Uptown Special
Mark Ronson est une tête à claques. Son disque lui ressemble: sexy mais agaçant.
Il a la trentaine rayonnante. Mark Ronson, connu pour avoir produit quelques chansons d'Amy Winehouse, est devenu le producteur chéri de toutes les stars qui veulent se hisser au sommet du hit parade! Il est beau, élégant, riche, très riche, trop riche!
Mark Ronson fait dans le clinquant. Il ripoline avec un vrai talent de vieilles formules du rock et de tous les genres qui se vendent bien et qui hantent les grandes ondes et les chaines musicales. Il aime bien les coquetteries et le bling bling musical.
Pour son quatrième album, il s'offre donc la plume d'un ancien prix Pulitzer, Michael Chabon. Il accueille aussi des tas d'invités plus ou moins connus. On reconnaîtra le sympathique Bruno Mars et la caution historique, Stevie Wonder. Son disque se tourne donc vers le funk et le vieux R&B des années 80. Son disque pourrait être une bande originale d'un vieux film avec Eddie Murphy.
Il y a donc des lignes de basse qui feraient danser Huggy les bons tuyaux. Il y a des synthés qui pourrait ressusciter pour de vrai Prince. Mark Ronson, le dandy milliardaire de l'industrie musicale, se fait plaisir en préparant une bande son pour une fête un peu rétro ou un peu ringarde.
Tout cela est recréé artificiellement. Ronson regarde un peu trop vers le passé et ne prend pas beaucoup de risques. Cela s'entend sur certains titres. D'autres emportent l'adhésion en quelques notes. Comme dans une soirée, effectivement, l'excitation laisse la place petit à petit à la fatigue ou à l'ennui. Dommage.
RCA - 2015
Contact, Philippe Decouflé, Théâtre de Chaillot
Des Dieux de l’Olympe à West Side story en passant par Charlie Chaplin et Pina Bausch, Philippe Decouflé passe en revue l’univers des comédies musicales. Succès mitigé.
La Compagnie DCA (diversité, camaraderie, agilité) rassemble des jeunes, des moins jeunes, une femme enceinte, un tatoué, un beau noir, en tout seize danseurs, acteurs, musiciens sur la scène de Chaillot. Un monsieur Loyal mi Faust-mi Jean Claude assure la transition entre danse et cirque.
Dans un ensemble décousu sans vraie histoire, des scènes dansées alternent avec l’envolée poétique de la voltigeuse de talent Suzanne Soler. On note des longueurs et des tableaux assez inexpressifs. Maître du déjanté, Decouflé nous perd quelque peu dans son touche à tout.
Ce qui séduit par ailleurs dans Contact reste bien l’alchimie du spectacle vivant et de la vidéo. Des kaléidoscopes décuplent la force des images. Accompagnés de la musique de Nosfell parfois envahissante, les corps se rencontrent, la beauté apparaît.
Sitôt on l’aperçoit, sitôt elle nous ravit, voici le propre de l’insaisissable beauté. Comme en suspension, on prolongerait bien l’émotion alors que déjà elle nous échappe.
Reste la perfection du corps sculpté du danseur Sean Patrick Mombruno qui mérite à lui seul tous les Contacts…
Jusqu'au 06 février 2015
Durée 1h40
Chant’Oulipo, Jehanne Carillon, Théâtre Clavel
Au milieu de la scène, une grande table, un meuble de cuisine à placards et un petit four. Autour, un bouquet factice dans un grand pot, un vieux fauteuil, un fil à linge, un piano et une table à repasser qui, par un petit bricolage-maison, porte une flute traversière.
C’est dans ce décor familier et douillet que l’on est accueilli. Alors que le gâteau cuit dans le four, quatre amis communiquent en se jouant des mots et des notes. Crescendo, ils se défient en suivant les règles de l’Oulipo (ouvroir de littérature potentielle) et de l’Oumupo (ouvroir de musique potentielle) c'est-à-dire, en mettant la littérature et la musique sous contraintes, ou plutôt, dans tous leurs états.
Grâce à la mise en scène ingénieuse de Laurent Gutmann, les quatre comédiens se répartissent parfaitement l’espace, utilisant, un par un, tous les objets qu’il contient : le pot de fleurs comme tambourin ; la boîte de haricots verts Daucy (do-si !) comme instrument à percussion ; le fil à linge comme pupitre à partitions...
