Citizenfour
Documentaire militant, Citizen Four pose des questions graves et nécessaires.
Réalisatrice engagée, Laura Poitras rencontre Edward Snowden, un ingénieur de 29 ans qui veut en démordre avec la politique américaine : il est prêt à balancer des milliers de documents sur le travail plus que douteux de la CIA, de la NSA et autres institutions américaines qui se permettent de s’intéresser à nos vies privées.
L’informaticien se révèle courageux. Pourtant tout se passe dans une chambre d’hôtel à Hong Kong. Le film nous enferme dans la lente progression de Snowden vers la libération de ses informations confidentielles, révélées au grand jour.
Laura Poitras est donc une privilégiée : elle observe le plan d’attaque du jeune homme et de quelques journalistes qui vont devoir en découdre avec l’administration américaine. Le scandale se met habilement en place et on contemple les prises de conscience du lanceur d’alerte, qui devient obligatoirement ennemi de sa patrie.
L’Histoire est en marche : elle se fait dans des chambres d’hôtel, durant des entretiens calmes et passionnants. Ils sont complexes : on ne vulgarise pas tout dans ce documentaire un peu austère mais fascinant.
Derrière tout cela, le film soulève de très nombreuses questions et des scandales dont on a du mal à calculer l’ampleur et la portée. Comme dans un film d’espionnage, on se promène dans d’exotiques pays de la planète et les complots se multiplient. On est un peu sonné à la sortie du film : on se demande bien dans quel monde on vit. La mission de Snowden est remplie : soyons vigilants !
Haut et Court - 04 mars 2015 - 1h54
Chasing Yesterday
Un album tout en mid-tempo. Assagi ou fatigué le père Noel?
Résumé des épisodes précédents: avant de rentrer sur scène à Rock en Seine, Liam et Noel Gallagher se battent une dernière fois et enterrent avec fracas, Oasis, groupe phare de la Britpop. Liam tente de briller avec Beady Eye, pale ersatz de son premier groupe. Noel Gallagher sort un album solo qui montre bien que c'est lui le patron, auteur de la plupart des hymnes d'Oasis.
Quatre ans plus tard, après une tournée sans fin, Noel Gallagher retrouve les High Flying Birds pour Chasing Yesterday. Il serait donc à la recherche du temps perdu. Il regarde derrière lui mais ses nouvelles compositions continuent de lui ressembler. Il y a de la nouveauté mais Noel Gallagher est devenu une force tranquille. Chasing Yesterday démarre doucement et les héroïques sons d'Oasis sont un peu atténués.
Il sait toujours écrire un refrain qui va se scotcher directement dans la mémoire. Mais il y a une vraie atmosphère travaillée, un peu plus psyché ou jazzy, et Noel est moins enclin à la démonstration. C'est un peu déconcertant mais bon, après 20 ans de carrière, il s'échappe un peu de ses habitudes, ce qui n'est jamais un mal.
Il invite donc un saxophone dans certaines chansons. Une présence féminine s'incruste derrière sa voix tout aussi évidente que celle son frangin tête à claques. Il gratouille avec l'un des idoles, Johnny Marr des Smiths. Mais d'une manière générale, il s'impose comme le gardien de l'identité rock de l'industrie britannique. Grande gueule, il produit et réalise un disque élégant, aux résonances plus profondes qu'il n'y parait.
Le vieux lads n'est pas si nostalgique. Il puise sa force dans son passé de musicien passionné. Il est définitivement un grand nom de la pop anglaise.
Sourmash - 2015
Afropéennes, Carreau du Temple
Le spectacle Afropéennes, présenté au Carreau du Temple dans le cadre de la semaine « Africaparis », célèbre avec beaucoup d’intelligence et d’émotion la France noire et multiculturelle. Un savoureux moment qui apporte de la couleur et une jolie réflexion, dans cette période un peu morose !
Dans ce spectacle, Eva Doumbia raconte la vie quotidienne, les questions et les contradictions de quatre femmes prises entre tradition et modernité, mémoire et réalité.
La metteuse en scène, française d’origine ivoirienne et malienne, allie une nouvelle fois les textes de Leonora Miano à une mise en scène dynamique. Mêlant théâtre, danse et chant, elle déconstruit l’image de la femme noire française et propose un nouveau qualificatif « afropéen » pour décrire cette réalité vécue.
Les femmes que dépeint ici Eva Doumbia, comme souvent dans son travail, se sentent et se revendiquent avant tout françaises et parisiennes. Elles sont infusées dès leur enfance d’histoires et de représentations qui les classent comme génétiquement noires mais elles se rêvent avant tout comme des femmes de leur temps.
