Fuir et revenir, Prajwal Parajuly, 10/18

Après Le temps de l’indulgence de Madhuri Vijayun, je continue d'explorer la littérature indienne contemporaine avec Fuir et Revenir, de Prajwal Parajuly. Autant vous le dire tout de suite, je n'ai pas été particulièrement emballé par ce roman.

L'histoire est simple. A l'occasion de son quatre-vingt-quatrième anniversaire (une célébration particulièrement importante en Inde, Chitralekha, une vieille dame à la poigne de fer reçoit chez elle ses quatre petits-enfants qu'elle a élevés. Chacun d'eux a quitté le pays à l'âge adulte, et tourné le dos aux traditions du Sikkim, l'état indien situé au cœur de l'Himalaya, dont ils étaient originaires.

" La vieille femme (a) des comptes à régler avec tout le monde." (page 134)

Chacun a un secret honteux qu'il veut cacher aux autres, par peur de leur jugement. Bhagwati - qui s'est mariée avec un homme d'une caste inférieure - n'a pas trouvé la fortune aux États-Unis d'Amérique où elle est réfugiée. S'il a réussi professionnellement aux USA, Agastaya, lui, n'assume pas son homosexualité. Manasa a fait de brillantes études et un beau mariage, mais elle a dû renoncer à sa carrière à Londres pour jouer la garde malade auprès de son beau-père. Ruthwa, quant à lui, a commis un acte impardonnable en écrivant un roman où il a dévoilé un secret de famille.

Seule Prasanti, la "domestique demi-genre (…) persécutrice née " (page 109), est restée auprès de la matriarche dont elle fait figure de fille adoptive loyale mais irrévérencieuse.

Dans ce livre, tout semble à la fois survolé et très long. L'auteur, Prajwal Parajuly, se lance dans des pistes prometteuses qui n'aboutissent jamais réellement. Par exemple, le dévoilement du secret révélé par Ruthwa dans son livre tombe totalement à plat ; peut-être parce qu'on l'a trop attendu...

La lecture de ce livre n'est pas inintéressante en ce que le roman est exotique et dépaysant. Ainsi, j'ai appris quelques choses sur les dissensions qui traversent l'Inde, et sur le poids des traditions et des religions. Oui mais voilà, je n'ai pas été touché par l'histoire. Les parcours de vie des protagonistes, leurs états d'âmes, ne m'ont pas ému, ne m'ont pas touché. Surtout, je ne me suis jamais attaché aux personnages qui ne sont ni sympathiques ni pour autant le genre d'anti-héros qu'on adore.

Parution le 18 août 2022
en poche chez 10/18
Éditeur originel:
Emmanuelle Collas Éditions
Traduction Benoîte Dauvergne (Anglais, Inde)
384 pages / 8,50€

Ghosteen, Nick Cave

Toujours marqué par la disparition de son fils, Nick Cave embarque une fois de plus ses fidèles bad seeds pour exorciser la douleur. Que c'est dur!

En 2016, Nick Cave sort le décharné Skeleton Tree. Une œuvre au noir pour un chanteur qui ne va tout de suite vers l'humour et la rigolade. Il fait parti des grands artistes qui se nourrissent de la partie noire et sombre du rock et de l'art en général.

En 2019, il revient avec un double album qui va droit au cœur. Il a perdu son fils de 15 ans. Skeleton Tree était la réponse immédiate. Cette fois ci, les complices reprennent la route des harmonies sublimes et tortueuses.

Ne cherchez pas de hit ou de chanson dans le sens traditionnel. Les couplets se confondent avec les refrains. Les sons s'installent délicatement pour recevoir toute la noirceur de l'artiste, toute sa souffrance, qui s'expose avec une beauté claire obscure, absolument touchante.

On en a gros sur la patate après la fin de cet opus massif et oppressant. On est dans le cœur meurtri de Nick Cave. On entend ses blessures. On devine le père assassiné par la disparition du fils roi, Arthur.

Al Qasar, Bloodywood, The Hu

Ceci est un cliché: le metal est une passion de viking nordique ou de redneck cramé à la bière. Pourtant le genre s’est bel et bien mondialisé avec des groupes qui apparaissent de contrées inattendues pour des résultats pour le moins exotiques.

