La Fille du 14 Juillet
Comédie sans moyen mais nourrie d'une infinie douce nostalgie. Un petit parfum de liberté souffle sur le cinéma français!
C'est effectivement le genre de comédie qui n'intéresse pas vraiment les producteurs français. Pas de stars et une passion évidente pour le bon vieux sketch burlesque et le détail qui tue. La fille du 14 juillet est hors du temps et demande une connaissance certaine du cinéma de papa pour apprécier la saveur de sa légèreté!
Antonin Peretjatko, le réalisateur, convoque pour son film les petits accélérés des vieux films de Molinaro, les petites caricatures sociales de De Broca, le charme bavard et bord de plage d'Eric Rhomer ou le cinéma libre de Jacques Rozier. Le tout se mélange avec un humour frais, délirant et gentiment absurde!
C'est la crise en France. Pour la remettre au boulot, on écourte les grandes vacances d'un mois. Les juilletistes sont heureux mais les aoutiens font la tronche. Hector s'en fout: il veut partir en vacances avec Truquette, une jolie brune au chômage. Accompagnés d'amis hurluberlus, le voyage devient complètement fou!
A contre courant, voilà ce qui convient le mieux à ce petit film. Il se moque de tout, dans la bonne humeur et parodie avec bienveillance toute une histoire du cinéma français. Ca part dans tous les sens avec un goût effectivement réel pour la liberté.
Il y a de la poésie, du surréalisme, du slapstick et des moments plus graves. Les filles sont belles. Les garçons sont idiots. Quelques vérités se promènent dans cet élan quasi anarchique de cinéma festif et pétaradant. C'est normal, ca se passe le 14 juillet! Ne perdez votre temps pour le voir!
Avec Grégoire Tachnakian, Vimala Pons, Vincent Macaigne et Marie Lorna Vaconsin - Shellac - 2013
Interstellar
Ha ce bon vieux Hans Zimmer, le roi de la BO fourre tout et du sound design tout mou! Il se transcende dans le psychologique Interstellar et ses visites de trous noirs!
Ca fait quelques années déjà que le budget de la musique de film a sérieusement baissé. Maintenant les grands auteurs sont priés de faire dans l'humilité dès que c'est possible. On ne parle plus de musique mais de sound design: illustrer l'image avec quelques notes, un synthé ou un petit orchestre.
Hans Zimmer, capables de belles envolées lyriques, est devenu le maître du genre. Il a toujours le droit de participer à de grosses productions qui demandent un orchestre symphonique mais il sait faire en matière de bidouillages pour faire dans l'emphase et imposer un thème sans trop se casser, toujours fortement critiqué pour des sources d'inspiration toujours trop évidentes.
Bref, on l'attendait au tournant avec Interstellar et son illustration de cette quête spatiale et intérieure. On n'est pas déçu: il y a des choeurs qui nous hérissent les poils et des nappes de synthétiseurs qui font réfléchir...ou somnoler, c'est selon votre état!
On pense beaucoup à 2001, bande son sonore qui s'impose à tous les esprits dès qu'un cinéaste veut s'envoler dans l'Espace. On pense à la musique du dessin animé Akira pour le coté martial. On pense aussi à la musique de The Fountain pour les touches de piano élégantes et les ruptures osées.
Ce n'est pas du tout désagréable à l'oreille. Mais ce n'est pas aussi neuf que le film. Ce dernier a des défauts. La musique aussi. On s'amuse de l'orgue un peu hystérique qui se promène dans les compositions. Le disque est un pot pourri de tout ce que peut faire Zimmer, du meilleur jusqu'au pire. Ca nous transporte pas dans une autre dimension, cela ne détruira pas la planète: cela reste une musique d'ambiance assez inédite dans le genre.
Sony Music - 2014
Henny
Henny était une poule.
Si, si, elle était une poule, mais elle était un peu différente des autres. Pas tant que ça non plus, mais un peu différente quand même : Henny est née avec des bras.
Pour le reste tout était normal de la crête jusqu’aux pattes. Alors parfois Henny était très heureuse d’avoir des bras, mais parfois elle les trouvait bien encombrants.
Et puis en grandissant elle a dû se poser des tonnes de questions qu’aucune poule ne s’était jamais posées.
Était-elle droitière ? Devait-elle se limer les ongles ? Mettre du déodorant ? J’en passe… Un jour elle a rattrapé un œuf que le fermier avait laissé tomber ; ce fut une révélation pour elle, ses longs bras allaient lui permettre de réaliser des merveilles.
