez Grasset
London calling ! King Tuff, Mozart Estate, <strong>the Tubs</strong>
Alors c'est vrai qu'ils n'ont pas de chance nos voisins d'Outre Manche. On se moque bien d'eux. Ils ont fait les kékés avec le Brexit et maintenant ils vont s'adonner au cannibalisme : les nouvelles sociales et économiques sont alarmantes. La politique là-bas vaut un bon épisode salace de Benny Hill. Tandis que la famille royale joue une mauvaise série d'Aaron Spelling (Beverly Hills, Melrose Place, pour les novices). Bref, c'est pas top!
Ce n'est guère mieux chez nous mais quand on les regarde, on a l'envie de les plaindre avec sincérité ! Heureusement question soft power, ils sont fortiches. La pop, celle initiée par les Beatles est omniprésente et inspire constamment les jeunes auteurs. L'influence de ce son britannique impressionne. Et encore aujourd'hui on s'étonne de cette vivacité.
Cette semaine, on retrouve donc le génie d'un Lennon et la curiosité d'un Harrison dans les compositions de King Tuff. Derrière ce nom se cache un copain du prolifique Ty Segall. On aurait dû donc avoir un style fougueux et électrique.
A la place, on a droit à de la nuance mélodique, des orchestrations délicates et King Tuff se fait passer pour le cousin du Vermont de Neil Hannon et Divine Comedy. C'est vous dire la qualité de ce nouveau disque, Smalltown Stardust, d'une élégance étonnante.
Le discours est écolo et on devine le hippy derrière les refrains scintillants. On pense donc fort aux Beatles perdus dans le psychédélisme mais concentrés sur quelques chansons, King Tuff ramasse en quelques instants des miettes célestes et des refrains entêtants sur des harmonies toutes vertes. Il nous fait planer: ça fait du bien ce sentiment de légèreté assumée.
Cette pop piquante, on la retrouve chez Mozart Estate, un musicien anglais qui ne connaît pas le succès escompté mais qui récite ses classiques des Kinks aux High Llamas. Cette fois ci ce sont de courtes chansons qui composent cet album au magnifique titre Pop Up Ker Ching and the possibilites of modern shopping.
Vous aurez donc à faire à des ritournelles chatoyantes à la douce ironie. C'est de l'humour kitsch qui se trouve dans les mélodies. On retrouve toute l'excentricité que l'on jalouse secrètement. Ray Davies a un héritier solide qui s'amuse comme un petit fou et nous en fait profiter avec une sorte de cabaret pop lumineux et distrayant.
Si vous aimez l'humour non sensique des Monty Pythons, vous allez vous régaler. Ça peut être déconcertant mais c'est typiquement british et cette façon de faire la musique nous rappelle que la musique est une vraie jouissance! Et une bonne raison de (sou)rire.
Ce qui va faire rire les froggies que nous sommes, c est le nom de cet énième groupe londonien: the Tubs! Ils ne devinent pas la blague en France et c'est bien normal : leur musique est un pur concentré de pop anglaise.
On se voit bien dans un bar gallois à la fin des années 80. Indochine serait jaloux de cette musique qui se défend avec une guitare claire et une basse bien lourde et omniprésente.
Et pourtant Dead Méat n' est pas un disque nostalgique ! Les musiciens ont un petit air ringard sur la pochette la plus simple du monde! On penserait même à une farce de nerds mais la vitalité des chansons est telle que l'on se sent terriblement vivant face à ces titres qui ont la bonne idée de piquer quelques trucs au folk. Pour faire de la comparaison : c est Richard Thompson qui joue avec les Smiths! Une association inattendue mais tellement anglaise encore.
On regarde derrière mais on arrive à aller de l'avant. C'est le genre de contorsion qu'arrive à faire le monde anglo saxon ! Sinon, nous on la tournée de Stars 80 ou Born in 90s ! Oui soyons jaloux de nos voisins britanniques !
Consumée, Antonia Crane, 10/18
Ce livre aurait pu s'appeler Mémoires d'une strip-teaseuse.
