Nelken (1982), Pina Bausch, Tanztheater Wuppertal Cie,
Un horizon d’œillets. La transparence des tiges, le plein des fleurs, clignez des yeux tout se noue se joue le cœur bat, l’image est sublime, notre corps entier, notre perception sensible sont déjà sollicités, viennent les danseurs, les 23 danseurs de cette chorégraphie – Nelken – dans un champ d’œillets.
Champ de beauté, sol encombré, pour Palermo Palermo c’était le mur tombé qui obligeait le corps et la pensée à des tours, des détours, ici les œillets dressés forment la frontière fragile entre le public et la scène. Tandis qu’ils s’avancent, les danseurs, hommes et femmes, leurs jambes floutées par 9000 tiges fines, un effacement optique qui donne aux corps encore plus de chair, encore plus d’aplomb, tandis qu’ils s’avancent la mer d’œillets vibre, ondule, l’immobilité chavire.
Lever haut les jambes, contourner l’abîme ne rien abîmer, obstacle palpable, sortir de scène toujours haut levés, comment ne pas froisser la beauté, comment dire le monde fragile ? Ainsi.
En silence, langue des signes, Lutz Förster parle, The Man I Love, à présent la voix chaude, les mains signent toujours, nous apprennent nous parlent, la danse est langue des signes, à présent chaque geste sera signifiant, notre œil, oreille, notre ouïe, vision, nos mains, notre peau, récepteurs, Pina Bausch excelle à multiplier les perceptions, à nous rendre vivants.
D’éblouissement en éblouissement l’écriture chorégraphique raconte et suggère, elle propose et creuse, solos ou chahut, chaos ou extase, se jouent se parlent et se dansent. Le cœur battant. Micro posé sur la poitrine de l’un ou l’autre, ça bat, de peur de course d’amour. Et le vôtre et le nôtre de cœur comment battent-ils ? Bat-il toujours, êtes-vous vivants, comment êtes-vous vivants ?
S’enterrer à la petite cuillère, allez, elle vous montre elle dévoile elle met à jour sur cette scène peu à peu, pas à pas dégradée, les violences du quotidien, violences langagières et corporelles accompagnées de la musique du cœur, chaque mot mesuré au sismographe du cœur au micro, ne vous remettez pas ne fermez pas l’œil, une femme nue en culotte blanche habillée d’un accordéon s’approche, elle fait son entrée, elle fait sa sortie, fend l’horizon d’œillets en talons hauts et voici des hommes en robes de gamines, des mutations, des bonds enjoués et en fond de scène, en fond de conscience, sur la ligne de l’Histoire Universelle de vrais gardes de vrais chiens de vraies peurs des vrais coups des vrais contrôles d’identité.
Ruptures de tons, d’images, des histoires d’autorités et de place, de territoire, de fuite et de liberté. Les élans interrompus par les contrôles de passeports, à chaque contrôle moins de place pour la liberté, il/elle danse sur les tables, une à une les tables sont supprimées, il/elle danse encore, puis danse de moins en moins, puis ne danse plus.
Un grand jeu se met en place 1 2 3 soleil, permet la revanche du revanchard, l’instauration de la loi de l’ordre, mais quel rire la danseuse sur les épaules de son partenaire enfoui sous la jupe longue, alors la danseuse est une géante avec ses genoux et ses mollets d’homme elle trône, un jeu est un jeu est réel, qui commande qui, les muscles on les voit sous les bretelles des robes le corps est si présent, si fort si faible, des hommes mis à nu énoncent leurs faiblesses leur petitesse, la langue priée à genoux signée dansée, Nelken est une œuvre qui parle, qui livre.
Rupture encore, le chaos se met en ligne, en oblique les 23 se règlent, se calent, suite merveilleuse de gestes, parfaite harmonie, le cri forme phrase, puis se jette à nouveau dans un piétinement d’œillets « qu’est-ce-que vous voulez voir encore ? », la discipline de la danse l’épuisement des corps, les abus, les questions. Que se passe-t-il derrière les sourires, quelles exécutions ? Et comment tenir, et jusqu’où tenir, entre les gifles et les baisers, entre les extrêmes qui gouvernent le monde ?
