La conspiration du Caire, Tarik Saleh, Memento films
Dans une Egypte au bord de la guerre civile, le politique et la religion s'affrontent. Un thriller malin qui mérite largement son prix du scénario à Cannes.
De rebondissements en révélations, le film vous embarque jusqu'à un final vertigineux qui en dit long sur l'état du pays. Mais le réalisateur est d'une habileté redoutable. Tarik Saleh est intelligent et il va lui aussi nous manipuler.
Tant mieux: cela fait souvent du bon cinéma. Tout commence sur une rivière où un père et son fils pêchent pour nourrir leur famille. Le fils, Adam, est accepté à l'université islamique de Al Azhar au Caire, prestigieux phare de l'Islam.
Le jeune homme découvre la ville, les us et coutumes mais aussi tous les courants qui secouent la religion. Il sympathise avec un jeune homme qui sera tué par des hommes armés de couteaux.
Durant l'enquête, l'étudiant rencontre un colonel qui travaille pour la sûreté de l'État. Sympathique, le militaire a en réalité une mission très précise: faire plier l'indépendance de l'université et faire élire un imam proche des idées de la présidence.
Et comme notre innocent héros, nous plongeons dans les coulisses du pouvoir où l'hypocrisie règne et les faux semblants se multiplient. Au milieu de ce repère de requins, il y a ce petit poisson pour qui on a peur.
Le réalisateur colle sa caméra derrière cette victime d'un complot qui va bien entendu nous faire perdre pied. On se rend compte des dangers mais le scénario nous cache quelques surprises.
Comme le personnage central, on se retrouve dans une atmosphère étouffante et les rues du Caire deviennent le labyrinthe d'une lutte d'influences scandaleuse et dévorante. Grâce au montage, les comédiens et même la musique, La Conspiration du Caire est un thriller effrayant qui coupe vraiment le souffle.
Efficace, politique et ludique, ce film est un acte fort et loin de tout manichéisme. Du cinéma. A voir au cinéma. Et vivre des vertiges d'ailleurs!
Sortie le 26 octobre 2022
Titre original: Boy from Heaven
Avec Tawfeek Barhom , Fares Fares , Mohammad Bakri
Memento - 1h59
Gotainer ramène sa phrase, Richard Gotainer , Lucernaire
S’il a pris un peu de bide, l’ami Gotainer n’a pas pris une ride ! Sa gouaille érayée et son accent reconnaissables entre mille n’ont pas changé, ni la qualité de sa plume. Car c’est qu’il écrit mieux qu’il n’y parait, ce grand gamin aux airs d’éternel chenapan !
Avec la complicité de Brice Delage, guitariste talentueux, Richard Gotainer ne chante plus mais récite les textes de ses chansons dont on réalise (si on ne l’avait pas déjà fait dans les années 80-90) qu’elles constituent autant de jolies petites histoires où pointe l’amour des mots et des sons.
Gotainer a un talent de nouvelliste. Il croque en quelques mots notre bêtise ordinaire et nous tourne gentiment en dérision lorsque nous nous transformons en gros con-ducteurs ou quand nous sommes gagas de notre chien.
Derrière la blague pointe parfois le sérieux. Certains textes vieux de trente ans sont encore d’une actualité étonnante : « Quéquette blues » (« je suis sa chose, elle dicte et j’obéis (…) depuis tout petit, je suis son obligé »), « Rupture de stock » (« On en a eu, y en a eu plein, de l’eau, on en a eu à l’époque. Mais là, rupture de stock, walou, tintin, on n’en a plus en magasin, de l’eau »).
En n’étant pas chantés mais dits, ses tubes de jadis se réincarnent en véritables fables. Revenir à l’épure permet de se focaliser sur la qualité des textes, qualité souvent dissimulée sous le fard de la farce. Allez, soyons honnêtes, ce n’est ni Ronsard ni Baudelaire, mais enfin il y a du Trenet dans la façon de jouer avec les sonorités, les allitérations ou autres virelangues.
Gotainer a indéniablement un amour des mots, y compris les gros, pour autant que le vocabulaire soit varié à défaut d’être châtié. Et c’est là que la grossièreté prend une forme d’élégance. La danse des gros mots est, à ce titre, assez irrésistible.
