Amanuma
Manuel Bienvenu a l'air d'être un type très ouvert. Sur son disque, il indique le nom de la dizaine d'invités qui sont venus jouer sa musique. Ensemble, ils font un rock éclaté mais pas très bien construit. On se sent très bien dans Amanuma!
Français, Manuel Bienvenu a visiblement une vision sans frontière en matière de chansons. Son inspiration il la trouve chez Brian Wilson, Steely Dan, Frank Zappa ou encore les High Llamas. Ca peut faire peur car ces références sont tous un peu folles, capables de tous les délires et toutes les déconstructions du rock!
Une très belle ambition donc! Manuel Bienvenu ne se limite pas aux stéréotypes du rock. Comme sur la pochette de son troisième effort, c'est d'abord un joyeux bazar. Il a invité de nombreux copains et cela pourrait ressembler à un gros jam marqué par les harmonies des années 60.
Mais il faut y retourner dans les chansons: on y découvre des mélodies passionnantes car elles se cachent et se nourrissent mutuellement. Finalement les treize titres de Amanuma forme un bloc même si le style est loin d'être formaté! Une logique impressionnante se dégage de chansons libres, excessives parfois mais toujours maîtrisés et fascinantes à chaque écoute.
C'est un vrai coup de force: Manuel Bienvenu est aussi rusé que toutes les influences citées plus haut! On est entre un rock délicat et un jazz déliré. De ses amis, il tire le meilleur: une énergique amitié et un art précis de tricoter des refrains discrets et des ensembles musicaux complexes mais abordables. Comme les meilleurs disques, on y trouve de nouvelles choses à chaque passage. On est donc ravi de se repasser en boucle ce disque labyrinthique qui fait du bien aux oreilles! Un plaisir bienvenu!
Sphere France - 2015
2 Grains of Sand
Piers Faccini sort Two grains of sand, troisième album du folk man à la voix d'ange. Un album lumineux musicalement et sombre par le fond. A écouter.
Entrez dans l’univers de Piers Faccini. Voix proche du micro, Piers navigue dans un monde qui laisse exprimer une douce désillusion. on comprend mieux pourquoi le chanteur s’inspire d’ambiance gospel, de blues malien ou d’harmonies médiévales.
Plus blues que rock, la rêverie est en marche avec cet album de douze titres qui laisse tinter ses cordes sous toutes formes. Vincent Ségal, réalisateur d’un de ces précédents albums est repassé par là pour encorder certains morceaux et cela donne une jolie cohésion à l’ensemble. La guitare est présente dans tous les titres. La proximité du duo guitare-voix nous laisse parfaitement imaginer l’écrivain Piers penché sur sa guitare pour élaborer des mélodies aux courbes plus que séduisantes. Piers a quasiment produit l'album tout seul.
Piers ne cherche pas à en mettre plein la vue mais à l’oreille suffisamment fine pour nous étonner avec des morceaux d’une étonnante efficacité. « Two grains of sand » ouvre l’album sur des phrasés vocaux qui nous rappellent un certain Benjamin Fincher. D’autres l’apparenterait à Sufjan Steven, Ray LaMontagne ou Bonnie Prince Billy. Qu’importe, les voix doublées s’entremêlent, alors quand la deuxième s’envole à la tierce, le frisson est garanti.
D’autres morceaux penchent naturellement dans le rock. « A storm is going to come », rappelle la grille d’accords du « A l’envers à l’endroit » de Noir Désir mais si Canta plonge la structure dans une répétition martelée et rock, Piers la fait basculer dans une marche à l’harmonica qui relancera “the thunder has begun” et qui sent bon la version concert. On sent déjà les impros venir à grand pas. … Une boucle pour simplement dire encore. Le morceau dure 5’33’’ mais on ne s’en lasse pas. Une harmonie qui percute.
D’autres s’inspirent du blues malien d’un Ali Farka Touré, notamment dans les intros, « Your name no more » ou « time of nought » qui reprend des structures orientales pendant le morceau. L’art de transformer la guitare en luth !
Dans la douceur, Piers est imbattable. Quand il rappelle à la mémoire la disparition d’un être cher emporté par une overdose (Who Loves The Shade) à travers une ballade nostalgique et lucide. Quand il clôt l’album avec « My Burden is light », une complainte qui termine avec simplicité et dénuement l’album.
