Nina Persson, Gaz Coombes, Belle & Sebastian – que sont-ils devenus ?
Vous vous souvenez de la Britpop ? Les mèches et le cuir de Suede. Les frangins vulgaires de Oasis. Les dandys de Pulp. Et bien entendu l'élégance londonienne de Blur. D'autres groupes ont joyeusement offert au Royaume Uni un âge d'or de la pop. Qui semble bien loin.
Mais comme dans une bonne vieille émission de téléréalité, on peut avec l'actualité jouer à Que sont-ils devenus?
Trente ans plus tard, les stars d'hier sont-elles aussi rayonnantes? Peuvent-elles encore avoir des choses à nous dire ou nous faire entendre ? S'enivrent-ils encore de bières tiédasses ? Vivent ils dans la rue? Où en sont-ils de leurs soucis judiciaires ? Après cet article vous saurez toute la vérité sur... Oups ça devient un peu racoleur tout cela ! Pardon... c'est si facile.
Avec les Cardigans, l’incroyable Nina Persson a fait tomber en amour de nombreux mélomanes dans les années 90. Les sages petits Suèdois sont devenus une machine à hits spectaculaire qui un beau jour a préféré se saborder au lieu d’attendre le naufrage. Mais la chanteuse a poursuivi son chemin sur la voie d’une pop mélodieuse, obsédée par l’élégance…
Et en 2023, elle continue de pousser sa jolie voix sur des contrées fleuries et ravissantes. Aidée par le discret James Yorkson et le Second Hand Orchestra, elle joue la belle des champs. Mené par Yorkston, les titres sont effectivement d’un autre temps. Une pop qui se fout des modes et reste sur des refrains à base de « Lalalaaa »… et vous savez quoi ? Ça fonctionne parfaitement. On dirait des morceaux inachevés de Divine Comedy et des maquettes de Scott Walker, période folk et costume trois pièces.
Certains passages sont graves. D’autres ont une liberté légère. C’est de toute façon délicieux comme une tasse de thé, au coin du feu.
Plus corsé est le cocktail servi par l’inépuisable Gaz Coombes, chef de la plus drôle des comédies anglaises des années 90, Supergrass. Merveilleux groupe qu’il faut redécouvrir : les clowns sont parfois les plus futés pour balancer des vérités : ça marche aussi avec le rock’n’roll.
Turn the Car Around n’a évidemment pas le charme adolescent de Supergrass mais continue de mettre en avant le talent d’écriture de Gaz Coombes qui devient un secret un peu trop gardé de l’empire musical britannique. Ce type sait faire de belles et solides chansons qui viennent vous cogner l’esprit et le cœur.
Son quatrième album solo est de la même humeur que les précédents : simple et magnifiquement arrangé. Coombes n’a pas peur d’échapper à son genre de prédilection et montre bien qu'il vit dans son temps en auteur totalement épanoui.
Moins surprenant, est le nouvel album des increvables Belle & Sebastian, Late Developers. Depuis 1996, ils réalisent le même disque. De la pop de chambre. L'indépendance et l'obstination du groupe peut lasser mais aussi impressionner.
Les standards de base ne changent pas. Le groupe a connu très peu de départs. Ils ont des ritournelles légères et charmantes mais avec le temps, Belle & Sebastian devient un iceberg de la pop. Le temps s'y fige mais les nuances de ton trouvées par le groupe font plaisir. Ce onzième opus est comme les autres. Ca pourrait être un défaut. Avec eux, c'est un gage de qualité.
Rien ne semble abimer ce groupe insubmersible, à la poésie toujours présente et d'une délicatesse mélodique sans comparaison possible.
Bref, finalement, ils ne font plus grand chose de nouveau tous nos anciens de la Britpop mais ils prouvent aussi qu'ils ont toujours la flamme. En tout cas on n'est pas près de parler d'eux dans TPMP ou dans une émission de Morandini...