« Ne lâchons pas la main du gamin en nous », nous exhorte Gotainer, cet hurluberlu qui – en bon disciple de Marcel Gotlib - m’a fait retrouver mes dix ans le temps d’un spectacle. Qu’il en soit ici remercié !
Jusqu'au 31 décembre 2022
au Lucernaire, Paris
De et avec Richard Gotainer
Avec la complicité de Brice Delage
Durée 1h15
de 10€ à 28€
DEM, William Melvin Kelley, 10/18
Je vais essayer de ne pas trop vous en dire sur DEM, le livre de William Melvin Kelley, tout en tâchant de vous donner envie de le lire.
Il semble assez délicat de parler de ce roman sans divulgâcher l'histoire ; peut-être est-ce pour cela
que la quatrième de couverture révèle sans vergogne l'intrigue du chapitre intitulé "Les jumeaux", ruinant ainsi une bonne partie du bouquin...
DEM s'apparente davantage à un recueil de nouvelles qu'à un roman. Plusieurs histoires courtes se succèdent avec vivacité et énergie, avec pour nominateur commun Mitchell, un publicitaire qui lutte pour maintenir l'illusion de sa vie de famille alors qu'il vit une succession de mauvais rêves, mauvais rêves qui se transforment par moment en véritable cauchemar, comme par exemple dans la première partie ("Quand Johnny revient de guerre").
Le livre est assez étrange et il n'est pas toujours évident de distinguer la réalité des hallucinations de ce type blanc, plus blanc que blanc, dont "l'arrière-arrière... comment appelle-t-on ça... était l'un des trois cents hommes qui ont pris New Amsterdam aux Hollandais avec le colonel Nicolls" en 1664 (page 129). Toujours est-il que ces mésaventures - vécues ou fantasmées - vont faire toucher du doigt au personnage la réalité de la vie des noirs de son pays.
Car, en bon homme blanc des années 1960, Mitchell est ordinairement raciste et se rêve en bon maître chez lui. Mais ses ambitions de domination raciale et patriarcale vont se fracasser sur l'émancipation des femmes et des afro-américains dont certains ont "de vieux compte à régler" avec lui, "des comptes vieux d'il y a quatre-cents ans, du temps de son grand-père, de son arrière-grand-père." (page 228)
Parution le 18 août 2022
chez 10/18, Littérature étrangère
Traduit de l'anglais (USA) par Michelle Herpe-Voslinsky
240 pages / 7,90€
La légende du Saint Buveur, Roth, Malavoy, Lucernaire
Une fable de solitude, de dernière chance, baignée de mysticisme mais aussi de réalité crue et de peur au ventre. D’épisode en épisode, un sans-abri nous livre son passé peu glorieux, jonché d’erreurs et de malchance et l’on s’attache à son malheureux destin.
Si comme moi, de prime abord vous confondez entre eux les auteurs Philip Roth et Joseph Roth, ce récap’ est pour vous : Joseph Roth est un auteur et journaliste de langue allemande, né à Brody (actuellement en Ukraine) en Autriche-Hongrie en 1894. Son père disparut quand Joseph Roth était encore enfant. Il vécut avec sa mère et quitta sa ville natale pour poursuivre des études littéraires à Vienne. Pendant la première guerre mondiale, il s’engagea mais fut affecté au service de presse de l’armée austro-hongroise. Avec ses camarades il accompagna le cortège funèbre du dernier Empereur austro-hongrois (en 1916). Il chroniqua la chute de l’Empire austro-hongrois dans son œuvre majeure La Marche de Radetzky (1932). Il fut chroniqueur, journaliste et grand reporter pour des journaux de langue allemande, en Allemagne, en Autriche, en Hongrie, et même en Belgique et aux Pays-Bas. Il eut l’occasion de parcourir l’Union soviétique et divers pays du continent européen pour répondre aux commandes des journaux qui l’employaient. En tant que journaliste, il est reconnu comme un fin observateur de la vie politique et sociale de son temps. Le jour où Hitler est nommé chancelier du Reich, Joseph Roth s’exile à Paris et écrit à Stéphane Zweig : « À présent il vous sera évident que nous allons vers de grandes catastrophes. Abstraction faite du privé – notre existence littéraire et matérielle est déjà anéantie – l’ensemble conduit à une nouvelle guerre. Je ne donne pas cher de notre vie. On a réussi à laisser la Barbarie prendre le pouvoir. Ne vous faites pas d’illusions. C’est l’Enfer qui prend le pouvoir. »
Même si, au sujet de sa biographie, Joseph Roth a brouillé les pistes (était-il été communiste, socialiste ou libéral ? Juif ou catholique ? Officier ou simple correspondant de presse ?), le récit La Légende du saint buveur semble s’inspirer directement des dernières années de sa vie, qu’il passe à Paris, exilé, alcoolique, presque sans ressource et malade. Il meurt à Paris en 1939, l’année de parution de La Légende du saint buveur. Il a 44 ans.