Ainsi, c’est ainsi, en beauté, en sublime, que la compagnie du Tanztheater Wuppertal débride nos yeux et nos consciences, le champ d’œillets maintenant champ de bataille, ils n’en sont que plus saisissants, nous ramenant doucement à la réalité, s’approchant de nous, « Je suis devenu danseur… », une confidence pour terminer, oui ce sont des danseurs, nous venons de voir le monde, sa splendeur, ses ruines, ce que créer veut dire.
jusqu’au 17 mai 2015
au Théâtre de la Ville, Paris
Murmures des Murs, Rond Point
Des cartons jonchent la scène. Une jeune femme entre dans l’un, disparaît dans l’autre, emballe les objets qu’elle trouve et les détourne de leurs usages habituels.
Le temps, l’espace, les murs, les décors sont traversés, escaladés, pénétrés. Ils deviennent parfois des pièges, des artifices. Tous les éléments prennent vie et forme sous l’impulsion des comédiens. Ils les détournent, les contournent, les fuient pour mieux se les approprier.
Mêlant danse, illusionnisme, théâtre, tour de passe-passe, chaque tableau devient sujet à interprétation, aux acrobaties entre poésie et frénésie des corps. Le rythme est millimétré, calculé, mesuré. Il n’y a ni faux pas ni contretemps : mouvement des décors, énergie des personnages.
Une certaine forme surannée des costumes et des matières renforce cette sensation fantasmagorique. Trompe œil des décors et de l’espace, mais aussi de la réalité pour mieux fuir la réalité, celle de la solitude et de la quête de l’autre qui ne cesse de fuir.
Murmures des murs est une illusion éveillée, peuplée d’animaux et d’objets fantastiques, un voyage sans parole aux confins de la folie douce où le temps et l’espace n’ont plus de limite.
Jusqu'au 23 mai 2015
au Théâtre du Rond Point
Conception et mise en scène : Victoria
Avec : Aurélia Thierrée, Jaime Martinez et Antonin Maurel
LIDWINE
Un concert très électrique qui manque d’acoustique.
Repérée dans Liliom de Jean Bellorini au TNP de st Denis, la chanteuse-harpiste Lidwine de Royer Dupré avait attiré notre attention. Sa voix aux airs de Bjork s’accordait à merveille avec sa harpe.
Sur la scène du Sentier des halles, avec un plumeau sur la tête et une robe argentée, Lidwine est accompagnée du percussionniste électro Rolando Torrès Martin. Sous la voûte en pierre, on s’attendait à écouter l’harmonie mélodieuse de la voix et de la harpe… Ce ne fut pas le cas.
Très vite les amplis, les micros, les sons électriques amènent une autre ambiance. L’acoustique aurait sublimé l’univers de cette jeune chanteuse, il l’a un peu dénaturé. Sa voix se hache. Le rythme se saccade. Si ce n’est le moment de grâce : avec la reprise électro de Silent night, le choix des chansons laisse imperméable.
Le concert séduit par ailleurs avec le travail remarquable de design graphique d’Emmanuel Labard. Digne d’une plongée dans les volutes de Windows media player, on est captivé. La salle se couvre de lumières fantastiques. Les dessins épousent les rythmes. Les couleurs, les formes transportent dans un monde féérique.
Le chant final avec des jeunes choristes apporte la note intimiste espérée. On aurait aimé tout le concert ainsi.
Pelle le Conquérant
Le festival de Cannes débute ce soir. Les paillettes. Les stars. Les prix convoités. Les soirées. L'événement fait tourner la tête. Au point que le jury décerne des palmes plus ou moins étranges. Piqûre de rappel avec Pelle Le Conquérant!
C'est l'un des mystères du festival: Bille August! Yes man, responsable de mélodrames au classicisme ennuyeux, le monsieur a tout de même deux Palmes d'or qui trônent sur sa cheminée. Ils ne sont pas nombreux à pouvoir se vanter de ce fait extraordinaire. En 1988, le Danois arrive méconnu au festival face à un jury mené par Ettore Scola.