4211 km, Aïla Navidi, Théâtre de Belleville
4211km, c’est la distance entre Paris et Téhéran. C’est la distance parcourue par Mina et Fereydoun venus se réfugier en France après la révolution iranienne. Yalda, leur fille, née à Paris nous raconte.
“Quand nous sommes partis, nous pensions que c’était pour 6 mois, ça fait 35 ans.” Yalda nous raconte la vie de ses parents : leur vie exilée, leur combat pour la liberté, l’amour d’un pays et l’espoir d'un retour. Elle se livre sur le poids du passé, ses sentiments du devoir de mémoire, sa colère et sa quête d’identité.
Comment vivre avec cet héritage dans une société où elle est perçue comme exotique ? Comment se sentir iranienne quand elle connaît la langue, la culture, tous les codes mais qu’elle n’a jamais pu y aller ?
Elle nous balade entre ses deux mondes : sa famille, des héros qui ne se plaignent jamais, et la société française dans laquelle elle cherche désespérément sa place.
Elle réussit le pari de nous faire voyager entre plusieurs espaces-temps en s’appuyant sur une mise scène fluide et faisant appel à notre imagination. Nous pouvons aussi bien ressentir les parfums des fleurs de Téhéran comme la dureté de la vie de l’immeuble HLM de banlieue parisienne.
Cette histoire est également un témoignage poignant des milliers d’Iraniens qui ont fui après la Révolution islamique. Elle nous questionne sur notre liberté d’action. Que ferions-nous si notre pays basculait aux mains d’extrémistes ? Que deviendrons-nous si nous devions nous exiler ?
4211km est un témoignage fort touchant sur l’héritage et comment il est parfois difficile d’assumer sa mosaïque identitaire. Beaucoup d’émotions dans le public et sur le plateau…
Jusqu'au 31 janvier 2023
Théâtre de Belleville, Paris XIXème
Texte et mise en scène Aïla Navidi avec Sylvain Begert, Benjamin Brenière, Florian Chauvet,
Alexandra Moussaï, Aïla Navidi, Olivia Pavlou-Graham
Durée 1h30 / à partir de 12 ans
L’immensità, Emanuele Crialese, Pathé
Il faut aimer Penelope Cruz pour voir L’immensità ! C’est la première et quasi unique condition pour découvrir ce drame vintage, fait pour l’actrice. Elle est belle. Elle rayonne. Elle danse. Elle chante. Elle rit. Elle pleure. Elle console. Elle fume. Elle boit…
Elle joue une maman délaissée dans une Italie machiste des années 70. Elle s’occupe de ses trois enfants dans son appartement tout neuf et très bien meublé. Son mari va voir ailleurs alors elle devient la meilleure des mamans. Surtout pour sa fille Adri, qui se demande si elle n’est pas la fille d’un extraterrestre car elle s’est trompée de corps.
Les deux femmes vont donc se lier dans une famille qui se délie. En 2002, on avait adoré Respiro de Emmanuele Crialese, déjà un portrait de femme dans une Italie cadenassée par les conventions. Ici, il tente de parler d’identité sexuelle mais se fait rattraper par le charisme incroyable de sa comédienne.
L’Espagnole semble vouloir rivaliser avec Monica Vitti et toutes les autres femmes fortes du cinéma italien. Honnêtement, elle y arrive très bien, aidée par un cinéaste subjugué par la beauté et le talent. On y croit parfaitement : Penelope Cruz est lumineuse, comme un film de son ami Pedro Almodovar.
Reste que le film finit par effleurer les sujets qu’il veut aborder. La petite Adri, inquiète par son identité, devient un faire-valoir. Le père n’est qu’un gros cliché sur pattes. La famille se comporte comme une mafia féminine. La dénonciation d’une société autoritaire deviendrait cliché s’il n’y avait l’élégance de la reconstitution des années 70 et une mise en scène enlevée. La débauche d’énergie de la comédienne principale finit par devenir le seul sujet du film. Heureusement pour nous, le talent de Penelope Cruz est immense.
