Mondo Cane
Pour les vacances, on visite le Monde en musique avec quelques disques à mettre dans ses bagages. En route pour l'Italie. L'Américain Mike Patton s'exile en Italie. Il revient avec un album complètement barré et qui continue de le rendre un peu plus indispensable.
Chanteur fougueux de Faith no more, Mike Patton n'a jamais eu peur de s'essayer à un peu d'originalité. C'est l'artiste le plus touche à tout de la planète (hard) rock. Il ne peut pas faire deux fois la même chose. On a du mal à suivre de nombre de nouveaux groupes avec Mike Patton.
Il aime surprendre. Il aime hurler dans un micro. Comme il adore jouer le chanteur suave et mielleux. S'il peut le faire dans le même morceau, c'est l'extase. C'est un ami de tous les chevelus du Monde (il a reformé Faith no more pour montrer que la forme se maintenait) et il peut roucouler avec Norah Jones ou Damon Albarn.
Il sait tout faire et il le fait bien. Le suivre est une grande aventure, qui se poursuit désormais en Italie. Marié il y a quelques années à une italienne, le chanteur a redécouvert de nombreux tubes italiens des années 60. Celui qui a chanté le magnifique Evidence, ne pouvait qu'apprécier le style crooner de ces hits locaux.
A quelques occasions dans "Mondo Cane" il retrouve ses (h)ardeurs d'antan. Mike Patton a la voix musclée et ne peut pas bien longtemps la stopper à un style unique. Rapidement on retrouve les ambiances baroques de ses précédents essais.
Comme avec Mr Bungle, Patton mélange tout dans un désordre apparent et réussit à créer une matière sonore unique. Certes elle peut déconcerter quelques oreilles mais surtout elle révèle une audace essentielle.
"Mondo Cane" joue beaucoup la carte du charme. Un orchestre de 60 musiciens accompagne le chanteur. Il prend beaucoup de plaisir à chanter en italien. Il rend un hommage très particulier à la dolce vita L'easy listening à la mode Patton ne ressemble à rien de connu.
C'est un gigantesque patchwork avec des passages hurlants, des sons échappés d'une BO d'Ennio Morricone et d'autres bidouillés comme de l'electro. Au milieu, la voix fait le lien avec une incroyable aisance.
Il s'essaie même à l'intimiste avec Scalinatella, joli chant tout en écho accompagné d'une guitare ronde et caressante. Autrement c'est le carnaval de Venise enregistré du coté de la Toscane. Patton porte des masques différents à chaque titre. Il prend beaucoup de plaisir et l'orchestre tente de suivre la douce folie transalpine.
Cela donne un résultat bien plus que singulier, nettement plus abordable que d'habitude et surtout l'intelligence de Mike Patton profite du charme européen et devient un peu plus irrésistible.
Ipepac - 2010
Star Trek Terre Inconnue
Frédéric Lopez emmène sur la Lune Cyril Hanouna qui trouve que ce n'est pas sympa de dire "con comme la Lune". C'est un manque de respect. Oups, non, rien à voir: après l'échec artistique du cinquième épisode, l'équipage original signe pour une dernière mission pour redorer le blason. Mission impossible?
Au tout début des années 90, la nouvelle série cartonne et le film l'Ultime Frontière dépasse toutes les exigences du navet glorieux et quasi inoubliable. Le producteur principal, Harve Bennett envisage de poursuivre la saga en racontant les années d'études à Starfleet des célèbres membres de l'équipage!
Le patron de la Paramount apprécie moyennement l'idée et vire Bennett et supplie Leonard Nimoy de reprendre les commandes de la série. Il décline mais soumet le retour de Nicholas Meyer, réalisateur du meilleur épisode, La Colère de Khan.
L'idée est excellente. Nicholas Meyer (endormie sur la photo) comprend l'esprit de Star Trek et le rôle de la science fiction: extrapoler le Monde et ses espoirs. Cette sixième aventure sur grand écran est un ludique exercice de fiction singeant la réalité historique!
Terre Inconnue est donc un miroir déformant et formaté de la Guerre Froide et de l'assassinat de JFK dans une scène géniale qui profite des premiers effets spéciaux numériques. Il faut dire que Kirk et ses amis sont au coeur d'un complot machiavélique mené par un redoutable général Klingon!