Pelle Le Conquérant est un drame tiré d'un fameux livre, référence absolue en Suède et en Danemark. Bille August est allé chercher une autre référence importante: Max Von Sydow donc l'ombre d'Ingmar Bergman. Pourtant son film n'est qu'un drame larmoyant sans grand intérêt. Espérances. Déceptions. Nature. Des petits clichés élégants mais pauvres. On pense à une adaptation tartignolle de Princesse Sarah ou Rémi sans Famille. Trop de fêtes ont raison de la logique d'un jury où il y a tout de même ce gros allumé de George Mad Max Miller.
Dans la sélection, il y a tout de même Bird de Clint Eastwood ou Tu ne tueras Point de Krzysztof Kieślowski! Mais non, à la place, on a droit à un machin long, boueux et limite rabat joie. L'erreur est humaine mais rebelote, quelques années plus tard, August s'empare d'un scénario du grand Bergman (Les Meilleures Intentions) et réussit de nouveau à piquer la Palme d'or.
Depuis, le monsieur se compromet dans des projets européens, toujours avec de belles intentions, mais pour des résultats décevants, assommants et loin d'être conquérants!
Capitaine Flam n’était-il vraiment pas de notre galaxie ?
« Capitaine Flam n’était-il vraiment pas de notre galaxie ? »
La nuit dernière, sur les coups de 5h du mat’, j’ai monté le son et j’avais des frissons, je medisais que moi aussi je devais faire tout ce qui me plait plait plait, même me poser les pires questions, du moins celles qui, aux yeux du vulgum pecus contemporain ne pouvait très bien n’avoir aucun sens, mais qui, à mes yeux à moi, dans une brume nocturne avec encore quelques effluves de Rhum, dont les dernières gouttes n’avaient été englouties que quelques heures avant, si ce n’est une heure avant, en fait, avait du sens, lesdites questions.
Alors, j’ai cherché une bonne question bien con, pour m’endormir sur une déviation métaphysique aux confins du porteninwak, du ridicule, du de toute façon tu trouveras pas la réponse. En pagaille, sont venues m’interpeller sur les parois dans mon crane de dégénéré :
« Si Loana n’avait pas fait le Loft aurait-elle été vendeuse chez la Halle aux vêtements ? »
« Si Arnold s’était appelé Willy et si Willy s’était appelé Arnold, se seraient-ils drogués tout
pareil ? »
« Pépita de Pyramide a-t-elle déjà visité l’Egypte et si oui en écoutant le dernier album d’Akhenaton tout au long du voyage ? »
« Au fait, il est devenu quoi Jean-Edouard du Loft 1 ? Commercial chez un pisciniste ? »
« Et si Alf de la série Alf, avec lui dedans quoi, avait été réellement vivant, un vrai extra terrestre et que personne ne s’en était aperçu !
Hannnnnnnnn ! »
« Ca veut dire quoi en fait Pas de pitié pour les croissants !?! »
« Les Jeux de 20h ont-ils réellement toujours débuté à 20h ?!? »
« Denver était-il réellement le dernier dinosaure ? »…
Voilà, j’vous ai pas menti, j’ai puisé profond…
Soudain, en arpentant fébrilement le couloir moquetté menant mon âme en peine et mon caleçon mi-coton mi-laine, moiiiiiiii Lolittaaaaaaa, vers la petite pièce qui allait me permettre de soulager mon envie latente d’uriner, oui, à force de réfléchir, on en oublie parfois l’essentiel ; un flash 80’s me vint, une lumière torche pour cerveau de mec torché, oui, c’était sûr, elle était là ma question du fonds de la nuiiittttt : « Capitaine Flam n’était-il vraiment pas de notre galaxie ?».
Quand on voit le mec, malgré sa combi vintage, en apparence première, tout porte à croire que la chanson du générique nous a en fait bien pipeauté, et ça, quoi qu’on en dise, faire ça à des gamins de 10 ans dans les années 80, c’est moche, et faut pas s’étonner après de la guerre du Golf, des attentats du 11 septembre, de la grève de Kysna de l’équipe de France, des brulures faciales de Ribery, d’avoir ri devant des sketchs de Smaïn, d’avoir eu des k7 vidéos de Courtemanche ou encore avoir dansé sur les 2be3, même saoul, oui, tout s’explique.