Sortie le 11 janvier 2023
Pathé
1h 37min
Nos vies en flammes, David Joy, 10/18
Est-ce à cause du titre ? (Nos vies en flammes.) Est-ce à cause de l'illustration sur la couverture ? (Des arbres en feu.) Est-ce parce que je venais de terminer Il pleuvait des oiseaux, de Jocelyne Saucier? (Un livre dans lequel où l'autrice évoque les grands incendies dans l'Ontario au début du XXème siècle.)
Toujours est-il que je m'attendais à une épopée sur fond de grands incendies aux États-Unis, et que j'ai été un peu déçu de constater que Nos vies en flammes (n') était (qu')un polar, même si le livre comporte d'intéressants passages sur la dépendance à la drogue, sur la mécanique biaisée des junkies, sur la spirale qui conduit un pauvre bougre des antidouleurs aux drogues illégales.
Comme pour montrer qu'il sait de quoi il parle et insister sur la véracité de son roman, David Joy prend à plusieurs reprises ses distances avec la fiction : "Ce n'est pas comme au cinéma, Denny" (page 267), "De fait, les choses se déroulaient rarement comme dans les films." (page 293). Mais ces passages qui sonnent juste n'empêche malheureusement pas l'auteur de recourir à des personnages assez stéréotypés (le méchant trafiquant sans scrupules ni empathie, le papy vengeur...), ni de bâtir un scénario assez artificiel.
David Joy aime les aphorismes. "Une vie n'est rien que la somme de ses hiers." (page 79) ; "Parfois, quand tout le monde pointait du doigt dans la même direction, la chose la plus intelligente à faire était de regarder." (page149) ; "C'était étrange comme dans ce monde tout partait parfois en couilles, alors qu'à d'autres moments les étoiles s'alignaient comme si vous étiez né avec un fer à cheval dans le cul." (page 190) ; "Des empires étaient bâtis et détruits par l'arrogance. L'amour propre suffisait à rendre les hommes aveugles" (page 293) ; "Les dilemmes moraux n'avaient jamais aucune chance face à un shoot." (page 101)
Comme d'autres auteurs américains (Pete Fromm, par exemple) David Joy revendique un lien fort, viscéral, avec son environnement, ses montagnes, son patelin. Mais c'est, comment dire, une relation un peu brute aux choses, comme si tout relevait du rapport de force. David Joy s'en explique d'ailleurs de façon très intéressante dans l'article qui sert de postface au livre : "Aujourd'hui, je gagne ma vie en tant que romancier. J'écris des histoires pleines de drogue, de violence, de pauvreté, enracinées dans l'atmosphère qui va avec. Et si je parle de ça, c'est parce que je ne connais rien d'autre." Certes. Mais d'aucunes parlent de sujets violents d'une autre façon (Jeanine Cummins dans American Dirt, par exemple).
J'ai une amie très chère et féministe qui ne lit plus que des romans écrits par des femmes, car elle affirme avoir lu assez de livres commis par des hommes. Je ne me rendrai pas à cette extrémité mais, à la lecture de David Joy, je comprends assez bien la position de mon amie. Car il s'agit ici d'un livre de mec, de bonhomme, où les femmes ne jouent aucun rôle. Il y a deux personnages féminins, l'une qui se contente de sa petite vie sans histoires et l'autre, fliquette, à qui l'on fait ce drôle de compliment: "je crois pas que t'aies besoin d'un homme pour quoi que ce soit" (page 137). Il est également assez troublant de voir qu'à la fin du livre, l'auteur remercie son chien avant sa femme…
Si vous êtes un mec, un vrai, ce livre est pour vous.
Parution le 19 janvier 2023
chez 10/18 Collection Littérature étrangère
336 pages / 8,50€
Fabrice Pointeau (traduit par)
Bartees Strange, Charley Crockett, <em><strong>Boogie Belgique</strong></em>
Ça arrive de ne pas savoir si c’est bien ou si c’est trop dur pour nos oreilles. Tout va vite dans nos sociétés accros à la news et aux fake news, et on oublie parfois que l’on a du temps. Pour faire un choix. Pour avoir une opinion. Que ce temps peut être plus ou moins long.