Et c’est parti pour une heure de jeux de langue et de sons entraînants, où l’on découvre l’histoire de la « Tortu-lipe », celle de « l’étrange « anti-lope » et où l'on est invités à mettre les mots dans « l’ordre le plus aléatoire possible ».
Aussi talentueux chanteurs que musiciens, Jehanne Carillon, Jean-Francois Piette, Olivier Salon et Valentin Villenave, se révèlent également incroyables comédiens, ne ratant pas une occasion de faire sourire ou même rire et leur bonne humeur est assurément contagieuse !
Les amoureux de Marivaux, Shirley et Dino, Théâtre de Poche
Quatre jeunes comédiens revisitent les duos d’amoureux de Marivaux en sketchs ponctués de chansons contemporaines.
Avec une grande liberté de ton, la troupe prénommée les Mauvais élèves offre une lecture décalée de situations extraites du répertoire de Marivaux. Avec fraicheur et légèreté ils présentent en solo ou en duo l’intrigue de La dispute, La surprise de l’amour, La méprise et La commère.
Après le flottement du début où l’on se demande s’ils vont réussir à moderniser Arlequin sans le dénaturer ni le parodier en tenue sixties, on est emporté dans une succession de sketchs. On salue la variété de personnages. Ils nous offrent quelques grands moments de rire comme l’échange de La mijaurée avec le tombeur ou la vieille fille avec le rustique.
On imagine les heures de lectures, de réflexion, d’essai et surtout de plaisir en coulisses pour marier la langue de Marivaux avec la chanson contemporaine. Bien que la réunion soit souvent plus hasardeuse qu’heureuse, on a plaisir dans l’ensemble à les écouter revisiter quelques grandes chansons françaises comme L’éducation sentimentale de Maxime Le Forestier et Comic Strip de Gainsbourg.
Faire du Shirley et Dino sur la langue de Marivaux, tel était l’écueil à éviter de la part des comédiens mis en scène par le duo d’humoristes. Mais outre certains passages surjoués, la variété de tons met à l’abri du danger. Valérian Béhar Bonnet et Guillaume Loublier, de vrais show men! Des Mauvais élèves à suivre !
Jusqu'au 18 janvier 2015
Mise en scène Shirley & Dino
Le Ciel au-dessus de Bruxelles
Difficile de parler BD et plus généralement dessin en ce moment...Alors pour rendre hommage à ceux qui sont partis, regardons un peu comment est traité le phénomène terroriste dans la BD traditionnelle.
On se souviendra d'abord de "Tintin au pays de l'or noir": dans cet album, selon l'édition que vous possédez, le traitement de la scène de l'arrestation de Tintin est différente. Une fois Tintin est entouré de soldats anglais, une fois de soldats arabes...Voilà pour la partie anecdotique d'une des premières apparitions du terrorisme dans la BD.
On passera sur une version qui me semble un peu étrange voire nauséabonde, ou alors je n'ai rien compris, ou bien c'est du second degré et en ce moment je ne dois pas être réceptif... Le truc est d'autant plus étrange que Tome puisqu'il s'agit de lui ne nous avait pas habitué à des choses de ce genre. Bizarre pour un ancien scénariste de Spirou.
De quoi s'agit-il? Et bien du dernier Soda. Soda, c'est un flic new-yorkais qui, pour ne pas angoisser sa maman avec laquelle il vit, lui fait croire qu'il est pasteur (jusque là, plutôt pas mal!). Le 13 album évoque l'attentat des tours du World Trade Center (pourquoi pas). Le problème, c'est que l'on est dans la théorie du complot. Le gouvernement ou ses services seraient responsables des attentats (vous commencez à voir le truc). Donc on passe et on regrette.
Après la vision historique et la vision parano, passons à la vision romantique. Thirault et Pagliaro ont lancé en 2011 aux éditions Dargaud, une série intitulée "La Mano" (2 tomes). Il s'agit de retracer l'histoire d'un groupe de jeunes étudiants dans l'Italie des année de plomb. Comment et pourquoi ces jeunes basculeront dans l'action violente, leurs motivations, leurs peurs. Le sujet étant historique et derrière nous, il fait moins peur.
