Wrong Cops
Après Steak, Rubber, et Wrong... Wrong Cops. Dupieux persiste et signe dans l'absurde et le déjanté.
Il est difficile, presque douloureux, d'enfermer une création de Quentin Dupieux dans quelques lignes tant son oeuvre dépeint une volonté de s'affranchir de tout carcan et de redéfinir l'objet cinématographique.
Après le pneu tueur et le kidnapping de chien, le réalisateur raconte le quotidien sale et brutal de flics pourris et névrosés dont la routine déjantée va être bouleversée par un mec à moitié mort. D'un sketch à l'autre, les scènes cultes s'enchainent presque sans aucune raison. Presque, car il y a un lien entre les différentes histoires. On s'étonne de s'en étonner... Mais on est chez Dupieux. Un des flics, dont le passé dans le porno gay ressurgit, sert de liant entre les personnages et leurs scénettes. Pas d'inquiétude, ça reste léger ! Ces personnages sont portés par un casting parfait dans lequel Dupieux se permet de titiller une certaine Amérique puritaine. Le personnage le plus « normal », le plus vraisemblable est incarné par Marylin Manson himself.
Un casting de flingués donc au service de grands délires narratifs. Exemple d'excellence quand Mark Burnham, qui joue un flic dealer de weed qu'il refourgue dans des rats crevés pour plus de discrétion, se rend chez son fournisseur de rats morts chinois qui lui refile un sac plein de poissons, en lui expliquant que les rats depuis quelque temps déjouent ses pièges.
Une fois de plus, c'est l'imagerie américaine qui sert de décor au cinéaste. Dans Wrong Cops, il choisit de s'appuyer sur l'image du flic américain de base. Et c'est dans un Los Angeles désolé qu'il crée une atmosphère de rêverie répugnante. Oui, il y a quelque chose de visqueux qui se dégage de cette ambiance hallucinée. Mais la photo est si travaillée que l'on se retrouve finalement dans un espace entre fascination et dégoût. Un no man's land entre comédie burlesque et enfer poisseux dans lequel l'aspect le nauséeux de l'espèce humaine se révèle librement sur fond de jolies maisons et grand ciel bleu californien.
La liberté est le concept de base de l'oeuvre de Dupieux. Il cherche depuis ses débuts à se libérer de toute contrainte narrative ou visuelle. Et pour s'affranchir des lois du milieu du cinéma, il fait quasiment tout lui-même. En commençant par la musique bien sûr. Doit-on encore rappeler que Quentin Dupieux cinéaste est Mr. Oizo, compositeur électro fou furieux ? Dans Wrong Cops, la musique, comme toujours, est un personnage à part entière. Si présente qu'elle réveille les morts. Enfin un mort, ce personnage de loque à demi-mort que se coltinent les personnages tour à tour. Toujours plus aliénante, plus électrisante, elle ne répond à aucun standard et dynamise le film sans égal. En évoluant dans le film, en étant toujours plus mise en avant, elle structure le film, même si le mot paraît incompatible avec un Dupieux.
Malgré tout, le film perd un peu de rythme avant la fin – qui rattrape cette faiblesse. Alors, ceux qui ne sont pas sensibles à l' « humour » de Dupieux peuvent se perdre en chemin. Mais rien de bien important pour les fans de l'artiste, qui fait preuve d'une grande continuité dans son oeuvre, avec un style désinvolte chaque fois plus affirmé et qui semble crier « J'en ai rien à foutre ! ».
Wrong Cops se présente alors comme une invitation jouissive, surexcitée et transgressive à dépasser les normes/bornes.
Paroles gelées, d’après François RABELAIS
Une mise en scène absolument grandiose et une adaptation subtile et savoureuse ! (suite…)
Invisibles, de Nasser Djemaï
Reflet dans le miroir de l’Algérie
La rencontre entre un fils qui cherche son père et des pères qui n’ont jamais pu l’être.
Plongée dans le quotidien de retraités solitaires et solidaires, au cœur d’une page méconnue de l’histoire de France.
Martin débarque dans un foyer de travailleurs immigrés d’Algérie pour remettre à un certain El Hadj un coffret. Sa mère l’a exigé de lui, avant de mourir. Muet et paralysé dans son fauteuil depuis plusieurs mois, El Hadj reçoit les soins de ses camarades Hamid, Driss, Majid et Shériff. Tous les cinq sont originaires d’Algérie. Martin, en quête de son père, va faire leur connaissance.
Dans un décor rudimentaire, meubles Formica, lit et table de jeux, les langues vont se délier, le passé se révéler. Non sans éclats de voix et explosions d’agressivité tant les vérités pèsent, les hommes sortent de l’ombre. Cette ombre dans laquelle l’histoire, la France les a placé.