Quel album attendrissant et drôle !
Elisabeth Rose Stanton raconte là une histoire à laquelle on a envie de croire. Et pourquoi pas ? Ce n’est pas si extraordinaire que ça une poule avec des bras ? Ça doit être bien embêtant mais pas tant que ça finalement.
Vous l’aurez compris, on parle là de différence, du regard des autres et des possibles que cela offre.
Les illustrations aux tons pastel donnent une grande douceur à cet album aux allures si simples mais aux détails si précis. C’est parfaitement mené et d’une grande poésie.
Foncez vite faire la connaissance d’Henny !
Seuil Jeunesse
Into the Woods
Une vraie comédie musicale, où ça chante sans arrêt, où le cinéma a bien du mal à s'adapter au format des "musical", où Disney fait franchement n'importe quoi. Ce n'est plus une forêt magique mais le Bois de Boulogne!
Car notre pauvre Meryl Streep se retrouve dans le rôle d'une sorcière bien destroy qui rêve de retrouver sa belle peau de jeunesse. Lorsque le miracle se réalise, on est plutôt en face d'un artiste du cabaret Chez Michou! On a aussi le droit de s'étonner le perruque qui finit de ridiculiser le comédie Chris Pine, qui joue un prince Charmant grotesque.
Ce ne sont que quelques détails. Into the Woods est une énormité: une comédie musicale avec toutes ses exagérations, ses fantaisies et ses insupportables tics de Broadway. L'idée est amusante: réunir plusieurs contes pour enfants pour raconter une nouvelle histoire. Le petit Chaperon Rouge croise la route de Jack et ses haricots magiques, Cendrillon, Raiponce et un couple de boulangers qui se perdent dans la forêt et provoquent toutes sortes de catastrophes!
Ca ne va pas les empêcher de chanter! Rob Marshall, responsable du très bon Chicago, n'adapte pas le spectacle de Broadway: il le recopie! Cependant le rythme d'une comédie de Broadway n'est pas tout à fait idéal pour un film hollywoodien. Coupé en deux (sans entracte), le film est bipolaire avec une première partie rigolarde puis un deuxième acte plus noir et bizarre pour un blockbuster familial. Pour faire le lien, le réalisateur fait entrer et sortir Meryl Streep qui grimace en permanence.
Disney produit mais s'offre une maladroite psychanalyse des contes qui nourrissent son compte en banque! Les ruptures de rythme sont parfois difficiles. Le ton est parfois glaçant, osant révéler les horreurs qui se cachent derrière les histoires pour nos bambins.
Des chansons étonnent donc mais d'autres horripilent. Le second degré est très mal assuré par le cinéaste, paresseux de retravailler le matériel original. Evidemment l'esthétisme bariolé ajoute au malaise, avec une production qui pille sans honte l'univers de Tim Burton. C'est un film à la dérive. On n'est plus dans une forêt mais dans un vrai désert créatif! Allez vous promener ailleurs!
Avec Emily Blunt, James Corden, Anna Kendrick et Meryl Streep - Disney - 28 janvier 2015 - 2h02
The Third
Le trio vintage découvre le monde moderne. Leur troisième album devrait convaincre le grand public et décevoir un peu les fans de la première heure!
La famille Durham est totalement fréquentable. Deux soeurs et un frère qui connaissent tout de la musique old school, du folk traditionnel au blues ancestral. Pas bien vieux, le trio reprend avec gourmandise ses styles si datés pour de longues chansons originales aux influences rétros et sympathiques!
Leur second album les a fait connaître. On aimait bien le coté foutraque et joyeusement anarchique. Pour leur troisième essai, tout est beaucoup plus ordonné. Il y a encore les cuivres un peu jamaïcains et cette guitare au son clair qui sautille de morceau en morceau.
Mais c'est Mick Jones qui a pris les commandes de la production. Ca ne rigole pas avec l'ancien Clash. Il apporte une véritable organisation au trio. L'efficacité est là. La spontanéité du précédent disque est gommé: il reste ce mélange habile entre tous les styles vintage pour un rockabilly réjouissant d'un bout à l'autre du disque.
Mais le groupe a un peu perdu de son charme dans l'histoire. Le producteur est rigoureux: ca vire à la démonstration au détriment du plaisir et de la fraternité qui explosaient dans l'effort précédent. Mais il ne faut pas bouder non plus son petit bonheur de musique fifties.