Cette chronique va commencer par un groupe qui ne touche pas vraiment à cette musique de chevelus et adeptes des sons extrêmes. Al Qasar fait plutôt dans le psychédélisme chaud du Nord de l’Afrique.

C’est un bon moyen de casser les clichés et c’est ce que font les autres groupes dont nous parlerons. Car Al Qasar est un exemple de la mondialisation heureuse. Né à Paris, ce groupe mélange les guitares électriques et les sons orientaux.

Le résultat ressemble à un melting pop surpuissant et joyeux. On croise dans ce souk musical, Lee Ranaldo des Sonic Youth ou Jello Biafra des Dead Kennedys. On est clairement dans un beau moment de rock’n’roll. Il y a des envolées planantes et des refrains hypnotiques.

On savait que les touaregs avaient une passion pour les guitares électriques mais vers l’Atlas, le courant passe et inspire des musiciens en transe, ravis de jouer avec les subversion du style, du blues à des choses plus corsées.. Who are we est une surprise qui donne de l’espoir sur l’échange entre les peuples… c’est un peu stéréotypé comme propos mais c’est un espoir tellement bon.

Mais revenons à notre sujet: le metal exotique avec les Indiens de Bloodywood. Là, ça ne rigole plus: il y a de la guitare malmenée, de la batterie en douleur et des hurlements gutturaux qui servent de cri de rassemblement pour pogo festif. Tout ceci dans une ambiance virile et correcte.

Vous entendrez donc des flûtes, des sitars et des tambours de New Delhi: il y a donc deux chanteurs qui se prennent pour Linkin Park, des samples assez 90's et des guitares qui s'enragent autour de tout le décorum local.

D’abord entreprise parodique, Bloodywood s’est pris au sérieux avec une série de chansons musclées qui nous changent des comédies musicales. Ils ont bien compris le genre et le triturent avec aisance dans les traditions indiennes. C’est une espèce de catapulte sonore qui nous embarque dans une autre Inde, révoltée et consciente de tous ses problèmes de cette nation haute en couleurs et cela s’entend dans ce disque!

The Hu furent l’un des premiers groupes venus de loin pour nous faire rougir les oreilles à coups de guitares et de traditions bien locales. Tel Gengis Khan, les Mongols nous ont d’abord fait sourire puis ils ont fait plier notre ironie avec des morceaux costauds qui pouvaient rivaliser avec les gros noms de la scène métal.

C’est un groupe à prendre au sérieux et c’est ce que l’on fait avec un second album qui déborde d’ambitions d’invasion sur toute la planète, de riffs majestueux et de guitares qui galopent dans les steppes. Habilement The Hu amènent leurs techniques vocales mongoles dans un son accessible au plus grand nombre.

Ils diffusent donc leur culture avec un élan qui force le respect. Ils ont l’air très fiers en mêlant inspirations rock et traditions folkloriques. Cela va souvent plus loin que l'exotisme amusant. C’est de la pure attitude et c’est un rock exubérant qui ne déconnecte jamais des origines du groupe. Si vous connaissez des groupes de black death du Groenland ou du metal des Philippines, n’hésitez pas! Ça nous lave les oreilles et ça nous permet de voir au-delà des conventions et des frontières!

Harvey, Mary Chaise, Laurent Pelly, Rond-Point

Une fable intelligente et drôle qui pose la question de la différence, ou plutôt : comment assumer sa différence dans un monde conventionnel ? Comment porter la fantaisie en étendard dans une société peu encline à la tolérance ? 

Elwood P. Dowd est un doux rêveur, un homme poli, bien élevé, qui porte un complet veston impeccable et affiche un sourire permanent. Sa mère, en mourant, lui a légué un bel appartement qui lui permet d’abriter sa sœur et sa nièce, et de vivre la vie qui lui convient, entre oisiveté, alcool et festivités mondaines. Un homme ordinaire et heureux en apparence… qui ne se déplace jamais sans son ami imaginaire, un lapin blanc d’ 1m90 prénommé Harvey ! Elwood ne voit d’ailleurs pas ce qui cloche avec cette habitude puérile, et pour tout dire gênante. Quand il présente son ami aux invités de sa sœur ou aux buveurs de chez Charlie, le bar où il a ses habitudes, ses interlocuteurs restent muets et s’éclipsent en le traitant de fou. Quant à sa nièce, elle désespère de conquérir un mari avec un oncle si inconvenant ! La présence invisible de Harvey embarrasse la famille d’Elwood et par extension, c’est Elwood lui-même qui est jugé embarrassant dans sa propre maison, alors sa sœur fait ce qu’elle avait repoussé depuis plusieurs années… elle demande l’internement psychiatrique d’Elwood.