"Ils pensaient pas qu'on pouvait avoir froid", lâche Azize Kabouche sous les traits de Hamid. "Ils pensaient pas qu'on pouvait avoir faim. Qu’on pouvait avoir besoin d’une femme dans nos bras. Et ils pensaient pas qu’un jour on pourrait vieillir comme tout le monde, parce qu’ils pensaient pas qu'on était des hommes".
Vibrante de sincérité, la pièce doit beaucoup au jeu des acteurs. Ils semblent s’oublier pour devenir leurs personnages. On les prendrait pour de vrais Chibanis (cheveux blancs en arabe) ! Ces travailleurs migrants devenus âgés. Le plus attachant : Lounès Tazaïrt. Le plus impressionnant : Azzedine Bouayad, immobile, muet. Il dit avoir beaucoup appris de ce personnage qui ne parle pas mais est à l’écoute de tout.
L’origine de la pièce, l’auteur Nasser Djemaï la situe dans ses années étudiantes. Il observait ces « vieux célibataires sans famille, sans patrie, bien souvent isolés, malades et aussi pauvres que lorsqu’ils sont arrivés en France pour travailler ». Percevant ce que leur vie a de plus profondément théâtral, il décide d’écrire la première pièce sur le sujet des Chibanis.
Pour bien comprendre, restait à rencontrer ces hommes si pudiques. Pendant plus d’un an, Nasser Djemaï les a approchés dans leurs lieux de vie : foyers, cafés sociaux, mosquée. Il les a écoutés, a gagné leur confiance. L’injustice qui a traversé leur vie, il l’a écrite. « T’as pas de confiance, toute la vie ils t’ont menti. Toute la vie ils nous ont menti sur le travail, la paye, le logement, la retraite, l’histoire. » Et encore aujourd’hui, assignés à résidence en France six mois par an pour toucher leur complément de retraite, ils se trouvent piégés par le destin.
Le théâtre, lumière de vérités.
Théâtre 13 / Jardin
10 septembre – 20 octobre 2013 • théâtre
Texte et mise en scène Nasser Djemaï
Une quête vertigineuse entre le songe et la réalité.
1h40 sans entracte
3OO Naissance d’un Empire
Le retour des gars à jupettes avec des grosses voix rocailleuses et des ralentis aussi inutiles que magnifiques !
Mais où est donc passé Gerard Butler, l’interprète de Leonidas, le roi de Spartes qui a défié les Perses ? Logiquement il est mort à la fin du premier 300 mais bon vu que dans ce péplum spécial, il y a des gros emprunts à l’heroic-fantasy, on aurait pu le ressusciter.
Il était charismatique dans le rôle du guerrier ultime. Il terrorisait. Il fascinait. Dans cet épisode, produit par Zack Snyder, il y a un comédien méconnu, Sullivan Stapleton, pour jouer Themistocles, un Athénien des mers, aussi transparent qu'une bouteille d'Ouzo.
En attendant c’est lui qui dirige les opérations désormais contre les Perses et leur chef mégalomane, Xerxes. Il convoque donc une bande de guerriers aux tablettes de chocolat bien luisantes. Il met tout le monde sur des bateaux. Et hop ! Et vogue la galère !
Comme dans l’épisode précédent, un bien joli ralenti tout en numérique montre les Grecs qui égorgent de vilains soldats et mettent du sang partout sur la caméra. Un effet qui est utilisé toutes les deux minutes par le réalisateur qui fait du Snyder sans grand éclat.
Il s’agit juste d’une succession de batailles navales avec des énervés en jupettes et des vilains vraiment pas beaux qui veulent casser du « pédéraste musculeux » (c’est dans le film mot pour mot). C’est donc la même chose que 300 en moins bien, avec de l’eau tout autour.
Sauf qu’il y a Eva Green. Pour elle, on veut bien aller au bout du massacre. Pur fantasme iconique, elle joue Artemise, une méchante hargneuse, froide et incroyablement sexy. D’une beauté évanescente, elle survit au carnage visuel malgré tous les effets numériques, infographiques, bref, pénibles puisque doublés d’une 3D qui casse les rétines. Même le sang en images de synthèse ne parvient pas à salir sa silhouette. Elle nous ferait presque oublier Gerard Butler. Presque…
Danseurs de cordes – LE QUATUOR – Alain SACHS
Un Quatuor au sommet de son art...
Trente ans que le Quatuor foule les planches de France et de Navarre. Ce soir le Quatuor est au Théâtre des Champs Elysées pour quelques soirées avec leur dernière création "Danseurs de cordes" mis en scène par Alain Sachs. Trois violonistes, un violoncelliste contrebassiste et c'est parti pour une heure trente de plaisir burlesque. Les mélomanes en auront pour leur compte.
