L’Enquête

L’affaire Clearstream pour les nuls ! Le réalisateur de Présumé Innocent refait un nouveau film proche de l’actualité pour tenter de nous éclaircir sur un sombre secret d’état !

Après le procès d’Outreau, le réalisateur Vincent Garenq s’intéresse une nouvelle fois à un vrai sujet avec un vrai scandale, des vraies saletés, juridiques et financières, et des vrais drames, humains et politiques. C’est un dossier à charge. Inspiré du calvaire du journaliste Denis Robert, L’enquête raconte donc les soubresauts étranges et spectaculaires de l’affaire Clearstream.

On sourit quand on entend le nom de certains politiciens mais surtout on s’indigne bien souvent devant les découvertes du journaliste français autour de la banque des banques qui s’occupent de blanchir l’argent d’autres banques pour payer des commissions plus que douteuses.

Le point positif du film c’est l’habileté du cinéaste. Il nous perd avec des chiffres et des faits mais tout semble lisible. Une guerre entre deux géants de la vente d’armes devient donc un affrontement politique où Denis Robert va vite se noyer !

On connaît l’histoire mais on comprend par son récit, la folie qui a tout emporté autour de cette banque luxembourgeoise. Garenq fait son boulot mais respecte un peu trop les codes du film débat. On doit donc se coltiner des parties conventionnelles où le héros, pris dans la tourmente, se détache de sa famille et se met en péril. C’est un peu simple et surtout ça sent fort le déjà vu.

L’enquête manque justement de folie. Le sujet s’y prêtait bien lorsqu’il faut décrire la folie des grandeurs d’un organisme financier visiblement hors de contrôle. Un ogre banquier qui méritait mieux qu’une mise en scène un peu terne, où l’excellent Gilles Lellouche passe beaucoup de temps dans sa décapotable au téléphone !

Pour info, le film semble avoir profiter d’un fort soutien de la Belgique pour sa production. On se demande bien pourquoi les Français se sont montrés si frileux. Après ce style de film, excusez nous de nous montrer un peu paranoïaque.

Avec Gilles Lellouche, Florence Loiret Caille, Charles Berling et Eric Naggar - Mars Distribution - 11 février 2015 - 1h45

QCM…le Quiz du Chrétien en Marche…sur KTO

qcm

Ouuuuuulalalalalalaala, cette semaine j’avais envie de vous offrir du fun, avec du bon Dieu dedans, de la foi en surcouche et du prends ta guitare et ton sourire et chante Jésus, sait-on jamais tu pourrais avoir une érection cathodique !

Vous êtes dès les premières lignes de cette chronique en droit de vous demander par quelle opération du saint esprit, un esprit pas très sain et pas très saint voire plutôt carrément branché sein comme le mien, a été amené à regarder KTO…et bien à dire vrai, je le jure, je ne me rappelle pas. Une intervention divine probablement, subtilement tournoyante dans mon salon un jour de pluie qui, afin de purger mon âme profane ou m’emmener à une session de confesse (j’aime ce mot) télévisuelle, m’a demandé de me caler devant la chaîne sponsorisée par le Vatican.

Ce soir là, en zappant sur ladite chaîne, alors que je m’attendais à atterrir sur un live from Rome de François 1er, mon regard curieux et avide de découverte était en mode « wowwwww, la tuerie » en voyant apparaître à l’image un dénommé Charlie Clarck, présentateur catholico-vintage avec coupe de cheveux piquée sans vergogne à Jimmy Neutron, lancer avec le dynamisme de Saint Julien Lepers de Notre-Dame, le jeu QCM, comprenez le Quiz du Chrétien en Marche.

Un décor d’annexes de presbytère avec des écrans en fonds arborant fièrement des peintures surement faites main par des prêtres aveugles soixante-huitards sous LCD, des pupitres rachetés aux enchères lors de la foire à tout organisée par l’amicale des techniciens à la retraite de Question pour un Champion et surtout surtout des candidats, au nombre de trois, hommage aux rois mages sûrement, avec un cerveau bien fait, des petits pulls ou des petits polos façon j’ai récupéré celui mon frère ainé, que mes 8 autres frères et sœurs avaient aussi porté, oui dans la famille je suis le 9ème mon père est militaire de carrière et ma mère directrice de l’association « Canevas, broderie et lecture de l’évangile » mais s’investit également dans les cours de rattrapage de catéchisme pour les enfants qui ont moins de 19 de moyenne au Collège St-Nicolas-de-la-félicité.