« Two grains of sand » est à découvrir au calme. Les couleurs et les différentes textures vocales incitent à la rêverie et séduiront à coup sûrs vos oreilles. Apaisant et charmeur. A écouter.
Tot ou tard - 2009
Connexions
Une lente glissade vers le drame où nous sommes accompagnés par un écrivain virtose et des personnages humains, trop humains.
Au milieu des années 2000, ce roman entrelace le destin de cinq personnes dans un Los Angeles désincarné. Tout commence et tout finit à l’aéroport (LAX) entre la mi-novembre et la mi-décembre.
Les personnages ne sont guère reluisants de prime abord. Un ex taulard tente une difficile reconversion et cherche à s’éloigner de l’alcool et de la drogue. La fille de l’ex taulard amoureuse d’une femme qui la quitte, gagne sa vie en faisant la vaisselle sur son Campus. Le frère de l’ex taulard, un ancien du Vietnam, tient un bar à l’aéroport et cherche avant tout à être peinard (comme tous ceux qui ont déjà trop vécu et perdu).
Ajoutons un homme qui s’occupe de nettoyer les cabines d’avion. Soudainement viré, sa vie va perdre de sa stabilité et virer dans la folie. Sa femme, une Philippine fille-mère profondément pieuse, vend des produits de beauté en cachette de son mari pour mieux le quitter.
Leslie Larson nous entraine, dans son premier roman, dans un quotidien aux fins de mois difficiles. Un univers où les sentiments sont des bouées auxquelles on tente maladroitement de se raccrocher.
Construit sur une alternance de points de vue, Connexions permet de passer d’un personnage à l’autre dans un processus cinématographique qui rappelera Collisions de Paul Haggis ou Short cuts de Robert Altman, deux grands films situés au même endroit. Mais Leslie Larson apporte la profondeur des caractères, l’enchevêtrement de leurs pensées, de leurs désirs. Elle brasse une pâte humaine qui permet de combler le vide d’un lieu qui n’est pas fait, pensé pour l’être humain, un entrelacs d’autoroutes et le désert.
Ce sont plus de 400 pages qui se dévorent en quelques heures ou jours. Aucun des hommes et femmes décrits ne sont aimables. Cependant, tous sont nos frères et sœurs dans le difficile métier de vivre.
On aimerait lire un roman Français qui assumerait une écriture simple et limpide et des héros qu’on rencontrerait dans les hyper ou supermarchés en faisant ses courses. Bien sur, les écrivains français font leurs courses mais ils sont essentiellement concentrés sur eux-mêmes et leur nombril qui prend des proportions de grotte préhistorique.
En attendant leur réveil, plongez-vous dans Connexions.
10/18 431 pages
Philippe Sendek
Projet Almanac
Que faire lorsque l’on peut voyager dans le temps ? Si vous posez cette question à une bande de lycéens américains, ils iraient simplement faire la fête dans un festival de musique trop cool et chercheraient à se rouler des pelles !
Voilà le beau sujet de Projet Almanac, qui va nous en dire beaucoup sur les mœurs bizarres des adolescents d’aujourd’hui. Produit par MTV et Michael Transformers Bay, ce petit produit de consommation vous demande de déposer vos neurones à l’entrée de la salle. Il ne vous servira à rien.
Un brillant lycéen découvre ainsi que son papa a conçu une machine pour voyager dans le temps. Il a deux copains geek, une sœur canon et sa découverte va attirer la bombasse du lycée dans ses filets. Comme Michael Bay produit la chose, nous avons droit à deux jolies actrices, aussi crédibles dans un lycée qu’un bon mot d’esprit dans notre fameux Almanach Vermot ! Leurs cuisses fermes et bronzés soutiennent l’intérêt car les autres têtards sont transparents !
Le film aurait pu être un hommage aux années 80 (type Explorers de Joe Dante ou Retour vers le Futur) avec un peu de poésie et de psychologie. Non, c’est un bon gros found footage de gueule, qui n’arrive même pas à respecter le principe de la réalisation à la première personne !