Les Klingons n'ont plus d'autres choix que de signer la paix avec la Fédération Starfleet. La paix va enfin triompher après des années de combats. Lors de la signature, le responsable Klingon est assassiné et tout accuse Kirk, aussitôt envoyé en prison sur une planète glaciaire...
Christopher Plummer joue le renégat Klingon et fait franchement plaisir. Le scénario est sans temps mort et se permet de belles allégories sur l'époque et le temps qui passe. Les membres de l'USS Enterprise assument leur âge.
Nicholas Meyer sert idéalement un récit qui mutltiplie les clins d'oeil, les références et trouve un rythme qui pourrait rappeler Tintin ou Spirou. C'est de la bédé intelligente et légère. Comme en 1982 avec La Colère de Khan, Meyer réalise un grand film d'aventures, noble, accessible et réjouissant.
Pour une dernière fois, Kirk, Spock, McCoy, Scotty, Sulu, Chekov et Uhuru sauvent l'univers. On leur dit merci pour tout et on passe à autre chose... d'assez proche quand même!
La Récup
Jean-Bernard Pouy nous raconte l’histoire d’un truand comique et attachant qui se prend pour Lee Marvin. On s’amuse à chaque page et on en redemande.
Antoine Laigneau dit Loulou est serrurier, spécialisé dans les clefs et mécanismes anciens. Il est plutôt bon dans son domaine. La preuve, il reçoit des commandes des Musées nationaux.
Antoine est aussi un ancien truand rangé des voitures qui pour s’offrir l’outil de serrurerie de ses rêves accepte de participer à un coup.
Le coup en question est commandé par la mafia russe et consiste à ouvrir la serrure d’un coffre ancien situé dans un manoir de la région parisienne.
Antoine l’accomplit avec maestria. Le problème c’est qu’on refuse de lui payer la somme promise. Lorsqu’il proteste, on le tabasse et on le laisse pour mort sur un quai de gare, un mélange de drogue dans les veines.
Sauvé par miracle « comme Chevènement », Antoine décide alors de prendre sa revanche sur les truands qui l’ont humilié. Il n’a plus qu’un objectif : récupérer les 10 000 euros qu‘on lui doit. Juste 10 000 euros, le montant exact de sa «prestation ». Une idée qui lui vient durant sa convalescence en visionnant Lee Marvin dans « Le point de non retour » de John Boorman.
Ce qu’il ne sait pas c’est qu’en retrouvant l’endroit du cambriolage et la trace de ses agresseurs, il va mettre le nez dans un scandale politico-financier d’importance avec en toile de fond la spoliation des biens juifs pendant l’occupation.
On suit avec jubilation les péripéties de ce personnage obstiné, ex-truand et…artisan serrurier. Ça change des flics ou des journalistes !
Antoine est attachant parce qu’il n’a rien d’un héros et qu’il est (presque) seul à attaquer ses agresseurs. Et surtout, il est drôle.
Jean-Bernard Pouy lui prête sa verve audiardesque et lui fait rencontrer des personnages assez hilarants. Tels celui de Paulo, pilier de bistrot passionné de quizz télévisés, ou de Bernard Hinot, correspondant du Clairon de l’étampois, incollable sur l’histoire de son département et fasciné par les vaches. On s’intéresse aussi aux relations qu’Antoine noue avec Sophie, une avocate qui le protège (et s’en éprend peut-être un peu) parce qu’elle rêve de faire condamner une multinationale.
En bref, voilà une histoire bien ficelée qu’on lit le sourire aux lèvres et qu’on quitte avec regret. Le kif de lecture donc!
Fayard noir - 25 pages
Rodrigo y Gabriela
Pour les vacances, on visite le Monde en musique avec quelques disques à mettre dans ses bagages. Aujourd'hui le Mexique. La politesse aurait voulu que l’on parle de Gabriela y Rodrigo. Cependant quand on vient du metal et d’un pays au machisme assumé, les habitudes sont tenaces ! En tout cas, l’album possède d’autres qualités plus louables!
Ce sont deux fans de metal. Cette bonne vieille musique qui consistent à réaliser des albums bruyants avec un maximum de virtuosité. Gabriela Quintero et Rodrigo Sanchez se voyaient bien secouer leurs cheveux sur des riffs diaboliques et rapidement tricotés par leurs doigts agiles.