Et là mon pote, lors de la présentation de riri, fifi et loulou, vas-y comme ça envoie du bois. T’as dans l’ordre Bruno, Baudouin et Jean-Benoit, quasi 2be3 or not to B de par le fait, tous les trois issus de Grandes Ecoles et, le plus important, tous présidents ou impliqués comme des morts de faim dans la communauté chrétienne de leurs écoles. Vus les physiques et les raies sur le côté, t’imagines assez vite que ce ne sont pas les mecs qui dansent torses nus dans les soirées BDE spéciales intégrations et qui, dans un local au 8ème sous-sol de l’ESSEC, refont défont et rerefont des nuits entières des équations à 98 inconnus en se frottant le zizi sur la bible.

Bon alors le jeu commence, comme tout jeu qui se respecte, t’as des questions et puis si tu réponds bien aux questions et bah t’as des points…bon, jusque là, chrétien en marche ou pas, ça reste vieux comme le monde télévisuel apparu 1950 ans après JC lui-même. Mais attention, warning, be carefull, Operam ! (oui ça veut attention en latin, j’en ai fait en 4ème, depuis beaucoup moins), toutes les questions portent bien évidemment sur la religion, catholique, donc. Pas de sport, pas de loisir, même pas de question camembert marron du Trivial Poursuit génius hyper compliquée en littérature, non non non, que catho !

Alors autant Bruno et Baudoin, tu sens qu’ils sont en fin de cycle et qu’ils ne vont pas tarder à craquer leur slip en exigeant de voir une foufoune épilée pas tard, autant mon Jean-Benoit, sa meilleure amie, c’est la Bible, et il en bouffe matin-midi- et soir en dose Cathooolique addict grave.

Quand vient son tour, le garçon connait tout de tout ! A l’heure où les mecs de son âge se défoncent des nuits durant sur du David Guetta, bah lui, il révise et même une question aussi simple que « Quel est l’hymne de Paul à la Kénose, à l’humilité et la grandeur du Christ » (oui mon gars, ah bah celle-ci tu l’avais pas vu venir, c’est quand même autre chose qu’une question sur le nombre de médailles d’or obtenues par Carl Lewis aux J.O de Los Angeles en 84), mon JB se déboite pas et t’assomme d’un « Philippiens 2 » comme si on te demandait le nom de jeune fille de ta mère !

Par ailleurs, si on a longtemps moqué les cadeaux offerts par Larousse dans Question Pour un Champion à grands coups de dictionnaire encyclopédique du cinéma d’auteurs ou sur les cuisines du monde, là, les cadeaux pour les chrétiens en marche touchent de près les summums du « ah bah merde tout ça pour ça »…sponsorisée par les Boutiques de Théophile (non ce n’est pas un indien qui fait des sticks pour lèvres) ou autres marques de foufous, nos candidats repartent les bras chargés la croix dans le dos avec des bons d’achat leur permettant d’acquérir des aubes à pas cher, des pots de miel, des médaillons des Saint-Patron, à offrir pour la Saint-Valentin y’a pas mieux, ou encore des enregistrements audio de « Jésus mon seul amour »…ou comment épaté les copains les soirs de PSG-Chelsea quand tout le monde tourne à la bière et toi à la grenadine !

Voilà, mon Jimmy Neutron de présentateur n’en fini plus de nous épater avec des vannes high level qui sentent l’encens et la soutane, nos 3 candidats poursuivent jusqu’au bout de la nuit (vers 21h, donc, c’est déjà tard) leurs réponses sur les prophètes qui ont été nourris par les veuves de Sarepta, n’en jetez plus, fin de la récrée, retour au monastère, et moi je zappe sur Infosport+, je suis comme ça dans mon rapport à dieu, plutôt rugby.

A bientôt et que le god vous blesse.

Les Visages

Un très bon roman qui exploite avec finesse les failles et les hontes inavouées des familles.

Ce roman n’est ni vraiment un polar, ni vraiment un thriller. Il prend place sur l’étagère des sagas familiales du grand monde. Les riches n’échappent pas aux drames du hasard. S'ensuivent alors mensonges et dissimulatons pour sauver l'image d'une dynastie... Le tragique n'en a que plus de saveur...