Jean-Claude Camors, Laurent Vercambre, Pierre Ganem, Jean-Yves Lacombe jouent dans la cour des grands. Les voilà qui entrent à la queue-leu-leu sur le plateau des Champs-Elysées sous le regard des Muses qui ornent la coupole du théâtre. Le public sourit devant leur présence scénique. L'espace s'adapte à leurs gestes. L'orchestration est réglée au millimètre. Queue de pie, nœud papillon. Regard, écoute. Contraste de genre, de corps et d'esprit. La mécanique du rire est en route.
Et cela ne s'arrêtera plus. Le public, captif tombe dans tous les pièges musicaux et théâtraux. Les tableaux s'enchaînent avec des réussites scéniques évidentes. Très drôle scène sur la création de Farinelli, excellent parodie country dans laquelle Laurent Vercambre prend habillement le pouvoir scénique. Superbe hommage aux plus grands compositeurs classiques qui dérive progressivement dans l'hommage pop-rock, le tout au violon, de Beethoven à Lennon, Morrison, et Sting en passant par Prokofiev.
Il y a de la voltige et de l'esprit. Quelques pas, quelques lumières et les étuis des instruments deviennent des soucoupes volantes. Quelques notes de musique, un drapé orange et voilà la scène transformée en plateau de danse indienne. Une bouilloire sifflante et nous voilà transportés en pays bigouden. Moucheurs de chandelles, bouchers ou contrebassiste de brasserie, les humbles sont des héros comme les autres pour le Quatuor. La poésie est partout pour celui qui sait l'entendre. Un espiègle enchantement.
Il faut forcément avoir une haute idée de la musique pour en jouer avec autant de talent et oser la bousculer avec autant de malice. Grands comiques du XXe et XXI e siècle, sûr qu'ils laisseront leur empreinte dans l'histoire des trublions de l'histoire de la musique. A voir dès que l'occasion se présente, que ce soit dans Danseurs de cordes ou Bouquet Final.
Sébastien Mounié © Etat-critique.com - 11/02/2014
ERECTION – Pierre Rigal – Aurélien BORY
Pierre Rigal ou le miracle du déséquilibre.
Seul, couché et perdu au milieu d’un rectangle de vidéo projeté au sol, Pierre Rigal est. L’objectif est simple, mettre debout l’homme qu’il est, en jouant avec le sol et son corps. L’espace est mouvant, Pierre Rigal doit jouer de l’attraction terrestre et de ses yeux pour déjouer les pièges de la boîte dans laquelle il semble être prisonnier.
La lumière fut, la lumière fuit et Pierre Rigal s’en amuse dans un fantastique dialogue avec un démiurge invisible qui se plaît à déstructurer l’espace et le temps au moyen de sons électroniques. Le corps tourne, glisse et esquive. Les points d’appui se dressent à coup d’épaule, à coup de genoux. On regarde hypnotisés ce corps entamer l’ascension en pensée de la verticalité et de la liberté.
Logiquement, c’est en costume étriqué dans un espace aux frontières marquées que débute l'exploit comme pour mieux marquer l’enfermement de l’homme social, moderne. Moderne, mais à quel prix. Combien de contorsions pour mieux rester couché. Il en faudra du temps et des sauts et des stratégies pour que l’homme retrouve dénudé sa liberté, suspendu dans le temps, suspendu dans l'air à la recherche d'un ailleurs proche de l'infini.
La danse est belle, comme un hommage à l'humanité, à sa volonté et à sa liberté. L'art de transformer en 45 minutes le déséquilibre en énergie motrice.
http://www.theatredurondpoint.fr/
Sébastien Mounié
© Etat-critique.com - 23/01/2014
The True Blue Skyes
Le titre laisse imaginer des espaces fulgurants : Jim Yamouridis en réalité, travaille comme personne dans les ambiances intimes et rudes !
Vous n’allez pas rigoler avec cet Australien au nom d’une île grecque. Il n’appartient pas à la famille du rock qui fait la une des couvertures et qui remplit les stades. Il a plutôt le blues sombre, le rock noir, celui qui fait le succès d’un Nick Cave et qui hante les plus tristes compositions de Bob Dylan.
Pour Jim Yamouridis, la musique est une histoire d’états d’âme, de tristesse, de spleen lyrique. Son précédent album était une découverte, on peut confirmer maintenant qu’il est un adepte d’un son ouaté, une version européenne de Tom Waits, un potentiel compositeur pour la prochaine BO de Jim Jarmusch.
Il a trouvé en France, ce qu’il faut pour faire la différence. Il réussit même à aspirer dans son univers un peu dézingué, Mireille, une chanson de Dick Annegarn. Le bonhomme a bon goût. Sa sensibilité passe par une voix grave, agréablement déraillée.