C’est, hélas, juste un film pour consommateurs de boissons énergisantes et de hits commerciaux. Ils sont assez désespérants. On devine un concept marrant mais à la fin, on se demande si la lecture du Vermot ne serait pas plus divertissante. C’est dire…
Avec Jonny Weston, Sofia Black D’Elia, Michelle de Fraites et Allen Evangelista – Paramount – 25 février 2015 – 1h40
Judith Chemla aux 3 Baudets
Concert privé d’une comédienne à la voix d’or qui a surjoué sa partition devant un public d’amis.
Avec un cheval à la batterie et un berger allemand à l’accordéon, l’entrée en scène des musiciens masqués au Trois Baudets promettait un concert singulier... qui s’avéra raté.
La comédienne Judith Chemla, ancienne pensionnaire de la Comédie française, a une voix. Tantôt puissante. Tantôt douce, lyrique et jazzy. Aux Trois Baudets elle l’a forcé, s’est agitée. On l’a vu minauder et on s’est ennuyé.
La déception est d’autant plus grande que Judith Chemla a un talent fou. Elle chante en araméen, en anglais comme en français ou en arabe. Ses voyages comme ses rencontres l’inspirent. Elle transporte au gré d’un répertoire sans frontières.
Dans L’annonce faite à Marie de Paul Claudel aux Bouffes du Nord, Judith Chemla nous avait émus par son interprétation de Violaine. Elle avait repris avec beaucoup d’humilité la musique de la pièce signée Camille Rocailleux au Festival Madame Lune. On avait alors vu une chanteuse sur scène. Alors qu’aux
Alors qu'aux Trois Baudets elle s’est donnée en spectacle et l’on a vu la comédienne chanter. Dommage. Ce soir-là aux Trois Baudets Judith Chemla a chanté pour elle et pour ses amis mais pas encore pour le public. Une prochaine fois.
www.lestroisbaudets.com et en mai juin aux Bouffes du Nord
American Sniper
Le grand Clint Eastwood est en petite forme pour nous raconter les douleurs de la guerre.
On ne va pas lui en vouloir. A plus de 80 ans, papy Eastwood a le mérite de travailler comme un chef d’orchestre. Il fait des films régulièrement et il ne les bâcle jamais. On reconnait l’humaniste désabusé et le libertaire forcené dans ce nouveau film de guerre et un auteur au classicisme assumé.
Figure mythologique du cinéma, surnommé le dernier des géants, Clint Eastwood filme donc une authentique histoire américaine : le destin de Chris Kyle (joué par un Bradley Cooper massif et expressif comme une poutre), légende des snipers et héros de l’armée. Ce dernier s’est illustré en Irak. Il a sauvé des vies en tirant sur un nombre très conséquent d’ennemis. Même quand ces derniers sont des enfants.
Eastwood n’est pas un béni oui oui. La guerre, c’est traumatisant et Chris Kyle est un homme hanté par ses démons, qui lui demandent de revenir sur le terrain. Sage, le réalisateur d’Impitoyable, joue sur toutes les ambigüités de la guerre.
Il ne juge jamais. Conservateur mais ouvert, Clint East s’est déjà fait taxé de fasciste. Il a bien souvent montré qu’il voulait à travers ses films regarder au-delà du bien et du mal. Mais ici, il n’arrive pas à se libérer d’un patriotisme texan, un peu lassant.
Son héros se rêvait cowboy mais la figure du militaire courageux a depuis bien longtemps été égratigné au cinéma depuis la guerre du Vietnam et plus récemment dans le dépouillé et oscarisé Démineurs, film un peu jumeau d’American Sniper.
Pourtant Eastwood s’y attache et perd un peu de sa superbe. Lucide sur le conflit, il s’égare dans l’éloge du devoir accompli et du sacrifice du soldat. Il est moins critique que dans Mémoires de Nos Pères et Lettres d’Iwo Jima. Son film devient répétitif et s’enferme dans la logique du héros. Dommage car Chris Kyle fut tué par un vétéran de la même guerre. Ici, c’est une anecdote qui conclut le film, alors que c’est le vrai sujet de ce type de films : que faire des soldats, abimés par la violence et la guerre ? Eastwood s’est peut être trompé de film. Entre nous, on vous conseille de revoir l’exacerbé Maitre de Guerre. Beaucoup plus fun et moins pompeux !
Avec Bradley Cooper, Sienna Miller, Jake McDorman et Luke Grimes – Warner Bros – 18 février 2015 – 2h12