Ethan est le descendant d’une riche famille américaine Les Muller. Galeriste new-yorkais, il est appelé par un ami de son père, Tony Wexler, pour donner son avis sur des dessins trouvés dans un des appartements du parc immobilier familial. Ethan hésite puis suit Tony. La découverte est à peine croyable. Le dessin sur une feuille A4 est une œuvre aussi folle que belle. Mais l’incroyable demeure dans la quantité et la performance de l'oeuvre. L’appartement est rempli de cartons du sol au plafond. Dans chaque carton des feuilles remplies de dessins. Cela représente des milliers d’œuvres d’art. Derrière chaque feuille de papier un numéro qui permet à chaque feuille de prendre place sur ce qui se révèle être une immense carte mentale.

L’auteur est Victor Cracke. Malheureusement il a disparu de l’appartement. Le début s’articule autour de la recherche de cet artiste énigmatique . L’écriture prend des accents de polar quand Ethan, narrateur, est appelé par un ancien flic à la retraite. Certains visages d’enfants représentés par Victor Cracke sont les copies conformes d’enfants assassinés. Plongé dans les enquêtes passées, Ethan aidera le flic à progresser dans le dénouement de l’enquête et découvrira parallèlement que son histoire familiale est en lien direct avec bien des traumatismes et des détresses affectives d’une rare cruauté.

L'écriture est de qualité. Les analyses psychologiques des personnages, le regard sur le milieu de l'art contemporain et notre société sont pertinents. Une jolie plume. A lire.

point - 474 pages

L’Autre, Françoise Gillard, Comédie Française

autre

Un spectacle surprenant, énergique et tendre, qui fait danser des acteurs, et réfléchir des spectateurs un peu décontenancés...

"L'autre", c'est la deuxième création chorégraphique de la comédienne Françoise Gillard (sociétaire de la Comédie Française). Nouvelle collaboration avec la chorégraphe Claire Richard, c'est aussi une nouvelle occasion pour ses camarades du "Français" d'abandonner leur langue habituelle (en vers ou en prose) et de s'essayer à cette chose étrange qu'est le langage du corps. Corps projeté, abandonné, maltraité, sauvé, embrassé ou porté. L'autre, c'est peut-être tout simplement le danseur pour le comédien et vice-versa.

Dans cette création, le son et la voix tiennent une place importante: Françoise Gillard a interrogé plusieurs dizaines de personnes qui ont enregistré sur dictaphone leur définition de l'autre: celui qu'on désire ou repousse, qu'on craint, etc. Leurs voix sont reproduites ici, et leurs paroles sont arrangées en une chanson originale composée par le groupe BaliMurphy: L’autre autrement et pourtant.

De ces définitions illustrées par la danse, on peut retenir: "l'autre est celui qui, à la fois, permet et empêche". Comme si, en société, les êtres étaient d'éternels enfants, qui ont besoin d'être tour à tour encouragés et stoppés dans leur élan. Ou encore: l'autre est différent, il évoque l'étranger, l'exotisme, l'aventure, et une certaine idée de la liberté. Avec l'autre qui ne nous connaît pas encore, on s'affranchit de la contrainte d'être soi, fidèle à soi-même (ou en tout cas, au seul moi qu'on se connaisse). L'autre nous révèle l'étranger en nous: tout ce qu'on ne connaît pas en soi. Et à ce titre, il ouvre une voie vers soi-même.

Le sujet appelle inévitablement à un jeu de miroirs. Une petite estrade inclinée vers la salle, recouverte de miroir devient une scène pour 2 danseuses, dans une pénombre étudiée, qui permet reflets et jeux d'ombres. Deux danseuses jumelles, l'une se découvrant dans l'autre, tandis que des percussions battent l'air crescendo. L'intime et le sauvage communiquent physiquement: la transe n'est pas loin...

La bande-son est éclectique, proposant musique électronique et chanson française, tandis qu'un comédien interprète un morceau enlevé au piano, en live. Sommet du spectacle: un ballet de mains sur une version inouïe du tube des années 80 "Voyage, voyage...": les acteurs-danseurs signent (en langue des signes) les paroles de la chanson devant des spectateurs médusés et émus.

 

Jusqu'au 22 février 2015

au Théâtre du Vieux Colombier à Paris (Comédie Française)

Afropéennes Eva Doumia

Afropéennes questionne l’identité féminine noire aujourd’hui. La pièce d’une grande richesse rassemble les textes de l’écrivaine camerounaise Léonora Miano sur les thèmes de l’émancipation, de l’héritage culturel et du poids des traditions, des relations amoureuses et de la solitude. Avec humour et énergie elle interpelle.