Elle nous tient en haleine dans un rock au ralenti, mélodieux en diable et qui a pactisé avec des instruments plus originaux. On glisse parfois dans des tonalités jazzy où les sentiments sont bercés par les rythmes lascifs.
Avec peu de choses, Jim Yamouridis arrive à composer le maximum de chansons fortes, poignantes et rappelle même Leonard Cohen au meilleur de sa forme. Son succès est beaucoup plus restreint. C’est dommage. Ca ne tient qu’à vous de réparer cette injustice !
Microcultures - 2014
19 secondes
Un court roman habile et bien écrit qui, en nous faisant les intimes de quelques passagers d'un wagon de RER, nous bouleverse imparablement à la seconde où le drame survient.
Cet après-midi-là, à 17h43, le RER Zeus doit déposer Sandrine sur le quai de la station Gare de Lyon. Gabriel sera là pour l'attendre. Si, effectivement, Sandrine est dans la troisième voiture en partant de la tête et qu'elle descend à sa rencontre, leur vie commune pourra continuer comme avant, mieux qu'avant, pour toujours. Mais si Sandrine choisit de ne pas venir, Gabriel saura qu'elle est déjà chez eux en train de faire ses valises. Il ne rentrera pas pour lui laisser tout le temps dont elle a besoin pour refermer ces années de vie commune.
Gabriel arrivé tôt, pour se donner le temps de repenser à leur histoire, a cet amour qui s'est émoussé. Mais le temps passe et Gabriel guette maintenant l'arrivée de Zeus. Trac, le train précédent, est passé. Zeus s'apprête à entrer à son tour en gare. Il reste dix-neuf secondes avant la tragédie…
En mêlant étroitement un terrible suspense dramatique (que va-t-il se passer au bout de dix-neuf secondes lentement égrénées ?) et une puis plusieurs histoires intimistes et privées, 02
En grand horloger céleste, il décompte les dix-neuf secondes capitales en autant de courts châpitres qui sont le reflet des pensées de ces passagers qui roulent vers leur destin. On se prend d'affection pour la jeune Sophie qui court vers Ludo, son amoureux, ou d'anthipatie pour Gilbert avec sa malette et ses plaisirs malsains. On se dit qu'Emmanuel est un type plutôt sympa et que la pauvre a peut-être raison de se détacher de Francis pour les beaux yeux de Gérard… Rien de bien important en somme, sauf que ces petits riens vous mettent par terre quand survient le drame. Nous sommes bouleversés par la destinée de ces inconnus qui ne le sont plus tout a fait. Pierre Charras nous a piégé, nous a ému…
145 pages - Folio
Partita 2, Anne Teresa DE KEERSMAEKER et Boris CHARMATZ
Une pièce que les deux chorégraphes travaillent depuis 2010 est l’occasion pour Anne Teresa De Keersmaeker de renouveler son dialogue avec la musique de Bach.
Un duo accompagné par la musique en live de la violoniste Amandine Beyer : pour la chorégraphe flamande, une nouvelle pièce travaillant les liens entre le mouvement et la musique, les infinies possibilités de faire de la danse un outil d’analyse visuelle de la musique.
Après s’être confrontée à la musique de Bach avec Toccata et, plus récemment, Zeitung, Anne Teresa De Keersmaeker choisit Partita 2 de Bach que la violoniste joue d’abord dans le noir absolu de la salle : une manière de proposer une immersion totale dans la partition sonore qui sera le point de départ de la danse en duo qui va suivre, longuement et dans le silence.
Partita 2 interroge la mémoire sonore et visuelle : comment regarder une partition chorégraphique composée à partir d’une partition musicale en les séparant dans un premier temps l’une de l’autre, en les faisant se succéder pour qu’elles se retrouvent finalement ensemble dans la troisième partie de la pièce.
Les deux danseurs jouent avec les nombreux cercles dessinés au sol et avec une seule source de lumière qui, de manière elle aussi circulaire, traverse petit à petit la scène. Les mouvements de De Keersmaeker et de Charmatz travaillent de l’intérieur la structure de la musique de Bach, ils en révèlent l’ironie, la joie, les répétitions, les moments de surprise.
Lorsque les deux partitions, celle musicale et celle chorégraphique, se retrouvent enfin unies, les spectateurs ont assisté à un long travail d’analyse, et les retrouvailles du son et des mouvements sont à la fois intrigantes et émouvantes.
Les créations de De Keersmaeker sont toujours un moment de partage avec le public d’une joyeuse et passionnante analyse structurelle de la musique à travers le plaisir de la danse, danse qui dans Partita 2 est faite de marches, de courses, de suspensions, de jeux de correspondances et de démarcations entre les deux danseurs.
Les pièces de la chorégraphe flamande oscillent savamment entre intelligence et émotion, entre distance et immersion.
Gloria Morano
© Etat-critique.com - 10/12/2013