Ceci étant dit, on ne fréquente pas le Lucernaire seulement pour découvrir des auteurs (classiques et contemporains), on y va aussi pour partager une expérience de spectacle vivant. Et avec La Légende du saint buveur, on est servi. L’espace scénique est serré et sobre : un petit plateau, un rideau de fond de scène qui suggère un espace à l’arrière, et à l’avant-scène, une table, un tabouret et un fauteuil en bois, au design épuré. Habitant le plateau, vibrant de chaque cellule de son corps, un acteur mûr, que l’on connaît bien au cinéma, qui a vieilli et ne s’en cache pas. Ses traits ont changé, ses cheveux sont grisonnants, il n’est pas à son avantage avec son chapeau mou qui a trop vécu, et son pardessus miteux. Mais quelle présence ! Christophe Malavoy nous émeut puisqu’il enlace ce personnage de looser magnifique avec une tendresse touchante. Il sert son texte avec dextérité et embrasse véritablement le destin de son héros. Il nous étonne avec son choix de chansons qu’il interprète a cappella et ses intermèdes musicaux (lui-même jouant du tuba ténor ou euphonium). Ces intermèdes ponctuent et font respirer le texte mais aussi lui donnent une atmosphère de Paris d’entre-deux-guerres, nostalgique et grave.
Malgré une fin un peu abrupte, ce seul-en-scène captivant est l’occasion d’un très beau moment de théâtre.
* Ouvrages les plus connus de Joseph Roth :
Hôtel Savoy (1924)
La Marche de Radetzky (1932)
La Crypte des capucins (1938)
La Légende du saint buveur (1939)
Jusqu'au 06 novembre 2022
La légende du Saint Buveur, de Joseph Roth
Adaptation, mise en scène et interprétation Christophe Malavoy
Au Lucernaire, Paris 6ème,
Durée 1h15
de 10€ à 28€
Mélopée Ezechiel Pailhès, Le jour la nuit le jour, Thomas Boudineau, The Real Thing Gaspard Royant
Cela fait déjà cinq ans que l’actrice Alyssa Milano, gloire de la télévision, a envoyé un #metoo qui allait changer la face du Monde. Des mois que les producteurs libidineux ne peuvent plus s’adonner à leurs plaisirs sombres. Des années que les femmes trouvent une nouvelle place dans le septième art, et pas seulement !
Les scandales se suivent dans tous les secteurs de la société. Les femmes prennent le pouvoir. C’est exactement le moment choisi pour vous parler de trois mecs, qui méritent autant de succès que Juliette Armanet ou Clara Luciani… ou Aloïse Sauvage… ou Angèle. Mais où sont passés les hommes dans la chanson française?
Il y en a un qui se cache derrière un synthétiseur et se nomme Ézéchiel Pailhès. Il connaît bien la musique contemporaine puisqu’il s’est fait connaître au sein du duo Noze et sa musique électronique. Mais les clichés réducteurs ne conviennent pas à cet auteur atypique.
Il n’est pas un simple bidouilleur. Il a un gout certain pour la poésie et pique des idées dans de vieux écrits. C’est ce qu’il fait sur Mélopée, son quatrième essai personnel. Un disque qui capte toute la chanson française pour un résultat moderne et heureux.
L’artiste a visiblement épluché ses classiques et garde le meilleur de chacun. Il sait donc utiliser par exemple les sons des années 80 sans être dans la posture. Mieux, chaque note et chaque instrument semblent choisis pour mettre en avant des paroles prenantes, assez poétiques.
