L’Horizon

Nos chroniqueurs ont tous un Modiano en tête. Voici un texte poignant d'un écrivain majeur qui condense ses obsessions et livre un texte pur et profond.

Depuis le temps que les romans de Patrick Modiano sont publiés, nous connaissons les différentes veines qu’il utilise pour nous hypnotiser. Soit il se penche sur la seconde guerre mondiale, soit il tente de décrire son parcours, de la manière la plus sobre possible, soit il raconte les brèves rencontres de jeunes adultes indécis le long des années 1960.

Quelques-unes de ces veines se rejoignent dans L’horizon, avec une nouveauté que nous accueillons avec émotion : l’irruption du temps présent. Incroyable mais vrai, Modiano situe une partie de son histoire dans un endroit qu’on jugeait à tort très éloigné de ses obsessions : aujourd’hui.

L’histoire semble d’abord émerger de la gangue du souvenir, mal dégrossie. Jean Bosmans, écrivain d’une soixantaine d’années, se rappelle des moments vécus à Paris, quarante ans auparavant et surtout une jeune fille qu’il avait croisée un soir de manifestation, place de l’Opéra, Margaret Le Coz.

La phrase ciselée de Modiano nous entraine dans un passé incertain où l’on s’accroche à des noms, noms de lieus, de rues, de personnes pour ne pas tomber dans le brouillard. Plus que jamais, les histoires d’amour sont des songes que le passé transforme en pièces de puzzle et l’on se demande s’il y eut un jour une unité.

Comme d’habitude, ces jeunes gens fréquentent des personnages interlopes et dangereux, le danger possible est omniprésent. Les deux jeunes gens ont le sentiment persistant d’être des gens de peu, des gens de rien qui ne peuvent s’accrocher à aucune certitude. On pourrait leur faire du mal, les tuer. Qui s’en soucierait ?

Avec le temps, la magie Modiano n’opère plus obligatoirement ou automatiquement, cela dépend de l’état d’esprit du lecteur. Parfois il a l’impression de relire un texte déjà lu auparavant. Parfois, et c’est le cas içi, il est saisi par l’émotion métaphysique qui sous-tend le texte.

L’âge venant, les récits de Modiano se concentrent davantage sur leur noyau dur. Solitude, incommunicabilité, fugacité de la mémoire et éparpillement du temps présent, cet homme qui cherche souvent ses mots dans les émissons de télé, trouve constamment les mots justes pour nous conter les tourments du jadis et du maintenant.

Et puis la fin du roman apporte une ouverture inattendue. C’est alors un nouveau roman qui commence et nous en sommes les auteurs au même titre que Patrick Modiano, cet écrivain si touchant dont les œuvres nous accompagnent depuis plus de 40 sans.

176 pages - Folio

Projections Macabres

Surfant comme d’autres sur la vague nostalgique du siècle dernier, Brigitte Aubert nous entraîne dans une enquête distrayante entre Paris et les villes thermales.

Bon, c’est vrai, les premières pages peuvent agacer le néophyte, ou celui qui ne connaît pas les célébrités du début du vingtième siècle. Se retrouver à chaque page avec des références à Emilienne d’Alençon, Cléo de Mérode ou la grande Marguerite Moreno, peut lasser. Rencontrer au détour d’un chapitre Claude Debussy ou l’actrice Polaire n’est pas sans charme. On se dit qu’il ne manque plus grand monde, Mallarmé étant des leurs, Toulouse-Lautrec aussi. Allez, que fait donc Rémy de Gourmont, le grand critique oublié par Brigitte Aubert, et sa muse adepte des amours saphiques, la belle amazone Natalie Clifford Barney, qui défrayait la "so chic" chronique parisienne ?

Après ces mondanités, on passe au fait divers. Au vrai. Oui, le Bazar de la Charité a vraiment brûlé et les normes de sécurité de l’époque n’ont laissé aucune chance aux occupants. Mais Brigitte Aubert en rajoute : on y trouve les restes d’une jeune fille éviscérée et assassinée. Ce cadavre vient se rajouter à d’autres, eux aussi éviscérés et morts de la même façon.

