Lacrimosa
Roman épistolaire dans lequel l’auteur entame un dialogue post mortem avec une amante suicidée, Lacrimosa est l’un des romans importants de la rentrée littéraire.
“Chère Charlotte. Vous êtes morte sur un coup de tête d’une longue maladie. Le suicide a déferlé dans votre cerveau comme une marée noire, et vous vous êtes pendue.”
Ainsi débute la correspondance que le narrateur va entretenir avec sa chère morte qui, de l’au-delà, prendra la peine de toujours lui répondre. Non pour le remercier de ses épanchements ou de ses souvenirs attendris, mais pour lui dire sans ménagement qu’elle n’est dupe de rien et surtout pas de ses tentatives d’embellir la vérité.
Avec ce roman intimiste qui flirte “dangereusement” avec l’autofiction, Régis Jauffret se livre à un exercice auquel il ne nous avait pas habitué. Mais il est des circonstances où la vie oblige à certaines compromissions. Ou, à tout le moins, à certaines obligations. Celle de rendre un hommage sincère à une femme aimée, trop tôt disparue, par exemple.
En choisissant la forme épistolaire, il évite toutefois l’écueil du pensum bouffi de nostalgie larmoyante. Sans rien renier, ni rien céder au pathos, il reconstitue une histoire en pointillé qui n’a sans doute pas été la plus intense de son existence, mais qui l’a bouleversé profondément.
On est touché par la sincérité du propos, par les tatonnements de la narration, par la volonté de reconstituer ces instants de vie disparus. On est aussi reconnaissant à l’auteur de la crudité de ses mots, de son ironie, de sa fantaisie et de son absence d’indulgence envers lui-même. On ne lit d’ailleurs pas Lacrimosa comme une oeuvre tendant à la perfection formelle, mais comme une déclaration d’amour post-mortem : humaine, entière et désespérée.
Fallait-il pour autant l’écrire ? Tout comme Charlotte en fin d’ouvrage, on ne peut éviter de se poser la question : “Ton chagrin, tu ne pouvais pas le garder pour toi ? C’était un triste trésor quand même et tu l’as dilapidé ! [...] Ton chagrin, tu voulais que tout le monde le goûte !”
218 pages - Gallimard
Birdman
Grand vainqueur des derniers Oscars, Birdman a toutes les qualités et les défauts de son cinéaste, auteur de Babel, 21 Grammes et autres drames qui ne font pas dans la demi-mesure.
Son style va pourtant bien à la folie qui habite Riggan Thomson, ancienne star d’Hollywood qui décide de monter une pièce de Raymond Carver à New York. Le bonhomme est hanté par son personnage de super-héros et il doit ainsi se découvrir acteur plutôt que star has been.
Un long faux plan séquence va donc nous conter la lente mutation de ce type torturé qui doit en plus subir les foudres de twitter, de comédiens mégalos, d’une fille droguée et d’un producteur un peu cinglé. Dans son théâtre de Broadway, la comédie lorgne souvent avec le tragique sur scène comme en coulisses.
Alejandro Gonzalez Inarritu est un virtuose. Sa caméra est omnisciente. Elle se promène dans le temps, l’espace, dans un unique élan qui effectivement impressionne. Il mérite son Oscar. Il a bien bossé et nous en met plein les mirettes.
Cependant cette extraordinaire talent possède lui aussi un ego qui finit par gêner : que raconterait Birdman s’il n’était pas filmé avec cette vitalité hors norme ? Peut-être une comédie dramatique sur la déchéance ! Ou une critique méta amusante sur le statut de star ou de comédien ! Mais rien de transcendant.
On s’amuse donc avec les clins d’œil à Hollywood et Broadway. Le « name-dropping » fonctionne à plein régime. Michael Keaton, ancien Batman, se lâche dans ce personnage qui lui ressemble beaucoup. Tous les acteurs sont électriques, proches de l'hystérie. Cela va avec le propos.