Mais dans la clinique du célèbre Dr Simmons, tout se détraque : la sœur avoue qu’elle aussi parfois, voit Harvey - serait-ce une maladie contagieuse ? Le médecin-assistant fait enfermer la sœur et libérer le frère… avant que le médecin-chef, lui-même poursuivi par l’avocat de la famille, ne poursuive Elwood, qui fidèle à ses habitudes, lui, court de cocktail en soirée…

Pourtant, on ne voit pas bien quel pourrait être le pouvoir de nuisance d’Elwood… un homme simple, qui ne hausse jamais le ton, se montre généreux en pourboire, et galant avec les dames… alors pourquoi enfermer Elwood ? Et en enfermant Elwood, est-on sûr d’être nécessairement débarrassé de Harvey ? Car Harvey est un Pooka, un être imaginaire de la mythologie celtique (on pense à Alice au pays des Merveilles mais aussi à Mon voisin Totoro) : on ne se débarrasse pas si facilement de Harvey... mais faut-il s’en débarrasser ? Il porte bonheur et prédit l’avenir… un doudou dans un monde de brutes !

Cette fable est vraiment délicieuse. L’humour de Mary Chase est particulièrement pince sans rire et grinçant. Dans le décor bourgeois, les invités sont hypocrites, les jeunes filles pressées d’abandonner leur virginité (et leur famille) ; dans la clinique psychiatrique, les médecins sont les pantins de leurs propres passions, s’abandonnent à leurs pulsions, se révèlent plus malades que leurs patients, et reconnaissent au détour d’une conversation, leur très grande ignorance et leur quasi incompétence en matière de soin. Dans cette satire sociale, les hommes (au pouvoir) sont ridiculisés et leurs fragilités dévoilées ; les personnages féminins (subalternes) sont réhabilitées, rendues à leur dignité et ainsi tous les personnages finissent sur un pied d’égalité : le fort et le faible, le fou et le sain d’esprit. Car ce qui compte c’est justement cela : comment bien se comporter en ce monde ? Qui est le plus gênant finalement dans cette petite société ? Et qui est : le fou ?

La mise en scène de Laurent Pelly est très habile, les changements de décor (de Chantal Thomas) se font à vue, les lumières du plateau nous plongent parfois dans un mystère et nous croyons apercevoir dans l’entrebâillement d’une porte, se glisser la silhouette géante de Harvey… Surtout on admire une belle troupe d’acteurs, homogène et complice. Et finalement, on envie presque la liberté assumée, la fantaisie intelligente d’Elwood, merveilleusement incarnée par Jacques Gamblin*, comme on dit, au sommet de son art.

A voir avec délice

(PS: pour avoir un autre point de vue sur la pièce, CLIQUEZ ICI)

Jusqu’au 8 octobre 2022
Théâtre du Rond-Point
Texte : Mary Chase
Traduction nouvelle : Agathe Mélinand
Mise en scène : Laurent Pelly
Avec : Jacques Gamblin, Christine Brücher, Pierre Aussedat, Agathe L'Huillier, Thomas Condemine, Emmanuel Daumas, Lydie Pruvot, Katell Jan, Grégory Faive, Kevin Sinesi
Décors : Chantal Thomas
Création lumières : Joël Adam
Création son : Aline Loustalot
Costumes : Laurent Pelly, Jean-Jacques Delmotte
Perruques : Pascal Jehan
Assistanat à la mise en scène : Grégory Faive

21 septembre - 8 octobre 2022
Salle : Renaud-Barrault
Horaires : Du mardi au samedi, 20h30 - Samedi 8 octobre et dimanche, 15h - Relâche : Les lundis et le 1er octobre
Durée : 1h50

*Jacques Gamblin a reçu le Molière du Comédien dans un spectacle de Théâtre public 2022 pour le rôle principal dans Harvey

Génération Mitterrand, Cohen-Paperman, Diard-Detoeuf, Théâtre de Belleville

Après “La Vie et la mort de J. Chirac, roi des Français” la Compagnie des Animaux en Paradis revient avec un nouvel épisode de la série théâtrale “Huit rois (nos présidents)”. L’objectif de cette série est de peindre le portrait théâtral des huit présidents de la Cinquième République, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron.