Antonia Crane est droguée dans l'âme ; la dépendance est son moteur et la conduit tour à tour à la boulimie, aux stupéfiants, au sexe (personnes prudes d'abstenir, ce récit autobiographique comporte quelques scènes assez crues !).
Un beau jour, elle se déshabille sur la scène d'un club. Sa vocation de stripteaseuse est née ! Un métier qui lui apporte sa dose quotidienne d'adrénaline, d'argent et désir dans les yeux des hommes.
"Dans quelles autres circonstances pourrais-je me faire cinq ou six cents dollars un vendredi soir, ailleurs qu'ici? Où des inconnus me diraient que j'étais intelligente et merveilleuse, ailleurs qu'ici ? Comment pourrais-je ne pas pratiquer le striptease?" (page 270)
Antonia Crane revendique son métier dont elle parle avec talent sans faire l'impasse sur le côté glauque de l'affaire. Car il s'agit d'argent rapide mais certainement pas facile ! Le travail est dur, moralement et physiquement (elle souffre régulièrement du "coaltar de la stripteaseuse" et se retrouve percluse de douleurs à force de se cambrer sur scène (page 265).
Être stripteaseuse, ce n'est pas rose tous les jours. Mais que faire d'autre ? "Quand on cherchait du boulot, stripteaseuse n'était pas une expérience à mettre en tête d'un CV" (page 130)
L'autrice défend avec fougue la condition des travailleurs du sexe, elle décrit sans fard la dureté de ces métiers précaires et dangereux où il faut se méfier des clients, mais aussi des employeurs et de la loi qui est contre vous. La vie d'Antonia Crane est un combat sans cesse renouvelé, contre la dépendance, la dèche économique, pour finir ses études, pour faire valoir ses droits (elle participe à la création du premier syndicat des effeuilleuses, "l'Union des danseuses exotiques").
Mais, même si se mettre nue devant les choses l'interpelle en tant que féministe, elle est de toutes façons accro !
" J'ai dû reprendre le striptease. Chaque fois que je croyais avoir décroché, je finissais inéluctablement par replonger. C’était la cinquième fois. Lorsqu'elles ont le cœur en miettes ou qu'elles souffrent, les filles que je connais se bourrent de sucreries et de cocaïne, ou noient leur chagrin dans le shopping. Moi je retournais dans les stripclubs, les casinos, les hôtels, et j'offrais mon corps à des inconnus contre de l'argent" (page 15)
Au plan strictement strictement littéraire, j'ai préféré La Maison (livre dans lequel Emma Becker raconte son expérience de prostituée dans un bordel en Allemagne) ; Consumée est néanmoins un récit bien mené et décoiffant, qui mérite d'être découvert.
Parution le 02 février 2023
chez 10/18 Littérature étrangère
312 pages, 8,60€
Traduit de l'anglais (États-Unis) par Michael Belano
La montagne, Thomas Salvador, Le Pacte
Une bonne bouffée d’air frais avec ce film contemplatif qui nous emmène dans des contrées insoupçonnables !
Pierre, la quarantaine, débarque à Chamonix pour présenter un projet. Avec son équipe, il déroule son sujet sur la mécanique mais son regard est attiré par la montagne. Il prend son week-end pour rester et profiter des joies des sports d’hiver.
Puis il feint la maladie pour rester quelques jours de plus. Avec sa tente, il s’installe dans les cimes du Mont Blanc. Et il reste. Il contemple le paysage magnifique. Il regarde les nuages s’accrocher à la pierre. Celle-ci tombe car la glace fond et révèle ainsi un étrange secret.
On ne vous en dira pas plus car le film réserve de belles surprises. Thomas Salvador, cinéaste atypique, ferait presque penser à Miyazaki, le célèbre animateur japonais, qui lui aussi aime introduire le merveilleux dans la nature.
Dans un premier temps, il réussit à nous envoûter avec des visions de la montagne. Il cherche l’abstraction et comprend le plaisir de la montagne dans ce qu’elle révèle chez nous. C’est très beau.