Ils ont tenté l’expérience avec un groupe de trash metal mexicain mais très vite, les délires acoustiques ont pris le dessus. Petit à petit les deux guitaristes se sont faits une solide réputation… dans les pubs irlandais ! L’Europe est devenue leur terre d’exil pour leur flamenco musclé.
Car leur album éponyme possède l’énergie brute et peu mesurée du hard rock. On n’est très loin de la grâce d’un Paco de Lucia. Le flamenco ici n’est pas très raffiné. Mais l’idée de hardos s’essayant à la musique traditionnelle est franchement amusante !
Après les préjugés, Rodrigo y Gabriela devient un disque plaisant. L’amour de la musique transparaît. Les deux guitares offrent de beaux moments habiles et avertis. La technique amène une reprise géniale et ouverte de Stairway to heaven. Les morceaux sont soignés avec des intrusions d’autres instruments qui aèrent l’ensemble.
On sent les deux musiciens roublards (Damien Rice les a découvert, Dave Matthews les apprécie beaucoup) mais les tics du hard revus à la guitare classique, cela vaut une écoute attentive. On peut être déçu. On peut aussi s’étonner de cette légère instrumentation pour des amateurs de sons lourds. Le mélange est fragile mais permet de s’évader durant neuf chansons. La mondialisation, c’est aussi ça : des Mexicains adoptés par des Irlandais, troquant un son brutal pour une tradition andalouse et gitane ! Avouez que cela réveille la curiosité !
Rubyworks - 2007
Star Trek L’Ultime Frontière
Vous connaissez les Razzie Awards qui récompensent les pires films de l'année à Hollywood? Devinez qui a récolté trois prix dont celui du pire film de 1989, devant Karaté Kid 3, Haute Sécurité ou Roadhouse? Cette fois, l'ultime nanar vole très haut dans la galaxie Star Trek!
Après deux épisodes signés par Leonard Nimoy, William Shatner réclame lui aussi sa propre réalisation. Après tout, c'est lui le chef de l'USS Enterprise! Il dirige donc Star Trek vers le plus important des sujets: Dieu! Rien de plus, rien de moins! Devant une émission de télévangélisme, Shatner trouve l'inspiration même si les producteurs et le créateur original de la série restent dubitatifs.
Y a de quoi! Le film commence par une petite promenade en forêt sur Terre avec Kirk, McCoy et Spock (ce n'est pas Brokeback Mountain non plus) dans une imitation de parfaits boy scouts ou cow-boys. Mais le devoir les appelle. Ils partent à la rescousse d'otages sur une planète mystérieuse. Sacrilège: ils se promènent sur le pont en jeans pour remplir leur mission.
C'est là que Spock retrouve son demi frère, un Vulcain illuminé qui s'est mis en tête d'aller à la rencontre de Dieu. La messe est dite: Kirk et son équipage vont affronter une force aussi puissante que malfaisante. Car, la production fut houleuse.
On ne badine avec la religion aux Etats Unis. Si les oreilles de Spock sont sacrés chez les fans, les croyances aussi. Les polémiques que pourraient réveiller le film s'opposeraient à l'humanisme charmant de Gene Roddenberry. Le scénario est constamment en réécriture. Et une grève des scénaristes éclate un peu plus tard.
22
Car c'est le crash total. Tous les comédiens ont l'air de se moquer des enjeux, confus et ringardissimes (Zardoz est un chef d'oeuvre à coté). La série télévisée Star Trek Next Generation a fini par donner un vrai coup de vieux au casting original. Ils donnent l'impression de serrer le ventre tout le temps.
C'est prétentieux et hilarant. Les effets spéciaux ne surprennent plus. Sybok, le frère taré de Spock est un méchant peu crédible, sorte de hippy messianique à gros sourcils! Intentionnellement tout est drôle dans ce triste épisode, entre les bottes de ski volantes, un chef Vulcain très disco et d'impayables phrases sur la science ou la religion. On touche le fond. C'est le désastre complet. Le film reçoit les pires récompenses de l'industrie. On jubile mais la riposte est déjà en marche... heureusement pour nous!
Riots in the Jungle
Pour les vacances, on visite le Monde en musique avec quelques disques à mettre dans ses bagages. Today, l'Afrique du Sud.Gros patchwork mondialiste, Riots in the Jungle est un album qui capte son époque, ses problèmes et ses joies musicales...
Ca parle toutes les langues dans cet album. Visiblement les membres du groupe Skip & Die se sont promenés dans toutes les jungles du Monde. Ils ont ramené des paroles de révolution en espagnol, portugais, zulu ou encore en anglais... tout simplement.