Passons à la vision politique où la religion fait déjà une incursion. Il s'agit de l'album "Chien de fusil" (48 pages éditions Vent d'Ouest). En 1996, en solo, Lax explore de façon magistrale le conflit irlandais. L'album retrace 20 ans de conflit entre les années 60 et 80. Le livre est honnête, brillant, intelligent et bien dessiné. Il est beau comme le livre de Sorj Chalandon "Retour à Killybegs" qui traitait du même sujet avec la même profondeur.
En 2006, Bernar Yslaire s'attaque au sujet avec "Le ciel au-dessus de Bruxelles" (2 tomes éditions Futuropolis). Dans cette BD utopiste, Roméo est juif, Juliette est musulmane. Elle est chargée d'un détonateur et ceinturée d'explosifs. Va-t-elle commettre l'attentat pour lequel ses frères extrémistes l'ont désigné? Comme tous les albums d'Yslaire, celui-ci est beau, même si le sujet n'est pas simple et que Yslaire fut pas mal critiqué à sa sortie.
Pour terminer, on évoquera "Le légataire", série en 5 tomes éditée par Glénat. Il s'agit du meilleur des "spin-off" du fameux "Décalogue". Franck Giroud au scénario, Joseph Béhé et Camille Meyer au dessin y reprennent les personnages de l'album qui avait ouvert le "Décalogue".
Le sujet n'était pas simple. Une sourate inconnue retrouvée sur un os de chameau serait capable de faire vaciller les fondements de la religion musulmane. Comme tout ce qui est dit ces jours-ci, Giroud évite les amalgammes et cherche à montrer que foi et fanatisme ce n'est pas la même chose. Cette BD humaniste et pleine d'intelligence et de tolérance est intéressante, à relire aujourd'hui.
La tolérance, c'est bien l'acceptation de l'autre, mais certainement pas le reniement de soi, voilà ce qu'avaient voulu démontrer les dessinateurs de Charlie Hebdo en s'attaquant depuis plus de 40 ans pour certains à tous les sujets avec la même irrévérence et la même passion, cherchant toujours à faire réfléchir sans être donner de leçon, cherchant à faire rire avant tout.Sans espérer les égaler, essayons d'être Charlie en préservant ces valeurs!
Les frères Moustaches
L’ouvrage débute par :
«Les Frères Moustache existent. Dans un pays qui s’appelle la Birmanie, ils symbolisent aux côtés d’Aung San Suu Kyi, prix Nobel de la Paix, la résistance populaire à l’oppression. Depuis plus de vingt ans, ils défient le pouvoir avec une seule arme : le rire. »
Les frères Moustache ne sont pas forcément frères ! Ils n’ont pas non plus tous, une moustache. Ils ont toujours existé. Ils sont très nombreux, ils sont même de plus en plus nombreux et forment une belle grande famille fraternelle assoiffée de justice et de liberté.
Il suffit qu’un roi, qu’un chef, qu’un général, qu’un « président – Directeur – Galactique abuse de son pouvoir, qu’il soit capricieux, menteur, injuste ou malhonnête, pour que les frères Moustache passent à l’attaque.
Leurs armes ? L’humour, la moquerie, la satire, le spectacle et surtout les rires et le soutien du peuple. Rien ne les arrête et leur force est bien plus puissante que les bombes et la torture, si, si …
Alex Cousseau et Charles Dutertre proposent là un très bel album qui illustre parfaitement l’actualité de ces derniers jours.
Le texte est précis et installe une ambiance certes lourde, mais aussi pleine d’humour et d’espoir. Les illustrations extrêmement minutieuses et détaillées empruntent largement au théâtre folklorique oriental. Elles sont magnifiques et donnent envie au lecteur d’y revenir pour faire encore de nouvelles découvertes.
Voilà un biais formidable pour continuer à expliquer aux plus jeunes que la vraie force est dans l’intelligence, le débat, le respect des opinions de chacun et dans la vigilance contre le fanatisme. On peut rire de tout, c’est constructif et cela fait avancer le monde.
Cet ouvrage est une ode à tous ces clowns si essentiels - qui le paient parfois très cher - qui dénoncent depuis des siècles les excès et les abus des exaltés trop convaincus de leurs vérités.
C’est certain les Frères Moustaches sont tous Charlie et…
Charlie et son équipe sont tous des frères Moustache.