Il faut signaler la qualité des acteurs qui nous embarquent ici dans le monde d’Eva Doumbia. Il semble qu’une partie au moins de la troupe suive la metteuse en scène depuis plusieurs années déjà. Ensemble, ils nous émeuvent et nous font vibrer ou rire avec eux. Ils interpellent le public, par exemple avec ce second couplet de la Marseillaise revisité qui donne un frisson tout particulier.
Africaparis nous aura permis pendant une semaine de découvrir des créateurs « chercheurs » de modernité. Si le reste de la programmation d’Africaparis pouvait nous parfois nous interroger, Eva Doumbia et son spectacle « Afropéennes » sont une très belle incarnation de cette France moderne. Une artiste et un spectacle à suivre !
Lazarus Effect
Bonne surprise, Lazarus effect est d'une redoutable efficacité.
Avec un début de film qui fait appel en moins de 15 minutes à tous les clichés du genre (une héroïne mi bombasse mi catholique, un mariage qui bat de l'aile, un amoureux transi, des dialogues lourds mais beaucoup moins que les deux Geeks avec une coupe de cheveux ultra cool qui parlent cul), le film s'annonçait très mal barré.
Contre toute attente, sur la longueur, le film fait oublier ses défauts et finalement, ses règles un peu lourdes s'avèrent presque inévitablement incontournables (je pense bien sur à La Cabane dans les Bois" entre autres)! A force de voir des films d'horreur, on finit par oublier que tous ses détails que l'on déteste font partis de l'essentiel:n'est pas film d'horreur qui veut!
Une fois sur les rails, on est totalement plongé au coeur de ce projet Lazarus, qui fait référence bien entendu à Lazare disciple catholique ressuscité par Jesus himself... oui, enfin c'est que ce que dit la religion et les textes sacrés.
La vraie référence du film est sans aucun doute L'Expérience Interdite et discutable, remise au goût du jour. Autre référence eighties: on entrevoit un peu de Freddy Krueger qui vient prêter griffes fortes à nos héros, dans leur expérience ésotérique, ce qui n'est pas pour me déplaire. Ceci s'adresse aux aficionados: certaines caractéristiques de ce projet rappelle aussi Dark Willow.
Le scénario se tient parfaitement et crescendo fait monter la pression pour une fin vraiment inattendue et surprenante. On retrouve aussi dans le film Olivia Wilde qui décidément ne troquera pas sa blouse de médecin, éternelle Numéro 13, dans un rôle qui lui va comme un gant... Peut être a t elle trouvée son registre?!
Pour l'heure, ce petit film a tout d'un grand. Les effets de surprise sont présents et surtout maîtrisés. La mise en scène est bonne. La bande son est efficace. Tant d'efficacité est un tour de passe passe pour tout faire rentrer dans une heure vingt trois, je dis, record à battre.
Avis aux amateurs
Avec Mark Duplass, Olivia Wilde, Donald Glover et Evan Peters - Metropolitan Filmexport - 11 mars 2015 - 1h23
The Voices
Marjane Satrapi vient de la bande dessinée. Pour son nouveau film, on devine ses premiers amours. The Voices aurait pu être une réjouissante farce: juste une série B statique!
The Voices est une comédie d'horreur. Un choix surprenant pour l'auteur de Persepolis. Marjane Satrapi s'est exportée aux Etats Unis pour se confronter à la culture américaine, si intrigante mais passionnante. Elle tire vers une figure majeure de la série B et du thriller: le serial killer.
Il a la tête de Ryan Reynolds, bellâtre au regard vide comme une baignoire trouée. Il travaille dans une usine qui fabrique des éléments de salle de bain. Il est un peu mystérieux pour ses collègues. Il n'est pas insensible au charme d'une comptable anglaise. Cela suffira à réveiller chez lui d'étranges pulsions et nourrir des discussions avec son chien bienveillant et son chat sauvage.
Satrapi revisite donc l'esprit de Psychose et toute la descendance sanguinolente. C'est un film d'atmosphère. A trop travailler les images et les détails souvent savoureux, le film se coince dans une mécanique froide où Satrapi fait plus preuve de cynisme que de passion.
C'est dommage car esthétiquement les images sont belles. Les corps sont drôles. Mais il y a peu d'humanité, juste des bonnes répliques (10 ans de psychanalyse en dix secondes, belle réflexion sur le métier) et des conventions traités avec un peu trop de recul pour y découvrir une véritable honnêteté.