Le silence s’impose peu à peu, légèrement dérangé par une histoire romantique entre l’ingénieur parisien et une cheffe qui travaille dans un restaurant d’altitude. Là encore, apparaît une bienveillance qui n’existe plus dans nos vies contemporaines.
Le héros se réfugie dans la montagne mais surtout retrouve des émotions. Simples et belles. Le cinéaste, qui joue aussi le héros, réussit aussi à les partager avec le spectateur, fasciné par la démarche de plus en plus radicale du personnage central.
Œuvre sur la reconstruction et l’obsession, La Montagne va aller bien au-delà de la roche et des atermoiements de son héros. Les images vont filer par un chemin de traverse vers un ailleurs assez incroyable et totalement maîtrisé qui nous écarte de tout cynisme et nous révèle une poésie inédite.
Voilà le film parfait pour déconfiner avec bonheur !
Février 2023
Avec Thomas Salvador, Louise Bourgouin, Martine Chevallier et Andranic Manet
Le Pacte – 1h52
Les Fourberies de Scapin, Molière, Porras, Montansier Versailles
Encore une pièce de Molière au Théâtre Montansier ?! Si les scolaires s'attendent à une séance ennuyeuse, ils vont être déçus... en bien, comme disent les suisses !
L'histoire en quelques mots : profitant de l'absence de leurs parents respectifs, Léandre et Octave se sont engagés auprès de deux filles inconnues et désargentées. Afin d'entourlouper leurs parents et leur arracher consentement et argent, les deux compères font appel à Scapin, un valet talentueux aux allures de Maître Renard qui excelle dans la roublardise et les fourberies.
Le décor de bistrot-guinguette et les costumes aux couleurs criardes sont outrageusement kitsch, ce qui leur confère un aspect à la fois laid et merveilleux, un peu comme un manège de fête foraine. On est ici hors du temps, et l'on comprend vite que tout sera hyperbolique, la scénographie comme le jeu des comédiens.
Autant vous le dire tout de suite, il m'a fallu quarante-cinq bonnes minutes avant rentrer dans ce spectacle dont je ne voyais au départ que les défauts. Les comédiens du premier acte ne m'ont pas convaincus. Leur talent n'est pas en cause ; simplement, la rencontre n'a pas eu lieu. Ils ne m'ont pas plu. Je n'ai pas aimé le jeu de Pascal Hunkiker (Octave), avec sa diction appliquée et son air de garçons sage. Le comédien qui incarne Sylvestre (Omar Porras?), lui, en fait des caisses dans la grimace tandis que son accent espagnol à couper au couteau le rend difficilement compréhensible. Ma fille de neuf ans n'a pas non plus aimé ce premier acte auquel elle n'a pas tout compris. Quant à Laurent Natrella (ex Sociétaire de la Comédie Française), il cabotine un peu trop à mon goût et donne l'impression de trop se regarder.
Heureusement, les choses s'améliorent nettement avec l'arrivée de Karl Eberhard, dans le rôle de Léandre ; il a un véritable talent comique et donne de sa personne ("Papa, c'est un cascadeur le comédien !" me souffle ma fille). Quant à Olivia Dalric, qui incarne Géronde, la mère de Léandre (hé oui, le rôle de Géronte a été féminisé), elle se fait visiblement plaisir dans ce rôle de rombière acariâtre et pingre.
L'engagement physique de la comédienne Peggy Dias m'a époustouflé (les longues minutes qu'elle passe à faire du jumping jack devant un jukebox en témoignent !). Tout comme Karl Eberhard, on la sent totalement prise dans le délire de la pièce. Elle incarne un Argante sémillant digne d'Agecanonix. Et même lorsqu'elle joue les servantes de bar, elle attire notre regard vers l'arrière plan comme un aimant.
La pièce - écrite dans l'urgence par Molière - est d'une bouffonnerie assumée et se termine sur un Happy end improbable et assez ridicule. Omar Porras, le metteur en scène, tire le trait encore un peu plus loin dans un final digne d'un carnaval.