Voici donc trois albums sur lesquels la sentence n’est pas tranchée. Il y a du bon et des irritants dans chacun de ces albums. On y trouve des choses formidables puis on s’interroge sur certains choix artistiques.
C’est le cas de l’album de Bartees Strange, un musicien américain né en Angleterre, qui vit bel et bien dans son temps mais semble avoir une passion sans commune mesure pour la six cordes. C’est cette différence qui fait l’élan certain de son second disque, Farm to Table.
La trentaine, il met du rock dans du R&B et semble s’en régaler. La voix est étrange, entre un crooner moderne et un vieux singer de soft rock. Le résultat ressemble bel et bien à un patchwork musical, avec un pied dans la pop débridée et l’autre dans l’efficacité yankee: tout cela ressemble à l’image de la pochette de son album.
Cela donne un résultat assez baroque et assez surprenant. La guitare soutient la plupart des efforts du musicien. Il colle les styles et les envies. Pour le coup, cela donne un album plus que vivant mais déconcertant car faisant le yoyo entre les genres. Le jeune homme a de temps en temps plus de déférence pour un son qu’un autre. Ça monte et ça descend. C’est assez spectaculaire mais n’est ce pas un pot de paillettes lancé à notre face pour combler les lacunes. On verra. En attendant, il y a de très bonnes choses chez ce chanteur bien dans son époque !
Charley Crockett rêve de vivre sûrement dans un ranch et dans sa tête, il y a effectivement bien souvent l’air de ce fameux Davy qui résonne. Il défend une country d’un autre temps. Le rêve américain avec cette douce innocence narrative et des refrains totalement rétro.
The Man from Waco est donc un véritable disque de cowboy. C’est résolument old school. On se promène entre le grand canyon et les grandes plaines. Ça ne brille pas par son originalité mais il y a de l’authenticité dans ce disque qui apprécie finalement, l’esprit poussiéreux mais classique.
Les fantômes des plus grands cowboys planent sur des compositions qui fleurent bon le voyage dans le sud des États-Unis. Le chanteur, très prolifique, rend hommage à ses ancêtres et d’illustres songwriters qui ont fabriqué les mythes américains. Comme dans un vieux western, on trouve les couleurs délavées, le rythme un peu passé mais le charme continue d’opérer.
Il y a aussi énormément de qualités chez Boogie Belgique, double d’Anvers de Caravan Palace ou d’autres adeptes du swing électronique. Machine, leur dernier ouvrage, vous donnera l’envie de danser et de remuer du popotin dans d’excellentes conditions mélodiques.
La Belgique est un phare lumineux en matière de rock et cela se précise sur l’electro avec ce groupe qui groove sacrément bien et vous donnera des palpitations et des cloques sous les pieds !
Les musiciens ont visiblement tout potassé : c’est irréprochable et c’est finalement cela qui sème le doute. On dirait que c’est une intelligence artificielle qui imagine les chansons. Pas de faute. Pas de temps mort. Pas d’erreur. La perfection finit par se faire remarquer. Boogie Belgique en 10 ans est devenu une vraie machine de guerre. On fait peut être la fine bouche mais la démonstration est telle que l’on oublie peut être l’émotion.
Mais il ne faut pas hésiter à revenir vers ces disques qui ne laissent pas indifférents. L’indifférence, la plus désastreuse de sensations dans la musique!
Soufi, mon amour, Elif Shafak, 10/18
Je connaissais Elif Shafak pour m’être laissé emporté par son roman « La bâtarde d’Istanbul ». Déjà je découvrais en cette romancière une grande dame.
Soufi, mon amour, conforte ma première impression, voire, la surpasse.
Quelques cinq cent pages d’amour et de poésie, de celles dont sont capables les romancier.e.s moyen-orientaux.
Au-delà de l’écriture, belle, propre, parfois envoûtante, l’auteure s’est appliquée à découper ses histoires en alternant les époques. Je dis, ses histoires, car elles sont deux, se déroulant en un écart de huit siècles.