Saupoudrez de mondanités thermales, ajoutez un zeste de voyance teintée de mysticisme, secouez avec un brin de soupçon sur une secte pseudo maçonnique et le tour est joué. Nous revoici en plein dans l’ambiance de l’époque.  Evanouissements, cocottes précieuses, spiritisme, on baigne dans ces clichés-là.

De surcroît, les personnages principaux manquent un peu d’épaisseur, et pourtant, ce n’est pas leur première enquête. Qu’il s’agisse du journaliste Louis Denfert, un peu immature, de sa fiancée, la jolie comédienne Camille, moralisatrice ou légère selon les nécessités, ça ne passe pas. Seul le boxeur et ancien soldat Emile, qui en fait des tonnes, prête à sourire, tout comme Albert le légiste. Mais la sauce prend difficilement et l’on se disperse un peu. L’histoire de la secte maçonnique s’arrête soudain, sans qu’on sache pourquoi, tandis que les autres pistes ne mènent nulle part. Bref, on a l’impression que l’auteur cherche la fin de l’histoire. Et nous avec, même quand ça s’arrête.

10/18 - 420 pages

 

Everything will be alright at the End

Rivers Cuomo est le leader de Weezer. Omniprésent, il kiffe grave son art. Même à 40 balais. Il aime le rock. Celui avec des grosses couches épaisses de guitares, des moments héroïques et des rythmes qui font secouer les têtes. Il impose une conduite irréprochable à ses copains depuis plus de vingt ans: le groupe célèbre la power pop sans aucune déviation.

Leur entêtement ressemblait un peu à un crash programmé. Aucune surprise avec Weezer. Des guitares. Des paroles résolument idiotes. Un souci de faire vite et bien. Sur les précédents disques on était proche de l'exercice bâclé, sans imagination, sans gloire.

Pourtant on a un souvenir ému de leurs débuts avec quelques sommes comme l'album bleu et l'album vert. Les Californiens évitent soigneusement les looks appuyés pour défendre un punk accessible et bruyant même pour les grandes ondes.

Rivers Cuomo s'était donc un peu gouré dans sa formule magique ces derniers temps. Des disques en pagaille. Foutraques pour la plupart. Quatre ans de réflexion pour revenir, voilà ce qu'il faut pour que Weezer retrouve un peu de sa fraîcheur. Les quadras ne changent pas malgré la longévité: la sincérité et le plaisir semblent être de retour. Ils s'excitent joyeusement sur leurs instruments. Des petites canailles, voilà ce qu'est Weezer.

Le producteur Ric Ocasek, ancien leader de The Cars et responsable de leurs meilleurs chansons, reprend les commandes et remet le quatuor sur la bonne voie. La boulimie de gentils sons metaleux du groupe est bien digéré et installé dans des titres efficaces, jubilatoires et qui devraient ravir les fans comme les jeunes, en panne de Green Day. Il y a de la diversité et des facéties qui font vraiment marrer. Ils ne se prennent toujours pas au sérieux, c'est ce qui les sauve... on espère que ce mauvais esprit va encore les habiter

Republic - 2014

Notre festival d’animation: 2Pac

Un Pedigree

Retour sur quelques livres du Prix Nobel. Patrick Modiano saute le pas et passe à la première personne pour raconter les vingt premières années de sa vie. Poignant et envoûtant. La fameuse "petite musique", sans doute.

Près de quarante ans déjà que Patrick Modiano nous raconte sa propre histoire aux travers de courts romans qui sentent bon leur petit secret délicatement découvert, leur part d'ombre timidement exposée au grand jour. Quarante ans depuis la parution de La place de l'Etoile. Quarante ans que Patrick Modiano prépare ses lecteurs, ou plutôt se prépare lui-même, à ce moment de vérité, à ce récit qui ne se cache plus derrière l'appellation "roman", mais se revendique pour ce qu'il est : une autobiographie. 