À lire dès 7 ans et le comble du luxe serait de pouvoir ensuite en débattre avec des grands et des petits….
Whiplash
Du jazz et de la passion, rien de plus pour réaliser un beau film! Quand le jazz est là, c'est la véritable java!
Tout est question de rythme! Andrew s'acharne sur sa batterie. Il est hanté par les grands noms du jazz. Andrew a dix neuf ans mais tout tourne autour de son instrument massif et bruyant. Dans une prestigieuse école de musique, il sue pour être le meilleur. Peut être attirer l'attention du tyrannique Fletcher. Un professeur qui pourrait faire passer l'instructeur de Full Metal Jacket pour un lapin de Pâques!
Un leader fascinant mais d'une cruauté inouïe. Avec son big band, il se comporte de la pire manière: il veut obtenir le meilleur de ses musiciens. Il semble s'acharner sur le tout jeune batteur, pour trouver le rythme de quelques classiques du jazz.
L'instruction va tourner au duel. Le jeune homme va tout sacrifier pour être au niveau. Fletcher lui gâchera dès qu'il peut son plaisir. Andrew voudrait être un géant. Fletcher l'oblige à être un simple musicien. Irréprochable. Andrew se perd dans cette quête de perfection, du rythme idéal, avant de se retourner contre son mentor...
Le duel est superbement filmé. Le jeune réalisateur, Damien Chazelle, scrute les deux hommes et leur affrontement autour de notes, de tempos et de mesures parfois futiles. C'est un combat dérisoire pour une issue qui pourrait être héroïque ou pathétique.
Il filme cela comme une mécanique violente et sans compromis. Andrew se coupe de tout (de son père, sa petite amie, de toute amitié) pour se rêver parmi les plus grands. Les plans sont secs, rapides, parfaitement cadrés. La caméra à l'épaule et un montage nerveux nous font comprendre l'angoisse des musiciens face au spectaculaire Fletcher, offrant enfin un grand rôle à JK Simmons, habitué aux seconds rôles.
Le rythme s'emballe au fil des cours, le frisson monte et on frise l'hystérie dès que les deux jazzmen se mesurent l'un à l'autre. C'est too much à certains moments mais on reste passionné par ce souci halluciné de l'excellence, la peur d'être médiocre, l'entêtement d'Andrew ou la violence de son professeur. Autour d'une simple batterie, filmé sous tous les angles, Damien Chazelle montre tout ce qu'il peut se cacher derrière une création. Les difficultés. Les douleurs. Pourquoi pas la folie!?
Hommage à la musique, puissante mise en scène, élégant récit d'apprentissage, Whiplash impressionne. Tout est question de rythme. Au cinéma comme en musique!
Avec Miles Teller, JK Simmons, Paul Reiser et Mekissa Benoist - Ad Vitam - 24 décembre 2014 - 1h45
Grace
Un seul disque. Dix chansons. La trace que Jeff Buckley a imprimé sur la route du rock semble bien légère. Mais son intensité persistante et troublante bouleversera longtemps pourtant ceux qui auront su s’y attarder.
Jeff Buckley était plus qu’un rocker, plus qu’un compositeur, plus qu’un poète, plus qu’un chanteur : c’était un petit ange tendre et solitaire, habité par la musique qu’il faisait jaillir autour de lui en grandes salves émotionnelles .
Scotty Moorhead n’a rencontré son père qu’une fois, en 1975 ; il avait 9 ans. Moorhead c’est le nom de son beau père, Ron, sympathique mécanicien spécialisé dans les Volkswagen. Sa mère chérie s’appelle Mary Guibert ; elle est violoncelliste, elle l’endort le soir en lui chantant des chansons des Beatles.
Le cerveau de Scotty ne retient que la musique, ne fonctionne que pour la musique, traduit tout en musique : dès six ans il se met au piano et à la guitare. Inadapté au reste, il décide de marquer son indépendance et récupère son vrai nom : Jeffrey Buckley, fils de Tim Buckley, poète, chanteur folk-rock mythique et extrême qui finira overdosé à l’âge de 28 ans.