Pour lui, la musique est une pause agréable. Un moment de détente. Une douce osmose. Il défend donc une pop sensorielle qui aspire notre attention et développe notre tendresse. Si vous êtes malheureux, ce disque est une vraie consolation.
Tout comme le calme apparent du flegmatique Thomas Boudineau (le flegmatic) qui pense nos âmes meurtries avec son disque Le Jour la nuit le jour et nous câline avec des chansons délicates. La première Vies Distraites vous attrape par la main et vous repose sur des harmonies simples et fortes.
C’est fou ce que l’on peut faire avec un simple “wouhou” quand on sait bien l’utiliser. Là encore, on est en face qu’un gars gentil qui nous veut que du bien. On craque assez rapidement pour sa guitare qui transforme les paysages du sud de la France en panorama américain.
La voix est feutrée et cajole aussi nos états d’âme. Sa pop n’est pas sophistiquée : elle est profondément sincère. Il y a des évidences dans sa création : il transcende le quotidien avec cette légèreté qu’on aime tant dans la chanson française. Une désinvolture qui cache des vérités!
Gaspard Royant ne nous cache rien de sa passion pour le rock’n’roll. Le vrai. celui qui vient du blues. Depuis ses débuts, son imitation parfaite d’un crooner américain est assez irrésistible et il continue avec la même ferveur dans son tout nouvel album The Real Thing.
Mais il semble avoir découvert le monde moderne. Son disque est une production chiadée et rutilante. Cette fois ci on est clairement dans la white soul. Il chante toujours en anglais mais clairement, le gars de Thonon-les-Bains veut vivre son rêve californien.
Jamais parodiques, ses nouvelles chansons sont aussi copieuses qu’elles nous régalent de sons que l’on pourrait imaginer dans un film d’espionnage des années 60. Gaspard Royant joue au beau gosse et il a tout à fait raison.
Son album est ensoleillé donc parfait pour vous aider à rentrer dans l’automne et apprécier toute la virilité contenu de cet homme orchestre qui continue de surprendre. Ces trois hommes vont loin des clichés sur la masculinité. Ils nous vengent des gros porcs. Ils nous appellent à être un peu meilleurs. Me too, je veux être un type bien!
Samourai Academy, Mel Brooks, SND
Le titre français est totalement débile. C’est dommage : le film a les qualités et les défauts d’un de ses auteurs. Discret, vieux et toujours aussi malicieux, Mel Brooks apporte son style à ce dessin animé parodique !
Ce qui nous donne des blagues crapoteuses et des petits éclats complices avec le spectateur. Producteur et scénariste, l’auteur de Frankenstein Jr a l’air de beaucoup s’amuser dans cette histoire destinée à toucher le public asiatique. Un bon gros dessin animé qui devrait tourner sur toute la planète.
Dans un Japon féodal où les chats règnent, un chien, Hank se voit confier la fonction de samouraï dans un village, Kakamucho. C’est bien entendu une combine d’un puissant chat qui rêve de faire du mal aux plus faibles et devenir le Maître du Monde ou un truc dans le genre. Hank, va se révéler plus à l’aise dans son rôle de justicier, aidé par un vieux chat aigri et un chat sumo.
Et c’est donc parti pour une heure vingt-huit de parodie des films asiatiques et des westerns américains entre chien et chats. Ce n'est pas nouveau mais il est vrai que l’on retrouve avec surprise les coups de coude de Mel Brooks adressés aux spectateurs.
Cela joue donc sur la mise en abime et un goût certain pour la scatologie. Ça va plaire aux petits comme aux plus grands. Le second degré est accompagné de tous les autres degrés ! Faut parfois suivre mais on se laisse prendre au jeu. Malgré une production contrariée car il aura fallu douze ans pour que le film soit fini. Cela se sent de temps en temps : ce n’est pas le budget de Disney mais dans l’ensemble, le rythme compense.
Ce n’est jamais parfait. Comme un film de Mel Brooks. Mais ce n’est pas ridicule non plus. On se laisse avoir et emporter par ses chamailleries. Pardon c’était trop tentant!
SND - 12 octobre 2022 - 1h28
Drum Brothers, les Frères Colle, Eric Bouvron, Bobino
De façon très habile, les Drum Brothers - alias les frères Colle - recyclent quelques techniques traditionnelles du cirque pour proposer un spectacle familial comme vous n'en avez jamais vu. Étonnant !