D’après des romans de Léonora Miano, Eva Doumbia met en scène quatre amies parisiennes de diverses origines africaines. Entre théâtre, danse et musique, elle transporte dans la France multiculturelle. Avec une Marseillaise rafraichissante !

« Léonora Miano a souhaité mon travail, elle a porté un regard dessus mais elle m’a fait confiance. La nouveauté de la pièce est qu’elle est écrite par une Afropéenne, mise en scène par une Afropéenne et jouée par des Afropéennes. Elle incarne leurs questions, leurs colères, leurs rêves. Les extraits de romans de Léonora Miano que j’ai choisis portent leur parole pour les rendre fières de leur identité.» explique Eva Doumbia, la créatrice de la pièce.

Une série de personnages nous raconte leur vie. On découvre les joies comme les souffrances d’une génération. Les quatre comédiennes s’approprient leur texte au point de laisser le doute… N’est-ce pas un récit de leur propre vie qu’elles nous livrent? Mention particulière à Alvie Bitemo qui incarne à merveille une mère puis une belle mère. Mémorable.

Afropéenne a le mérite d’interroger le public. Dans quel miroir se regarder quand les modèles de représentation pour les Noires de France sont Joséphine Baker, la Vénus noire et Beyoncé? Comment se construire avec les souvenirs de pilon, de mortier et de jumbe de ses parents quand on vit dans un quartier de Paris ? Comment concilier le poids des traditions avec l’aspiration d’une jeune femme moderne? Peut-on refuser l’héritage noir et créer sa propre histoire?

Dans le cadre d’un week-end Africaparis, le Carreau du temple se met aux couleurs et aux saveurs de l’Afrique. Créations artisanales, cours de danse, ateliers lecture et débats, contes et dégustations, une première afropéenne certainement suive de nombreuses autres!

 

Jusqu'au 22 février 2015

Carreau du temple

It Follows

Un film d'horreur trop joli pour être honnête.

Depuis que Scream a détricoté le slasher, sous genre sanglant où des adolescents se font terrasser par des psychopathes, tout le monde sait qu’il vaut mieux être vierge pour ne pas finir découper en mille morceaux dans ce type de films !

Dans la pudique Amérique, le sexe, c’est tabou ! Gare à ceux qui s’égarent dans les plaisir de la chair ! C’est bien ce qui  intéresse le jeune réalisateur indépendant Robert David Mitchell ! Il ne fait dans la demi-mesure : si tu couches avec quelqu’un, une malédiction te tombe dessus et c’est la mort sous forme d’inquiétantes apparitions qui te suivra le reste de ta (courte) existence.

La blonde Jay en fait la terrible expérience. Son amourette avec le beau Hugh vire au drame : il lui refile la malédiction et lui explique qu’elle doit coucher avec un autre pour s’en débarrasser. Merci pour le cadeau ! Pire qu’une MST !

La demoiselle et ses amis vont donc tout faire pour contrer cette force maléfique qui rode constamment autour d’elle ! La perte de l’innocence et le pouvoir de la libido sont donc au cœur de ce film d’horreur très underground, comme si Gus Van Sant imaginait The Ring !

Un cocktail étonnant mais douteux car le cinéaste est un peu trop contemplatif et joue avec des codes visuels que l’on voit trop souvent dans les films affichés « indépendants ». Derrière son habile mise en scène, il profite donc du concept horrifique pour dénoncer au choix, l’ennui existentiel, la responsabilité des parents, la crise à Détroit ou le port des culottes bouffantes. C’est au choix !

Il réalise donc son film avec une envie de tout bousculer mais peut être au détriment du genre même. Tout ceci pourrait être qu’un prétexte à de belles images de Détroit et de beaux plans de caméra, un poil trop précieux dans ces séries B !

Il ne faut pas bouder son plaisir. C’est bien joué. Le quotidien est bien croqué. La satire hante elle aussi le film. Mais le film manque de spontanéité et d’amour pour le genre. Le postmodernisme est un peu trop appuyé. C’est un film intelligent mais qui oublie d’avoir du cœur… et des tripes à l’image !

Avec Maika Monroe, Keir Gilchrist, Lili Sepe et Olivia Luccardi - Metropolitan filmexport - 4 février 2015 - 1h35

MamboPunk

Il a perdu son statut de DJ. Il s'appelle désormais Zebra. Il oublie un peu les bootlegs pour faire du rock énergique, presque naïf et profondément sympathique!