Fini Scotty : Jeff trace la route, perfectionne sa guitare à Los Angeles, cachetonne par-ci par-là pour gagner sa vie. Puis il s’installe à New-York et se produit seul dans les bars (en particulier un café irlandais, le Sin-é), en reprenant Bob Dylan, Van Morrison, mais aussi Edith Piaf qu’il adore...La maison de disques Columbia finit par repérer ce jeune rocker atypique, à la voix extraordinaire qui s’accompagne à la Telecaster.
Il entrera en studio fin 1993 pour créer cette perle magique, l’album « Grace », qui sortira lors de l’été 1994, avec sa pochette émaillée de pendules et de réveils bloqués sur 8h20 (ou 20h20).
Un véritable choc en France (l’album y sera récompensé par le très sérieux Grand Prix International de l’Académie Charles Cros) puis ailleurs. Dix morceaux d’une intensité, d’une fragilité et d’une force émotionnelle bouleversantes : les coeurs et les âmes sont chamboulés. Jeff Buckley a extrait de lui même quelque chose d’extraordinairement beau, simple, riche et universel .
Un album miraculeux, mystique et profondément humain. Peu de production : des guitares brutes, vivantes et une voix splendide, d’une variété étonnante mais toujours chargée de sincérité, d’authenticité et d’une pureté presque irrationnelle.
Ecoutez Grace, le morceau-titre au tempo de valse : c’est un joyau de composition et d’interprétation. Ecoutez cette reprise du païen Hallelujah de Léonard Cohen ou cette céleste version du Corpus Christi Carol de Benjamin Britten (compositeur classique anglais). Et la hargne soudaine de Eternal Life. Et cet époustouflant Dream brother qui ferme la marche.
Un enfant du rock digne de ce nom ne pouvait qu’en tomber par terre, rester bouche et oreilles bées et les yeux embués de larmes.
Et puis Jeff Buckley s’est enfermé malgré lui dans un piège pernicieux : celui du succès, celui d’un système à l’affût de nouvelles stars. Sa maison de disques l’embarque dans une inhumaine tournée de concerts qui durera deux ans et au cours de laquelle il s’épuise. Beau gosse et artiste à potentiel, il est surexploité, alors que sa seule ambition reste de gagner juste assez pour vivoter de sa musique .
Fin 1996, il se remet à la composition et prépare un album en compagnie de Tom Verlaine. Et il reprend les petits concerts dans les petits cafés à New York , puis à Memphis où il s’installe en mars 1997 pour peaufiner ses nouvelles chansons .
Jeudi 29 mai 1997 : la journée a été chaude. Jeff est descendu en soirée (20h20 ?) sur les rives du Mississipi, avec sa guitare. Il s’est jeté dans l’eau tout habillé et il a chanté comme un fou en faisant la planche. La pluie a commencé à tomber, à verse.
Et il riait et il chantait sous les trombes.
- « Well it’s my time comin’ I’m not afraid / Afraid to die...And the rain is falling and I believe my time has come/..And I feel them drown my name/.../I’m not afraid to go but it goes so slow ».
Tu avais l’air heureux, tout à coup, Petit Prince. Comme délivré d’un poids, tu nageais, tu chantais, tu riais. Où allais-tu comme ça ?
Le croisement de deux bateaux a provoqué des vagues et du courant.
On retrouvera le corps cinq jours plus tard.
Columbia - 1994
Fragments, Peter Brook, Samuel Beckett, Bouffes du Nord
Deux grands noms (Beckett/ Brook) pour un beau spectacle qui interroge notre fragile humanité.
"FRAGMENTS" me fait penser à l'archéologie; "fragments" comme une pièce détachée, un morceau arraché, une simple trace d'une histoire, à partir duquel l'archéologue tente de reconstituer un contexte et le cours de l'Histoire.
Ici on ne tente pas de créer un récit, mais on assume présenter une suite de sketches. Oui de sketches, car Peter Brook et Marie-Hélène Estienne donnent à redécouvrir l'humour de Samuel Beckett. En solo, duo ou trio, les trois interprètes et vieux complices (Jos Houben, Kathryn Hunter et Marcello Magni) donnent vie aux personnages se débattant dans l'absurdité de l'existence.