Dans ce second épisode de la série, nous suivons la vie de Michel, ouvrier à Belfort, Marie-France, journaliste à Paris, Luc, enseignant à Vénissieux.Ils sont nés en 1950. Le 10 mai 1981, ils ont 30 ans et rêvent de François Mitterrand à l’Élysée. En 2022, ils ont voté respectivement pour Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Emmanuel Macron. Entre désillusions et déceptions, qu’est-ce qui a pu se passer pour que le peuple de gauche se divise autant ?

Léonard Bourgeois-Tacquet, Mathieu Metral, Hélène Rencurel (en alternance avec Lisa Spurio) interprètent en alternance les électeurs, le Président et son entourage pendant les différentes étapes de sa vie. Chacun des personnages se retrouve tour à tour à incarner « son » Mitterrand.

Entre enthousiasme et manipulations, on se délecte tout particulièrement des caricatures qu’ils deviennent au fil des âges. Finalement, n’est-ce pas les parties d’échecs mis en place et joués par Mitterrand qui ont conduit à la création des alternatives comme Le Pen, Macron ou Mélenchon pour des lectorats aux prises avec les enjeux actuels.

Génération Mitterrand se révèle être une critique juste. Cependant, la personnalité de Mitterrand reste finalement mystérieuse puisqu’on le découvre à travers les yeux des autres. Bien résumée par Marie-France, la journaliste, quand on lui demande son avis sur le premier Président de gauche de la Cinquième République : « Mitterrand, c’est comme la Bible. Il y a beaucoup de choses et tout est intéressant… Mais chacun l’interprète à sa façon. »

Nous avons déjà hâte de découvrir le prochain épisode consacré à Giscard d’Estaing.

Génération Mitterrand
Théâtre de Belleville
Jusqu'au 30 septembre 2022
À partir de 14 ans
Durée: 1h15
Texte: Léo Cohen-Paperman et Émilien Diard-Detoeuf
Mise en scène: Léo Cohen-Paperman
Jeu: Léonard Bourgeois-Tacquet, Mathieu Metral, Hélène Rencurel

De l’ambition, Yann Reuzeau, Manufacture des Abbesses

Est-ce que vous vous souvenez de la personne que vous étiez lorsque vous n’étiez qu’un adolescent ? Quels étaient vos rêves, vos envies, vos aspirations ? Yann Reuzeau nous invite dans une folle escapade en terre adolescente avec son dernier spectacle « De l’ambition ».

Nous suivons les péripéties de cinq adolescents qui s’apprêtent à quitter le lycée. Le glas a sonné pour leur(s) adolescence(s), leur(s) monde(s) et leur(s) amitié(s)…

L’adolescence se vit au pluriel, emplie d’intensité et de questionnements. Cette pièce se déroule au moment où l’on sent que l’on vit les derniers moments d’un chapitre qui ne va pas tarder à se tourner.

Ils se sont connus pour la plupart étant enfant. Et à présent, qui sont-ils ? Des adultes en devenir, aux prises avec leur ambition, leur sexualité et convictions. Ils s’aiment et se supportent mais pour combien de temps ?

Les différents personnages nous rappellent de lointains souvenirs du lycée : « le beau gosse aux allures de gros dur », « le/la paria », « la fille sexy un peu pimbêche», « le gars sympa et gentil »… Mais ils se moquent eux-même de la caricature qu’ils peuvent représenter et des situations qu’ils traversent.

Et cela fonctionne… Oui, tout cela fonctionne très bien même.

On s’attache aux personnages, on rit, on a le cœur serré… Nous ne sommes plus dans une salle de spectacle mais bien propulsés dans leur(s) univers physique et fantasmagorique. Et tous s’emploient à répondre aux fameuses questions : « Qui suis-je ?» et « Qu’est-ce que je désire devenir ? ». Et finalement, il va en falloir « de l’ambition » ! De l’ambition pour devenir soi.

On peut également saluer tout particulièrement les comédiens, à peine plus âgés que leur personnage, qui font preuve d’une grande justesse de jeu !