Grâce à numéro rendant hommage à la fois aux Daft Punk et à Matrix, les Drums Brothers se sont fait connaître du grand public lorsqu'ils ont accédé à la demi-finale du télé-crochet La France a un incroyable talent. Curieusement, ce n'est pas ce numéro, très (télé)visuel, qui passe le mieux sur scène, même s'il reste impressionnant par la maîtrise impeccable et la coordination parfaite qu'il suppose.
Comme dans la musique rock, la batterie sert de colonne vertébrale au spectacle ; ce qui n'interdit pas les solos des autres membres du groupe. Car les frères Colle cumulent les talents et leur entente artistique est parfaite ; leurs parents peuvent être fiers d'eux. Clément est un virtuose de la batterie, Cyril un flutiste reconnu doublé d'un jongleur talentueux et Stéphane, en véritable clown, un touche à tout de génie.
Ce qui m'a impressionné, c'est la façon dont ces showmen transcendent leurs disciplines respectives en les mettant en commun. Leur travail en commun me semble bien plus intéressant qu'une simple démonstration de percussion ou de cirque. Ils ont su réinventer leur travail pour jongler littéralement avec les sons.
C'est un joli spectacle familial qui ravit les (grands) parents comme les enfants, en France comme à l'étranger. Les plus jeunes sont conquis par le numéro de clown de Stéphane Colle et ne peuvent s'empêcher d'éclater de rire. Ma fille de bientôt neuf ans avait des étoiles plein les yeux et s'est bien amusée.
Les séquences s'enchaînent à un rythme endiablé qui vous donnera envie de frapper dans les mains et de vous lever pour vous trémousser; d'ailleurs, le public ne peut s'empêcher de se lever pour une belle standing ovation à la fin du spectacle.
du 1er au 29 octobre 2022
Théâtre musical, percussions et jonglerie
à partir de 6 ans - durée 1h10
Avec Clément Colle, Cyril Colle et Stéphane Colle.
Mise en scène Eric Bouvron
du jeudi au samedi à 19h - dimanche à 15h
A Bobino
C’est moi le plus fort, et autres histoires de loup, Mario Ramos, Philippe Calmon, Lucernaire
Philippe Calmon a eu l'excellente idée d'adapter au théâtre les albums de Mario Ramos. Au son délicat et chaleureux de la contrebasse, les deux comédiens Philippe Calmon et Eveline Houssin donnent vie aux personnages créés par Mario Ramos, pour le plus grand plaisir des enfants.
Le Grand méchant loup, imbu de sa personne, réalise auprès des habitants de la forêts un sondage pour savoir s'il est, réponse A, le plus fort ou, réponse B, le plus beau. Les Trois petits cochons, le lièvre, le Petit Chaperon rouge, Blanche Neige et les Sept nains ("les zinzins du boulot" !), tous apportent leur réponse empreinte d'une certaine crainte, jusqu'à ce qu'un petit invité impertinent et facétieux vienne déstabiliser notre loup qui se montrera aussi pathétiquement drôle que prétentieux.
A peine la pièce a-t-elle commencé que la glace est brisée. Les enfants sont fascinés par ces ravissantes marionnettes (et leur marionnettistes à la fois très présents et parfaitement transparents) ; ils répondent, commentent, et chantent avant que de glousser de rire et de joie.
La mise en scène est à l'épure. Les éléments de décors sont mobiles et regorgent de surprises. C'est faussement simple mais très efficace. En un mot: élégant.
La durée du spectacle, 45 minutes, est idéale pour les petits qui restent scotchés jusqu'à la fin. Croyez-moi, c'est autre chose que la fascination des petits pour les écrans !
Au-delà du spectacle qui est un enchantement, c'est pour un parent une expérience magnifique que de voir un enfant enthousiasmé et transporté par un spectacle (plus que) vivant.
Jusqu'au 13 novembre 2022
Théâtre Lucernaire
A partir de 3 ans, durée 45 minutes
12€ T.R / 15€ T.P.