"Je suis né le 30 juillet 1945, à Boulogne-Billancourt, 11 allée Marguerite, d'un juif et d'une Flamande qui s'étaient connus à Paris sous l'Occupation". Écrit à la première personne, en phrases épurées et débarrassées du moindre pathos, Un pedigree est la juxtaposition froide, presque clinique, d'épisodes disparates de la vie du jeune Patrick Modiano. Une sorte de "Je me souviens" appliqué à sa vie et à celle de ses parents, de sa petite enfance à son vingt et unième anniversaire.

"J'écris ces pages comme on rédige un constat ou un curriculum vitae, à titre documentaire et sans doute pour en finir avec une vie qui n'était pas la mienne. Il ne s'agit que d'une simple pellicule de faits et gestes. Je n'ai rien à confesser ni à élucider et je n'éprouve aucun goût pour l'introspection et les examens de conscience."

Admettons… Les dernières pages du livre sont pourtant l'occasion pour Patrick Modiano de revenir sur sa rupture définitive avec son père et de regretter les lettres dures échangées à cette époque avec un homme qu'il avait finalement peu connu, sinon dans les circonstances difficiles qu'il lui imposait.

Dans son style faussement détaché et désuet (la fameuse "petite musique" de Modiano), Un pedigree s'inscrit avec une facilité troublante dans le prolongement d'une œuvre de longue haleine construite lentement. Il arrive comme une touche (que l'on n'espère pas) finale au tableau patiemment brossé par un auteur rare, éloigné des contingences commerciales (malgré son immense succès), tout entier plongé dans ce travail introspectif dont il se défend trop farouchement pour que l'on n'y décèle pas l'origine de son talent.

Folio 126  pages

20 ans de Finesse Vol 2

Avant d'être accusé de supprimer l'humour sur France Inter, Philippe Val disait des horreurs réjouissantes avec son ami Patrick Font. Un cinglant souvenir !

Philippe Val, ancien rédacteur en chef de Charlie Hebdo, est devenue le directeur de France Inter sous Sarkozy. Puisque le président de la république avait décidé des personnes responsables des médias français, Val fut accusé d'être le bras armé de Sarkozy pour taper sur cette chaine radio connue pour sa tendance gauchiste. Brr, les vieux clichés ont la vie dure.

Philippe Val arrêta les chroniques de Stéphane Guillon et Didier Porte. Il aurait eu un problème avec l'humour satirique. Pourtant, il ne faut pas oublier que le directeur de France Inter fut un chansonnier corrosif dans les années 70 et 80.

Le pouvoir l'aurait il rendu hermétique à la gaudriole virulente? Car il fut doué, accompagné de son camarade Patrick Font. Les deux hommes aimaient beaucoup jouer ensemble. Ils chantaient les espoirs de vieux hippies effrontés et leur haine de la société giscardienne.

Pendant que Font joue sur la nostalgie avec une paillardise typiquement gauloise, Val se faisait plus amer mais tout aussi enclin à se moquer du pouvoir et ses représentants. Ils critiquaient donc la classe politique, la société de consommation et toutes les magouilles qui faisaient la une des journaux.

Font faisait réellement le chansonnier (il travaillait avec Thierry Le Luron) tandis que Val grattait sur sa guitare des chansons engagés au charme très seventies. Ils régalaient le public avec des sketchs tout en improvisation où ils se chamaillent en tapant sur tout le monde. Ce volume deux des "20 ans de finesse" (il en existe 4) est un régal, un polaroïd de cette époque et de ces révoltés qui usaient des mots pour chatouiller la société.

Le passé de Val est donc sulfureux. Drôle. Moins politique qu'il y a quelques mois. On préfère ce souvenir.