DE L’AMBITION
Manufacture des Abbesses
Septembre 2022
Texte & mise en scène Yann Reuzeau
Avec Julian Baudoin, Clara Baumzecer, Gaia Samakh, Gabriel Valadon, Ines Weinberger.
Équipe: Assistante Clara Leduc, Scénographie Goury, Lumières Elsa Revol, Affiche Thomas
Ehretsmann, Crédit photos Xavier Canta

Satomimagae, Heilung, Asa

Marre de l’Angleterre! On vient de passer nos derniers jours autour du cercueil de la Reine et celui de la politique britannique qui n’en finit plus de se ridiculiser. Heureusement il y a encore le rugby et la musique pour nous offrir de grands frissons Outre Manche. En tout cas, il est tant d’aller voir ailleurs pour prendre l’air !

Pour cela un petit voyage folklorique au Japon ferait le plus grand bien. Sorti l’année dernière, Hanazono nous réconcilie avec la douceur de vivre. La musicienne Satomimagae vous prend dans ses harmonies délicates et vous berce pour vous consoler de tout.

C’est de la musique brumisateur. Ce n’est pas une vanne. Les mélodies se déposent avec douceur. Ça devient au fil des notes épidermiques et on se met rapidement à aimer l’ambiance matinale de cette musique sans compromis qui navigue entre le spleen d’un Nirvana et un sens de l’aventure à la Nick Drake.

Pour les cotillons et les paillettes, faudra repasser mais offrez vous un thé, devant un déluge de pluie, vous verrez cela fait son effet et ça nous change des marches militaires que l’on voit à la télé depuis des jours et des jours.

Si vraiment vous en avez marre d’un monde qui tourne en boucle autour de trois sujets et que vous voulez réellement vous échapper, mettez vous dans les oreilles le son primitif de Heilung, le succès de la rentrée et l’étonnante réussite de ce groupe pour le moins atypique.

Il s’agit par exemple du premier groupe à cornes ! Né chez un tatoueur spécialisé dans la tradition nordique, Heilung tente de ressusciter la musique viking dans une ambiance un peu moyen-âgeuse. Ça pourrait plaire autant aux fans de metal que ceux de new age.

C’est Era qui rencontre le 13e Guerrier! Le groupe de rock doit probablement venir d’une forêt elfique du Seigneur des Anneaux. C’est pour le moins planant et assez vertigineux. C’est donc de la musique viking contemporaine: les musiciens déguisés et maquillés reprennent des traditions d’une autre époque, enfouie sous des mystères, des poèmes et une radicalité très dépaysante. A ce niveau ce n’est plus de la musique mais un rituel. C’est parfois prenant. Parfois ridicule. Mais ça ne laisse jamais indifférent.

Autant fuir au soleil avec ce début d’automne et on appréciera tout particulièrement l’évolution d’Asa et son album V. Vivace! C’est un concentré de musiques vivantes et l’artiste continue de s’implanter comme une musicienne importante du Nigeria

Asa a une envie d’en découdre avec le monde et c’est réjouissant. On comprend son évolution au fil de ses albums. On est désormais loin des débuts folk et sa musique est beaucoup plus actuelle. Sans jamais se renier.

On croise donc dans ses disques, des stars comme Wizkid mais la chanteuse ne perd jamais pied. Court et précis, V est une belle aventure dans un afrobeat qui se laisse aller avec une fausse nonchalance à une pop commerciale qui ne choisit pas la facilité, un r&b chaloupé ou une soul du Monde d'aujourd'hui.

Il y a plus d’effets electro mais la voix d’Asa est toujours un fil conducteur agréable à suivre et entendre. Ces trois disques en tout cas nous emmènent là où personne ne regarde en ce moment et c’est de toute façon une grande et belle qualité.

Toute l’histoire de la peinture en moins de deux heures, Hector Obalk, Théâtre de l’Atelier

Voilà un petit moment que je n'étais allé à Montmartre. Quelle laideur et quelle désolation ont apporté dans leurs valises les touristes de masse ! Heureusement, certaines choses du quartier des Abbesses sont immuables, comme le Théâtre de l'Atelier qui trône si joliment sur une petite place arborée.