Thèse : Il n’est pas de notre galaxie. En effet, si nous reprenons notre maigre source d’indices, le chanteur du générique de Capitaine Flam nous dit sans faiblir que ledit capitaine voyage tantôt dans un Cosmolem tantôt dans un Cyberlab ; alors j’ai cherché, autant un Cyberlab, on aurait pu croire que le mec bossait au département recherche et développement d’Apple juste 30 ans avant tout le monde, mais bon bof, autant le Cosmolem, clairement, j’ai eu beau chercher sur tous les sites de concessionnaires, non, le modèle n’est pas dans notre galaxie. Pis, le gars a quand même traversé cent mille millions d’années pour aller bosser, là ça fait pas de doute, ça fait des bornes intergalactiques ! Pas de chez nous ça ma brave dame. Enfin, ces deux potes s’appellent Fregolo et Mala, même aux fins fonds de la Moldavie, c’est le genre de prénoms bien interstellaires bien bien.
Anti-thèse : Si mais si Captaine Flam est bien de notre galaxie ; pour preuve, le type a quand même le zizi qui le démange, pas plus humain que ça comme attitude, il a même une douce amie Johan (Baez sûrement, on sait pas, on n’a jamais su, j’veux même pas le savoir !). Pour preuve de preuve, le garçon ressemble quand même a un humain occidental de bonne famille et tu lui mets un costard de chez Devred, il cravate de chez Celio (oui cette chronique est sponsorisée) et un caleçon DIM, il fait genre de notre galaxie comme pas deux ! A priori, il a même des oursins dans les poches, il serait donc même français, puisqu’il habite Megara ! (Vanne de niveau 2)
Synthèse : Si quelques subterfuges bien pensés pouvaient tendre à nous faire croire que Capitaine Flam n’était effectivement pas de notre galaxie, voire qu’il était d’aussi loin que l’infini, genre après Dunkerque plus au Nord en passant par la lune, je suis ici quasi scientifiquement certain que Capitaine est un gars tout ce qu’il y de plus normal, qui après des années de succès s’est barré avec ladite Johan dans un petit pied à terre de la côte basque, que X-Or, Albator et Actarus viennent y boire des canons régulièrement ; faut pas me prendre pour un terrien de 3 semaines ! J’vais me coucher.
J’vous embrasse,
Un peu Beaucoup Aveuglément
Clovis Cornillac est un vieux routard du cinéma français. Il devient réalisateur pour la première fois et sa naïveté sauverait presque sa comédie.
Car il y a bien quelque chose de désuet et d'innocent dans sa démarche. Etonnant pour cette tête d'affiche qui a joué dans de grands films et des nanars coûteux. Il fait une comédie comme on n'oserait plus: tout en studio, sur un concept branlant, célébrant le romantisme! On est très loin du cynisme qui ronge l'industrie. Avec sa femme, il a eu une idée simple et fait tout pour y construire un récit.
Il sera limité car le principe de base est facile: deux personnes s'engagent dans une relation aveugle. Ils se plaisent mais une cloison fine sépare leurs appartements respectifs. Lui est un créateur de jeux ronchon. Elle est une musicienne qui a peur des concours. Les deux inadaptés vont s'apprivoiser, sans jamais se voir!
A l'heure de la communication à l'extrême, on pourrait imaginer que tout cela est hors sujet. D'autant que la base du récit ne tient pas la route sur la durée: très difficile de ne pas se voir quand on est voisin. Mais cela ne fait rien: Clovis Cornillac assume la légèreté et base tout sur son duo de charme avec Mélanie Bernier et des seconds rôles soignés.
Il nous désarme. La candeur va avec la candeur et les petites erreurs. Il convoque le vieux cinéma comique des années 50 ou 60 avec quelques grossières erreurs mais aussi une certaine élégance et un élan qui semble naturel. C'est plan plan. Ce n'est vraiment pas génial mais on devine un film personnel, ce qui est déjà pas mal du tout!
Avec Clovis Cornillac, Mélanie Bernie, Lilou Fogli et Philippe Dusquesne - Paramount - 6 mai 2015 - 1h30