PLAIDOYER POUR LES ANIMAUX, ALLARY Editions

Pour tous les curieux et ceux qui n'ont pu se déplacer, voici un résumé de la conférence de Matthieu RICARD au Grand Rex, mardi 14 octobre, autour de son nouveau livre. Après "PLAIDOYER POUR L'ALTRUISME" sort "PLAIDOYER POUR LES ANIMAUX" chez ALLARY Editions.  (suite…)

Dans le café de la jeunesse

Quand Modiano fait du Modiano… Un (léger) sentiment de pastiche se dégage de ce roman de Patrick Modiano, qui n’est peut-être pas son meilleur. Bah oui, ca existe les déceptions même avec un prix Nobel.

Mais un roman de Modiano moyen vaut déjà mieux que beaucoup de ses contemporains au meilleur de leur forme. Ne boudons donc pas notre plaisir.

Après la parution de son superbe Un pedigree, dans une veine autobiographique, les lecteurs de Modiano se demandaient ce qu’il allait pouvoir écrire, tant ce livre semblait conclure un cycle et éclairer d’une lumière nouvelle tous ses romans écrits jusqu’alors. Bonne nouvelle pour les fans : son nouveau roman ressemble aux précédents.

L’histoire tourne autour d’un café de la rive gauche, à Paris : le Condé. Le temps du récit ? Le passé recomposé, ce temps qui semble avoir été inventé par l’auteur. L’histoire ? Une enquête sur le personnage de Louki, des clients qui se souviennent… Pas de doute, on est chez Modiano : “L’un des membres du groupe, Bowing, celui que nous appelions “le Capitaine”, s’était lancé dans une entreprise que les autres avaient approuvée. Il notait depuis bientôt trois ans les noms des clients du Condé, au fur et à mesure de leur arrivée, avec, chaque fois, la date et l’heure exacte.” (page 18)

Une phrase illustre bien ce style si particulier à l’auteur : “Le brun à veste de daim s’est perdu pour toujours dans les rues de Paris, et Bowing n’a pu que fixer son ombre quelques secondes.” (page 22)

La géographie des lieux fait toujours l’objet de toute l’attention de Patrick Modiano. Par contraste, ses personnages semblent errer à regret : “Dans cette vie qui vous apparaît quelquefois comme un grand terrain vague sans poteau indicateur, au milieu de toutes les lignes de fuite et les horizons perdus, on aimerait trouver des points de repère, dresser une sorte de cadastre pour n’avoir plus l’impression de naviguer au hasard.” (page 50)

Alors, un Modiano comme les autres ? Pas tout à fait. Le trait y est sensiblement plus appuyé que dans tous ses romans antérieurs, et il finit par être trop appuyé. D’où l’impression de pastiche évoquée plus haut. C’est comme si, là où naguère il aurait cité deux ou trois noms de lieu, il en citait dix pour bien enfoncer le clou. Veut-il nous prouver que sa reconstitution historique tient la route ?

Même l’histoire aboutit à une chute bien lourde, bien nette, sans ambiguïté sur le destin de Louki, tandis que le charme habituel des romans de Modiano est précisément de se perdre sans s’achever complètement, dans des incertitudes grises, des peut-être qui laissent toute sa place au songe.

Le titre annonce déjà la surcharge. Comparez Dans le café de la jeunesse perdue à Villa triste, Dimanches d’août ou La place de l’étoile… Le trait est nettement plus gras : Oyez, oyez ! Amoureux de la nostalgie, des bitter-sweet symphonies, je vais vous mettre le vague à l’âme. Bref, on a l’impression que l’équilibre si subtil de l’œuvre de Modiano est ici rompu. Momentanément, espérons-le.

Not’festoche: Oasis

S’il se passe quelque chose, Vincent Dedienne, Petit Hébertot

vincentPremier spectacle solo d’une valeur montante. Mise à nu audacieuse et prometteuse.

Comédien repéré dans Je marche dans la nuit par un chemin mauvais et chroniqueur sur Canal + dans la biographie interdite, Vincent Dedienne s’est lancé à 28 ans dans son autoportrait. Risqué mais désarmant de sincérité. (suite…)

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