Du Moyen-Age turque au contemporain étasunien, Elif Shakaf nous parle d’Amour, celui universel. L’Amour des autres, l’Amour des univers, et même, l’Amour de soi, car aimer commence par se connaitre, ce qui prend pour beaucoup d’entre nous, toute une vie.
Elif Shakaf rythme ses textes suivant la progression de quarante règles, parfaitement chronologiques en s’adaptant aux évolutions et aux situations.
Si le texte proposé est régi par l’Islam et le Soufisme, on comprend vite que cette sagesse surpasse les clivages religieux et les exégèses partisanes. L’Amour est avant tout une affaire de femmes, d’hommes, bref, d’Humains, capable de mettre à terre les lois et les dogmes pour se concentrer et entrer dans le halo de la vraie sérénité.
Au-delà du message, Soufi, mon amour, est aussi une fantastique plongée dans l’Anatolie du treizième siècle, ravagée par les guerres mongoles, mais merveilleuse et si pleine de vie.
Un très beau livre qu’il faut lire en se débarrassant de ses préjugés.
480 pages / 9,60€
Collection Littérature étrangère
Traduit de l'anglais (Turquie) par Dominique Letellier
Les Plizzlys, Jérémie Moreau, Éditions Delcourt
Il faut d’abord s’habituer au dessin un peu schématique de Jérémie Moreau. Un graphisme étrange qui est sérieusement compensé par des magnifiques couleurs. Pour faire comprendre le malaise de Nathan, prisonnier d’un destin tragique puis de Paris et sa banlieue.
Le jeune homme doit s’occuper de sa sœur et de son frère depuis la disparition de leur mère. Il a abandonné ses études pour faire le chauffeur uber sans arrêt. Les nuits sans sommeil lui donnent l’impression de perdre pied.
Un jour, il fait monter dans sa voiture, Annie, vieille dame qui s’apprête à rentrer en Alaska, son pays d’origine. Ils ont un accident. Il loge Annie dans son appartement pour la dépanner le temps de prendre son vol. Elle rencontre les deux autres enfants : elle propose à la fratrie de venir avec elle en Alaska, dans une cabane isolée, dans un trou paumé où il n’y a pas de wifi et même de l’électricité.
Le cauchemar pour ces jeunes personnes intoxiquées par Paris! Bien entendu, le temps fera son œuvre. Les trois vont apprendre à revivre. Ils déconnectent. Mais jusqu'où ?
La contrée est sauvage et surprend même Annie qui ne reconnaît pas le pays de son enfance. La pollution et le réchauffement sont passés par là. Le village s’est vidé. L’alcool fait des ravages sur les tribus du coin. Tout cela pourrait être d’une tristesse inouïe: chacun trouvera sa place.
Le dessin est spécial ou très épuré. Il nous invite à une infinie tendresse et une magnifique bienveillance que reflètent les couleurs de ce roman graphique. C’est d’abord intrigant. On devine bien le discours sur la nature et l’enfer de nos vies modernes. Mais on se fait totalement avoir.
Les personnages sont touchants et la forêt cache bien des secrets, de plus en plus captivants. Les Pizzlys sont un secret qui fait du bien à notre cœur… et nos yeux. Une invitation au voyage qui ne se refuse pas.
Éditions Delcourt collection Mirages - 200 pages
Bad Bunny, Rosalia, <strong>The Weekend</strong>
Bon je suis officiellement un vieux con. J’ai du mal à m’intéresser au son mainstream trop synthétique et utilisé. L’autotune m’emmerde. Les petits rappeurs ont des pieds de plombs. La chanson française ne se renouvelle jamais. Si vous regardez les programmations des gros festivals ou des grandes salles parisiennes… eh bien, je ne connais plus personne.
Heureusement au boulot, je bosse avec des jeunes. Donc je les interroge sur leurs goûts et voilà les trois noms qui reviennent le plus. Et me voilà dans une contrée sauvage: les héros d’une génération qui se marre devant un CD en se demandant ce que c’est !