Le son est plus propre. La production semble plus confortable. Mais le voyage dans le temps se produit tout de même. Le contrat est rempli. Avant par des amateurs gourmands; désormais par des professionnels bien encadrés!
Sunday Best - 2015
Il était une fois complètement à l’Ouest, Caramels fous, Théâtre Dejazet
Ça y est, ils sont enfin revenus ! Les Caramels fous, troupe de chanteurs et comédiens gays, est de retour pour notre plus grand plaisir. Et le leur aussi, visiblement. Ils ont l’air tous tellement heureux d’être sur scène, de nous offrir ce moment de bonheur et d’éclats de rire que, forcément, ça rejaillit sur la salle, conquise d’avance cependant.
Les Caramels, c’est une aventure incroyable, qui dure depuis plus de trente ans. Depuis le début, ces fous chantants ont leur cohorte de fans, leurs adeptes inconditionnels. Et peu importe que l’auteur change –Michel Heim vient de laisser la place à Antony Puiraveaud - que de nouveaux comédiens en remplacent d’autres, le public est là, fidèle au poste.
Les Caramels sont bénévoles et pourtant, bien des troupes professionnelles pourraient les prendre en exemple. Cela dit, c’est un bénévolat particulier… Un vrai sacerdoce. En effet, chacun des volontaires sait qu’il signe pour une période donnée (qu’il peut ou non renouveler) durant laquelle ses loisirs vont être presque totalement couleur caramel. Répétitions, apprentissage du chant et de la danse, coup de main pour les décors, la couture et j’en passe : le temps libre est consacré au futur spectacle. Et ça marche.
Mais qu’ils en ont fait, du chemin, depuis Les Dindes galantes ! Ah, l’incroyablement hilarante Madame Mouchabeurre et Pas de gondoles pour Denise… Textes détournés, personnages féminins étonnants, petits clins d’œil à l’air du temps… Chaque fois, le bonheur est au rendez-vous.
Cette fois, la troupe nous accueille au Crazy Pony Saloon et nous reviennent en mémoire les films de western de notre enfance, sans oublier les BD de Lucky Luke…
Il y a Ma, les danseuses, la Cheyenne, le croque-mort, le chercheur d’or, bref personne n’est oublié. Mais ô surprise, dans cet univers très macho arrive un charmant coiffeur. Et là, l’histoire dérape et nous entraine dans des péripéties toutes plus loufoques et tendres les unes que les autres.
Le décor, sobre et réaliste à la fois, est à la hauteur et les costumes sont particulièrement réussis. Des danses country et des bavardages surréalistes font écho aux voix, dont certaines sont particulièrement belles. Xavier Sibuet, croquemort déjà remarqué en marin dans Madame Mouchabeurre, nous donnerait des frissons. Et il faut entendre Thierry Quessada chanter « Femme d’1mètre 80 » pour saisir totalement l’univers des Caramels. Laury André, inoubliable Bécassine de Mme Mouchabeurre –sans oublier son clin d’œil à Britney Spears dans Pas de gondoles - est toujours aussi doué, qu’il chante, qu’il grimace, qu’il danse. Il est là depuis 2003 et, espérons-le, pour longtemps encore.
Laissez-vous entrainer dans ce saloon d’un autre temps, venez rire en reconnaissant des musiques familières, laissez-vous bercer par cette générosité, cette volonté de vous faire plaisir qui anime chacun des Caramels. Vous ne le regretterez pas !
Jusqu’au 14 février 2015
Au Théâtre Dejazet
(puis en tournée dans toute la France)
Foxcatcher
On est clairement sur le haut du panier de la production hollywoodienne. Cinéaste intello, comédiens incroyables, sujet iconoclaste et symbolique. Maîtrisé de bout en bout, Foxcatcher impressionne. Reste un oubli: l'émotion!
Bennett Miller n'a pas peur des sujets difficiles. La vie mondaine de Truman Capote. Une saison de base-ball. A chaque fois, des films étranges et souvent passionnants. Une fois de plus, le sujet déroute: la lutte gréco-romaine. Ou plutôt la passion soudaine d'un milliardaire solitaire pour ce sport et deux frères médaillés.
C'est une histoire vraie: John Du Pont est un milliardaire excentrique. Il propose d'entraîner Mark Schultz, médaillé Olympique, et d'autres champions de lutte pour les prochains JO de 1988. Novice en la matière, Du Pont coache avec une maladresse désastreuse le champion.