Ses bidouillages sont connus et célèbres. Il fut le bassiste des légendaires Billy Ze Kick et les Gamins en Folie. Au début des années 2000, il fait le succès de Oui FM avec ses bootlegs efficaces qui font rencontrer les classiques du rock et les beats sauvages. Zebra a une idée très libre de la musique et du rock en particulier.

Ce breton impétueux cherche au fil de ses aventures sonores, une émancipation et une liberté de voler sur différents territoires musicaux. On voulait le caser comme DJ: il décide de s'acoquiner avec un bagad, un groupe de musique typiquement breton. Une drôle d'idée bien farfelu. Il est appréciable de voir en tout cas un artiste oser des aventures loufoques et plutôt convaincantes.

Il refuse donc de s'arrêter à un style: aujourd'hui il fait du mambo punk. Zebra se livre sans détour. Il écrit et chante en français. Ce sont des compositions originales. C'est un rock français sans fioriture. Il s'éclate comme un petit fou derrière son orchestration classique et l'apport de cuivres dont il a toujours eu le secret.

C'est bien électrique comme il faut. Ca file la patate. C'est beaucoup moins surprenant qu'avant mais le technicien se voit désormais en vrai chanteur. Les paroles sont parfois un peu trop légères ou simplettes mais Zebra est resté un Gamin en Folie, un éternel adolescent qui a besoin de se dépenser ou se défouler. Il se lache sur un rock primitif et continue sa mue. Son épopée musicale reste passionnante, pleine de rebondissements!

Zebramix - 2015

Anna Christie, Eugene O’Neill, Atelier

anna-christie

Port de New York dans les années 20, Anna Christie tangue entre son père et son amant et donne au public  le mal de mer.

Anna Christie c’est l’histoire d’une rencontre entre un père et sa fille, deux êtres qui voudraient bien refaire le passé mais doivent s’en accommoder. A l’aube des retrouvailles, le père se nourrit d’espoir pour sa fille. Il se l’imagine fraiche, saine, vivifiée du bon air de la campagne. La voici qui arrive au port de New York, de rouge vêtue, fatiguée, aigrie des hommes. Elle rêve d’une cure de repos - qu’on peine à se représenter entre les vagues de la mer et l’alcool qui coule à flot-, elle va rencontrer Burke un marin au long cours.

Mélanie Thierry est lumineuse même si son personnage d’Anna Christie est sombre. Tiraillée entre deux hommes habités de l’appel du large, elle s’affirme dans sa liberté et les erreurs de son passé. Elle constate la lâcheté de l’homme capable de profiter des femmes de port en port mais de dénigrer la sienne sitôt qu’il apprend son passé sulfureux.

La langue et l’univers d’Eugene O'Neill sont rudes. Même si derrière l’âpreté de la vie en mer, se cache une certaine tendresse. Entre deux grossièretés et paroles violentes, quelques envolées lyriques apaisent l’oreille : «Dieu m’a fait rouler la terre entière pour me faire te rencontrer», « De t’aimer m’a rendu belle».

Mais dans le brouillard sur le pont du bateau comme dans la fumée dérangeante de cigarette d’une taverne new yorkaise, le plateau tangue. Et le public a hâte de larguer les amarres. Dommage.

 

jusqu’au 26 avril 2015

Théâtre de l’Atelier

 

Les Arpenteurs du Monde

Un roman intelligent, léger et drôle sur le destin croisé de deux des plus éminents génies scientifiques Allemands de leur époque : Gauss et Humboldt.

Gauss et Humboldt, ça vous dit quelque chose ? Probablement rien si vous n’êtes pas mathématicien ou, à tout le moins, scientifique de bon niveau. Pourtant, Gauss et Humboldt présentent deux qualités rares : être à la fois de purs génies et les héros, au sens plein du terme, du nouveau roman de Daniel Kehlmann.

C’est au tournant des XVIIIe et XIXe siècles que les deux hommes, qui ne se connaissent absolument pas, vont faire parler d’eux et aligner les avancées mathématiques pour l’un, les découvertes scientifiques pour l’autre.

Ils ne se rencontreront finalement que sur leurs vieux jours et c’est ce prétexte que choisi Daniel Kehlmann pour nous brosser un tableau saisissant de leurs vies extraordinaires.