La laideur environnante sera totalement oubliée dès que vous franchirez la porte du théâtre pour assister à une représentation de Toute l'histoire de la peinture en moins de deux heures, d'Hector Obalk. Car j'espère bien vous convaincre de ne pas passer à côté de ce spectacle aussi drôle qu'édifiant.

Le critique d'art Hector Obalk s'est lancé le défi de nous expliquer en moins de deux heures toute la peinture, du XIIIème au XXème siècle. Dès le départ, il désamorce les bombes sexiste et wokiste ; oui, il ne parlera que de peintres mâles et occidentaux, non par choix mais parce que c'est là que cela se passe.

Pendant (un peu moins de) deux heures, Hector Obalk évoquera avec le même entrain les primitifs italiens (qui "ne savent pas faire les décors, alors (qui) font des fonds or" !) jusqu'aux contemporains qui ont déconstruit la peinture. Il isolera quelques œuvres, les agrandira, les comparera et les disséquera grâce à un mur d'images allant de Giotto à Yves Klein, une mosaïque de chefs d’œuvres picturaux projetée sur le fond de la scène.

Hector Obalk laisse une large part à l'improvisation et adopte un ton léger (voire parfois grossier), ce qui nous met à l'aise. Ma fille de bientôt neuf ans était morte de rire, comme le reste du public. Parfois, cet érudit décontracté a même l'élégance de faire semblant d'hésiter sur certains noms de peintres, comme pour se mettre à notre niveau. Il est très agréable de ne pas avoir l'impression d'être écrasé sous le poids des connaissances du conférencier ; c'est comme une discussion de bistrot.

A un rythme effréné seront évoqués Giotto, Corègge, Parmigianino, Fra Angelico, Leonardo da Vinci, Le Greco, Bronzino, Rubens, van Ruisdael, Le Caravage (un immense merci à Monsieur Obalk de me l'avoir fait découvrir !) et tant d'autres... sans que cela soit pesant.

Hector Obalk ne cherche pas le sens de l’œuvre, il ne s'attarde pas sur sa place dans l'Histoire mais, sans faire montre d'autorité, il cherche à nous donner envie d'ouvrir les yeux et nos cœurs à la poésie d'une œuvre. Il nous donne des clefs pour regarder attentivement, analyser et apprécier un tableau. En osant dénigrer certains grands peintres, le conférencier (ou devrais-je plutôt dire le showman!) désacralise la Peinture en même temps qu'il la célèbre. En affirmant qu'on a même le droit de ne pas trouver Van Gogh génial, il rend l'Art (avec un grand A) beaucoup moins intimidant pour le profane. Cela me touche car, pour moi, une œuvre doit pouvoir se suffire à elle-même - vous prendre aux tripes ! - sans avoir besoin d'explications.

Toute l'histoire de la peinture en moins de deux heures est un spectacle que l'on aimerait revoir (ce que l'on pourra faire aisément car il se décline en deux versions, A comme Alpha, et B comme Bravo). Surtout, c'est un moment que l'on a envie de partager avec ceux qu'on aime, c'est pourquoi je vous le recommande chaudement !

Spectacle vu le 18 septembre 2022
au Théâtre de l'Atelier, Paris 18

Retrouvez toutes les informations sur les différents spectacle en cliquant ici

Le parcours A (comme ALPHA)
PRIMITIFS ITALIENS (Dormition de la Vierge de Giotto)• ANGELICO (Dormition de St François) • VAN EYCK (Vierge au Chevalier Rolin) • LÉONARD (Annonciation) • MICHEL-ANGE (Le Serpent d'Airain) • CORRÈGE (Léda et le cygne) • BRONZINO (Triomphe de Vénus) • CARAVAGE (L'Amour vainqueur) • RUISDAEL (Paysages hollandais) • VERMEER (Dame écrivant une lettre) • WATTEAU (Voulez-vous triompher des belles) • CHARDIN (Le Gobelet d'argent) • CÉZANNE (Allée du Jas de Bouffan)… et enfin un peintre contemporain (surprise du jour). 

Spirou est mort, Schwartz, Guerrive, Abitan, Dupuis

De mieux en mieux! Spirou en one shot c'est impressionnant. La série régulière continue de nous épater. Aujourd'hui on porte le deuil ; pas pour une reine mais un personnage vraiment hors pair de la bande dessinée.