D'une façon générale, Omar Porras utilise tous les (vieux) trucs pour interagir avec un public qui en redemande. Les références sont nombreuses : Commedia dell'Arte (prothèses nasales et dentiers), cirque (Monsieur Loyale et clowneries...), théâtre de boulevard (portes qui claquent), carnaval (serpentins et cotillons), comédie musicale, stand-up etc.
Bien sûr, les ronchons comme moi trouveront que la mise en scène est un peu too much et qu'on en voit trop les ficelles. Je mets cependant au crédit d'Omar Porras de proposer un Molière qui n'est ni ampoulé ni confit dans les conventions bourgeoises. Ici, tout est permis, et plus c'est outrageux mieux c'est ! Omar Porras s'autorise même à ajouter des chansons au texte originel. Ma fille a beaucoup apprécié ces moments de comédie musicale, que je n'ai pour ma part pas du tout trouvés à mon goût. Comme quoi tout est relatif.
Ce qui est sûr, c’est que cette pièce vitaminée, pétaradante et joyeuse enchante le public. La salle était aussi euphorique que comble, et c'est mérité !
Jusqu'au 28 janvier 2023
Théâtre Montansier Versailles
Tout public à partir de 10 ans - Durée 2h15
d’après Molière, mise en scène Omar Porras assisté de Marie Robert
adaptation et dramaturgie Omar Porras et Marco Sabbatini, collaboration artistique Alexandre Ethève, scénographie et masques Fredy Porras, musique Erick Bongcam et Omar Porras
avec la collaboration de Christophe Fossemalle, lumières Omar Porras et Matthias Roche, costumes Bruno Fatalot (d’après les costumes de Coralie Sanvoisin), postiches, perruques, maquillages Véronique Soulier-Nguyen, accessoires Laurent Boulanger
avec Olivia Dalric, Peggy Dias, Karl Eberhard, Omar Porras, Caroline Fouilhoux, Pascal Hunziker, Laurent Natrella, Marie-Evane Schallenberger
Inspector Cluzo, Alice Lewis, -bat-
Y a pas que Aya Nakamura dans la vie musicale ! En France il y a plein d artistes bien remuants qui partagent leur passion sur de jolis disques qui devraient faire plus parler d'eux que la chanteuse préférée des radios paresseuses !
La même semaine que le nouvel album de Nakamura, rendez vous dans le rayon rock’n’roll de votre disquaire et essayez Horizon, le nouvel album de Inspector Cluzo !
Des vrais fermiers qui ont pris leurs guitares pour s'amuser et qui ne sont désormais plus une blague. Bien au contraire ! Il pèse dans le rock français, ce rustique duo.
Au fil des années, le groupe a sacrément évolué et propose des albums plus complexes mais toujours inspirés par l'aspect populaire du rock et bien entendu l'humour!
Phil et Malcom accomplissent leur devoir d'un rock un peu grassouillet mais ultra jouissif. Ça débite du riff avec une joie de vivre simple mais qui emprunte du rock blues bien chevelu et des choses plus baroques comme Faith No More. En tout cas ce terroir est joyeusement fertile !
L' ambiance est tout autre avec Alice Lewis, même si on se promène dans un jardin perdu. C'est le titre de son album concept qui va vous réveiller.
C'est donc le pays des merveilles qui est convoqué ici. Bucolique, coloré et un peu dangereux.
Car Alice Lewis est plutôt une exportatrice de musique. La nouveauté se glisse doucement dans un classicisme qui n' est qu'apparent. En tout cas, il s'agit bien d'un conte musical barré et captivant.
Les chansons sont annoncées par la voix de la trop rare Anne Alvaro. Elle fait le lien entre les idées folles de la musicienne qui pourrait s'essayer à une sorte d électro médiévale ! Ça peut faire peur comme ça mais c' est assez culotté, et effectivement il y a quelque chose de merveilleux dans ce style unique. N'ayez pas peur de vous perdre dans ce jardin labyrinthique.