Je pars donc pour l’Amérique latine. Il a un look de minet de banlieue nonchalant. Superstar venue de Porto Rico, Bad Bunny vient d’un milieu modeste. Il a des lunettes fumées et des cheveux gominés. Il met en exergue sa virilité et la masculinité mais se reprend souvent avec son petit cœur qui saigne. En gros le type est une tête à claques du reggaeton.
Mais son quatrième album cartonne et on se déhanche langoureusement sur ses hits ! C’est même la danse du ventre devant le chanteur. Il est encensé par la presse. Il s’est passé quoi?
Son album pourrait ressembler à une grosse soirée en 2022. Il y a un fond de dépression et une envie d’échapper au réel après tout ce qu’on a vécu tous ensemble. Il y a du rythme et du lâcher prise. Il y a de la modernité (David Guetta se fait dépasser largement) et une envie de fête plus traditionnelle (les sons latinos bien chauds).
Bizarrement, il faut l’avouer, Bad Bunny réussit à créer des passerelles entre les époques et les styles. C’est bourré de vilains tics mais effectivement c’est la bande originale de la teuf épique, ringarde et salvatrice en même temps.
Beaucoup plus osé est le disque de l’Espagnole Rosalia. La chanteuse a commencé par du flamenco très sensible puis les lumières du succès scintillent dans des albums beaucoup plus contemporains. Elle semble avoir de l’ambition et met toutes ses forces dans ce massif Motomami.
Là encore, la fusion des genres impressionne. On devine l’ambition monstrueuse de la jeune femme mais elle glisse parfois vers de l’expérimentation qui une fois de plus a amené la presse à l’admirer. Serait elle la Bjork ibérique?
Franchement non. Elle ose certainement une production ultra moderne. Elle confond les styles sans être brouillonne. Son arrivisme est d’une rare habileté. Elle coche toutes les cases pour plaire au plus grand nombre. Elle dit admirer Basquiat mais aussi Daddy Yankee. Bref, elle fait le grand écart sur la pop culture avec une aisance déconcertante et il est tout à fait normal que le succès soit au rendez-vous.
Lui, le succès reste un vain mot pour expliquer sa notoriété sur tout le globe. Il va remplir le stade de france cet été deux soirs de suite. Tout ce qu’il fait se transforme en or: on lui souhaite tout sauf un destin à la Kanye West mais The Weekend est sur cette fine arête difficile à traverser entre la gloire et la décadence, entre le génie et la folie.
Le Canadien serait le pendant masculin de Beyoncé. Il semble inattaquable avec sa pop qui elle aussi absorbe toutes les tendances. C’est finalement le secret de tous ses artistes qui font hurler de joie la génération z et quelques vieux : ils rebondissent sur des bases connues et s'aventurent vers des sons plus récents.
Sur son cinquième album, il apparaît comme un vieux schnock mais c’est pour mieux signaler qu’il a une connaissance sur la soul et le R&B qui fait de lui, un vieux sage désormais. Il rigolait bien dans ses apparitions de la gloire et du succès, son album tournicote toujours autour d’une douce ironie, imaginant une bande FM assez eighties et fichtrement efficace (j’ai perdu un gage il faut que je passe le mot fichtrement dans un texte).
Ça pourrait être chanté par un autre. On pense beaucoup à Michael Jackson. L’artiste Canadien est désormais une énorme star et assume. Il y a donc du recyclage et des beats. Il y a des sons pour danser et d’autres pour intéresser les critiques. Le gars sait y faire. On ne s’étonne pas qu’il plaise à tant de personnes. En attendant, je crois que je vais continuer à jouer les vieux cons, moi. Je n’ai plus le bassin aussi solide pour supporter ces rythmes endiablés !
La traversée de Bondoufle, Jean Rolin, P.O.L
C’est normalement le paysage des polars et des séries B qui manquent un peu d’imagination : un parking de zone d’activités, sous un pont d’autoroute ou une déchetterie. On y imagine l’ennui sordide, le bitume violent et l’absurdité du monde moderne.