Ce dernier, qui a peu confiance en lui, se rend compte petit à petit de l'importance de Dave, son frère, son mentor, son équilibre. Rapidement John Du Pont va délaisser Mark pour mieux approcher Dave...
La fin est connue. C'est un fait divers célèbre aux Etats Unis: John Du Pont tue de trois balles Dave Schultz devant sa femme. Que se passe t il donc dans la tête de ce drôle de riche, seul, obsédé par la reconnaissance et le respect? John Du Pont est un mystère, un dingue qui se cache derrière la réussite sociale imposante!
Tout est improbable mais tout est vrai. John Du Pont est un manipulateur qui gâche tout. Mark Schultz n'est pas futé. Le frère était un pilier solide, respecté, apprécié et intelligent. Mark le jalouse. John finalement le déteste car son argent ne peut pas acheter ses qualités!
Bennett Miller observe donc sur plus de deux heures, cette nauséabonde relation à trois. En apparence tout va bien: Du Pont est un bienfaiteur. Les frangins sont des durs au mal qui se battent pour leur honneur et leur épanouissement. Le décor est idyllique: Du Pont invite les champions dans sa résidence gigantesque de Pennsylvanie et sponsorise ce sport à coups de milliers de dollars!
Tout est réuni pour fêter l'Amérique des Winners, de ceux qui ne baissent pas les bras, des efforts des petits et des grands pour la triomphante idée de l'Amérique! Patatra, Bennett Miller glace l'image pour apporter tranquillement un malaise qui va se diffuser au fil des scènes, de plus en plus, ambiguës.
Les comédiens ne cachent pas les faiblesses de plus en plus visibles des personnages. Si Steve Carell en fait beaucoup derrière son maquillage pour nous faire comprendre le coté bipolaire du riche et seul John Du Pont, Channing Tatum et Mark Ruffalo sont excellents en australopithèques civilisés tout comme les discrets seconds rôles.
Bennett Miller et son malheureux fou John Du Pont pervertissent doucement mais sûrement tous les étendards de la société. La richesse. Le dépassement de soi. La fraternité. L'amitié. Tout est détruit par la folie sourde et souvent fascinante de Du Pont.
Miller, l'air de rien, fait comme les cinéastes les plus reconnus: il profite de l'anecdotique pour nous conter son pays, un peu barge et très photogénique. La petite histoire pour raconter la grande. Il fait du cinéma prêt pour l'analyse! Le film est si maîtrisé que le réalisateur étouffe un détail très important: l'émotion.
Sa délicatesse d'exécution est telle qu'elletient à distance le spectateur. Miller est peut être un peu roublard. Néanmoins, il réussit un thriller psychologique. Une oeuvre qui fait froid dans le dos, avec pas grand chose. Un portrait dérangé de l'Amérique qui gagne. Ce n'est pas tous les jours que l'on peut voir ca!
Avec Steve Carell, Channing Tatum, Mark Ruffalo et Vanessa Redgrave - Mars Distribution - 21 janvier 2015 - 2h14
Sweet Sixtine
Il y a quelques temps, dans ses pages, il était question de musique pour grandes surfaces. La marque Zadig et Voltaire préfère produire sa propre bande son. Donc de la musique de shopping, stimulante et élégante.
Le label est donc jugé suspect mais la production du duo électro pop est bien plus que soigné. Il y a tout ce qu'il faut pour briller en société. Un mélange subtile de pop bercé sur des beats intenses avec tous les effets qui vous donnent l'envie de consommer de la musique...
Bon on arrête ici les remarques un peu cyniques car franchement Sixtine, alliance entre une chanteuse et un habitué de la French Touch, reste une belle révélation. Ce n'est pas nouveau. Mais c'est justement le plaisir coupable de mélodies nostalgiques qui font plaisir à entendre.
C'est un peu daté. Mélanie et Eric refont les années 90 et la house qui commençait à faire secouer les popotins de la planète entière. Cet aspect rétro a quelque chose de romanesque comme si le duo était à la recherche du temps perdu.
Claviers et machines font ce qu'il faut pour que l'on remonte le temps. Avec délice et sans mélancolie. On ne sait pas si cette musique va pousser les ventes de vêtements mais elle est très vintage et rappelle que la French Touch est désormais une marque indélébile dans l'histoire de la musique.