Finalement la réalisatrice ne fait pas rire mais ne fait pas frémir non plus. The Voices, avec son concept plutôt intéressant, avait tout d'une belle promesse mais déçoit. La fable est un peu lourdingue. La réalisatrice ne célèbre pas les clichés: elle les coince dans des kitscheries qui finissent par agacer à force de répétitions et un coté théâtral ennuyeux. Un peu de liberté, c'est ce qu'aurait dû amener l'iconoclaste réalisatrice: on découvre un spectacle tristement statique. Aussi plat qu'une planche de bédé!
Avec Ryan Reynolds, Gemma Arterton, Anna Kendrick et Jacki Weaver - Le Pacte - 11 mars 2015 - 1h40
Strip-tyque, Essaion
Une œuvre originale et audacieuse mais qui aurait pu être encore plus voluptueuse.
Anne de Broca et Erwan Daouphars forment un duo osé et touchant dans ce spectacle original mêlant le chant, la danse et le théâtre sur les magnifiques airs de bandonéon de Pablo Nemirovsky.
Suaves, sensuels et suggestifs, mais malheureusement plus dans leurs solos que dans leurs interactions, Anne de Broca et Erwan Daouphars partagent avec nous leurs fantasmes et autres tiraillements sexuels. On se délecte de leurs libertinages dont le récit est souvent comique parce que d’une chaleur entremêlée de froideur scientifique. On découvre la voix de Anne Broca en chanteuse de tango grave et déchirante et l’humour d’Erwan Daouphars qui, bien que graveleux, garde toujours une certaine retenue élégante.
Seul petit regret, que la danse ne soit pas plus lascive, endiablée, limite licencieuse et ne porte pas le spectacle jusqu’à l’état de semi-transe qu’il s’évertue à décrire.
Jusqu’au 21 avril 2015, les lundis et mardis, à 21h30, au Théâtre de l'Essaïon
Pièce érotique en trois actes sur partition tango
Mise en scène Anne de Broca (assistée par Muriel Piquart)
Denys Treffet
Avec Anne de Broca et Erwan Daouphars
Pablo Nemirovsky au bandonéon
Circles
Bon alors ca donne quoi le rock estonien? On est quand même très loin de l'Eurovision...
Si je vous dis musique puis Estonie, je suis sûr que vous me répondrez Eurovision! Bah oui ce petit concours où chaque pays du vieux continent mélange les vieilles traditions avec le mauvais goût absolu. Chaque pays a droit de faire ce qu'il veut surtout si c'est du grand n'importe quoi. A chaque fois, notre pays de mélomane finit dernier: on ne se lâche pas assez dans les paillettes et les sons tout pourris!
Mais revenons à nos nouveaux copains, Ewert & the Two Dragons, venus du nord de l'Europe. Eux aussi, ils ne ressemblent pas aux astronautes envoyés sur la planète Eurovision. Le quatuor a l'air normal: des musiciens calmes, posés et adeptes d'un rock calme et posé. La voix rappelle un peu celle de Travis. Le style a plus à voir avec Mumfords & sons. Pas mal comme références!
C'est surtout leur disque qui est pas mal du tout. Rien d'un grand album mais si les gars chantent en anglais, il y a bien une petite singularité dans leurs compositions qui fait la différence. Visiblement ils ne sont pas adeptes de l'effort électrique mais proposent une vraie musicalité avec des instruments acoustiques et quelques sons bien chauds.
C'est de la folk enjouée, qui donne l'envie de faire un tour en ville ou dans la nature. C'est de la musique pour s'aérer la tête et s'éloigner du quotidien. Ewert et ses trois copains sont encerclés de bonnes vibrations et ils réussissent à les transmettre en quelques chansons. On est en territoire connu mais ca ne dérange pas du tout car c'est fait avec beaucoup de coeur.
Pour le dépaysement et les ambiances baltiques, on est très loin du compte. Mais pour un bon moment de musique, Circles remplit sa mission. Leurs dragons ne crachent pas très fort mais ils impressionnent par leur maîtrise. Ils ont pris leur envol dans des pays voisins, ils seraient tant qu'on les laisse atterrir ici!
Sire - 2015
Space Oddities – 1975-79
Attention album kitsch, aux sources de la musique électronique et responsable de pas mal de poilades!
C'est le genre de disque qui fait franchement rire. Musicien hors pair, Jean Pierre Decerf n'a jamais connu la gloire et le succès. Brillant arrangeur, il fut dans les années 70, un pionnier dans la maltraitance de synthétiseurs et d'autres machines électroniques qui faisaient de la musique en imitant un vieil ordinateur de 20 kilos! Mais il a su en tirer le meilleur comme le résume cette anthologie assez jouissive!
Avec des titres comme The Orion Belt ou Blazing Skyline, on devine qu'il avait la tête dans les nuages et qu'il devait apprécié les délires psychédéliques de King Crimson ou de Pink Floyd. Mais dans ses créations, il y a mis du sexy, du frenchy, du moustachu: ses chansons pourraient être dans un bon porno de l'époque avec du poil et des polissonneries.