Eh oui, comme chez Tchekhov, la comédie est douce-amère: vous avez déjà eu cette impression que votre regard ne porte pas assez loin? Dans le grand dessein de l'univers, comment savoir quels sont la place et le rôle de l'Homme, espèce parmi les autres espèces? D'ailleurs, l'Homme a-t-il un rôle ou créé-t-il sa propre Histoire? Quand on croit atteindre un but et que tout vole en éclats, quand on entend des armes lourdes répondre aux sarcasmes, peut-on encore soutenir que la vie a un sens? Bref, à la chute des dogmes succède le doute permanent et ne survit qu'une certitude: la vie est absurde mais il faut vivre!
"Fragment de théâtre I": un estropié sort de son trou, attiré par le violon grinçant d'un aveugle: qui va guider l'autre? Vont-ils coopérer ou s'entretuer, eux qui n'avaient pas entendu une voix humaine depuis longtemps? Ce fragment fait penser au théâtre d'Edward Bond, qui interroge aussi notre humanité dans sa nudité.
"Rockaby / Berceuse": une vieille femme soliloque, pour reculer le moment où elle s'abandonnera dans son rocking-chair / tombeau.
Malgré de tels sujets, et parce qu'ils sont évoqués avec grâce, on rit aussi beaucoup, surtout dans les deux derniers sketches.
"Acte sans Paroles II": une journée ordinaire dans la vie de 2 hommes, résumée par les rituels du lever et du coucher. Le premier commence et finit sa journée en priant (de plus en plus frénétiquement et désespérément), espérant et râlant. Le second accueille le jour avec joie, le célèbre physiquement et l'achève dans une reconnaissance émue. Cette scénette révèle un Beckett New Age, disant en substance: tout est dans le regard, votre esprit crée votre réalité...
Peter Brook et Marie-Hélène Estienne recréent ce spectacle de 2008 avec leurs compagnons si talentueux, au jeu physique précis et décomplexé, si caractéristique des héritiers de Jacques Lecoq (c'est le cas de Jos Houben et Marcello Magni, formés à l'école Lecoq; Kathryn Hunter, elle, a étudié entre autres, les techniques de Grotowski).
Un auteur toujours intéressant à redécouvrir et un formidable jeu d'acteurs à applaudir au Théâtre des Bouffes du Nord jusqu'au 24 janvier, du mardi au samedi à 20h30 (également les samedis 17 et 24 janvier à 15h30).
Sous le charme et complètement accros, vous pourrez retrouver Jos Houben et Marcello Magni dans leur création, "MARCEL", également au Théâtre des Bouffes du Nord, du 29 janvier au 14 février, à 19h.
Storytone
Il va désormais trop vite pour nous. En vieillissant, face au temps qui passe, le Canadien Neil Young ne veut plus perdre la moindre minute et propose encore un disque en forme de gourmandise.
Car Neil Young tente de nouveau une nouvelle expérience. Il y a peu il sortait un disque enregistré dans les conditions primaires et primitives des premiers 45 tours. Cette fois ci, il part dans le sens inverse: il fait dans l'emphase avec un orchestre de 90 musiciens.
Neil Young était connu pour sa bipolarité éclectique: il aime les ambiances campagnardes avec sa guitare sèche comme il aime converser avec la fée électrique par le biais de sa guitare survoltée. Pape de la folk et du grunge en même temps: c'est pour cela qu'on l'aime notre papy Neil!
Ici, il fait donc une pause un peu luxueuse. Sa voix se coince parfaitement entre les accords mélodiques et les effets orchestrales. Toujours aussi, généreux, il donne aussi une version acoustique. Depuis 2012, il a sorti cinq disques et tous sont très différents.
Ce n'est pas toujours de bon goût. On le sent maladroit lorsqu'il fait le crooner avec un big band. Le militant est un peu mielleux dans ses textes mais son aventure orchestrale n'est pas à négliger. Le lyrisme y est plus classique dans la forme mais c'est aussi une marque de fabrique de Neil Young: son incandescente douceur.
On se sent donc bien avec lui (excellent final All those Dreams). Il y a toujours son harmonica pour nous consoler de quelques facilités. Il y a toujours cette voix si atypique et libérée qui nous élargit les idées. Ce 35e album représente une pause inattendue chez Neil Young qui s'imagine en producteur hollywoodien. C'est distrayant et surtout on se demande ce qu'il va nous inventer dans quelques mois. Difficile à suivre, mais c'est passionnant!
Warner - 2014