Moins lyrique mais tout aussi intéressant est le regard mélodique de -bat- et son album Quadrachromie. Il y a effectivement le discours d'un homme mâture sur l'existence mais surtout, lui aussi, se révèle aventureux musicalement !
Au début on se fait un peu peur en soupçonnant un ersatz de Ben Mazue ou Tim Dup mais rapidement la conversation que propose le chanteur ouvre sur une vision assez tranchée de son art. C' est fragile et assez fort.
La bonne idée vient du soutien d'un accordéon et de synthétiseurs. Les instruments sont utilisés avec intelligence et raison. La musique sert parfaitement le propos de -Bat- qui met de la poésie entre nous, pauvres contemporains prisonniers et des réseaux sociaux !
Il évite les clichés du type en colère ou du nostalgique mal dans son époque. Ses choix artistiques sont habiles et on se sent rapidement proche de lui. Un peu plus de place sur les radios serait totalement légitime pour -Bat-. Et bien d'autres d'ailleurs !
Maman pour le dîner, Shalom Auslander, 10/18
Voilà pour le moins un texte étrange.
Étrange, grinçant, amusant et cinglant, mais aussi dérangeant.
Cette fable métaphorique met en scène un groupuscule religieux minoritaire dans la New York d’aujourd’hui, en plein Brooklyn. D’ailleurs, pourquoi Brooklyn ? Sans doute parce qu’une autre y est installée, ou est-ce la même ?
Ici il est nécessaire de jouer des coudes pour déceler la métaphore.
Le fond de cette pièce raisonne comme le poids des dogmes sur la conscience, et c’est cela le dérangeant.
Shalom Auslander pose le doigt, et même la main entière, sur un aspect récurrent des religions ; jusqu’où doit-on accepter, adopter, adhérer, aux Écritures dictant les règles de l’ouaille bigote ? La question est de taille.
Avec Maman pour le dîner, l’auteur n’y va pas avec le dos de la cuillère. En effet, l’un des commandements de la secte « cannibalo-américaine » est l’assimilation des défunts par les descendants. Entendons nous bien, assimilation signifie, manger, bouffer, bref, se repaitre de la chair de l’être disparu.
Alors oui, la question se pose, mais surtout elle interroge partout, dans toutes les religions du monde, l’application aveugle des commandements, la peur de transgresser jusqu’à inhiber la libre réflexion.
L’humour de Auslander fait sourire, sursauter, mais aussi, réfléchir.
Paru le 19 janvier 2023
chez 10/18
312 pages / 8,90€
Traduction: Catherine Gibert
Retour à Séoul, Davy Chou, les films du losange
Mais elle est insupportable cette héroïne ! Oui, les premières scènes de Retour à Séoul nous mettent un peu mal à l’aise : une jeune fille, Freddie, revient dans le pays de ses origines, la Corée du Sud. Elle en met plein la vue aux sages coréens et surprend par sa franchise et ses humeurs.
Venue sur un coup de tête, elle réussit à retrouver la trace de ses parents biologiques. Elle rencontre une famille humble qui l’accueille. Elle se révolte face à la tristesse et la culpabilité de ces étrangers. Ce voyage va changer le cours de sa vie.
Car le film va sauter les années et retrouver la jeune femme à plusieurs moments de son existence. On ne reconnait plus la jeune rebelle. On découvre ensuite une gothique toxique qui hante les rues de Séoul et qui apprécie les risques.
Puis une femme d’affaires. Puis une femme errante. Au cœur de toutes ses mutations (on pense un peu à Cronenberg de temps en temps), il y a cette quête d’identité. C’est elle qui ne ménage pas Freddie qui doit beaucoup à une actrice splendide Park Ji-Min.
La réalisation entoure cette performance impressionnante par des effets parfois chichiteux mais qui répondent à des moments de tendresse d’une intensité rare. Le coté imprévisible de la jeune femme nous fait passer d’un trip à la Gaspard Noé à des relations tendues, à l’ombre d’un Cassavetes asiatique.