Du mardi au samedi à 15h et le dimanche à 11h pendant les vacances scolaires
- De Mario Ramos
- Adaptation et mise en scène Philippe Calmon
- Avec Eveline Houssin et Philippe Calmon
- Musique Alexandre Perrot
- Décor, Scénographie et Marionnettes Philippe Calmon
- Production Compagnie Métaphore
- Partenaires Sud-Est Théâtre À Villeneuve Saint-Georges, Le Crea À Alfortville, Le Théâtre Des Roches À Montreuil et L’espace Paris Plaine
Gogo Penguin, The Black Crowes, L’Olympia, Asa, la Cigale,
Les festivals ont replié leurs tentes géantes et leurs saloons gonflables. Fini le beau ciel d’été. Les nuits qui tombent délicatement. On retrouve le charme chaud des salles et on se régale des ambiances différentes, parfois dans le même lieu. Les virées musicales et nocturnes retrouvent de la superbe !
L’Olympia invite des grandes stars mondiales jusqu’à l’obscur chanteur belge qui se prend pour un Italien. La programmation de cette salle est un poème. Populaire dans le sens le plus large du terme. Samedi soir, ce sont les exigeants Gogo Penguin qui s’installent dans la salle mythique.
Avec eux, le style est feutré, froid mais pas dénué d’ambitions. Le trio s’applique à faire chavirer son public. La base est classique : contrebasse, piano et batterie. La timidité des musiciens se laisse deviner, cachée par de très élégants effets de lumière.
Mais cela reste des gars de Manchester. Et le jazz qu’ils mettent en place possède une douce folie qui finit par envahir les corps. On peut appeler cela de l’electro jazz mais c’est assez réducteur tant les musiciens cherchent leur son.
Il pousse le jazz jusqu’à une transe acoustique et mélodique. Le public est conquis : c’est un groupe qui compte sur la toute puissance de ses instruments et nous emporte dans une nuit pleine de mélopées plus dansantes que jamais.
Quelques jours plus tard, ce sont d’autres oiseaux qui s’installent à l’Olympia. Les Black Crowes déboulent des Etats-Unis avec leur image de blues poussiéreux et leur rock piquant. Ils fêtent donc les trente ans de leur premier disque. Dans quel état pouvait être le fameux duo du groupe ? Les frères Robinson ont bien respecté la grande tradition du rock’n’roll : engueulades, séparations avec fracas, insultes, procès, addictions mais aussi grands disques de rock !
On devine donc la réunion commerciale entre Chris et Rich Robinson, mais on ne s’attendait pas à ce que le show soit si authentique. La voix de Chris est moins héroïque mais il s’acharne avec talent à imiter ses idoles de la soul music. Ça fonctionne. Tout comme Rich Robinson, guitariste passionné au mutisme assez fascinant. Autour d’eux des musiciens qui sentent bon le rock blues du sud des Etats-Unis. Dans un décor de rade prohibé !
Il s’agit donc de rock et de rien d'autre. Le groupe rejoue Shake Your Money Maker et reprend les hits. Le rythme s’accélère et les frères réalisent le set quasi parfait (malgré un son imparfait) : on se dit bien que ce sont les vieux pots qu’on trouve les bonnes recettes.
Mais celle qui semble bien avoir trouvé la magie du live, c’est bel et bien la Franco Nigériane Asa. Un soir d’automne. Le froid envahit enfin la ville.
Asa a commencé par une folk très worldwide puis petit à petit s'est concentrée vers des sons africains. On pouvait la penser perdue dans ses nombreux styles. Sur scène, elle semble un peu paumée derrière ses grandes lunettes et des bottes de cowgirl. Le concert commence avec une prudence presque inquiétante. Le public remue tout doucement sur des fauteuils et Asa semble perdue sur la scène.
Un titre réveille l'assemblée (quelle idée de proposer que des places assises) et c'est parti pour un show formidable. Aidée par une choriste proche et des musiciens diablement malicieux, elle nous embarque effectivement entre l'Europe et l'Afrique. Les chansons sont engagées et surtout percutantes. Les refrains sont des accroches pour ne plus lâcher le public qui va vite s'échapper des fauteuils. Heureusement. La communion est réelle. Elle se met à discuter sur ses années à Paris et imite à la perfection les Parisiens.