Carl Gauss (1777-1855) est un pur esprit mathématique. Génie absolu, il résout dès son plus jeune âge des problèmes jusque-là restés sans solution. Se rendant vite compte que, pour une raison qui lui échappe, les gens qui l’entourent sont d’une désespérante lenteur intellectuelle, il apprend tout petit à "faire comme eux" et à ne précipiter ni ses questions ni ses réponses. Casanier et tyran domestique, il passera sa vie penché sur son écritoire ou l’œil collé à sa lunette astronomique à scruter les étoiles et calculer distances et orbites…

Alexander von Humboldt (1769-1859) est tout le contraire de Gauss. Doté également d’une intelligence supérieure, sa curiosité insatiable le pousse à quitter la vie bourgeoise pour explorer le monde inconnu le plus inhospitalier. C’est ainsi qu’il s’embarque pour l’Amérique du Sud pour y étudier, mesurer et répertorier tout ce qui lui tombe sous la main : flore, faune, sommets inaccessibles, volcans, fleuves, populations cannibales… rien n’échappe à son besoin maladif de voir, compter, classer.

Succès éditorial phénoménal en Allemagne en 2008, Les arpenteurs du monde est un roman enlevé et proprement jubilatoire. L’auteur nous y fait longuement côtoyer le quotidien aventureux de deux hommes totalement immergés dans leur folie monomaniaque et absolument étrangers aux modes de fonctionnement de leurs semblables. Sous la plume légère et irrésistiblement drôle de Kehlmann, Gauss et Humboldt sont d’extraordinaires personnages dont le comportement provoque sans cesse l’étonnement et l’amusement.

Un beau roman historique qui réconcilie définitivement les chiffres et les lettres !

298 pages - actes sud

Ivanov, Anton Tchekhov, Odéon

(c) Thierry Depagne
(c) Thierry Depagne

Ivanov est le nom de famille le plus commun en Russie. Nicolas Alexéevitch Ivanov c’est donc un peu notre Bernard Dupont. Un homme commun, mais qui souffre d’un terrible mal, une fatigue de tous ses membres, tellement inexplicable pour lui et ceux qui l’entoure, qu'elle en est encore plus culpabilisante.

Écrite en 1887, la pièce est d’une modernité intacte. Les dialogues de Tchekhov, incroyablement percutants et son analyse des comportements humains, d’une justesse presque effrayante.

Mais la représentation d’Ivanov, actuellement à l'affiche du Théâtre de l’Odéon, ne convainc pas complètement. Surtout portée par l'excellent jeu de Mischa Lescot, elle souffre d’une scénographie trop statique et froide, nous tenant presque à distance alors que, sur scène, les comédiens s’agitent.

Rien ne bouge à part un changement à vue, dirigé par les acteurs eux-mêmes, à la tête desquels on trouve Christiane Cohendy, en superbe Mme Lebedev. Pas une porte ne claque, pas un lustre ne se balance, pas un rideau ne se froisse et la troupe de comédiens se démène au milieu d’une scène froide et lointaine.

Était-ce pour donner à  voir toute la pièce à travers le prisme angoissé et sombre d’Ivanov ?

C'était sans compter sur l'excellente performance de Mischa Lescot. Car tout, dans sa démarche, sa silhouette, sa diction, ses interminables bras ballants et ses jambes trop encombrantes, exprime sa souffrance. Le moindre mouvement lui est une fatigue, toute envie l’a quitté. Tout en lui n’est plus qu’apathie, nonchalance. Il avance écrasé par le poids de ce cafard inexplicable, de sa "faiblesse ridicule".

Il est l’incarnation de la dépression à une époque où  les psychanalystes ne parvenaient pas encore à la définir, et atteint des extrêmes tellement touchants et désespérants qu’il en devient parfois comique. Le reste de l’épatante troupe d'acteurs (on se régale particulièrement de Christiane Cohendy, Chantal Neuwirth et Yannik Landrein), dépeint également avec brio la médiocrité de la petite bourgeoisie de campagne, sa vanité ridicule et ses cruelles bassesses.

Dans ce monde de vils hypocrites, Ivanov ne peut être qu’un intrigant. Alors, cet Ivanov, brave Mr Dupont ou Tartuffe ? Allez en décider au Théâtre de l’Europe.

Trending

L’Apparition, Perrine le Querrec

Dulcolax, pub au vent

Loomie et les Robots, Le Funambule

Most Discussed

F.A.I. 2009 / BERTRAND BELIN et TATIANA MLADENOVICH

Et la laïcité bordel !

Diamond Dogs / David BOWIE / (EMI – 1974/ Rééd.2004)

Qu’est ce qu’on a fait au bon dieu?