Le réalisateur, Davy Chou est un virtuose. Cela se voit et c’est justement le piège qu’il nous tend avec pas mal d’émotions finalement. Il réussit par la construction alerte de son film à éviter les pièges du gros mélodrame larmoyant. Au contraire, c’est un film très vivant et remuant.
Enfin un film où la nourriture et la musique sont omniprésentes ! Ne peut pas être oublié et doit être vu !
Avec Park Ji Min, Oh Kwang Rok, Guka Han et Yoann Zimmer – les films du losange – 1h55
Le Voyage de Gulliver, Jonathan Swift, Valérie Lesort, Christian Hecq, Montansier Versailles
Valérie Lesort a eu la bonne idée d'adapter pour le théâtre Le voyage de Gulliver, une histoire fantastique - celle d'un médecin de Marine dont le navire s'échoue et qui découvre un monde où il est un géant et un autre où il est minuscule - une histoire dont on s'étonne qu'elle n'inspire pas davantage les dramaturges et les cinéastes.
Par la magie des marionnettes, les metteurs en scène Christian Hecq et Valérie Lesort nous transportent dans le monde des Lilliputiens, des êtres aussi teigneux, prétentieux et ridicules qu'ils sont petits. D'abord méfiants à l'égard de cet homme gigantesque, ce monstre, qui s'échoue sur leurs côtes, nos petits amis vont vite s'allier à Gulliver. Il faut dire qu'il représente un avantage de taille dans la guerre impitoyable qu'ils mènent contre le royaume de Blefuscu (dont les habitants ont l'outrecuidance de manger leurs œufs du mauvais côté).
Dans cette pièce, tout est mobile et plein de surprises. Les décors et les marionnettes (où les comédiens passent la tête) nous emportent dans cette aventure extraordinaire. Les lumières, signées Pascal Laajili, sont impeccables ; les clair-obscurs sont magnifiques, avec ce fond noir qui dissimule les marionnettistes et met en valeur les costumes aux couleurs chatoyantes (créés par Vanessa Sannino).
Il y a beaucoup de bonnes choses dans ce spectacle. Des trappes, des arrêts sur image, des cabrioles... J'ai beaucoup aimé la bataille navale, aussi comique que poétique, au cours de laquelle Gulliver détruit l'armada ennemie. J'ai aussi aimé la chaloupe sur la mer. Le tout sur fond noir, sans décor. C'est simple et beau.
Le spectacle est très amusant ; les rires des enfants comme ceux des adultes fusent ! J'ai juste une petite réserve sur les morceaux de musique, pas toujours réussis. C'est surtout le cas de la deuxième chanson de la Reine ; deux à la suite, c'est un peu trop.
C'est, pour conclure, un spectacle beau et drôle qui mérite d'être vu par les grands et les petits, à partir de 7 ans. Après le magnifique Pinocchio proposé le mois dernier (en décembre 2022), le théâtre Montansier de Versailles confirme la qualité de sa programmation en matière de spectacle tout public.
Jusqu'au 22 janvier 2023
Théâtre Montansier Versailles
Tout public à partir de 7 ans
Libre adaptation du roman de Jonathan Swift Valérie Lesort
Mise en scène Christian Hecq et Valérie Lesort assistés de Florimond Plantier
Marionnettes Carole Allemand et Fabienne Touzi dit Terzi, scénographie Audrey Vuong, costumes Vanessa Sannino, lumières Pascal Laajili, musique Mich Ochowiak et Dominique Bataille, accessoires Sophie Coeffic et Juliette Nozières collaboration artistique Sami Adjali, création maquillage Hugo Bardin
Avec David Alexis, Emmanuelle Bougerol, Renan Carteau, Laurent Montel, Caroline Mounier, Pauline Tricot, Nicolas Verdier, Eric Verdin
production C.I.C.T/ Théâtre des Bouffes du Nord, Cie Point Fixe