Toute l'humanité d'un concert se ressent pleinement. On se dit que ce doit être un effet post covid mais il est certain qu'Asa est responsable de tous ses bienfaits qui font rayonner l'artiste et ses musiciens. C'est un oiseau majestueux et délicat. Décidément les oiseaux de nuit, qu'ils piaillent ou qu'ils chantent, nous ravissent ces derniers temps!
Concert du 28 septembre 2022
La Cigale, Paris
Alias Production
The Blue Hour, Suede, Doggerel, Pixies, Fossora, Björk
Ce que l’on admire le plus dans la grande histoire du rock et de la pop, ce sont ces groupes indestructibles. Ils se forment. Ils se déforment (par le succès ou son contraire). Puis éclatent. Puis réapparaissent.
Finalement ils nous interrogent. En vieillissant, le rocker serait mieux qu’à ses débuts? Les exemples sont nombreux. Mais c’est souvent après la gloire, que l’on entend enfin le talent. La longévité amène le sérieux et l’expérience. Et ça ne va pas si mal, nos vieux héros toujours prêts à en découdre.
Voilà donc trois exemples de disques de stars un peu fripés mais toujours habités. Cela semble être le cas en tout cas des surprenants Suede. Finalement il reste un vieux pilier de la britpop et s’est révélé intéressant à observer.
Car c’est un groupe qui grandit. Les androgynes des débuts on laissait la place à des dandys fatigués et mais talentueux. Brett Anderson, digne descendant de Bowie et Mercury a conservé une voix pénétrante et un charisme mûr. Après un album concept plus que réussi, The Blue Hour, le groupe reprend ses vieilles habitudes : un disque de rock un peu glam un peu punk aux guitares puissantes et qui fait sourire: c’est un album fait pour la scène.
Séparés pendant six ans, entre 2004 et 2010, les membres de Suede trouvent une nouvelle jeunesse au fil de leurs albums. Leurs nouvelles chansons sont moins entêtantes mais ils possèdent un style inimitable qui donne l’envie de les revoir en concert. Et franchement, ça, c’est un exploit!
Tout comme Doggerel, le nouvel album des Pixies, autre groupe à la carrière contrariée. C’est un festival de séparations et de ruptures. Les envies solo de Frank Black. Les valses de bassistes. Les longues coupures. Difficile à suivre. Doit-on parler de ce groupe mythique au passé ou au présent?
A force, on ne s’attend plus à rien de leur part et c’est ainsi que l’on fut surpris par la force de frappe du très entraînant Beneath the Eyrie en 2019. Trois ans plus tard, ils sont déjà de retour mais est ce une bonne nouvelle tout cet empressement?
Leur nouvel effort est d’excellente facture. Black et ses potes se roulent dans la fange et apprécient visiblement tous les résidus et la poussière qui s’en dégagent: leur style est un aspirateur fatigué mais toujours irrésistible à tubes un peu raides, entre douceur et fulgurance.
Le groupe n’aspire pas à la sagesse mais ne cherche plus à choquer le bourgeois et les conventions. Il fait juste du rock et il est vraiment très bon.
Évidemment nous terminerons cette chronique avec cette vieille connaissance qui nous confirme à chaque album qu’il y a bien de la vie extraterrestre sur cette bonne vieille planète terre: Björk.
On croyait qu’elle avait totalement décollé de notre monde avec Utopia, étrange objet musical. Elle revient donc sur Terre avec Fossora, un nouvel album aux tonalités une fois de plus différentes.
Il y a du jazz, du classique, de la techno. C’est toujours un magma perpétuel de sons et Björk fait le bruit du volcan. Le tempérament aventureux de l’Islandaise résiste au temps et aux modes. Il s’agit d’un album tellurique, assez minéral et beaucoup moins perché que les précédents.
Et on a plus de facilité à la suivre. On devine même le folklore local dans des titres qui mutent en permanence. Ce n’est plus un album bizarre, ce sont des champignons musicaux (encore une joyeuse pochette). C’est ce côté Géo Trouvetou que l’on continue d’admirer chez cette artiste qui ne semble plus avoir de contact avec le monde. Cette fois elle tente de renouer en creusant dans d’étonnantes compositions. Reprendre contact. C’est finalement le point commun de ses trois œuvres de vieux artistes ravis de vieillir comme du bon vin. De vieilles canailles!