Sûr de ses forces, Inarritu se plait à critiquer le narcissisme mais avec sa mise en scène tapageuse tombe aussi dans une position de « m’as-tu vu ». L’énormité de la mise en scène empêche le spectateur de comprendre les personnages et les envies du cinéaste. Reste la spectaculaire virtuosité qui pourrait faire date effectivement…
Avec Michael Keaton, Emma Stone, Edward Norton et Naomi Watts – Fox Searchlights – 25 février 2015 – 2h
Spartacus et Cassandra
Une histoire vraie de deux enfants roms. Sous forme de témoignage, ce premier film du jeune réalisateur Ionis Nuguet touche en plein cœur.
Spartacus et Cassandra sont deux enfants roms. Venus de Roumanie à l’âge de 4 et 7 ans, ils vivent, cahin-caha, avec leurs parents, entre la rue, la mendicité, les expulsions. Camille est une artiste de cirque. Elle a planté son chapiteau et sa caravane non loin de leur lieu de vie. Petit à petit, elle s’attache à eux. Elle commence par les héberger puis devient leur famille d’accueil. Elle les cadre en valorisant l’école tout en leur offrant des moments de légèreté au naturel.
Aller voir Spartacus et Cassandra, c’est entrer dans un univers intime et poétique. Malgré la précarité du quotidien, la saleté, l’isolement, on danse, on chante, on s’aime. Le film mène à l’acceptation de la différence. Il fait découvrir des réalités loin des grands discours. « C'est une histoire d'amour à multiples facettes. D'une famille élargie. Celle qu'on ne subit pas. Celle qu'on se choisit. Sans trop oublier celle de ses origines», comme écrit Claire Rafin sur son blog Mediapart
Les enfants sont narrateurs de leur propre histoire. Tiraillés entre l’amour pour leurs parents au-delà de leurs fragilités, la peur d’être ingrats, ils nous confient en voix off leurs sentiments. Empli de dureté et de créativité, le film ne cache pas les heurts, les errances, les doutes mais il les dépasse.
Pendant 3 ans, le jeune réalisateur Ioanis Nuguet a plongé sa caméra dans le quotidien de cette famille rom. Il signe un premier documentaire prometteur tant par l’intelligence du propos, que le choix des scènes et la façon gracieuse de tourner la complicité frère-sœur, l’univers d’artistes engagés, la vie en équilibre. Allez-y !
Nour film - 11 février 2015 - 1h20
Electrosensible
Electrosensible, un tire bien trouvé pour un disque qui nous rappelle que le rock est une histoire de coeur et de tripes.
L'aventure de Pat Kebra débute en 1978. Une éternité pour certains. Une époque glorieuse pour les punks, leurs mauvaises manières et leurs hymnes décadents. Pat Kebra fonde avec quelques potes rebelles, Oberkampf, auteur de de quelques titres bien sentis.
Ils hantaient le Gibus et le Bataclan. Ils ont rapidement explosé, comme tout bon groupe de punk qui se respecte. No future pour Oberkampf mais Pat Kebra n'a jamais baissé les bras depuis. Il s'est bonifié avec le temps. Du punk, il a dérivé vers des rives plus calmes mais où il peut conserver son authenticité.
Et lorsque l'on dit plus calme, cela reste du rock musclé, sans fioriture mais avec passion et rage. Pat Kebra aime les pochettes proches de la bédé! Il a tout d'un héros qui se bat seul contre tous, un défenseur noble d'un rock français qui ne se compromet pas.
Electrosensible est un titre bien choisi pour ce troisième album. Il y a du coeur et de l'énergie. Les esprits chagrins diront qu'il n'y a rien de nouveau. Mais il faut reconnaître que ces treize chansons sont écrites avec une détermination qui se conjugue avec une franchise qui électrise.
La première chanson se nomme Confidences. Les suivantes pourraient s'appeler elles aussi confidences. Ce type est un écorché vif mais surtout un amoureux de sa guitare, du rythme binaire et de tous les démons qui hantent le rock'n'roll. Il met tout dans ses chansons. Cela se ressent. On le remercie pour cela! On se sent vivant après l'écoute de son disque. Et c'est une qualité rare qui fait toujours plaisir à entendre.
Rue Stendhal -2015
Argent, dette et music-hall ! Création collective de Stefano Armori, Nigel Hollidge et Armel Petitpas
Du 19 février au 3 mai au Lucernaire
Paillettes et claquettes, magie et chansonnettes, tout est en place pour faire sourire au tempo du music-hall ! Trois comédiens nous étonnent sur scène pour nous conter la longue histoire croustillante de l’Argent…
L’Argent, la monnaie, le flouze, l’oseille, les sous, le blé, balance le fric ! Sur la forme du music-hall, nos drôles de comédiens retracent la sombre, joyeuse et trébuchante histoire de l’argent.