Z&VM - 2014
La Hache et le Violon
En traitant des thèmes universels de l'utopie, du pouvoir, de la résistance, La hache et le violon est un grand roman qui confirme le statut d'auteur contemporain majeur d'Alain Fleischer.
"La fin du monde a commencé sous ma fenêtre. Il fallait bien que cela commence quelque part : il se trouve simplement que je suis bien placé pour parler de ce début."
Au début des années 30, dans une petite ville d'Europe centrale, un professeur de piano assiste de sa fenêtre aux premiers événements de ce qui pourrait bien être la fin du monde : un fléau meurtrier et invisible, qui entretient un rapport de forces mystérieux avec la musique et foudroie ses victimes en pleine rue. La résistance à ce fléau est d'abord conduite par les autorités et prend des formes successives et contradictoires, jusqu'au moment où l'organisation secrète d'un vieil érudit, Chamansky, ancien ingénieur en optique devenu luthier, parvient à imposer la musique comme arme suprême pour vaincre l'ennemi.
En ouvrant son roman par une de ces phrases appelées à passer à la postérité ("La fin du monde a commencé sous mes fenêtres"), Alain Fleischer frappe les esprits et capte l'attention du lecteur qui n'aura plus de répit avant longtemps. D'autant moins qu'à cette histoire qui met en jeu l'avenir d'une partie de l'humanité, il n'hésite pas à mêler une autre histoire, tout aussi universelle, mais qui touche, elle, à l'intime de son narrateur et de sa relation à la jeune Esther.
Mais c'est surtout, c'est le style d'Alain Fleischer qui fascine irrésistiblement. Sa faculté à raconter sans dévoiler, à choisir ses mots et composer ses phrases pour faire avancer son récit en lui donnant de faux-airs de surplace. Son talent pour entretenir un certain mystère jusque dans les faits les plus ordinaires. Sa propension à aborder, en profondeur, des thèmes aussi importants que le pouvoir, l'utopie ou la résistance collective. Toutes qualités qui, 350 pages durant, font de La hache et le violon un grand roman kafkaïen dont on savoure chaque phrase et qui s'insinue dans chaque fibre de notre être.
Dommage simplement que les 50 dernières pages, qui composent la (courte) troisième partie de l'ouvrage, se perdent dans des divagations fantaisistes et viennent un peu ternir ce grand roman de littérature et de conscience politique qui confirment Alain Fleischer dans son statut d'auteur contemporain majeur.
374 pages - Point seuil
Six personnages en quête d’auteur, Théâtre de la Ville
Emmanuel Demarcy-Mota restitue fidèlement la géniale intrigue de Luigi Pirandello et parvient même à l'embellir par sa mise en scène grandiose.
Six personnages entrent dans un théâtre, cherchant un auteur pour représenter leur drame, qu'ils prétendent aussi vrai qu'ils sont vivants. Là, dans la salle où un directeur répétait avec ses acteurs, la mise en abyme imaginée par Luigi Pirandello peut alors commencer. Pour le directeur qui veut bien se montrer indulgent et s’interrompre pour écouter leur récit, aussi saugrenu soit-il, les personnages ne peuvent ni jouer, ni être vrais, car ceux qui jouent ce sont les acteurs, ces mêmes acteurs qui donnent vie, alors que les personnages, eux, restent dans le texte.
Fidèle aux précises consignes laissées par Luigi Pirandello dans ses didascalies, Emmanuel Demarcy-Mota parvient, par des placements impeccables et des éclairages parfaitement orchestrés, à ce que les six personnages ne puissent pas être confondus avec les acteurs de la troupe. Pourtant, confrontés à des personnages vivants, très vite, ces acteurs ne trouvent plus leur jeu et personne ne semble plus savoir ce qui sépare le réel du fictif, le vrai du faux, et surtout, où commence et s'arrête le théâtre.
Un directeur peut-il mettre en scène la vie? Ne faut-il pas forcément l’écrire puis la représenter par l'intermédiaire de comédiens, comme si seuls des professionnels étaient susceptibles d'atteindre le vrai? Toutes les questions posées par Luigi Pirandello sont magnifiquement posées de nouveau par Emmanuel Demarcy - Mota et sa troupe et on se retrouve autant subjugué par la force du texte que par la beauté de la scène: ses ombres, ses lumières, ses décors, son rythme et ses effets techniques d’une esthétique parfaite (texte qui s’envole, manteaux qui dansent dans les airs).
Du grand théâtre.
Jusqu'au 31 janvier 2015