On ne veut pas dénigrer néanmoins les efforts de l'artiste. C'est assez original et finalement le disque offre un autre impression. Evidemment c'est vintage mais les influences jazz sont là et effectivement ce disque est un vrai dépaysement grâce à ses envies de rock prog. C'est de la bonne musique, à prendre au sérieux.
On se rend compte que les rois de la French Touch y ont trouvé un vivier d'inspiration. Les années 70 sont concentrés sur une dizaine de chansons assez irrésistibles et fortement marquées par les expérimentations sonores de Jean Pierre Decerf. Pour les aventuriers de la musique, ce disques est quasiment une découverte archéologique!
Bad born records - 2015
Not I, Footfalls, Rockaby, Samuel Beckett, Athénée Théâtre Louis Jouvet
Une performance exceptionnelle, une tournée qui fait halte à l'Athénée Théâtre Louis Jouvet pour 5 représentations.
L'accueil de l'Athénée vous le précise d'emblée: ce soir, vous assistez à une performance plutôt qu'à un spectacle; le silence complet est requis; l'obscurité totale régnera, au début et entre les 3 courtes pièces (même les sorties de secours seront exceptionnellement éteintes!). Donc, nous voici prévenus et plongés dans le noir. S'il faut ménager l'artiste Lisa Dwan, seule en scène, ce n'est pas qu'elle marche sur un fil ou qu'elle accomplisse des acrobaties délirantes, non... à moins que...
A moins que: débiter un monologue en un souffle de dix minutes, sans avaler sa salive, plus vite que la vitesse de la pensée, donnant l'impression que des pensées s'entrechoquent... qu'arpenter un couloir sur le pas de porte de la chambre de sa mère mourante, marcher comme sur le fil du rasoir, répondre sans blesser, gardant pour soi la peur... que convoquer les dernières paroles proférées et les dernières pensées d'une vieille femme solitaire... soient autant d'acrobaties de la pensée et de risques assumés ?
Car l'enjeu pour l'interprète est tout simplement: ne pas céder à la folie. C'était le vœu de la comédienne Billie Whitelaw, qui a créé "Not I" sous la direction de Beckett, et pour qui le dramaturge a ensuite écrit "Footfalls" et "Rockaby". Billie Whitelaw a partagé son expérience et ses notes de travail avec Lisa Dwan; et c'est Walter Asmus qui dirige cette dernière dans cette nouvelle production. Walter Asmus, directeur de théâtre, metteur en scène et dramaturge, a été un proche collaborateur de Beckett dès les années 70. Donc, ce qui se donne à voir à l'Athénée Théâtre dans cette performance, c'est une des filiations directes de l'auteur. C'est intéressant quand on sait à quel point son oeuvre est le seul testament qu'il a laissé; en effet, Beckett a toujours refusé de se prêter au jeu des interviews et de commenter son travail.
"Not I" fait penser à James Joyce (que Beckett a connu et traduit vers le Français): un texte écrit comme un "courant de conscience", un long monologue intérieur, un flot, chez Beckett pas toujours rationnel, mais entrecoupé, perméable aux bruits extérieurs, aux autres individus et incontrôlable comme l'inconscient.
"Footfalls" et "Rockaby" illustrent notamment ce moment possible (le vivrons-nous ?) où un individu, vieux, malade ou fatigué de la vie, se dit tout simplement: "j'ai assez vécu, ça suffit", et où, malgré l'absence de volonté, la vie s'attarde, tenace comme la racine d'une mauvaise herbe, aussi contrariante qu'un parasite.
Les lumières élaborées par James Farncombe donnent encore plus d'étrangeté à cette performance parfois fantomatique.
Il faut souligner la belle présence, féminine et sauvage, grave et troublante, de Lisa Dwan. On découvre un au-delà de l'interprétation. Il s'agit plutôt d'une incarnation, de l'ordre du magique ou du chamanisme.
Enfin, la langue anglaise (le texte n'est pas traduit) n'empêche pas la compréhension des situations. On saisit toujours l'essentiel de l'état de confusion intérieure des personnages.
Vous pouvez voir ou revoir cette saisissante incarnation jusqu'au dimanche 15 mars.
le vendredi 13 et le samedi 14, à 20h,
le dimanche 15 à 16h,
à l'Athénée Théâtre Louis Jouvet: 7 rue Boudreau 75009 Paris • location : 01 53 05 19 19
Mº Opéra – lignes 3, 7, 8 et Havre-Caumartin – lignes 3 et 9
RER A Auber | plan et accès sur le site de l’Athénée