C’est ce que suggère, mais pas que, l’écrivain Jean Rolin, qui se promène encore après son livre Le Pont de Bezons. Ici, il suit un étrange parcours entre la campagne et la ville. Il suit avec précision une carte qui l’emmène dans des endroits isolés de toute façon.
Des lieux vraiment étranges qui forment une frontière. Il y croise des personnages tout aussi bizarres, entre lassitude et colère. Car nous sommes où exactement ?
La Traversée de Bondoufle pousse l’écrivain à glisser sur une ligne imaginaire, entre le moderne et l’ancien, entre le prétentieux et le désœuvré. Il y a des bâtiments modernes mais surtout des villages qui meurent et des immeubles, des parcs et des cités abandonnées.
C’est la France que l’on voit depuis nos voitures, quand on se dit que l’on est désormais à la campagne. Que fait l’auteur dans cette zone de quasi non existence ? On ne sait pas trop. C’est presque absurde. Il s’obstine à tout noter et cela rend la balade encore plus iconoclaste ou existentielle !
On ne connaît pas le but final de la randonnée mais on se plait bien à visiter des lieux inconnus ou saugrenus. Ou les deux. C’est baroque ou loufoque. Mais ça donne des fourmis dans les jambes et l’envie de découvrir par soi même son pays. C’est déjà ça.
paru en août 2022
208 pages / 19€
P.O.L éditeur
The Banshees of Inisherin, Martin McDonagh, 20th Century Fox
Colm aime la musique. Padraic apprécie les pintes. Sur leur île irlandaise, leur amitié suffisait à tuer l'ennui. Mais un beau jou, Colm, plus âgé et réservé, ne veut plus parler à son voisin !
C'en est fini des visites quotidiennes au pub. Adieu les promenades avec le poney de l'un et le chien de l'autre. Terminées les discussions sur le crottin ! Colm observe de son territoire isolé la guerre civile qui ravage l'autre rive et se dit que le temps passe trop vite.
Il se passionne pour son violon, cherche a écrire une chanson et invite des étudiants à jouer avec lui. Ce qui provoque le désarroi et la colère du pauvre Padraic.
Abandonné, consolé par une sœur ambitieuse, l'agriculteur vit une véritable peine de cœur.L'amitié est brisée et il ne sait pas quoi faire de ce trop plein d'émotions.
Scrutés par quelques habitants plus ou moins bienveillants, les deux hommes seront la grande attraction de la communauté. Jusqu'au drame?
C est la grande question : Martin McDonagh, brillant cinéaste, poussera-t-il ses deux personnages vers une falaise fatale ou un affrontement désespéré entre deux façons de voir l'existence ?
Les oppositions de visions du Monde ont fait l'originalité de Bons Baisers de Bruges et Three Billboards, les précédentes réalisations de Martin McDonagh. Il pousse l'idée un peu plus loin : sur une île perdue et froide, tout est appelé au dépouillement. Le film devient une étrange fable sur l'amitié et le temps qui l'use.
D'une beauté rugueuse, le film dépeint simplement une humanité en souffrance. C'est parfois drôle avec un Colin Farrell qui prouve qu'il peut être une excellent comédien. C'est aussi tragique avec le regard triste de Brendan Gleeson, masse fatiguée qui rêve de vivre enfin sa vie.
Les deux acteurs sont accompagnés par d'autres comédiens excellents. En 1920, les drames humains sont les mêmes et l'universalité a peut-être quelque chose a voir avec la désespérance. C'est un théâtre en plein air et le metteur en scène joue habilement avec le rire et les larmes.
Un peu austère et quasi ésotérique, ce film a une sorte d'intransigeance que l'on connaît peu au cinéma. Une chose est sûre : le grand air du large vous fera un bien fou.
Au cinéma le 28 décembre 2022
avec Brendan Gleeson, Colin Farrell et Kerry Condon -
20th Century Fox - 1h50