La musique, elle, se nourrit de toutes les régions et de tous les styles. La chanteuse du groupe, la pétaradante Catarina Aimée Dahms (surnommée Cata.Pirata), vient d'Afrique du sud donc il y a pas mal d'influences africaines, entre beats tribaux et afro funk. Récupérés par l'Hollandais Jori Collington, d'autres styles se greffent et donnent naissance à un truc hybride, terriblement exotique!
Car Skip & Die développe une personnalité schizophrène. Certaines chansons sont pétries dans la colère. D'autres font preuve d'une sagesse tout simplement extraordinaire (le morceau Killing Aid). Suite à un long voyage à travers l'Afrique du Sud, le groupe a ramené des idées protéiques, des souvenirs collés et soudés par leur talent pour les bidouillages.
C'est festif et en même temps, cela semble très réfléchi. Ca bouillonne mais ça ne déborde jamais. C'est peut être un peu trop programmé. Mais c'est d'une générosité assez touchante. Skip & Die est un groupe populaire, qui place l'art au coeur de la société, pauvre ou riche, démunie ou exigeante.
Leur disque est vraiment dans l'air du temps. Dépaysante, leur musique s'adresse à tous et rappelle que les révoltes peuvent se partager, partout où l'on est.
Une déclinaison moderne et rebelle de l'Internationale en quelque sorte... ans les bagages. Today, l'Afrique du Sud!
Crammed discs - 2012
Ville Noire Ville Blanche
Sur fond de fait divers banal, Richard Price entreprend de démonter les mécanismes de tension raciale qui rendent explosives les banlieues américaines. Passionnant.
Richard Price fait partie de ces auteurs qui, d'un roman à l'autre, inscrivent leur œuvre dans un univers immuable. Depuis toujours, ses héros habitent Dempsy, une banlieue déshéritée (et imaginaire) de New York.
Dans cet environnement dur, fait de ghettos et de discrimination raciale, de chômage, de misère, de drogue et de violence "ordinaire", Richard Price installe ses histoires et ses personnages avec le naturel de celui qui a vécu dans ces quartiers, qui a connu la dèche et la toxicomanie.
Et même si cette époque est révolue pour lui (il publie depuis vingt ans des romans à succès et il scénarise à tour de bras pour Hollywood), l'homme reste marqué à jamais par cette jeunesse difficile.
Dans Ville noire, ville blanche, il met en scène les tensions interraciales entre deux communautés totalement hermétiques l'une à l'autre.
Pourquoi cette explosion soudaine dans les quartiers noirs de Dempsy ? Parce que Brenda Martin, une habitante blanche de Gannon, la petite ville résidentielle voisine pousse, une nuit, la porte du Centre Médical, hagarde et les mains en sang, et déclare avoir été agressée par un noir qui lui a volé sa voiture… dans laquelle dormait son jeune fils de 5 ans ! Et comme Brenda Martin est la sœur de Danny Martin, un inspecteur du commissariat de Gannon, la riposte policière est brutale et immédiate.
Avec la minutie et le souci du détail d'un sociologue qui aurait décidé de passionner ses lecteurs, Richard Price décrit, minute par minute, l'alchimie mystérieuse, impalpable et pourtant irrésistible qui transforme un fait divers banal en fait de société explosif.
Par les yeux (et les actes) de quelques personnages clés superbement brossés, il transforme le lecteur en témoin privilégié de cette réaction en chaîne inéluctable.
On adopte d'emblée les points de vue et les objectifs, pas forcément contradictoires d'ailleurs, de Lorenzo "big daddy" Council, le flic noir (plus travailleur social qu'agent de répression) à qui est confiée l'enquête, et de Jesse Haus, la jeune journaliste blanche (mais "enfant du pays") du quotidien local.
On souffre avec Brenda, la jeune mère complètement déboussolée par son drame et plongée dans une sorte d'autisme traumatique dont il faudra la tirer pour faire avancer l'enquête. On bouillonne avec les jeunes de la cité Armstrong ("strong arms" - bras forts - en verlan)…
Bref, on ne lâche pas ce pavé avant le dénouement du drame personnel de la mère et collectif d'une communauté montrée du doigt. Ville noire, ville blanche est un roman intense à l'ampleur sociale urbaine universelle.
10/18 628 pages