Car le titre ne cache pas la triste destinée du groom le plus célèbre de Belgique. Spirou est mort. Vive Spirou. Olivier Schwartz avec son dessin vintage avait réussi à faire oublier des aventures un peu laborieuses de Spirou, Fantasio et Spip. Depuis quelques numéros ça se confirme: À 80 ans, Spirou est en grande forme ! Pas pour longtemps.

Mais ce sont ici visiblement ses dernières pages. La modernité est une obsession et les auteurs en jouent avec une habileté rare. Le duo de journalistes vit dans un monde qui leur échappe et malgré leurs efforts, ça semble aller un peu trop vite pour eux. Malgré leur courage et leur humour.

Mais cette fois, ils se font déborder par une enquête qui revisite une fois de plus des lieux mythiques de leurs précédentes aventures. Jamais nostalgiques, les trois auteurs de la bande dessinée nous emmènent vers un destin funeste mais palpitant.

C'est rythmé, coloré et spectaculaire. C'est un album qui se dévore et surtout qui ouvre un champ des possibles assez incroyables. La fin est triste mais semble marquée par la résignation. Comme Superman, on se dit que c'est une mort bien temporaire et que les pirouettes pour un retour sont innombrables mais l'histoire joue le jeu jusqu'à la dernière case. L'espièglerie de l'écriture nous monte à la tête et on se demande bien ce qu'il va se passer dorénavant... Une si vieille série qui regarde vers l'avenir, c'est franchement une excellent nouvelle!

Les aventures de Spirou et Fantasio - tome 56
Paru le 26 août 2022 chez Dupuis
dessin de Olivier Schwartz, scénario de Sophie Guerrive et Benjamin Abitan
64 pages / 11,90€

Tom Chaplin, Jonathan Jeremiah, Hot Chip

Tom Chaplin a retrouvé le sourire. Chanteur du groupe Keane, le chanteur a évidemment accumulé des addictions et des soucis. Il est revenu de tout cela mais en dehors de son excellent groupe (qui poursuit son petit bonhomme de chemin avec une modestie étonnante), il se réalise en embrassant une mélancolie qui n’ennuie jamais.

C’est le petit miracle de son second album solo. Souvent en mid tempo, il constate tout ce qui lui est arrivé dans sa vie tumultueuse et le fait avec une élégance qui met en avant sa voix assez impressionnante. Dans les meilleurs moments du disque, Tom Chaplin rivalise avec Elbow.

Tom Chaplin compose des mélodies douces mais entêtantes et on se penche vers lui comme pour écouter les confidences d’un ami intime. Son état des lieux est agréable et trouve une légèreté qui bascule nos emmerdes à la poubelle le temps d’un disque.

Autre agent musical au service de sa majesté à nous renverser dans une autre dimension: Jonathan Jeremiah. Le musicien du nord de Londres n’est pas un contemporain. Lui, semble apprécier le son de Marvin Gaye et tous les héros de la soul américaine. Il ne vit pas vraiment dans son époque.

Mais on pense aussi à Scott Walker pour les orchestrations puissantes et un assortiment complet de cordes et de chœurs pour accompagner des compositions qui oscillent entre folk et soul. On retrouve tout le charme des années 60 avec les utopies musicales qui vont avec.

En ses temps de douleur, sa musique console. Elle nous rend un peu nostalgique mais ce gardien du temps a assez de talents pour ne jamais faire dans la redite.

Peut être le meilleur moyen de rendre hommage à la reine est de faire la fête et c’est toujours le but que se sont donnés les membres de Hot Chip. Après vingt ans de carrière, les Londoniens n’ont toujours pas la gueule de bois.

Au contraire, leur disque est une pure merveille d’electro pop qui peut plaire à tout le monde. Ils piquent leurs idées un peu partout à toutes époques et s’en vont tout mixer avec leur énergie toujours aussi juvénile.

Leur nouvel opus est un disque à tiroirs. Il y a des petits trésors cachés. Les sons s’empilent mais jamais n’importe comment. C’est un album d’une densité incroyable et surtout il s’adresse autant aux neurones qu'à notre envie primaire de danser jusqu’à l’extase.

Bon on va rester calme le temps du deuil et de l’arrivée de Charles III mais malgré l’absence d’une grande figure, en Angleterre, the show must go on !

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