Si bien des thèmes ont été traités en art, l’argent n’est pas côté. C’est vrai qu’à première vue, cela ne fait pas rêver mais plutôt grincer des dents… Mais justement, cette troupe fait le pari de nous en amuser et de nous émerveiller avec tours et détours par les coulisses.
Le show se fait tour à tour magie, danse, chanson, mime. Nous sommes transportés dans les années 30 lorsque le music-hall permettait de se divertir des traumatismes de la dépression en musique comme un sombre écho de l’ambiance actuelle de notre société.
Le détour vaut également pour les coulisses. Le clinquant de la scène se fissure et les personnages révèlent leur vraie nature. Au royaume du show business, tout n’est pas rose…
Ce spectacle se savoure comme une tragi-comédie aux allures hollywoodiennes qui appuie là où cela fait mal mais loin d’être douloureux, on en redemande !
LE POULPE POLAR ÉLECTRO-CONTÉ
De Julien Tauber
Avec Abbi Patrix, Phil Reptil et Vincent Mahey
La Compagnie du Cercle / Studio Sextan
DU 10 AU 28 FÉVRIER 2015 I Mardi, mercredi et vendredi à 20h30, jeudi à 19h30, samedi à 17h I Durée 1h30
Le poulpe c’est quand même un drôle d’animal. Accoudé à son zinc, une bière à la main, il dégaine son journal favori et la suite…. Vous l’a connaissez ! Le poulpe il part toujours dans des drôles d’aventures dont il s’en sort toujours indemne.
De l’inquiétante Rungis aux îles exotiques, Le poulpe, alias Gabriel Lecouvreur, va s’enfoncer jusqu’au cou dans une histoire louche de tête décapitée aux oreilles coupées… De l’action, de la poésie, des histoires de bagarre et de coquettes, la malice du poulpe te donne envie de marcher dans ses pas et d’écouter sa drôle d’histoire.
Le poulpe, alias Gabriel Lecouvreur, alias Abbi Patrix, nous transporte dans un polar qui fait appel à notre imaginaire. Seul sur scène, Abbi Patrix donne vie au Poulpe. Nos oreilles et nos yeux sont en alerte, suspendus aux lèvres du conteur.
Dans une atmosphère moderne où le son est essentiel, nous suivons cette histoire comme hypnotisés. Avec l’aide de ses compères Phil Reptil et Vincent Mahey il nous délivre une partition sonore extrêmement vaste allant de douces mélodies à des sons d’immersion très réalistes.
Brouillades aux Embrouilles
Ancien flic devenu détective privé, Leo Loden, au fil de ses aventures, raconte avec humour le Marseille qui fait les gros titres de nos journaux. Dépaysant.
Depuis 1991, Leo Loden poursuit les gangsters de la cité phocéenne. Il ne manque pas d’humour pour arrêter des suspects en tout genre et décortiquer la vie des bas-fonds de la ville. Avec son oncle, alcoolo sur les bords, Leo Loden est devenu un guide cynique et sympathique.
Arleston est au scénario depuis la création de la série et apporte toujours un semblant d’actualité à des intrigues décontractées. Cette fois ci, Leo Loden doit retrouver l’un de ses indicateurs qui se retrouve malgré lui dans un trafic d’armes !
Le problème des cités de la ville sert de toile de fond, tout comme l’influence des religieux sur certains jeunes ! Pas mal pour un divertissement. Car ce qui compte ici c’est l’enquête et les blagues. La vie des dockers est croquée avec gourmandise (le petit jaune à dix heures du matin). Et la vie du détective est chahutée par l’arrivée prochaine d’un bébé.
C’est beaucoup plus exotique que Plus belle la vie. On est dépaysé par cette série qui joue habilement entre un classicisme narratif et une description sincère de Marseille. Pas de révolution mais un bon moment dans le sud de la France. On entendrait presque le bruit des cigales !
Leo Loden T.23– 48 pages – Soleil – de Arleston, Nicoloff et Carrère